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Date : 20060616

Dossier : T-669-05

Référence : 2006 CF 777

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 juin 2006

EN PRÉSENCE DU PROTONOTAIRE ROGER R. LAFRENIÈRE

 

ENTRE :

DAVID JONATHAN WILD

 

demandeur

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

(Établissement à sécurité moyenne de Mission)

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, qui est détenu à l’établissement de Mission, a engagé contre les défendeurs une action dans laquelle il sollicite un montant de plus de 100 000 $ en dommages-intérêts relativement [traduction] « à des incidents de méfait, de vol, de négligence grave, d’intention de nuire, d’intention de causer des lésions corporelles, d’omission d’agir avec la diligence et le soin exigés, de traitements médicaux insuffisants et d’erreurs et omissions ».

[2]               Dans une requête du 5 avril 2006, les défendeurs sollicitent une ordonnance fondée sur le paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales en vue de faire radier ou de faire rejeter sommairement la déclaration du demandeur. Bien que l’avis de requête renvoie à de nombreux motifs de radiation de l’acte de procédure, le principal argument des défendeurs se résume au fait que l’action constitue une contestation indirecte inacceptable de différentes décisions consécutives à des griefs et qu’elle devrait être rejetée parce qu’elle constitue un abus de procédure.

Les faits

[3]               Aux fins de la requête en radiation, les allégations énoncées dans l’acte de procédure attaqué doivent être tenues pour avérées. La preuve par affidavit peut également être admise en ce qui concerne les arguments fondés sur l’alinéa 221(1)f) des Règles. Voici un résumé des faits pertinents énoncés dans la déclaration et dans les affidavits déposés par les parties.

[4]               Le demandeur est un détenu qui est incarcéré à l’établissement de Mission sous la garde du Service correctionnel du Canada (SCC).

[5]               Le 5 janvier 2004, le directeur de l’établissement de Mission a autorisé une fouille exceptionnelle de tous les détenus et de l’ensemble de l’établissement conformément à l’article 53 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC). La fouille avait pour but de trouver et de saisir des armes, des substances intoxicantes, des téléphones cellulaires, de l’alcool et des objets liés à la consommation d’alcool ainsi que d’autres articles non autorisés.

[6]               Dans le cadre de la fouille exceptionnelle, la cellule du demandeur a été fouillée le 10 janvier 2004. Pendant la fouille, les agents de correction ont trouvé de nombreux articles non autorisés qui n’avaient pas été inscrits sur le Relevé des effets personnels du détenu du demandeur. Les articles en question ont été retirés de la cellule du demandeur.

[7]               À la même date, le matelas du demandeur a été retiré temporairement afin de faire l’objet d’un contrôle des articles interdits. Le matelas faisait partie d’un système de support pour les traumas de la colonne vertébrale (ci-après SSTCV), qui se composait d’un matelas en mousse composite, d’une planche dorsale faite d’aggloméré de bois et de deux oreillers supplémentaires. Le demandeur avait acheté le matelas spécialisé avant son incarcération, après un délit de fuite qui est survenu en 1988 et par suite duquel il a subi un trauma de la colonne vertébrale.

[8]               Pour examiner le matelas, il fallait défaire la fermeture éclair de l’enveloppe; c’est à ce moment que le personnel du SCC a constaté que la partie alvéolée du matelas n’était pas attachée à la partie en mousse de celui-ci. Le matelas a alors été replacé et retourné au demandeur. Lorsque celui-ci s’est subséquemment plaint du fait que le matelas avait été endommagé pendant la fouille, le service des travaux de l’établissement a tenté de le réparer. Le demandeur a finalement déposé de nombreuses plaintes au sujet de la fouille de sa cellule et des dommages causés à ses biens, y compris le matelas susmentionné.

[9]               L’article 90 de la LSCMLC prévoit une procédure visant à assurer un règlement juste et expéditif des griefs des délinquants au sujet des mesures ou des décisions des membres du personnel du SCC. La procédure de règlement des griefs comporte quatre étapes : 1) une plainte initiale, 2) un grief écrit présenté au directeur de l’établissement (grief au premier palier), 3) un appel au responsable de la région (grief au deuxième palier) et 4) un autre appel au commissaire (grief au troisième palier).

[10]           Le demandeur a déposé plusieurs plaintes au sujet de la fouille exceptionnelle. Il a soutenu, notamment, que la fouille de sa cellule allait à l’encontre de la LSCMLC et de la politique du SCC, que la fouille visant à trouver des articles interdits a causé des dommages à son matelas SSTCV et à d’autres effets personnels, dont un crucifix, et que les agents de correction du SCC avaient porté atteinte à ses droits.

[11]           Le sous-directeur a assigné les plaintes du demandeur à deux enquêteurs différents. Après enquête, les plaintes ont été rejetées.

[12]           Le demandeur a également déposé une Réclamation du détenu pour les effets perdus ou endommagés afin d’obtenir le remboursement des dommages qui auraient été causés à différents effets personnels par suite de la fouille exceptionnelle, dont le matelas SSTCV. Le 10 mai 2004, la demande de remboursement du demandeur a été rejetée.

[13]           Après le rejet de sa réclamation et de ses plaintes initiales, le demandeur a poursuivi le traitement des affaires jusqu’au troisième palier de la procédure de règlement des griefs prévue à la LSCMLC. Le 15 juillet 2004, le sous-commissaire adjoint intérimaire des Opérations correctionnelles pour la région du Pacifique a rejeté le grief au deuxième palier du demandeur. Le 9 mai 2005, Gerry Hooper, conseiller principal, a accueilli en partie les griefs au troisième palier du demandeur (décision sur les griefs au troisième palier), concluant que celui-ci avait droit à un remboursement par suite de la perte d’un ensemble de CD-Rom Microsoft Office Suite. Il a cependant conclu qu’il n’y avait aucun renseignement appuyant l’allégation selon laquelle le matelas du demandeur avait été endommagé au cours de la fouille exceptionnelle et a rejeté le reste des griefs.

[14]           Avant la délivrance de la décision sur les griefs au troisième palier, le demandeur a déposé la déclaration dans la présente affaire le 18 avril 2005.

La position des parties

[15]           Les défendeurs soutiennent que la déclaration constitue un abus de procédure et devrait être radiée conformément à l’alinéa 221(1)f), parce qu’elle a pour effet de contester indirectement la validité d’une décision sur les griefs au troisième palier qui a été prise en application de la procédure de règlement des griefs prévue à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC), et au règlement connexe intitulé Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (Règlement SCMLC). Selon les défendeurs, la procédure à suivre pour contester ces décisions est la demande de contrôle judiciaire prévue aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.C. 1985, ch. F‑7. Les défendeurs font valoir que la Cour fédérale devrait, en conséquence, radier la déclaration au motif qu’elle constitue un abus de procédure. Subsidiairement, la Cour devrait suspendre l’action jusqu’à l’issue de la demande de contrôle judiciaire.

[16]           Dans les observations écrites qu’il a déposées pour contester la requête des défendeurs, le demandeur soutient qu’il ne met pas en doute la validité de la fouille. Cependant, il s’oppose à la conduite [traduction] « injustifiée, malveillante et négligente » des agents de correction qui ont procédé à la fouille, laquelle aurait aggravé ses blessures et lui aurait causé un grand trouble psychologique et émotionnel.

Analyse

[17]           La question fondamentale qui se pose dans la présente requête est de savoir si la déclaration constitue un abus de procédure et devrait être radiée au motif qu’elle a indirectement pour effet de contester la validité de la décision sur les griefs au troisième palier au moyen d’une action en dommages-intérêts plutôt que d’une demande de contrôle judiciaire.

[18]           La Cour d’appel fédérale a récemment clarifié l’état du droit au sujet de la question de savoir si une réclamation devrait être traitée comme une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales ou comme une demande de contrôle judiciaire en application des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Il appert clairement du jugement rendu dans Grenier c. Canada (2005), 344 N.R. 102, 2005 CAF 348 (Grenier), qu’une partie qui cherche à attaquer la décision d’un office fédéral n’est pas libre de choisir entre une action en dommages-intérêts et une demande de contrôle judiciaire. La seule façon de faire casser cette décision est de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[19]           L’intention du législateur qui sous-tend l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales est d’exiger que les décisions d’un office fédéral soient attaquées par voie de contrôle judiciaire. En conséquence, lorsque le sort d’une action en dommages-intérêts dépend de la validité d’une décision de cette nature, la partie lésée doit d’abord présenter une demande de contrôle judiciaire pour faire casser cette décision.

[20]           Ce raisonnement est compatible avec l’intérêt public sous-jacent à la nécessité d’empêcher l’utilisation des réclamations délictuelles pour contester indirectement la validité de décisions administratives qui sont réputées être définitives, à moins qu’elles ne soient cassées à l’aide des procédures établies à cette fin. Les contestations indirectes contournent indûment les procédures de révision établies par les textes de loi applicables et constituent un abus de procédure.

[21]           Ces principes signifient que les décisions d’un office fédéral, comme la décision sur les griefs au troisième palier qui est en cause en l’espèce, conservent leur force et leur autorité légales, demeurent juridiquement opérantes et produisent des effets légaux tant qu’elles n’ont pas été invalidées par suite d’une demande de contrôle judiciaire. L’action en dommages‑intérêts qui est fondée sur l’invalidité de la décision administrative attaquée ne peut réussir, à moins que cette décision ne soit cassée lors du contrôle judiciaire.

[22]           La conduite apparemment illicite qui est au coeur de la réclamation du demandeur réside dans la fouille de sa cellule pendant un isolement cellulaire des détenus par mesure de sécurité à l’établissement de Mission ainsi que dans le retrait et l’endommagement de certains effets personnels qui se trouvaient dans sa cellule, y compris le matelas SSTCV du demandeur. À l’évidence, la déclaration n’est qu’une simple répétition des griefs du demandeur et une tentative de faire réviser la validité de la décision sur les griefs au troisième palier. En fait, de nombreux paragraphes de l’acte de procédure visent expressément à contester la légalité des différentes décisions portant rejet de ses plaintes et griefs. Ainsi, le demandeur allègue ce qui suit :

[traduction]

10.       [...]Toutes les plaintes formelles, griefs, demandes de détenu, réclamations, notes et allégations verbales ont été niés et rejetés, ce qui allait à l’encontre de la loi, DES TEXTES DE LOI et de tous les documents à l’appui susmentionnés.

 

14.       Les DÉFENDEURS ont d’abord choisi de ne pas répondre aux sept plaintes que le DEMANDEUR a formulées en janvier 2004, contrevenant de ce fait à la loi et à leur propre MANUEL DE POLITIQUES SUR LES PLAINTES ET LES GRIEFS. Cinq mois plus tard, choisissant de répondre et d’antidater les réponses dans le but d’atténuer la vérité de manière trompeuse et ouvertement irrespectueuse, les DÉFENDEURS ont retourné les documents falsifiés (antidatés), faisant ainsi preuve d’un manque de franchise à l’endroit du DEMANDEUR.

 

24.       [...] Les DÉFENDEURS ont refusé d’examiner les arguments, demandes écrites formelles, plaintes et contestations légitimes du DEMANDEUR et ne se sont pas conformés à leur devoir d’agir avec soin en refusant de s’acquitter de la mission qui leur est confiée conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, notamment à l’article 19 intitulé « Enquêtes » et au MANUEL DES POLITIQUES SUR LES PLAINTES ET LES GRIEFS, ainsi qu’en omettant de remettre des reçus à l’égard des articles saisis.

 

40.       Depuis que les DÉFENDEURS et leurs mandataires et employés ont été mis au courant de l’action engagée contre eux devant la Cour, ils n’ont rien fait pour tenter de régler le différend : les « réclamations contre la Couronne pour les effets perdus ou endommagés » ont été refusées et aucune excuse n’a été offerte par suite du traitement inhumain dont le DEMANDEUR a fait l’objet du 10 janvier au 31 janvier 2005. Dans la réponse qu’il a adressée par écrit à la contestation légitime du DEMANDEUR, le sous‑directeur B. Thompson s’est montré sec, raisonneur et presque méprisant en disant que rien n’avait été volé, que le DEMANDEUR n’avait subi aucun préjudice et que les plaintes qu’il avait déposées étaient « frivoles et vexatoires ».

 

 

[23]           Dans sa déclaration, le demandeur reproche aux agents de correction qui ont mené la fouille exceptionnelle de s’être mal conduits, s’oppose aux réponses du SCC aux plaintes et griefs qu’il a formulés et soutient que son matelas SSTCV et d’autres effets personnels ont été endommagés. Pourtant, la plupart de ces plaintes ont été jugées sans fondement lors de la procédure de règlement des griefs. Plus précisément, après avoir examiné les griefs au troisième palier, le décideur a conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle le SCC était responsable des dommages causés au matelas SSTCV était sans fondement, de même que la demande de remboursement d’articles autres que l’ensemble de CD-Rom Microsoft Works Suite. Si le demandeur voulait contester la décision sur les griefs au troisième palier, il aurait dû procéder par voie de demande de contrôle judiciaire.

[24]           La procédure que le demandeur devait suivre consistait à contester la fouille de sa cellule et la saisie d’articles au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. L’introduction d’une action visant à attaquer de façon collatérale la validité des décisions sur les griefs constitue une contestation indirecte inacceptable et un abus de procédure au sens de l’alinéa 221(1)f) des Règles.

[25]           Compte tenu du jugement que la Cour d’appel fédérale a rendu dans l’affaire Grenier susmentionnée, je conclus que la présente action constitue un abus de procédure et que la déclaration devrait être radiée, sous réserve du droit du demandeur de demander une prorogation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire.

[26]           Aucuns dépens n’ayant été demandés, il n’y aura pas d’attribution de dépens.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la déclaration soit radiée.

 

                                                                                                            « Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-669-05

 

INTITULÉ :                                       David Jonathan Wild

                                                            c.

                                                            Sa Majesté La Reine et le Service correctionnel du Canada (Établissement à sécurité moyenne de Mission)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 (requête jugée sur dossier sans comparution des parties)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               S/O

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE   

ET ORDONNANCE :                       le protonotaire Lafrenière

 

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 juin 2006

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

David J. Wild

 

LE DEMANDEUR

Scott Nesbitt

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Jonathan Wild

 

LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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