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     Date : 20000918

     Dossier : T-1332-99

     OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 18 SEPTEMBRE 2000

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM


Entre

     EIKE TEUBERT

     demandeur

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     LE MINISTÈRE DES AFFAIRES DES ANCIENS COMBATTANTS

     défendeurs




     ORDONNANCE



     Pour les motifs énoncés dans les motifs de l'ordonnance, la Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire et renvoie l'affaire pour nouvelle instruction par un tribunal de composition différente.

     Les parties sont convenues qu'il n'y aurait pas d'adjudication de dépens.


     « Max M. Teitelbaum »

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme,




Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.





     Date : 20000918

     Dossier : T-1332-99


Entre

     EIKE TEUBERT

     demandeur

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     LE MINISTÈRE DES AFFAIRES DES ANCIENS COMBATTANTS

     défendeurs



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE TEITELBAUM


[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire, exercé en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, contre la décision rendue le 16 juin 1999 à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui a conclu que le demandeur n'était pas invalide au sens du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions et du paragraphe 32(1) de la Loi sur la pension de retraite de la G.R.C.

LES FAITS DE LA CAUSE

[2]      Le demandeur Eike Teubert, né le 25 mars 1944, faisait partie de la G.R.C. depuis le 19 décembre 1966 jusqu'à son renvoi pour raison médicale à compter du 16 juillet 1998. Avant ce renvoi, il avait fait auprès du ministère des Affaires des anciens combattants une demande de pension d'invalidité, au motif, entre autres, que sa sténose du canal rachidien résultait d'un accident du travail. Il a été décidé à cette occasion que, par application du paragraphe 32(1) de la Loi sur la pension de retraite de la G.R.C., cet état « ne donnait pas droit à une pension » conforme à la Loi sur les pensions.

[3]      Durant sa formation, le demandeur devait prendre part à un programme d'haltérophilie intense et soulever, jusqu'à une heure durant, des poids égaux à son propre poids. Il a aussi été blessé dans deux accidents de la circulation, le premier s'étant produit en 1971 pendant qu'il était de service de surveillance radar. Sa voiture a été heurtée par l'arrière par un véhicule roulant à 100 km/h à peu près. Une radiographie prise trois jours après n'a révélé aucune blessure visible. Le second accident en cours de travail eut lieu en 1972 quand la voiture de patrouille du demandeur fut heurtée par l'arrière par une camionnette d'une demi-tonne. Il pense que la blessure due à l'accident de 1971 a été aggravée par ce choc.

[4]      Tout au long des 25 années suivantes, le demandeur a eu des troubles dorsaux plus ou moins graves. En décembre 1977, il s'est plaint à son médecin de famille, le Dr Boake, de raideurs et de douleurs dans le milieu du dos. En l'examinant, celui-ci a observé une limitation des mouvements dans cette région et quelques spasmes musculaires. En mars 1995, le demandeur a subi une laminectomie de décompression des L4 et L5 pour une sténose du canal rachidien; cette opération a donné de bons résultats. Il a repris son service actif mais continuait à éprouver des douleurs chroniques dans le milieu du dos. Selon un rapport du 15 mai 1996 du Dr Zwimpfer, neurochirurgien, ces douleurs pouvaient s'expliquer en partie par une station debout prolongée et par le port d'un baudrier et d'autres équipements d'un poids total de 20 livres environ. En décembre 1996, il a souffert d'une aggravation de ses troubles dorsaux à la suite de sa participation au transfèrement d'un prisonnier d'un bloc de cellules à un autre. Quelques jours après cet incident, il a violemment heurté le sol du pied dans une empoignade avec un prisonnier. L'aggravation résultante des douleurs l'a obligé à prendre régulièrement des analgésiques narcotiques. Après examen par les Dr Zwimpfer et Boyd, il a été décidé qu'une opération était nécessaire pour soulager ces douleurs. Le 13 novembre 1997, il a subi une fusion postérieure de L3, L4 et L5 et une laminectomie dépressive avec insertion de tiges dans la colonne vertébrale et greffe osseuse.

[5]      Selon l'évaluation de son aptitude au travail, faite par le Dr Robson pour la G.R.C. le 2 avril 1997, l'état du demandeur avait « probablement été aggravé par de nombreuses activités professionnelles telles que la station assise, la poursuite et le saut » . Telle était la réponse du médecin à la question : « Ce problème est-il lié à son travail ? » (Dossier du Tribunal, page 64).

[6]      On peut lire ce qui suit dans un rapport en date du 15 mai 1999 du Dr Robson (Dossier du Tribunal, page 16) :

     [TRADUCTION]

     Ce patient m'a demandé d'écrire une lettre confirmant que son incapacité résultait d'un traumatisme lié à son travail. Les rapports médicaux soumis ces dernières années devraient relever tous les faits pertinents et leur chronologie. Les premières douleurs datent de décembre 1992, lors d'une poursuite à pied. À l'époque, il souffrait déjà d'une dégénérescence des disques en L3, L4 et L5, avec un spondylolisthésis en L4 et L5. Par la suite, en 1994, il a violemment heurté le sol du pied pendant une empoignade avec un prisonnier, et le choc transmis par sa jambe a dû être suffisant pour provoquer le glissement d'un disque ou pour aggraver l'état d'un disque qui ne lui avait pas donné de souci jusqu'alors. Ce choc a également aggravé l'instabilité associée à son spondylolisthésis, provoquant une compression de la moelle épinière. Il a ressenti de fortes douleurs dans le dos et les jambes et une faiblesse dans les jambes. Ces symptômes ne pouvaient certainement pas lui permettre de poursuivre son travail de policier. En attendant sa première intervention, il a continué à travailler, sous médicaments. Après l'intervention, sa récupération a été longue avec des hauts et des bas, mais il a réussi à reprendre le travail pendant une brève période, avant que ne se manifestent de nouveaux symptômes qui ont conduit à de nouveaux examens. Par la suite, il a dû subir une double intervention pour stabiliser son épine dorsale car la première intervention s'était traduite par un degré d'instabilité inacceptable.
     Il ne fait aucun doute que l'état de son dos a pu s'aggraver de temps à autre en dehors de son travail, mais je ne trouve nulle part dans mes notes mention d'un traumatisme suffisamment grave pour avoir provoqué les problèmes mentionnés ci-dessus.
     Naturellement, il avait des troubles préexistants dans la région lombaire, mais ces troubles sont de nature dégénérative et pourraient être associés à une détérioration moins grave et non incompatible avec son travail de policier. En l'espèce, il y a eu au moins un AVA avec collision arrière, dans lequel sa colonne vertébrale a été atteinte, et je sais qu'à un moment donné, sa colonne vertébrale a reçu un coup lorsqu'il a sauté d'un petit mur de soutènement pendant une poursuite à pied. Néanmoins, aucun de ces incidents n'a provoqué de symptômes graves ou d'invalidité prolongée.
     En résumé, chaque individu souffre plus ou moins de douleurs dorsales, mais cet homme a subi des blessures invalidantes qui l'ont amené par deux fois en chirurgie pour un total de trois interventions, et les seuls traumatismes de ce niveau de gravité subis pendant cette période l'ont été pendant son travail. Le spécialiste a fait savoir qu'il n'était apte qu'au travail des plus sédentaires, ne comportant aucun risque inhérent de traumatisme, et je partage son avis.
     J'espère que cette note contribue à clarifier son cas.

[7]      Je déduis de cette lettre que le demandeur a été blessé dans l'exercice de ses fonctions d'agent de la G.R.C. et que « l'état de son dos a pu s'aggraver de temps à autre en dehors du travail » , mais qu'en ces occasions, ce qu'il faisait n'était pas suffisamment violent pour être la cause de ses problèmes.

[8]      En outre, dans une attestation en date du 3 mai 1998 (Dossier du Tribunal, page 113), le Dr Robson a donné l'indication suivante : Diagnostic médical spécifique de « sténose du canal rachidien par suite de traumatismes cumulatifs à la colonne vertébrale. Cet état remonte à 1971 (accident) quand sa voiture a été heurtée par l'arrière, il a eu un autre coup de fouet cervical en 1972 (collision par l'arrière) » .

LA DÉCISION DU TRIBUNAL DES ANCIENS

COMBATTANTS (RÉVISION ET APPEL)

[9]      Le Tribunal a conclu que la « sténose du canal rachidien opérée 01416 » dont souffrait le demandeur n'était pas consécutive ni ne se rattachait directement à son service dans la Gendarmerie royale du Canada.

[10]      Voici ce qu'on peut lire dans sa décision :

     [TRADUCTION]

     Le Tribunal prend acte des traumatismes en 1971-1972 dont fait état l'appelant, y compris du rapport clinique du 7 mars 1972 qui consigne un accident de la circulation avec diagnostic d'entorse cervicale et de contusion au genou droit. Cependant il n'y a dans le dossier aucun document pour la période allant de 1972 à 1987, qui eût permis au Tribunal de conclure que les traumatismes subis au travail étaient la cause ou le facteur aggravant de la sténose du canal rachidien, mentionnée dans le rapport du Dr Boyd, neurochirurgien, qui parle de scoliose dégénérative
     Malgré la conclusion tirée par le Dr Robson que les traumatismes se rattachaient au travail de l'appelant dans la police (savoir l'usure corporelle), le Tribunal n'a été saisi d'aucune preuve du lien entre les fonctions de l'appelant et son état.
     Le Tribunal a examiné tous les documents soumis et pris en considération les prétentions de l'appelant ainsi que la lettre du Dr Robson qui corrobore la conclusion que les activités professionnelles ont pu être un facteur dans les troubles préexistants de la région lombaire.
     Le Tribunal n'a été saisi d'aucun rapport sur les blessures qui lui eût permis de conclure que la sténose du canal rachidien opérée se rattache à l'exercice par cet homme de ses fonctions. Le Tribunal décide dans ce sens.

LE POINT LITIGIEUX

[11]      Il échet d'examiner si le Tribunal a rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant que l'invalidité du demandeur n'était pas le résultat d'une « blessure ou maladie ou son aggravation » qui « était consécutive ou se rattachait directement à son service dans la Gendarmerie » .

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

Les conclusions du demandeur

[12]      Le demandeur soutient que la décision du Tribunal de lui dénier l'admissibilité à la pension était manifestement déraisonnable. Par cette décision, le Tribunal l'a débouté de son appel contre le refus des prestations de pension, fondé sur le rapport du Dr Robson. Selon celui-ci, « aucun de ces incidents (c'est-à-dire les accidents de la circulation, etc.) n'a provoqué de symptômes graves ou d'invalidité prolongée » . Le Tribunal n'a pas pris en compte le fait que nombre de troubles de la santé, y compris les troubles dorsaux, demeurent latents cependant que l'affection sous-jacente progresse pendant des années avant que les symptômes extérieurs n'apparaissent. Il y a des rapports indiquant que durant la période allant de 1977 à 1987, le demandeur a eu recours aux soins médicaux pour les douleurs et malaises dorsaux.

[13]      Dans un rapport antérieur daté du 3 mai 1998, le Dr Robson indique que les troubles dorsaux du demandeur « ont été probablement aggravés par nombre d'activités professionnelles » , dont il cite quelques exemples. En outre, il note que le diagnostic concernant le demandeur est : « sténose du canal rachidien par suite de traumatismes cumulatifs à la colonne vertébrale. Cet état remonte à 1971 quand sa voiture a été heurtée par l'arrière, il a eu un autre coup de fouet cervical en 1972, et s'est blessé en soulevant les poids en 1975, etc. » . Par cette déclaration, le Dr Robson reconnaît que le demandeur s'est blessé à l'épine dorsale pendant qu'il était au service de la G.R.C. Le Dr Robson a manifestement changé d'avis sur l'état du demandeur lorsqu'il fut chargé de faire un rapport détaillé sur l'histoire médicale de ce dernier à l'intention du Tribunal des anciens combattants.

[14]      Dans Dishan c. Canada (Procureur général)1, la Cour a tenu pour manifestement déraisonnable la décision du Tribunal en ce qu'elle était fondée sur une interprétation excessivement restrictive du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. La Cour a conclu que, dans cette décision, le Tribunal n'observait pas les principes définis à l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui lui fait obligation de tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur, d'accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable, et enfin de trancher en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

[15]      Il y a indubitablement un lien de causalité entre les troubles dorsaux du demandeur et son service dans la G.R.C. Dans MacDonald c. Canada (Procureur général)2, il a été jugé que si la blessure ou maladie initiale n'a pas causé l'invalidité mais une affection qui a provoqué à son tour l'invalidité, une pension peut toujours être accordée. Dans son rapport en date du 15 mai 1998, le Dr Robson atteste que l'instabilité due au spondylolisthésis préexistant s'est aggravée lorsque le demandeur a violemment heurté le sol du pied pendant une empoignade avec un prisonnier.

[16]      Il ressort des motifs de sa décision que le Tribunal n'a pas pris en compte la succession de faits qui ont rendu le demandeur inapte à remplir ses fonctions d'agent de la G.R.C. Le demandeur conclut à l'infirmation de la décision du Tribunal par ce motif qu'elle est manifestement déraisonnable et qu'elle consiste en une interprétation excessivement restrictive de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. En outre, le Tribunal ne s'est pas conformé aux principes définis à l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) faute d'avoir pris en considération tous les éléments de preuve produits et d'en tirer les conclusions raisonnables. Enfin, le demandeur soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant que ses troubles dorsaux ne résultaient pas d'une blessure ou maladie, ou de son aggravation, rattachée à son service dans la G.R.C.

Les conclusions du défendeur

[17]      Le défendeur soutient que le Tribunal a droit à une certaine réserve de la part de la Cour, du fait que ses décisions sont « définitives et exécutoires » et qu'il a compétence exclusive sur toute question connexe en cas d'appel3. Et que lorsque l'appel porte sur l'appréciation des preuves médicales afin de décider si l'invalidité de l'intéressé a été en fait causée ou aggravée par le service militaire, les conclusions en la matière ressortissent parfaitement à sa compétence spécialisée.

[18]      L'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) ne fait pas à celui-ci obligation d'ajouter foi à tout élément de preuve produit par l'appelant. Il faut que les éléments de preuve administrés soient dignes de foi et raisonnables, et l'obligation qui incombe au Tribunal, c'est de les interpréter et les apprécier tous. Après quoi, s'il conclut qu'il subsiste un doute, il doit se prononcer en faveur de l'appelant4.

[19]      Selon le défendeur, le Tribunal a attentivement examiné tous les éléments de preuve produits. Il a noté qu'il n'y avait dans le dossier aucun document pour la période allant de 1972 à 1987, qui lui eût permis de conclure que les traumatismes subis au travail étaient la cause ou le facteur aggravant de la sténose du canal rachidien. Il a conclu que les troubles lombaires mentionnés dans le dossier au fil des années en question s'expliquaient par des incidents survenus en dehors du service.

[20]      Le tribunal a conclu du rapport en date du 15 mai 1999 du Dr Robson que selon celui-ci, il se peut que les traumatismes subis au travail aient joué un rôle dans les troubles lombaires, en ajoutant cependant qu'il n'a été saisi d'aucun rapport sur les blessures qui lui eût permis de conclure que la sténose du canal rachidien avait son origine dans l'exercice par le demandeur de ses fonctions.

[21]      Qui plus est, l'attestation en date du 3 mai 1998 du Dr Robson conclut que l'invalidité a pu résulter de traumatismes cumulatifs à l'épine dorsale. Cette assertion n'est pas contestée; ce qui est contesté, c'est la relation de cause à effet entre le service et ces traumatismes cumulatifs. Les documents versés au dossier ne mentionnent aucun traumatisme dans la région lombaire lors des accidents de la circulation de 1971 ou de 1972. Lors de ces collisions, le demandeur se plaignait de douleurs à la nuque, au dos et au genou. Les atteintes à la région lombaire, signalées en 1979, 1987 et 1993, ont eu lieu en dehors du service. Le Tribunal n'a été saisi d'aucun rapport sur les blessures qui eût permis de conclure au lien entre le travail et l'incident de décembre 1996.

[22]      Bien que l'avis du Dr Robson soit contradictoire, et quand bien même il ne le serait pas, le Tribunal n'est pas tenu d'ajouter foi à son témoignage s'il trouve qu'il n'est pas crédible. Voilà qui est acceptable, à condition que le Tribunal conclue, avec motifs à l'appui, que ce témoignage n'est pas crédible5. En l'espèce, le Tribunal a noté qu'il ne trouvait pas concluant l'avis du Dr Robson, en l'absence d'un rapport sur les blessures qui fasse le lien entre la sténose du canal rachidien et le travail en service commandé.

LES TEXTES APPLICABLES

Loi sur la pension de retraite de la G.R.C.

32.(1) Subject to this Part, an award in accordance with the Pension Act shall be granted to or in respect of

     (a) any person to whom Part VI of the former Act applied at any time before April 1, 1960, who, either before or after that time, has suffered a disability or has died, or
     (b) any person who served in the Force at any time after March 31, 1960 as a contributor under Part I of this Act, and who has suffered a disability, either before or after that time, or has died,

in any case where the injury or disease or aggravation thereof resulting in the disability or death in respect of which the application for pension is made arose out of, or was directly connected with, his service in the Force.

32.(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, une pension conforme à la Loi sur les pensions doit être accordée à toute personne ou à l'égard de toute personne :

     a) visée à la partie VI de l'ancienne loi à tout moment avant le 1er avril 1960, qui, soit avant, soit après cette date, a subi une invalidité ou est décédée;
     b) qui a servi dans la Gendarmerie à tout moment après le 31 mars 1960 comme contributeur selon la partie I de la présente loi, et qui a subi une invalidité, soit avant, soit après cette date, ou est décédée,

chaque fois que la blessure ou la maladie ou son aggravation ayant occasionné l'invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de pension était consécutive ou se rattachait directement à son service dans la Gendarmerie.

Loi sur les pensions


21.(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve during World War II and in respect of military service in peace time,

     (a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

21.(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

     a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- consécutive ou rattachée directement au service militaire;

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)


26. The Board has full and exclusive jurisdiction to hear, determine and deal with all appeals that may be made to the Board under section 25 or under the War Veterans Allowance Act or any other Act of Parliament, and all matters related to those appeals.

26. Le Tribunal a compétence exclusive pour statuer sur tout appel interjeté en vertu de l'article 25, ou sous le régime de la Loi sur les allocations aux anciens combattants ou de toute autre loi fédérale, ainsi que sur toute question connexe.

le caractère définitif des décisions du Tribunal étant prévu à l'article 31 :

31. A decision of the majority of members of an appeal panel is a decision of the Board and is final and binding.

31. La décision de la majorité des membres du comité d'appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

L'article 39 fixe les règles de preuve à observer par le Tribunal :

36. In all proceedings under this Act, the Board shall

     (a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;
     (b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and
     (c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

36. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

     a) il tire des circonstances et des éléments de preuve les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;
     b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;
     c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

ANALYSE

[23]      Étant donné ces textes qui donnent compétence exclusive au Tribunal et affirment la nature définitive de ses décisions, et étant donné que ce litige porte sur l'application de la loi aux faits constatés et relève du champ d'expertise du Tribunal, la norme de contrôle judiciaire à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable6. La Cour saisie du contrôle ne peut intervenir que si la décision contestée est fondée sur une erreur de droit, ou sur une conclusion de fait tirée de façon abusive et arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance7.

[24]      Il incombe certes au demandeur de faire la preuve de son droit à la pension, mais il a le bénéfice de l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) qui prescrit les règles de preuve à observer par celui-ci. Le Tribunal est tenu de tirer des éléments de preuve les conclusions les plus favorables possible au demandeur, d'accepter tout élément produit par ce dernier et qui lui semble vraisemblable, et de trancher en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de sa demande.

[25]      Il ressort des motifs de sa décision que le Tribunal a pris acte des traumatismes subis au travail, lors des deux accidents de la circulation de 1971 et de 1972. Il a cependant conclu qu'il n'y avait « aucun document pour la période allant de 1972 à 1987, qui eût permis au Tribunal de conclure que les traumatismes subis au travail étaient la cause ou le facteur aggravant de la sténose du canal rachidien » 8.

[26]      En l'espèce, il échet au premier chef d'examiner si le Tribunal a apprécié les éléments de preuve conformément à l'esprit de l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Il a noté qu'en dépit des nombreux rapports dans lesquels le Dr Robson exprimait l'avis que les activités professionnelles du demandeur ont pu jouer un rôle dans ses troubles lombaires, il n'y avait aucun rapport sur les blessures qui l'eût engagé à conclure que la sténose du canal rachidien avait été contractée au travail.

[27]      Il y a cependant aussi une évaluation de l'aptitude au travail de la G.R.C. en date du 9 avril 1997, dans laquelle le Dr Robson écrivait que les douleurs dans la région lombaire, la hanche et la jambe du demandeur « ont été probablement aggravées par de nombreuses activités professionnelles telles que la station assise, la poursuite et le saut » 9. En outre, dans une attestation médicale à l'intention du ministère des Affaires des anciens combattants, il a consigné ce diagnostic chez le demandeur : « sténose du canal rachidien par suite de traumatismes cumulatifs à la colonne vertébrale. Cet état remonte à 1971 quand sa voiture a été heurtée par l'arrière, il a eu un autre coup de fouet cervical en 1972, et s'est blessé en soulevant les poids en 1975, etc. » 10.

[28]      Il convient de relever aussi, en pages 12 et 13 du dossier du Tribunal, deux documents émanant de l'officier responsable de la Section des services administratifs, Division « E » , et intitulés Régime fiscal du traitement reçu en période de blessure/maladie rattachée au service. Les deux documents sont datés du 26 juin 1998, mais chacun porte sur une période différente.

[29]      J'estime qu'il est important de reproduire en partie ces deux notes de service, car la G.R.C. y reconnaît sans équivoque qu'en raison des traumatismes subis au travail, le demandeur a été absent 132 jours au cours de l'année civile 1995, et 259 jours au cours de l'année civile 1997 :

     [TRADUCTION]

     1.      La présente note de service confirme que vous avez été absent du travail 132 jours au cours de l'année civile 1995, en raison d'une maladie/blessure subie au travail.
     2.      Durant cette période, vous auriez été en droit de toucher des prestations d'un montant total de 19 895,04 $ par application des dispositions relatives à la Commission des accidents du travail de la province de la Colombie-Britannique. Cette information vous est communiquée en application de l'art. 110(1)f)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
     3.      Ci-joint le formulaire T5007, « État des prestations » , que vous pourrez utiliser pour réclamer les crédits d'impôt auxquels vous pourriez avoir droit. Veuillez attendre de recevoir le formulaire T4 modifié pour l'année d'imposition 1995 pour le faire parvenir en même temps que le formulaire T5007 à Revenu Canada quand vous demandez un rajustement.
     1.      La présente note de service confirme que vous avez été absent du travail 259 jours au cours de l'année civile 1997, en raison d'une maladie/blessure subie au travail.
     2.      Durant cette période, vous auriez été en droit de toucher des prestations d'un montant total de 41 585,04 $ par application des dispositions relatives à la Commission des accidents du travail de la province de la Colombie-Britannique. Cette information vous est communiquée en application de l'art. 110(1)f)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
     3.      Ci-joint le formulaire T5007, « État des prestations » , que vous pourrez utiliser pour réclamer les crédits d'impôt auxquels vous pourriez avoir droit. Veuillez attendre de recevoir le formulaire T4 modifié pour l'année d'imposition 1997 pour le faire parvenir en même temps que le formulaire T5007 à Revenu Canada quand vous demandez un rajustement.

                                                     [non souligné dans l'original]

[30]      Dans sa décision, le Tribunal ne fait pas du tout état de ces documents relatifs au régime fiscal du salaire.

[31]      Je conçois que le Tribunal ne soit pas tenu de mentionner ou de relever tout document soumis à son examen. Je n'arrive cependant pas à comprendre pourquoi il n'a pas du tout mentionné deux documents extrêmement importants, qui reconnaissent sans équivoque que les traumatismes dont se plaignait le demandeur ont été subis au travail.

[32]      Ce fait seul engage à conclure que la décision du Tribunal est manifestement déraisonnable (voir Roberts c. Procureur général du Canada, 14 décembre 1999, T-715-99 et T-716-99).

[33]      À la lumière de l'élément de preuve susmentionné dont le Tribunal avait à sa disposition et étant donné la prescription de l'article 39, lui était-il raisonnablement loisible de conclure que le demandeur n'avait pas prouvé que sa sténose du canal rachidien avait été contractée au travail?

[34]      Par application de l'article 39, le demandeur doit jouir pleinement de tout bénéfice du doute, et toute incertitude doit être tranchée en sa faveur.

[35]      Le Tribunal a conclu que ce dernier ne s'était pas acquitté de l'obligation qui lui incombait de prouver que ses troubles de la santé étaient consécutifs ou se rattachaient directement à son service dans la Gendarmerie, malgré l'avis exprimé par le Dr Robson dans nombre de rapports que ces troubles tenaient à ses activités professionnelles, et malgré la note de service relative au régime fiscal du salaire du demandeur. Je ne vois pas quelle raison impérieuse a pu engager le Tribunal à rejeter l'avis médical du Dr Robson. L'article 39 permet de rejeter les témoignages non crédibles ou invraisemblables. Rien dans le dossier n'indique que ce fût le cas des rapports en question. Le Tribunal a conclu qu'ils n'étaient pas « convaincants » , non pas qu'ils étaient invraisemblables. En fait, le Tribunal était tenu d'apprécier les preuves et, en cas d'incertitude, de se prononcer en faveur du demandeur.

[36]      Force m'est ainsi de conclure que le Tribunal a fondé sa décision sur une mauvaise application de l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

[37]      Faute d'avoir établi que les rapports du Dr Robson n'étaient pas crédibles ou étaient déraisonnables, le Tribunal, en appliquant l'article 39, doit donner au demandeur le bénéfice du doute.

[38]      Comme noté supra, le Dr Robson a effectivement affirmé que l'état du demandeur avait pour cause les mouvements qu'il faisait dans l'exercice de ses fonctions.

[39]      La Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire, et renvoie l'affaire pour nouvelle instruction par un Tribunal de composition différente.

     « Max M. Teitelbaum »

     ________________________________

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario),

le 18 septembre 2000


Traduction certifiée conforme,



Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-1332-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Eike Teubert c. Procureur général du Canada et al.


LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)


DATE DE L'AUDIENCE :          29 août 2000


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM


LE :                          18 septembre 2000



ONT COMPARU :


M. Michael D. Keyes                  pour le demandeur

M. Ken Manning                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Sisson Warren Sinclair              pour le demandeur

Red Deer (Alberta)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      [1999] A.C.F. no 171, Dossier T-59-98.

2      [1999] A.C.F. no 346, Dossier T-1081-98.

3      Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, art. 26 et 31.

4      Tonner c. Canada (1995), 94 F.T.R. 146 (1re inst.), page 160.

5      Moar c. Canada (Procureur général) (1995), 103 F.T.R. 314.

6      Metcalfe c. Canada, [1999] A.C.F. no 22, paragraphe 13; National Corn Growers Association c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

7      MacDonald, note 2 supra, paragraphe 21; Hall c. Canada (Procureur général) (T-2267-97, 22 juin 1998).

8      Dossier du Tribunal, Rapport du Tribunal, page 4.

9      Dossier du Tribunal, Évaluation de l'aptitude au travail de la G.R.C., par le Dr Robson, page 64.

10      Dossier du Tribunal, Attestation médicale du Dr Robson, page 113.

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