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Date : 20040325

Dossier : IMM-695-02

Référence : 2004 CF 461

Toronto (Ontario), le 25 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                          FORTUNATO SICURO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                En 1992, M. Sicuro a été poursuivi en Italie relativement à plusieurs infractions découlant d'un incident avec une ancienne petite amie. Il a fait l'objet d'une condamnation avec sursis en rapport avec ces infractions, lesquelles ont été ultérieurement « éteintes » en vertu du droit italien, et il a ensuite cherché à émigrer ici pour continuer une relation avec une Canadienne. Une agente d'immigration désignée lui a refusé la résidence permanente du fait de ses antécédents criminels. La présente demande de contrôle judiciaire de cette décision porte sur la question de savoir s'il a déjà été « déclaré coupable » en Italie des crimes pour lesquels il a été condamné, au sens de cette expression dans l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne loi) et si c'est le cas, quelle reconnaissance ou quel effet, le cas échéant, devrait être donné à l' « extinction » des infractions et de la peine.

LE CONTEXTE

[2]                Les accusations auxquelles M. Sicuro a fait face lorsqu'il a comparu devant le tribunal à Reggio Calabria sont, à première vue, très graves. L'agente d'immigration a conclu que ces infractions équivalaient à certaines dispositions du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46, (le Code criminel canadien). L'agente a décrit ces infractions et leurs équivalents canadiens comme suit :

[traduction]

1. « Insulte » , conformément à l'article 594 du Code criminel italien. J'ai assimilé cette infraction à celle de « propos indécents au téléphone » , conformément au paragraphe 372(2) du Code criminel du Canada, une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité pour laquelle un emprisonnement maximal de deux ans peut être imposé.

2. « Menace » , conformément à l'article 612 du Code criminel italien. J'ai assimilé cette infraction à celle de « proférer des menaces » , conformément à l'alinéa 264.1a) du Code criminel du Canada, un acte criminel pour lequel un emprisonnement maximal de cinq ans peut être imposé.

3. « Insulte » , conformément aux paragraphes 1 et 4 de l'article 594 du Code criminel italien. J'ai assimilé cette infraction à celle de « faire du tapage » , alinéa 175(1)a) du Code criminel du Canada, une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité.

4. « Blessures corporelles » (4 chefs d'accusation), conformément à l'article 582 du Code criminel italien. J'ai assimilé cette infraction à celle d' « infliction de lésions corporelles » , alinéa 267b) du Code criminel du Canada, pour laquelle un emprisonnement maximal de dix ans peut être imposé.


5. « Dommages » (2 chefs d'accusation), conformément à l'article 635 du Code criminel italien. J'ai assimilé cette infraction à celle de « méfait » , paragraphe 430(4) du Code criminel du Canada, un acte criminel pour lequel un emprisonnement maximal de deux ans peut être imposé.

6. « Attentat à la pudeur de force » , conformément à l'article 512 du Code criminel italien. J'ai assimilé cette infraction à celle d' « agression sexuelle » , alinéa 271(1)a) du Code criminel du Canada, un acte criminel pour lequel un emprisonnement maximal de dix ans peut être imposé.

[3]                La preuve indique cependant que les circonstances de ces infractions se situaient au bas de l'échelle d'un tel comportement et que M. Sicuro n'avait aucun casier judiciaire antérieur. Par conséquent, le juge d'instruction lui a accordé, avec le consentement du poursuivant, une « senteza di patteggiamento » qui consiste en une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis. Il a été détenu environ deux semaines avant que cette décision soit rendue à l'égard des accusations.

[4]                Le processus de patteggiamento, selon la preuve, peut être décrit comme une forme de « plaidoyer négocié » par lequel l'accusé convient d'accepter une peine réduite en échange de quoi il renonce à son droit à un procès. Contrairement à un plaidoyer négocié dans le contexte canadien, il ne semble pas y avoir d'exigence selon laquelle l'accusé reconnaît officiellement sa culpabilité avant que la peine soit imposée. Vraisemblablement, bien que le dossier ne soit pas tout à fait clair à ce sujet, le juge d'instruction doit être convaincu que les éléments juridiques et factuels de l'infraction peuvent être établis avant d'imposer la peine.


[5]                Une fois écoulée une période de cinq ans au cours de laquelle le demandeur a affiché une bonne conduite, il a demandé à ce que son casier judiciaire soit « éteint » en vertu du droit italien. Cela lui a été accordé en juin 1999 par le tribunal de Reggio Calabria. La traduction anglaise de l'ordonnance du tribunal donne à penser que les infractions elles-mêmes ont été « éteintes » ou rayées du casier de M. Sicuro. Toutefois, le conseiller juridique contacté par l'agente d'immigration pour obtenir un avis a mentionné qu'à son avis, [traduction] « l'extinction de l'infraction criminelle n'annule pas le fait qu'une infraction criminelle ait été commise mais n'entraîne que la non-exécution de la condamnation (laquelle avait été suspendue) suivant la période de conduite loyale de cinq ans » .

[6]                En août 1997, M. Sicuro a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que travailleur qualifié indépendant. Il a de l'expérience et une formation en tant qu'ingénieur en aéronautique. Dans une lettre datée du 28 juillet 1999, la Section de l'immigration de l'ambassade du Canada à Rome a rejeté sa demande de résidence permanente au motif de non-admissibilité pour des raisons d'ordre criminel. Le demandeur a ensuite demandé un contrôle judiciaire à la Cour fédérale mais il s'est désisté de sa demande lorsque le défendeur a convenu de rouvrir et d'examiner à nouveau sa demande de résidence permanente.


[7]                Le demandeur s'est présenté à plusieurs entrevues à l'ambassade du Canada à Rome en 1998 et en 1999. Tout au long du traitement de sa demande, le demandeur ainsi que ses avocats italiens et canadiens ont échangé de nombreuses lettre avec les fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) concernant, entre autres choses, la question de ses infractions de 1992 et de la radiation subséquente de ces infractions de son casier en 1999. Cela ressort clairement du dossier du tribunal qui est volumineux, soit tout près de 1000 pages.

[8]                En septembre 1999, le demandeur a présenté une demande de reconnaissance de la réadaptation à l'ambassade du Canada à Rome. Avec sa demande, il a présenté de la documentation et des observations expliquant les circonstances entourant les accusations dont il fut l'objet. Cette demande a été rejetée par une lettre datée du 28 août 2001. Le demandeur a demandé d'être autorisé à soumettre une demande de contrôle judiciaire de cette décision mais cela lui a été refusé par une ordonnance de la Cour datée du 6 juin 2002, puisque le demandeur n'avait pas déposé de dossier de demande.

La décision de l'agente

[9]                Dans une lettre datée du 12 décembre 2001, l'agente a conclu que le demandeur n'était pas admissible au Canada parce qu'il était une personne visée aux sous-alinéas 19(1)c.1)(i) et 19(2)a.1)(i) de l'ancienne loi. L'agente a également fait remarquer que la demande de reconnaissance de la réadaptation du demandeur avait été rejetée par le ministre le 28 août 2001.


LES OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

[10]            Le demandeur prétend que l'agente a commis une erreur de droit lorsqu'elle a décidé qu'il était une personne visée aux sous-alinéas 19(1)c.1)(i) et 19(2)a.1)(i) de l'ancienne loi parce qu'il n'avait jamais été « déclaré coupable » de quelque infraction que ce soit à l'extérieur du Canada, comme ces sous-alinéas l'exigent. Il a plutôt fait l'objet d'une condamnation à une peine d'un an avec sursis, pour laquelle on lui a ensuite accordé une « extinction » .

[11]            Le demandeur prétend qu'il a présenté, relativement au casier judiciaire, un certificat émanant de l'Italie à l'appui de sa demande de résidence permanente, lequel mentionnait qu'il n'avait aucun casier judiciaire, et que, puisqu'il n'a jamais été « déclaré coupable » de quelque infraction que ce soit à l'extérieur du Canada, il ne peut être déclaré non admissible pour des raisons d'ordre criminel.

[12]            Le demandeur fait également valoir que son inscription de « patteggiamento » à l'égard de ses infractions de 1992 est analogue à une absolution sous condition au Canada. Le demandeur invoque les décisions Kalicharan c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1976] 2 C.F. 123 (1re inst.), et Re Board of School Trustees of School District No. 37 (Delta) and Vaselenak (1978), 82 D.L.R. (3d) 509 (C.S.C.-B.) ainsi que l'article 736 du Code criminel canadien.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]            1. L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en refusant la demande du demandeur du fait qu'il n'avait jamais été « déclaré coupable » d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, le rendrait non admissible conformément aux sous-alinéas 19(1)c.1)(i) et 19(2)a.1)(i) de l'ancienne loi?

2. Si le demandeur a, de fait, été « déclaré coupable » d'infractions en Italie, son « extinction » de 1999 signifie-t-elle qu'une telle « condamnation » n'a jamais eu lieu pour l'application de l'ancienne loi?

ANALYSE

[14]            La présente demande de contrôle judiciaire porte sur les sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et 19(2)a.1)(i) de l'ancienne loi. Voici le libellé de ces dispositions :


19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

_..._

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

...

c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger :

(c.1) persons who there are reasonable grounds to believe


(i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l'infraction,

_..._

(i) have been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence that may be punishable under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of ten years or more, or

...

except persons who have satisfied the Minister that they have rehabilitated themselves and that at least five years have elapsed since the expiration of any sentence imposed for the offence or since the commission of the act or omission, as the case may be;

19 (2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui :

_..._

19 (2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:

...

a.1) sont des personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger :

(a.1) persons who there are reasonable grounds to believe

(i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de moins de dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l'infraction,

_..._

(i) have been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence that may be punishable by way of indictment under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of less than ten years, or

...

except persons who have satisfied the Minister that they have rehabilitated themselves and that at least five years have elapsed since the expiration of any sentence imposed for the offence or since the commission of the act or omission, as the case may be;


La norme de contrôle

[15]            Appliquant l'approche pragmatique et fonctionnelle, telle qu'elle a été énoncée dans les arrêts Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, je conclus que la norme de contrôle applicable à la décision en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter. Premièrement, la décision faisant l'objet du contrôle a un caractère définitif, mais il faut aussi tenir compte du fait qu'en vertu de l'ancienne loi, le demandeur pouvait demander le contrôle judiciaire de cette décision sans qu'une autorisation de la Cour soit exigée : paragraphe 82.1(2) de l'ancienne loi.


[16]            Deuxièmement, la décideuse en l'espèce, une agente d'immigration affectée à l'étranger, était tenue d'analyser la question de savoir si le demandeur avait été « déclaré coupable » en Italie, selon la définition que donne l'ancienne loi à cette expression, si son « extinction » avait pour effet d'enlever sa condamnation de son casier judiciaire italien et si c'était le cas, si cette réhabilitation devait être reconnue et appliquée aux fins des dispositions relatives à l'admissibilité dans le cadre de l'ancienne loi. Ce domaine n'a rien à voir avec l'essentiel de son expertise, à savoir l'appréciation des demandeurs indépendants en rapport avec leur expérience professionnelle et la probabilité qu'ils s'établissent avec succès au Canada, mais il s'agit plutôt d'un domaine où la Cour peut être considérée comme aussi bien placée que l'agente pour évaluer la nature de cette réhabilitation alléguée en se fondant sur la preuve dont celle-ci disposait.


[17]            Troisièmement, l'objectif de l'ancienne loi, en rapport avec la demande du demandeur, était de faciliter et de réglementer l'immigration de travailleurs qualifiés au Canada, tel que l'énonce l'alinéa 3e) de l'ancienne loi. Le rôle des sous-alinéas 19(1)c.1)(i) et 19(2)a.1)(i), considérés dans le sens de l'alinéa 3i) de l'ancienne loi, était de s'assurer que ceux qui étaient admis au Canada en tant que résidents permanents ou en tant que visiteurs ne représentaient pas un danger pour le public canadien. De plus, les dispositions donnent des directives au décideur selon lesquelles il ne peut pas déclarer une personne non admissible à moins qu'il y ait des « motifs raisonnables de croire » que le demandeur avait été déclaré coupable à l'extérieur du Canada d'une infraction équivalente, c'est-à-dire qui pourrait être punissable au Canada d'un emprisonnement d'au moins 10 ans.

[18]            En fin de compte, la nature du problème porte sur l'interprétation de la loi relativement au sens de l'expression « déclaré coupable » par, notamment, l'application de la jurisprudence établie et, par la suite, la comparaison d'une telle interprétation juridique avec les conclusions de fait dans le cadre d'une loi étrangère. Dans l'arrêt Saini, précité, au paragraphe 26, la Cour d'appel fédérale a statué que les conclusions liées à des lois étrangères constituent des conclusions de fait. Cela révèle que la décision de l'agente soulève des questions mixtes de droit et de fait. Ces facteurs m'amènent à conclure que c'est la norme de la décision raisonnable simpliciter qui devrait s'appliquer dans le contrôle de cette décision.

1.          Le demandeur « déclaré coupable » à l'extérieur du Canada

[19]            La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions. Premièrement, celle de savoir si la décision rendue par le tribunal italien et la peine qu'il a imposée concernant les infractions de 1992 du demandeur équivalent pour lui à avoir été « déclaré coupable » à l'extérieur du Canada et deuxièmement, si le demandeur a, de fait, été « déclaré coupable » , celle de savoir si sa réhabilitation de 1999 signifie qu'une telle « condamnation » n'a jamais eu lieu. Le transfert qu'a effectué l'agente relativement aux infractions équivalentes en vertu du Code criminel canadien n'a pas été contesté dans la présente demande de contrôle judiciaire.


[20]            À mon avis, en ce qui concerne la première question, la décision de l'agente de déterminer que le demandeur était non admissible en application des sous-alinéas susmentionnés de l'ancienne loi n'était pas déraisonnable, puisque le demandeur a été à juste titre considéré comme « déclaré coupable » au sens de l'ancienne loi. Les renseignements contenus dans le dossier du tribunal, y compris l'avis juridique indépendant qu'a obtenu l'agente avant de rendre sa décision, démontrent que la peine imposée au demandeur peut être considérée comme équivalant à une « condamnation » en vertu du droit canadien.

[21]            Mon analyse de cette question a été quelque peu entravée par deux facteurs. L'un étant que, en raison d'un malentendu quant à savoir si la présente demande suivrait son cours, le défendeur n'a pas déposé d'exposé des arguments et, par conséquent, je n'ai pas pu bénéficier des arguments réfléchis du défendeur. En second lieu, une partie considérable de la preuve que le demandeur a présentée dans le cadre du présent contrôle judiciaire semble avoir fait partie de ses observations faites à un délégué du ministre, dans sa demande de reconnaissance de la réadaptation. Ces observations sont datées du 23 août 2000 et ont été envoyées à l'administration centrale de CIC à Ottawa. Comme je l'ai indiqué, le contrôle judiciaire de cette décision n'a pas été autorisé en raison du fait que le demandeur n'avait pas complété sa demande. Cette preuve n'est pas dans le dossier certifié du tribunal dont la Cour dispose et, à mon avis, n'était pas à la disposition de l'agente dont on conteste actuellement la décision. Par conséquent, je ne pouvais pas l'invoquer lors de l'examen du caractère raisonnable des conclusions de l'agente.


[22]            À mon avis, on a à juste titre déclaré que la condamnation avec sursis italienne découlant du processus de « patteggiamento » équivalait à une « condamnation » au Canada, selon le sens donné à ce mot dans l'ancienne loi. Bien que, selon la preuve dont disposait l'agente, ce processus n'ait pas impliqué la reconnaissance par le demandeur de sa culpabilité ou de sa responsabilité à l'égard des infractions, et il n'a pas officiellement plaidé « coupable » au sens où nous l'entendons, il a utilisé cette procédure de quasi-plaidoyer négocié pour éviter de subir un procès à l'égard de ces infractions et il a renoncé à son droit de présenter une défense.

[23]            Dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Burgon, [1991] 3 C.F. 44 (C.A.), le juge Mahoney, dans ses motifs concourants avec ceux des juges formant la majorité quant au résultat sur cette question, a déclaré ce qui suit à la page 50 :

[...] Pourtant, le législateur fédéral a bien précisé que c'est la norme canadienne, et non la norme étrangère, de la gravité des crimes, mesurée en fonction de la durée possible de la peine, qui régit l'admissibilité au Canada. Le fondement logique de l'exclusion prévue à l'alinéa 19(1)c) doit certainement être la gravité relative - envisagée d'un point de vue canadien - de l'infraction dont la personne en cause a été déclarée coupable et non les conséquences réelles de cette conclusion en droit interne étranger. [...]

Ce passage tiré de l'arrêt Burgon, précité, a été cité et approuvé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Saini, [2002] 1 C.F. 200 (C.A.), à la page 215.

[24]            De plus, à la page 51 de l'arrêt Burgon, précité, le juge Mahoney a déclaré :


À mon humble avis, en employant le mot anglais « convicted » (déclarées coupables) à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration, le législateur fédéral voulait dire « found guilty » (reconnues coupables) à la suite notamment d'un plaidoyer de culpabilité. [...]

[Non souligné dans l'original]

[25]            Je suis convaincu que, dans le contexte d'une instance devant un juge d'instruction d'un tribunal italien, la décision du demandeur d'accepter l'imposition d'une peine à l'égard des infractions auxquelles il faisait face équivalait à un plaidoyer de culpabilité implicite. La décision du juge d'instruction d'accepter l'entente conclue par les parties et d'imposer la peine équivalait à une « condamnation » au sens de l'ancienne loi. La décision de l'agente à cet égard n'est donc pas déraisonnable.

2.          Effet de l' « extinction » italienne sur la condamnation

[26]            En ce qui concerne la deuxième question, les décisions plus anciennes, remontant aux années 1970, citées par le demandeur ont été renversées par la jurisprudence plus récente et pertinente de la Cour sur la question de l'analyse des réhabilitations étrangères aux fins du paragraphe 19(1) de l'ancienne loi. Par conséquent, je ne traiterai pas des deux décisions citées par le demandeur, préférant plutôt traiter des arrêts Saini et Burgon, précités.

[27]            Dans l'arrêt Saini, précité, la Cour d'appel fédérale, au sujet de la reconnaissance des réhabilitations étrangères aux fins de l'ancienne loi, a statué de la manière suivante aux pages 215 et 216 :


On constate donc que, dans l'arrêt Burgon, notre Cour n'a pas décidé que le droit étranger l'emportait sur le droit canadien en matière d'immigration. Les autorités canadiennes ne sont pas tenues de reconnaître les lois et les politiques des autres pays pour décider si une personne a été « déclarée coupable » au sens de la Loi sur l'immigration. Aucun principe général de reconnaissance absolue des réhabilitations accordées à l'étranger n'a été établi dans l'arrêt Burgon, [...] Toutefois, pour décider si une personne a été déclarée coupable à l'étranger mais qui a par la suite obtenu sa réhabilitation devrait être jugée non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)c.1)(i), nos tribunaux peuvent tenir compte de l'effet des lois étrangères lorsqu'ils l'estiment justifié dans les circonstances.

Qui plus est, il n'y a rien dans la jurisprudence postérieure à l'arrêt Burgon qui appuie la thèse défendue par l'intimé, en l'occurrence que la réhabilitation accordée à l'étranger lie les tribunaux canadiens dès lors qu'il existe une certaine similitude entre notre système judiciaire et nos lois et le système judiciaire et les lois d'un pays étranger.

[28]       Il ressort clairement de cet arrêt qu'il n'existe aucun droit automatique ou absolu pour une personne demandant la résidence permanente au Canada de voir, aux fins du droit canadien de l'immigration, sa réhabilitation étrangère reconnue et appliquée de la même manière que le sont les réhabilitations canadiennes. À la page 218 de l'arrêt Saini, précité, la Cour a résumé la jurisprudence postérieure à l'arrêt Burgon, précité, comme exigeant premièrement que le demandeur démontre si l'effet de la réhabilitation étrangère dans le pays où elle a été accordée est l'élimination des conséquences négatives découlant de la condamnation dans ce pays étranger. Si cette question se répond par l'affirmative, la suivante, plus complexe, exige ensuite que le demandeur établisse trois éléments dans le but que la réhabilitation étrangère soit reconnue et traitée, aux fins du droit canadien de l'immigration, comme une réhabilitation canadienne :

1) le système juridique du pays étranger doit dans son ensemble être semblable à celui du Canada;

2) l'objet, le contenu et les effets du texte de loi étranger en cause doivent être similaires à ceux de la loi canadienne;


3) il ne doit exister aucune raison valable de ne pas reconnaître l'effet du droit étranger.

[29]            À mon avis, l'agente a commis une erreur en analysant cette question, puisqu'elle a omis de fournir des motifs en ce qui a trait à la manière dont l'avis juridique qu'elle a reçu, et qui affirme que la condamnation du demandeur n'était pas effacée à toutes fins que de droit, pouvait être réconcilié avec les certificats, qui sont au dossier et qui proviennent du bureau du solliciteur général et de la Cour de la région de Reggio Calabria, qui affirment, quant à eux, que le demandeur n'avait pas de casier judiciaire. L'agente avait le droit d'apprécier l'ensemble des éléments de preuve dont elle disposait. Toutefois, ses notes ne démontrent pas que, dans son analyse relativement à l'effet de l'extinction du demandeur, elle a tenu compte des certificats du demandeur mentionnant qu'il avait un casier judiciaire net.

[30]            L'agente a conclu qu'elle n'était pas convaincue que l'extinction du demandeur avait pour effet, en vertu du droit italien, d'enlever sa condamnation de son casier judiciaire. N'en étant pas convaincue, elle n'était pas tenue de continuer l'analyse exposée dans l'arrêt Burgon, précité, et dans la jurisprudence ultérieure, laquelle a appliqué les principes formulés pour la première fois dans cette affaire[1], pour déterminer si une réhabilitation étrangère devait être traitée, aux fins du droit canadien de l'immigration, comme une réhabilitation canadienne.

[31]            À la page 976 du dossier du tribunal, les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI), datées du 4 juin 1999 et écrites par l'agente, mentionnent, en partie, ce qui suit :

[traduction]

LE DEUXIÈME APPEL PROVENAIT DE L'AVOCAT DE L'INTÉRESSÉ EN ITALIE, M. ABBATE, LEQUEL M'A FAIT PART DES DOCUMENTS QU'IL EXPÉDIAIT ET DU FAIT QUE L'INTÉRESSÉ AVAIT DEMANDÉ AU GOUVERNEMENT ITALIEN QUE LES ACCUSATIONS SOIENT « ÉTEINTES » . J'AI MENTIONNÉ À L'AVOCAT QUE J'EXAMINERAIS LES DOCUMENTS DÈS LEUR RÉCEPTION ET JE LUI AI ÉGALEMENT EXPLIQUÉ LES CONCEPTS ET LES CONDITIONS QUI ONT TRAIT AUX RÉHABILITATIONS AU CANADA. [...]

[32]            L'agente a obtenu d'un avocat italien un avis juridique indépendant quant à l'effet et à la nature de l' « extinction » du demandeur. Elle a fait cette demande au moyen d'une télécopie datée du 21 juin 1999, laquelle mentionnait que [traduction] « M. Sicuro a souligné que ce document [l'extinction] constitue une réhabilitation et qu'il efface définitivement ses condamnations antérieures comme si elles n'avaient jamais eu lieu » .

[33]            L'avocat a répondu par l'avis juridique suivant, daté du 25 juin 1999 :

[traduction]

La présente constitue la réponse à votre télécopie du 21 juin 1999, à laquelle était joint un certificat du tribunal de Reggio Calabria qui affirme que l'infraction criminelle commise par M. Sicuro est maintenant prescrite. L'extinction du crime découle du fait que M. Sicuro n'a commis aucune autre infraction criminelle au cours de la période de cinq ans qui a suivi le jugement de 1992 (paragraphe 157 § 4 du Code pénal).


Nous aimerions souligner que l'infraction criminelle originelle subsiste à toutes fins que de droit, même après la période d'extinction. En d'autres mots, du fait que M. Sicuro s'était conduit selon les règles, l'État a renoncé à la condamnation, donnée en vertu de la peine de 1992, laquelle avait été suspendue.

On peut conclure par conséquent que l'extinction de l'infraction criminelle n'annule pas le fait qu'une infraction criminelle ait été commise mais n'entraîne que la non-exécution de la condamnation (laquelle avait été suspendue) suivant la période de conduite loyale de cinq ans.

[34]            Cet avis donne un point de vue différent de celui de l'avocat du demandeur, à savoir que l' « extinction » n'entraînait que la non-exécution de sa peine d'emprisonnement suspendue, étant donné que le demandeur avait démontré une période de bonne conduite de cinq ans. Toutefois, cet avis semble contredire les certificats produits par le demandeur, lesquels provenaient du bureau du solliciteur général de Reggio Calabria en 1997 et en 1998, affirmant qu'il ne possède aucun dossier relativement au demandeur, et du bureau du procureur général de Reggio Calabria, en date du 14 août 1999, affirmant qu'une recherche d'antécédents judiciaires n'avait pas permis de trouver de dossier relativement au demandeur. Il y avait également des certificats selon lesquels aucune accusation ne pesait contre le demandeur devant la Cour de Reggio Calabria. Toutefois, ils ne font pas état de l'existence, notamment, d'un casier judiciaire antérieur.

[35]            L'agente s'est fondée uniquement sur cet avis juridique indépendant pour déterminer que l' « extinction » n'avait pas pour effet d'enlever, à toutes fins que de droit, la condamnation de son casier judiciaire. Comme elle l'a écrit dans les notes du STIDI, datées du 12 juillet 1999, à la page 977 du dossier du tribunal :

[traduction]


J'AI REÇU ET EXAMINÉ DES RENSEIGNEMENTS ADDITIONNELS PROVENANT DE L'AVOCAT ITALIEN DE L'INTÉRESSÉ AINSI QUE L'AVIS JURIDIQUE PROVENANT DE L'AVOCAT DE L'AMBASSADE DU CANADA À ROME.

IL SEMBLE QUE LE DEMANDEUR AIT DEMANDÉ ET OBTENU L'EXTINCTION DE SES CRIMES EN ITALIE. L'EXTINCTION DÉCOULE DU FAIT QUE L'INTÉRESSÉ N'A COMMIS AUCUNE AUTRE INFRACTION AU COURS DE LA PÉRIODE DE CINQ ANS AYANT SUIVI LE JUGEMENT DE 1992. LES INFRACTIONS CRIMINELLES ORIGINELLES SUBSISTENT À TOUTES FINS QUE DE DROIT, MÊME APRÈS LA PÉRIODE D'EXTINCTION.

[36]            À la lumière de cette preuve au dossier, je suis convaincu que l'agente n'a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait pour en arriver à sa conclusion selon laquelle elle avait « des motifs raisonnables de croire » que le demandeur avait été « déclaré coupable » à l'extérieur du Canada. On ne trouve nulle part dans ses notes du STIDI qu'elle ait tenté de déterminer le sens à donner aux certificats susmentionnés présentés par le demandeur ou d'obtenir des éclaircissements quant à savoir pourquoi ces certificats semblent contredire l'avis juridique indépendant du 25 juin 1999. Dans la décision Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.), la Cour a déclaré au paragraphe 27 :

La norme de la preuve par croyance fondée sur des « motifs raisonnables » exige davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile. [Cf. Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.) et Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.).] Et bien entendu, elle est bien inférieure à celle de la preuve « hors de tout doute raisonnable » requise en matière criminelle. Il s'agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.

[Non souligné dans l'original]


Cette définition des « motifs raisonnables » a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêtChiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.).

[37]            À mon avis, les notes de l'agente ne font pas état d'une « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » que le demandeur n'était pas admissible en raison de sa condamnation au criminel en Italie, compte tenu du fait que le demandeur avait présenté des éléments de preuve qui semblent contredire le raisonnement développé par l'agente pour déterminer que l' « extinction » du demandeur n'annulait pas son casier judiciaire à toutes fins que de droit. En l'espèce, le demandeur avait déposé des éléments de preuve qui allaient à l'encontre de l'avis juridique indépendant. Les notes de l'agente ne mentionnent pas qu'elle a comparé ces éléments de preuve à l'avis juridique. Par conséquent, la décision de l'agente n'était pas raisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[38]            Le demandeur a proposé deux questions pour la certification concernant l'effet de l'extinction des infractions en vertu du Code pénal italien. À mon avis, les deux se rapportent aux faits de l'espèce et elles ne peuvent donc pas être considérées comme des questions de « portée générale » , comme l'exige l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l'agente datée du 12 décembre 2001 soit annulée et qu'un agent différent examine à nouveau la demande de résidence permanente, conformément aux présents motifs. Aucune question n'est certifiée.

                                                                         _ Richard G. Mosley _             

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          IMM-695-02

INTITULÉ :                                         FORTUNATO SICURO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 26 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Irwin H. Sherman                                   POUR LE DEMANDEUR

A. Leena Jaakimainen                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

IRWIN H. SHERMAN                                     POUR LE DEMANDEUR

Martinello & Associates

Don Mills (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)



[1] Voir par exemple : Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 144 (1re inst.), Lui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 134 F.T.R. 308, Barnett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 109 F.T.R. 154.


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