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Date : 20051003

Dossier : T-1270-02

Référence : 2005 CF 1354

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2005

En présence de Madame la juge Heneghan

ENTRE :

                                                 LES PAPIERS SCOTT LIMITÉE

                                                                                                                                demanderesse

                                                                            et

                                                        SA MAJESTÉLA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Le 11 avril 2002, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) a rejeté l'appel déposé par Les Papiers Scott Limitée (la demanderesse) à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national (le ministre) en date du 30 mai 2000. La demanderesse en appelait de la décision du ministre de refuser sa demande de remboursement de la taxe de vente fédérale (TVF) qu'elle avait déposée conformément à l'article 68 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la Loi). La demanderesse en appelle maintenant de la décision du TCCE en s'appuyant sur l'article 81.24 de la Loi. D'après la Loi, ces appels sont introduits par le dépôt d'une déclaration et prennent la forme d'un procès de novo.

[2]                Dans son appel, la demanderesse réclame les réparations suivantes :

[TRADUCTION]

a.              une ordonnance portant que son appel est accueilli et la décision du TCCE infirmée;

b.              une ordonnance renvoyant la question au ministre du Revenu national pour qu'il la réexamine en tenant pour acquis que la demanderesse a droit au remboursement d'un montant égal au montant de la TVF payée par erreur au cours de la période pertinente sur ses ventes de papiers-mouchoirs et de papier hygiénique, majoré des intérêts comme le prévoit la LTA;

c.              subsidiairement, une ordonnance renvoyant la question au ministre du Revenu national pour qu'il la réexamine en tenant pour acquis que la demanderesse a droit au remboursement d'un montant égal à la TVF payée par erreur sur ses ventes de papiers-mouchoirs et de papier hygiénique jusqu'à concurrence de 2 848 844 $, majoré des intérêts, comme le prévoit la LTA;

d.              ses dépens dans la présente espèce; et

e.              toutes autres réparations que la Cour estime justes compte tenu des circonstances.

LES FAITS

[3]                La demanderesse fabrique des produits de papier, notamment des papiers-mouchoirs et du papier hygiénique, et pendant toute la période pertinente elle avait un permis de fabricant pour les fins de la TVF, en conformité avec le paragraphe 2(1) de la Loi.

[4]                La défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada est représentée par le ministre, et depuis le 1er novembre 1999, par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC).

[5]                Le 15 mai 1992, la demanderesse a fait parvenir au ministre une demande de remboursement de la TVF au montant de 2 848 844 $ (la demande de remboursement N15) pour la période allant du 1er avril 1990 au 31 décembre 1990 (la période pertinente). La demande de remboursement N15, telle que déposée, était rédigée de façon générale et énonçait la raison de la demande de remboursement comme étant un [traduction] « trop-payé de TVF sur la vente de marchandises exonérées » .

[6]                La demanderesse a déposé sa demande de remboursement N15 à titre de mesure conservatoire en s'appuyant sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans CIP Inc. c. Sous-ministre du Revenu national, [1988] A.C.F. no 582 (C.A.) (QL), dans laquelle la Cour d'appel avait maintenu la conclusion de fait de la Commission du tarif selon laquelle les papiers-mouchoirs étaient des cosmétiques. La demanderesse prétend que les papiers-mouchoirs pouvaient être achetés en franchise de taxe par des personnes incluses dans la description « de fabricant ou producteur » , donnée au paragraphe 2(1) de la Loi, et qui avaient un permis délivré aux termes de la Loi au cours de la période pertinente.


[7]                Dans un avis de détermination en date du 21 septembre 1993, le ministre a refusé la demande de remboursement N15 au motif que les ventes de papiers-mouchoirs de la demanderesse avaient à bon droit été assujetties au paiement de la taxe. Aucune vérification n'a été faite par la défenderesse pour déterminer le montant que la demanderesse pourrait éventuellement récupérer aux termes de la demande de remboursement N15.

[8]                Le 9 décembre 1993, la demanderesse a déposé un avis d'opposition à l'avis de détermination au motif que, d'après l'arrêt de la Cour d'appel fédérale CIP, précité, les papiers-mouchoirs devraient être inclus dans la définition de « cosmétiques » donnée au paragraphe 2(1) de la Loi et qu'ils ne devraient pas être assujettis à la TVF en raison de l'alinéa 50(5)g), qui a remplacé l'alinéa 27(2)g) de la Loi.

[9]                Le 14 mars 1995, la demanderesse a accepté de tenir en suspens la demande de remboursement N15 en attendant le règlement d'une réclamation semblable présentée par l'une de ses principales concurrentes, Kimberly-Clark Canada Inc. (Kimberly-Clark). Dans les motifs de l'ordonnance rendue en date du 12 mars 1998, la Cour fédérale a déclaré que les papiers-mouchoirs et le papier hygiénique étaient des « cosmétiques » pour les fins de la Loi; voir Kimberly-Clark Canada Inc. c. Sa Majesté la Reine (1998), 145 F.T.R. 265 (C.F. 1re inst.).


[10]            Le 24 juin 1998, à la demande de la défenderesse au terme d'une vérification sur place, la demanderesse a fourni des documents à l'appui de sa demande de remboursement N15 ayant trait à [traduction] « un remboursement de la taxe de vente fédérale représentant les taxes payées sur les ventes de papiers-mouchoirs » . Tous les documents de travail, renseignements et autres documents que la demanderesse a alors fournis à l'appui de sa demande de remboursement N15 faisaient uniquement référence à ses ventes de papiers-mouchoirs.

[11]            En janvier 1999, la défenderesse a procédé à une vérification des ventes de papiers-mouchoirs de la demanderesse au cours de la période pertinente, afin de déterminer l'ordre de grandeur du remboursement. Au cours de la vérification, la demanderesse a été informée que le plein montant figurant dans sa demande de remboursement N15 ayant trait aux taxes payées par erreur au titre des papiers-mouchoirs ne serait pas autorisé. Le ou vers le 24 novembre 1999, la demanderesse a demandé que la défenderesse examine également les taxes payées par erreur au titre du papier hygiénique, dans le cadre de la même demande de remboursement N15.

[12]            Dans un avis de décision en date du 30 mai 2000, l'avis d'opposition de la demanderesse a été accueilli en partie et la décision a été modifiée. Sur la réclamation initiale s'élevant au montant de 2 848 844 $, ayant trait aux ventes de papiers-mouchoirs, une somme de 1 684 444 $ a été autorisée, par suite de la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Kimberly-Clark, précitée. Dans cette affaire, le juge Nadon avait conclu que les papiers-mouchoirs étaient des « cosmétiques » aux fins du paragraphe 2(1) de la Loi. Le remboursement concernant la TVF payée par erreur à l'égard du papier hygiénique a été refusé au motif que la demanderesse n'avait pas inclus ce montant et n'avait pas mentionné le « papier hygiénique » dans sa demande de remboursement N15 originale. Elle n'avait pas réclamé le remboursement dans le délai de prescription de deux ans prévu à l'article 68 de la Loi.


[13]            La demanderesse a porté l'avis de décision en appel devant le TCCE le ou vers le 17 août 2000 aux termes du paragraphe 81.19 de la Loi. Le TCCE a rejeté l'appel dans une décision en date du 11 avril 2002.

[14]            L'appel de la demanderesse formé à l'encontre de la décision du ministre a été entendu le 11 septembre 2001 devant une formation de trois membres du TCCE. Dans sa décision, datée du 11 avril 2002, le TCCE décrit la question dont il était saisi comme étant une question de savoir si la demanderesse a droit à un remboursement de TVF payée par erreur à l'égard de ses ventes de papier hygiénique au cours de la période pertinente. La formation a noté que l'article 68 de la Loi était fondamental dans cet appel. Cette disposition prévoit ce qui suit :


68. Lorsqu'une personne, sauf à la suite d'une cotisation, a versé des sommes d'argent par erreur de fait ou de droit ou autrement, et qu'il a été tenu compte des sommes d'argent à titre de taxes, de pénalités, d'intérêts ou d'autres sommes en vertu de la présente loi, un montant égal à celui de ces sommes doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payé à cette personne, si elle en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement de ces sommes.

68. Where a person, otherwise than pursuant to an assessment, has paid any moneys in error, whether by reason of mistake of fact or law or otherwise, and the moneys have been taken into account as taxes, penalties, interest or other sums under this Act, an amount equal to the amount of those moneys shall, subject to this Part, be paid to that person if he applies therefor within two years after the payment of the moneys.



[15]            Mme Rosemary J. Anderson, comptable représentant la demanderesse, a témoigné devant le TCCE et elle a déclaré que la demande de remboursement N15 avait délibérément été formulée de façon générale, étant donné que cette réclamation était de nature conservatoire. La demande de remboursement N15 se fondait sur l'arrêt CIP, précité, qui faisait uniquement référence aux papiers-mouchoirs. Elle a de plus déclaré que le montant réclamé se fondait sur des calculs se rapportant aux ventes de papiers-mouchoirs et que, à compter de la date du dépôt jusqu'en novembre 1999, toutes les communications ne faisaient référence qu'aux papiers-mouchoirs.

[16]            Mme Anderson a aussi déclaré dans son témoignage que M. John Reid, président des Papiers Scott Limitée, s'était précisément demandé si la demanderesse devait présenter une réclamation relative au papier hygiénique, tout comme l'avait fait sa concurrente Kimberly-Clark, et avait délibérément décidé d'exclure les ventes de papier hygiénique de l'appel parce qu'il était « sceptique » quant à savoir si ce papier serait considéré comme un « cosmétique » pour les fins de la Loi.

[17]            Mme Anderson a également déclaré dans son témoignage que, lors du dépôt d'une demande de remboursement, le contribuable doit préciser les types de biens qui sont visés dans la demande. Toutefois, elle a noté que l'ADRC avait accepté et payé des demandes de remboursement qui ne précisaient pas les biens visés. Elle a affirmé que les parties avaient d'abord convenu que l'examen des demandes de remboursement devait être rapide et expéditif, et que la demanderesse n'aurait à fournir que peu de documents à l'appui de sa demande de remboursement N15. Finalement, elle a déclaré que la demanderesse avait demandé à ce que le papier hygiénique soit considéré uniquement quand il est devenu évident qu'elle ne recevrait pas le montant total réclamé.


[18]            Mme Jennifer Watson, vérificatrice, Impôt sur le revenu/Taxe d'accise, a également témoigné devant le TCCE. Elle a affirmé qu'à compter de la date à laquelle la demande de remboursement N15 avait été déposée jusqu'en novembre 1999, toutes les communications reçues de la demanderesse ne faisaient référence qu'aux papiers-mouchoirs. Elle a ajouté que, avant de rencontrer la demanderesse en janvier 1999 pour les fins de la vérification, elle-même et les autres employés de l'ADRC se demandaient pourquoi l'annexe que la demanderesse avait déposé à l'appui de sa demande de remboursement se limitait au trop-payé de taxes sur les papiers-mouchoirs. Elle a déclaré que l'équipe de vérification attendait que la demanderesse soulève la question du papier hygiénique.


[19]            Mme Watson a également déclaré que l'ADRC acceptait régulièrement des demandes de remboursement dont les raisons étaient mal formulées. Elle a précisé que, dans ce genre de situation, les vérificateurs s'appuient sur les documents de travail et les pièces jointes à l'appui de la demande de remboursement. Elle a déclaré que, dès la réception de la demande de la demanderesse pour que le papier hygiénique soit inclus dans la demande de remboursement N15, les fonctionnaires de l'ADRC ont échangé des courriels, dans lesquels ils essayaient de déterminer si la demanderesse avait le droit d'ajouter un produit différent dans sa demande de remboursement ayant trait aux papiers-mouchoirs, quelque sept ans et demi après le dépôt initial de la demande. Finalement, le responsable des appels a décidé que la demanderesse n'avait pas le droit d'ajouter un autre produit à la demande de remboursement après l'expiration du délai prévu.

[20]            Le TCCE a exprimé ses conclusions dans les termes suivants :

Le Tribunal n'est pas d'accord sur l'interprétation de l'article 68 de la Loi que donne l'appelante. L'article 68 de la Loi indique que le montant des sommes d'argent versées par erreur par une personne sera payé à cette personne « si elle en fait la demande » dans le délai prescrit. Selon le Tribunal, une personne n'a pas satisfait à l'exigence selon laquelle elle doit « en [faire] la demande » si elle n'a pas donné une indication raisonnable de l'objet visé dans sa demande. Par conséquent, le Tribunal est d'avis que l'article 68 prescrit qu'une personne qui demande un remboursement doit indiquer la nature de l'erreur alléguée.

Accepter l'interprétation donnée par l'appelante obligerait le Tribunal à ne pas tenir compte du libellé explicite de la partie de l'article qui se rapporte au délai de prescription de deux ans. Le délai de prescription n'aurait plus d'objet si un demandeur pouvait simplement présenter une demande générale, dans le délai prescrit de deux ans, puis invoquer ensuite cette demande pour appuyer un nombre illimité de demandes spécifiques, présentées sur un nombre illimité d'années, au fur et à mesure que de nouvelles erreurs possibles sont décelées. Le Tribunal fait aussi observer que, aux termes de la Loi, la formule « N15 » doit être établie en la forme prescrite par l'intimé. À cet égard, le Tribunal fait également observer que la formule « N15 » et ses annexes exigent clairement que le demandeur donne des renseignements détaillés sur la nature de la demande de remboursement.

[...]

En fait, les documents produits par l'appelante à l'appui de sa demande, avant la détermination de l'intimé, et les pièces de correspondance de l'appelante à l'intimé durant la période en cause indiquent clairement qu'il était prévu que la demande de remboursement de l'appelante ne se rapportait qu'aux sommes versées par erreur au titre de taxes sur les ventes de mouchoirs de papier et non sur les ventes de papier de toilette. Les éléments de preuve indiquent aussi clairement que l'appelante a calculé le montant de sa demande eu égard seulement aux sommes versées par erreur relativement aux mouchoirs de papier. L'appelante a pour la première fois soulevé la question du papier de toilette en 1999, environ six ans après la communication de l'avis de détermination de l'intimé et bien après l'expiration du délai prescrit de deux ans. L'appelante n'a donc pas déposé sa demande de remboursement concernant le papier de toilette dans le délai prescrit.

Pour les motifs susmentionnés, l'appel est rejeté.

[21]            Le 8 août 2002, la demanderesse en a appelé de la décision du TCCE et a entamé la présente action en déposant une déclaration, qui a été modifiée le 5 février 2004. La demanderesse prétend que le remboursement accordé ne tenait pas compte de la TVF payée en trop sur les ventes admissibles de papiers-mouchoirs à certains fabricants licenciés (les ventes admissibles additionnelles) et en outre qu'une partie du montant auquel elle avait par ailleurs droit au titre de la taxe payée en trop sur ses ventes de papiers-mouchoirs (le montant dû à la date limite) lui avait également été refusé au motif que la demande de remboursement N15 avait été déposée après le 19 mai 1992. Les questions concernant les ventes admissibles additionnelles et le montant dû à la date limite ont été résolues par les parties le ou vers le 4 février 2004. Le 25 mars 2004, la demanderesse a obtenu un remboursement de 445 813 $, intérêts non compris, représentant le trop-payé sur ses ventes de papiers-mouchoirs au cours de la période pertinente.

[22]            Au cours de la préparation du procès, la défenderesse a produit en octobre 2003 une série de courriels que s'étaient échangés les employés de l'ADRC entre le 29 novembre 1999 et le 22 décembre 1999, concernant la demande de remboursement de TVF de la demanderesse à l'égard du papier hygiénique. Ces courriels font état d'une discussion sur la question de savoir si les renseignements de la formule N15 étaient suffisamment larges pour inclure une demande ayant trait au papier hygiénique. Les courriels font ressortir les différences d'opinions des employés de l'ADRC sur ce point.


LA QUESTION EN LITIGE

[23]            La question qu'il faut décider dans le présent appel est de savoir si, sur la base de la demande de remboursement N15, la demanderesse a droit à un remboursement de TVF payée par erreur relativement à ses ventes de papier hygiénique au cours de la période pertinente, même si la réclamation ne mentionne pas le papier hygiénique.

[24]            Les parties ont convenu des faits suivants :

a.                    Si la Cour décide que la demanderesse a droit à un remboursement, aux termes de l'article 68 de la Loi, pour la TVF payée par erreur relativement à ses ventes de papiers-mouchoirs et de papier hygiénique, majoré des intérêts, pendant la période pertinente, la question doit être renvoyée au ministre pour qu'une vérification soit effectuée afin de déterminer le montant réclamé par la demanderesse à l'égard de ses ventes de papier hygiénique.

b.                   Subsidiairement, la défenderesse fait remarquer que, si la Cour décide que la demanderesse a droit à un remboursement maximal de 2 848 844 $, les sommes déjà remboursées, c'est-à-dire les montants de 1 684 444 $ et de 445 813 $, doivent être prises en compte, ce qui établirait le maximum de la réparation à laquelle la demanderesse aurait droit à 718 587 $, plus les intérêts.


LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

A.         Les prétentions de la demanderesse

[25]            La demanderesse soutient qu'il est bien établi, en droit, que les sommes payées par erreur au titre de la taxe en vertu de la Loi doivent être remboursées aux contribuables aux termes de l'article 68, à moins qu'il n'existe des dispositions légales claires et expresses qui empêchent un tel remboursement, et à cet égard, elle s'appuie sur l'arrêt Amoco Canada Petroleum Company Ltd. c. Ministre du Revenu national (1985), 57 N.R. 274 (C.A.F.). En l'espèce, il n'y a pas de mésentente entre les parties quant à savoir si la demanderesse a payé par erreur la TVF sur ses ventes de papiers-mouchoirs comme sur celles de papier hygiénique au cours de la période pertinente.


[26]            La demanderesse prétend que la demande de remboursement N15, telle qu'elle a été déposée, était suffisamment large pour inclure les taxes payées par erreur sur les ventes de papier hygiénique. Elle soutient que la documentation initiale déposée à l'appui de sa demande de remboursement était limitée aux ventes de papiers-mouchoirs au cours de la période pertinente pour la simple raison que Mme Anderson avait cru à tort que la demanderesse n'avait droit qu'au remboursement du montant nominal de 2 848 844 $ de la réclamation, et que les taxes payées par erreur sur les ventes de papiers-mouchoirs dépassaient de beaucoup ce montant. En limitant ainsi les documents fournis, la demanderesse prétend qu'elle n'avait pas l'intention de limiter la portée de la réclamation qu'elle avait déposée.

[27]            Elle soutient que la portée de la réclamation est définie dans la demande de remboursement N15 même, déposée par écrit comme l'exige l'article 68. Toute modification des termes de la demande de remboursement devrait également être faite par écrit, et elle ne pourrait être restreinte ni élargie par des déclarations subséquentes faites par l'une ou l'autre des parties; voir Glaxo Smithkline Inc. c. Canada, [2003] 4 C.T.C. 2916 (C.C.I.).

[28]            Étant donné que la demande de remboursement N15 a été valablement déposée et qu'elle est suffisamment large pour englober les taxes payées par erreur par la demanderesse sur ses ventes de papier hygiénique au cours de la période pertinente, la demanderesse soutient qu'elle a droit à un remboursement sur les taxes payées par erreur. Le refus d'un tel remboursement serait contraire à la pratique générale et bien établie adoptée par l'ADRC selon laquelle une demande de remboursement peut être jugée valide malgré l'absence de renseignements détaillés sur la formule N15. Si l'ADRC ne respecte pas en l'espèce cette pratique bien établie, cela donnera naissance à une double norme inadmissible, qui équivaudra à un manquement à l'obligation de la défenderesse de traiter de façon semblable des contribuables qui se trouvent dans une situation semblable, comme en faisait état l'arrêt Mitchell et al. c. Canada (Procureur général) (2002), 296 N.R. 259 (C.A.F.). L'ADRC manquera aussi à son _ engagement _ et à sa politique générale en matière d'équité.


[29]            De même, la demanderesse soutient que puisqu'elle a informé la défenderesse de la nature conservatoire de sa demande de remboursement N15 peu après son dépôt, la défenderesse ne peut affirmer, quelque sept ans plus tard, que la formule utilisée pour la réclamation était insuffisante. La demanderesse prétend qu'elle a clairement respecté les dispositions de l'article 68, de même que la pratique administrative suivie depuis longtemps par la défenderesse pour le traitement des demandes de remboursement. Par conséquent, elle a droit au remboursement d'un montant égal à la TVF payée en trop sur ses ventes de papier hygiénique au cours de la période pertinente.

[30]            Bien que la demanderesse fasse valoir que les prétentions précédentes règlent de façon définitive son appel interjeté sous forme de procès de novo, elle continue d'examiner la décision du TCCE. Elle soutient qu'il ressort de l'article 68 interprété dans son sens ordinaire que le seul élément obligatoire qui se trouve dans cette disposition est le dépôt de la demande formelle, dans les deux années du trop-payé, pour une somme égale au montant du trop-payé. La demanderesse prétend que le TCCE, en exigeant qu'une personne qui demande un remboursement indique la nature de l'erreur alléguée dans la réclamation, a commis une erreur de droit en donnant une mauvaise interprétation du libellé explicite de la Loi et en ajoutant à l'article des mots qui ne s'y trouvent pas.

[31]            La demanderesse soutient également qu'il est bien établi dans la jurisprudence fiscale canadienne que la règle du « sens ordinaire » régit l'interprétation des lois fiscales. Lorsqu'une disposition légales est claire et non ambiguë, la Cour doit donner effet au sens manifeste des mots utilisés dans la Loi; voir Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312. Par conséquent, la méthode d'interprétation fondée sur l'objet visé a un rôle limité dans l'interprétation des lois fiscales.

[32]            La demanderesse soutient que ce n'est que lorsque le texte est ambigu dans son application aux faits qu'il est utile d'avoir recours au but et à l'objet de la disposition en cause; voir Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, et Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. La demanderesse fait valoir que ces principes valent également pour l'application de la Loi, comme l'a confirmé la Cour d'appel fédérale dans Polygon Southampton Development Ltd. c. Canada (2003), 7 R.P.R. (4th) 1 (C.A.F.).


[33]            La demanderesse affirme qu'à première vue l'article 68 ne renferme aucune exigence qui l'oblige à mentionner la nature de l'erreur qui a donné lieu au trop-payé. Selon elle, pour la priver de son droit à un remboursement au sujet du papier hygiénique, au motif qu'il était nécessaire de préciser dans la demande de remboursement N15 la nature de l'erreur, il faudrait que des mots clairs et explicites à cet effet figurent dans l'article 68. La demanderesse prétend que le TCCE n'a pas eu recours à la bonne méthode d'interprétation à l'égard de l'article 68, ce qui l'a amené à prendre une décision erronée qui ne devrait pas être suivie; voir Potash Corp. of Saskatchewan Inc. c. Canada (2003), 313 N.R. 325 (C.A.F.).

[34]            En outre, dans l'administration des réclamations en vertu de la Loi, la défenderesse n'exige pas que ces renseignements soient fournis au moment où la demande est déposée. Le TCCE n'était pas saisi d'éléments de preuve concernant les pratiques administratives de l'ADRC au sujet des demandes de remboursement de TVF puisque cette preuve n'a été fournie à la demanderesse qu'après l'audience devant le TCCE, sur l'initiative du commissaire à l'information du Canada.

[35]            Dans la décision W. Ralston (Canada) Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national) (2002), 221 F.T.R. 30 (C.F. 1re inst.), la Cour fédérale a endossé la décision du TCCE en l'espèce. Toutefois, la demanderesse fait valoir que les circonstances de l'espèce peuvent manifestement être distinguées de cette décision.


[36]            Dans la décision W. Ralston, précitée, le premier appel de la compagnie devant le TCCE a été rejeté au motif que, pour contester une cotisation, le contribuable devait signifier un avis d'opposition à la cotisation, plutôt que de déposer une demande de remboursement. En rejetant l'appel du contribuable dans cette affaire, la Cour n'était pas tenue de faire des observations sur la question qui fait l'objet du présent appel. La demanderesse soutient que la conclusion de la Cour selon laquelle l 'article 68 « oblige à énoncer, dans la "demande" le type de biens visés et la nature de l'erreur » est une opinion incidente qui est de plus contraire aux principes d'interprétation énoncés par la Cour suprême.

B.         Les prétentions de la défenderesse

[37]            La défenderesse nie que la demanderesse ait droit à un remboursement de TVF sur ses ventes de papier hygiénique au cours de la période pertinente. Elle soutient que l'article 68 de la Loi exige que la demande de remboursement précise l'erreur, de même que la nature des biens sur lesquels la TVF aurait été payée par erreur. La défenderesse soutient que l'interprétation que donne la demanderesse de l'article 68 prive le délai de prescription de tout son sens étant donné que les contribuables pourraient indéfiniment revenir sur des erreurs passées qui pourraient être comprises sous la raison générale fournie dans la formule N15.


[38]            Contrairement aux prétentions de la demanderesse, la défenderesse soutient que la règle du « sens ordinaire » ne régit pas l'interprétation des lois fiscales. La Cour suprême a clairement conclu que les cours de justice ne peuvent pas simplement tenir compte du sens ordinaire des dispositions en question, mais qu'elles doivent également rechercher l'esprit et l'objet de la Loi, le contexte dans lequel les mots sont utilisés et l'intention du législateur; voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27. La défenderesse prétend que la Cour suprême a statué que cette méthode moderne d'interprétation des lois s'applique à leur interprétation, que ce soit dans un contexte fiscal ou non, comme en fait foi l'arrêt Ludco Enterprises Ltd. c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082.

[39]            De plus, la défenderesse soutient que, selon un principe bien établi en matière d'interprétation des lois, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes ou déraisonnables. Les interprétations qui « vont à l'encontre de la fin d'une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile » sont considérées comme absurdes ou déraisonnables; voir Rizzo Shoes, précité. La défenderesse soutient donc que le TCCE n'a pas commis d'erreur quand il a effectué une analyse interprétative de l'article 68 fondée sur l'objet visé et le contexte.

[40]            La défenderesse note de plus que l'article 71 de la Loi prévoit que nul n'a le droit de recouvrer des sommes payées à titre de taxes, sauf si cela est prévu dans la Loi ou dans une autre loi fédérale. Le législateur a établi une procédure pour la réclamation des remboursements, qui est énoncée à l'article 68 de la Loi. En outre, aux termes du paragraphe 72(2), les demandes doivent être présentées dans la forme prescrite et renfermer les renseignements exigés; voir Riverside Concrete Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national) (1995), 92 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.). Par conséquent, la défenderesse fait valoir que le TCCE a correctement conclu que la formule N15 exige clairement qu'un contribuable fournisse des renseignements détaillés concernant la nature de sa réclamation. Si l'on devait conclure autrement, Revenu Canada serait dans l'impossibilité de vérifier la validité de la demande de remboursement; voir Barney Printing c. Canada (Ministre du Revenu national), [2001] C.I.T.T. no 36 (TCCE) (QL).


[41]            La défenderesse fait référence à la décision W. Ralston, précitée, dans laquelle la Cour a conclu de façon semblable en affirmant qu'il faut préciser le type des biens visés et la nature de l'erreur.

[42]            La défenderesse prétend que l'objet des dispositions de prescription, telle que la disposition qui fixe un délai de deux ans à l'article 68, vise à « limiter l'incertitude dans les affaires commerciales et financières des particuliers » , comme la Cour l'a déclaré dans la décision Société canadienne des pneus Michelin Ltée c. Canada (1998), 158 F.T.R. 101 (C.F. 1re inst.). Il s'ensuit que, pour respecter l'obligation « d'en faire la demande » dans les deux ans, le contribuable doit expliquer la nature de la demande de remboursement en faisant expressément référence aux biens visés; voir l'arrêt Riverside, précité. La défenderesse soutient que l'interprétation de la demanderesse priverait le délai de prescription de deux ans de tout son sens.


[43]            Qui plus est, la défenderesse soutient que la demanderesse a délibérément choisi d'exclure de la demande de remboursement les ventes de papier hygiénique au cours de la période pertinente. Entre le dépôt de la demande de remboursement en 1992 et novembre 1999, tous les documents de travail, renseignements et autres documents fournis par la demanderesse faisaient uniquement référence aux ventes de papiers-mouchoirs. La demanderesse a demandé que ses ventes de papier hygiénique soient prises en compte uniquement quand il est devenu évident qu'elle ne recevrait pas le plein montant réclamé dans la demande portant sur ses ventes de papiers-mouchoirs, quelque sept ans et demi après le dépôt de la demande de remboursement N15. Malgré le libellé très général de cette demande, la demanderesse avait clairement l'intention, comme en fait foi sa correspondance, ses documents de travail et les renseignements fournis entre mai 1992 et novembre 1999, de demander un remboursement s'appliquant uniquement à ses ventes de papiers-mouchoirs.

[44]            Finalement, en réponse aux prétentions de la demanderesse concernant l'existence d'une politique administrative pour le traitement des demandes de remboursement visées à l'article 68, la défenderesse soutient qu'une telle politique n'existe pas. Ni le témoignage de Mme Watson ni l'échange de courriels entre les fonctionnaires de l'ADRC n'appuient l'existence d'une telle politique administrative qui autoriserait le remboursement de la TVF en l'espèce.


[45]            Bien que la défenderesse reconnaisse que, dans d'autres causes, Revenu Canada a accordé des remboursements supérieurs à ceux qui étaient réclamés par des contribuables, elle l'a fait lorsqu'il s'agissait des mêmes biens qui avaient initialement été déclarés. En outre, Revenu Canada l'a fait, non pas sur la base d'une politique administrative, mais bien sur la base d'une décision du TCCE dans l'affaire Erin Michaels Mfg. Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1997] C.I.T.T. no 2 (TCCE)(QL). Dans cette affaire, la question ne portait pas sur l'ajout d'autres biens à une demande de remboursement après l'expiration du délai de prescription de deux ans imposé par la Loi, mais il s'agissait plutôt de savoir si le remboursement accordé à l'appelante se limitait au montant qu'elle avait initialement demandé au titre des mêmes biens.

[46]            La défenderesse prétend que, quoi qu'il en soit, même si une telle politique administrative existait, il est bien établi qu'un contribuable ne peut juridiquement faire valoir un droit à un remboursement de taxes sur quelque base que ce soit, si ce n'est conformément à une loi; voir Groupe Bocenor Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national) (2002), 301 N.R. 16 (C.A.F.). En outre, dans sa déclaration modifiée, la demanderesse ne s'est pas appuyée sur cette supposée politique administrative pour étayer son droit à un remboursement de la TVF payée par erreur sur ses ventes de papier hygiénique.

ANALYSE

A.         La nature de l'instance et la preuve

[47]            Comme je l'ai noté ci-dessus, cet appel se présente sous la forme d'un procès de novo. Pendant toute la période pertinente, l'article 81.24 et la partie applicable du paragraphe 81.28(3) de la Loi étaient formulés comme suit :



81.24 Toute partie à un appel entendu par le Tribunal en vertu de l'article 81.19, 81.21, 81.22 ou 81.23 peut, dans un délai de cent vingt jours suivant la date d'envoi de la décision du Tribunal, en appeler de cette décision à la Cour fédérale.

81.28 (3) Un appel à la Cour fédérale en vertu de la présente partie est réputé être une action devant celle-ci à laquelle la Loi sur les Cours fédérales et les règles établies conformément à cette loi s'appliquent comme pour une action ordinaire, sauf dans la mesure où l'appel est modifié par des règles spéciales établies à lgard de tels appels, sauf que : [...]

81.24 Any party to an appeal to the Tribunal under section 81.19, 81.21, 81.22 or 81.23 may, within one hundred and twenty days after the day on which the decision of the Tribunal is sent to that party, appeal the decision to the Federal Court.

81.28 (3) An appeal to the Federal Court under this Part is deemed to be an action in the Federal Court to which the Federal Courts Act and the rules made under that Act applicable to an ordinary action apply, except as varied by special rules made in respect of such appeals and except that [...]


[48]            Les exceptions prévues aux alinéas a) à c) du paragraphe 81.28(3) ne sont pas pertinentes quant aux fins de l'espèce. L'appel interjeté devant le TCCE qui a mené à la décision qui fait en l'espèce l'objet de l'appel était une procédure fondée sur l'article 81.19 de la Loi. Aucune « règle spéciale » dans le sens où cette expression est utilisée au paragraphe 81.28(3) n'a été établie à l'égard du présent appel.

[49]            Deux témoins ont témoigné à l'audience devant le TCCE, c'est-à-dire Mme Anderson pour le compte de la demanderesse et Mme Watson pour le compte de la défenderesse. Les transcriptions de leurs témoignages font partie du dossier conjoint de l'instruction déposé le 7 mai 2004. Aucun autre témoin n'a été appelé à la barre au cours de l'audition du présent appel le 31 mars 2005. Toutefois, il y a de nouveaux éléments de preuve, à savoir la série de courriels. Ces éléments de preuve n'avaient pas été déposés devant le TCCE.

B.         L'interprétation de l'article 68 de la Loi


[50]            J'accepte les prétentions de la défenderesse selon lesquelles la démarche qu'il convient d'adopter à l'égard de l'interprétation de l'article 68 de la Loi est celle qui a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans Rizzo Shoes, précité, qui endosse la méthode moderne d'interprétation des lois énoncée par Elmer A. Driedger dans l'ouvrage Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87 :

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[51]            Cette règle a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans tous les domaines du droit, y compris le droit fiscal; voir Ludco, précité, aux paragraphes 36 et 37; Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.SR. 94, au paragraphe 12; et Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 41.

[52]            Pour interpréter une loi, la Cour doit examiner plusieurs questions. Tout d'abord, elle doit analyser les mots et se demander s'ils sont utilisés dans leur sens ordinaire, ou s'il y a une ambiguïté ou un manque de clarté. Deuxièmement, le contexte de la loi doit aussi être examiné, pour ce qui est de l'historique de la disposition en question, de l'esprit de la loi, de l'objet de la loi et des considérations de politique qui ont amené le législateur à adopter cette loi.

[53]            L'article 68 et le paragraphe 72(2) sont des dispositions pertinentes et elles sont rédigées comme suit :



68. Lorsqu'une personne, sauf à la suite d'une cotisation, a versé des sommes d'argent par erreur de fait ou de droit ou autrement, et qu'il a été tenu compte des sommes d'argent à titre de taxes, de pénalités, d'intérêts ou d'autres sommes en vertu de la présente loi, un montant égal à celui de ces sommes doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payé à cette personne, si elle en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement de ces sommes.

72. (2) Une demande doit être faite en la forme prescrite et contenir les renseignements prescrits.

68. Where a person, otherwise than pursuant to an assessment, has paid any moneys in error, whether by reason of mistake of fact or law or otherwise, and the moneys have been taken into account as taxes, penalties, interest or other sums under this Act, an amount equal to the amount of those moneys shall, subject to this Part, be paid to that person if he applies therefor within two years after the payment of the moneys.

72. (2) An application shall be made in the prescribed form and contain the prescribed information.


[54]            Il s'ensuit donc que, dans un premier temps, l'analyse portera sur la détermination du sens ordinaire et grammatical des mots « si elle en fait la demande dans les deux ans » . Le mot « en » fait référence à toutes les sommes payées par erreur, alors que les mots « dans les deux ans » établissent clairement un délai de prescription de deux ans à compter de la date à laquelle les sommes ont été versées par erreur. À mon avis, le texte de la Loi ne peut être bien compris en s'appuyant uniquement sur le « sens ordinaire » des mots employés à l'article 68, comme le prétend la demanderesse. Le degré de précision exigé pour établir la portée de l'expression « versé des sommes d'argent par erreur » ne peut être déterminé en suivant le sens ordinaire du texte de la Loi. À mon avis, il est évident que, pour que le délai de prescription de deux ans s'applique, il faut pouvoir raisonnablement déterminer quelles sont les sommes qui ont été versées par erreur.

[55]            Compte tenu de ce manque de clarté, il est nécessaire d'examiner les autres aspects contextuels inhérents à la méthode moderne d'interprétation des lois. Pour ce qui est de la Loi, le juge Malone a déclaré ceci dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. RJR-MacDonald Inc., [2001] 2 C.F. 191 (C.A.), au paragraphe 5 :


D'autres formations de la Cour ont été aux prises avec l'interprétation des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise, qui a fait l'objet de nombreuses modifications. Les difficultés que cela pose ont été récemment notées par mon collègue, le juge Décary, J.C.A., dans les termes suivants :

Lorsqu'il est question d'une loi fragmentée comme la Loi sur la taxe d'accise [...] qui, pour commencer, contrairement, disons, à la Loi de l'impôt sur le revenu, n'a aucune structure cohérente ni aucune règle de base, et qui est modifiée régulièrement pour faire face à certaines situations ou y remédier dans un contexte économique qui évolue constamment, la Cour devrait répugner à comparer à la loupe les termes de dispositions conçues à des époques différentes et dans un contexte différent et destinées à traiter de questions différentes.

[56]            En gros, la Loi est une loi fiscale dont le but est de produire des revenus pour le gouvernement. En même temps, elle prévoit également des remises et des remboursements à des contribuables. L'article 68 énonce la procédure par laquelle les contribuables peuvent demander le remboursement de sommes payées par erreur. Sur le plan de la politique générale, comme on l'a noté dans l'arrêt Amoco, précité, sur lequel la demanderesse s'est appuyée, on ne peut présumer à la légère que le législateur ne souhaite pas que le gouvernement paie ses dettes. Par ailleurs, comme on l'a noté dans la décision Riverside, précitée, bien que l'on puisse soutenir que le gouvernement ne devrait pas être en mesure d'éviter de payer des remboursements pour les taxes payées par erreur en s'appuyant sur la prescription ou que ce délai de prescription devrait être plus long, il s'agit là d'une question qu'il revient au législateur de régler, et non pas à la Cour. Par conséquent, à mon avis, l'interprétation de l'article 68 doit nécessairement prendre en compte l'établissement d'un délai de prescription de deux ans et les considérations de politique qui accompagnent ce délai.

[57]            Dans l'arrêt Dawe c. Ministre du Revenu national (Douanes et accises) (1994), 174 N.R. 1 (C.A.F.), au paragraphe 18, la Cour d'appel fédérale a traité de l'objet d'un délai de prescription prévu dans une loi dans les mots suivants :

En premier lieu, les délais de prescription sont nécessités par des principes très fondamentaux liés à l'administration efficiente et adéquate de la justice. Les litiges doivent prendre fin pour que les jugements et les décisions puissent être exécutés. Les délais de prescription sont conçus en fonction de la réalisation de cet objectif et on ne peut en faire fi. On ne peut non plus, comme je l'ai déjà souligné, y renoncer ou les proroger en l'absence d'une disposition législative claire : les Règles de la Cour ne peuvent être utilisées pour étendre ou réduire le délai prescrit par une loi. [Renvoi omis.]

[...]

[58]            L'imposition d'un délai de prescription de deux ans dans le cadre de la procédure de remboursement prévue dans la Loi, indique, à mon avis, que le législateur voulait donner une certaine stabilité juridique au règlement des demandes de remboursement. Cette stabilité juridique a trait au temps mais, à mon avis, une application appropriée de la Loi exige également une certaine stabilité à l'égard de la nature et de la portée du remboursement réclamé. Comme l'a fait valoir la défenderesse, la Cour suprême a statué dans l'arrêt Rizzo Shoes, précité, qu'il serait absurde ou déraisonnable d'interpréter une loi d'une façon qui aille à l'encontre des objets de la loi ou d'en rendre certains aspects inutiles ou futiles.

[59]            À mon avis, si la catégorie de biens visés n'est pas déterminée, cela fait effectivement obstacle à l'intention du législateur qui souhaitait imposer un délai de prescription.

[60]            Le législateur a prévu dans la Loi une procédure grâce à laquelle les contribuables peuvent réclamer des remboursements pour des taxes payées par erreur, tant et aussi longtemps que ce remboursement est demandé dans un délai de deux ans. La procédure débute avec la présentation d'une demande de remboursement sur une formule prescrite, aux termes du paragraphe 72(2) de la Loi. Cette formule prescrite est la formule N15 et elle exige clairement que le demandeur donne la raison de sa demande de remboursement. Comme l'a noté la Cour dans la décision Riverside, précitée, « cette formule existe probablement pour répondre au besoin de Revenu Canada d'obtenir des renseignements précis afin d'être en mesure de vérifier la validité et le montant du remboursement demandé » .

[61]            Les observations de la Cour dans la décision W. Ralston, précitée, au sujet d'une réclamation rédigée en termes généraux, s'applique en l'espèce. Au paragraphe 20, la Cour dit ceci :

Je ne peux souscrire à la thèse de la demanderesse. En autorisant le contribuable à invoquer une demande de remboursement essentiellement générale, on lui permettrait d'éviter l'application du délai de prescription de deux ans (autrefois de quatre ans) prévu à l'article 68 de la Loi, de telle sorte que cet article serait dénué de tout sens. À mon avis, cette interprétation serait, de toute évidence, contraire à l'intention qu'avait le législateur lorsqu'il a édicté le délai de prescription prévu à l'article 68. J'estime donc que cette disposition oblige à énoncer, dans la « demande » , le type de biens visés et la nature de l'erreur. Selon moi, cette dernière interprétation est plus conforme à l'objet de l'article 68, lequel doit également être lu conjointement avec l'article 71 et le paragraphe 72(2) de la Loi.


[62]            À mon avis, le libellé général de la demande de remboursement N15, c'est-à-dire [traduction] « un trop-payé de TVF sur des ventes exonérées » ne satisfait pas aux exigences d'un remboursement de taxe sur les ventes de papier hygiénique fondé sur l'article 68. Il est évident que la demanderesse a précisé la portée de sa réclamation quand elle a fait savoir à la défenderesse qu'il s'agissait d'une mesure conservatoire de ses droits déposée et sur la base de l'arrêt CIP, précité, qui traitait uniquement des papiers-mouchoirs. Toute la documentation fournie par la demanderesse, jusqu'en novembre 1999, ne parlait que de papiers-mouchoirs.

[63]            Dans le témoignage qu'elle a donné devant le TCCE, Mme Anderson a déclaré que la demanderesse était au courant que sa concurrente, Kimberly-Clark, avait déposé une demande de remboursement se rapportant au papier hygiénique de même qu'aux papiers-mouchoirs. Toutefois, la demanderesse n'a pris aucune mesure pour préciser à la défenderesse que sa demande de remboursement était de nature conservatoire et qu'elle s'appuyait sur les mêmes motifs que ceux exposés dans la décision Kimberly-Clark, précitée. En effet, il ressort clairement du témoignage de Mme Anderson que la demanderesse a consciemment décidé d'omettre le papier hygiénique de sa réclamation et qu'elle n'a pas essayé d'inclure ce bien dans sa demande de remboursement N15 avant de se rendre compte qu'elle n'avait pas suffisamment de documents pour appuyer le plein montant de la réclamation qui s'élevait à 2,8 millions de dollars. En outre, jusqu'à cette date, la demanderesse croyait qu'elle ne pouvait réclamer une somme supérieure à 2,8 millions de dollars, et qu'elle atteindrait ce montant en ne mentionnant que les papiers-mouchoirs. Elle a appris par la suite qu'aucun plafond n'avait été fixé et qu'elle pouvait réclamer des sommes excédant le montant initialement demandé, et c'est à ce moment qu'elle a cherché à déposer des documents concernant le papier hygiénique.


[64]            La nouvelle preuve qui a été déposée, qui se compose d'une série de courriels échangés entre les fonctionnaires de l'ADRC, ne modifie pas la situation, à mon avis. Tout au plus, ces courriels indiquent qu'il y avait des divergences d'opinions quant à savoir si la N15 visait à un remboursement se rapportant au papier hygiénique. Il semble que Mme Watson ait été d'avis que la demande de remboursement était suffisamment large. D'autres, notamment M. Janmohamed, ne partageaient pas ce point de vue. Au bout du compte, la question de savoir si la demande de remboursement de taxes répond aux exigences de la Loi est une question d'interprétation de la Loi et les nouveaux éléments de preuve déposés ne nous aident pas à cet égard.

[65]            Vu mes conclusions au sujet de l'interprétation de l'article 68, les courriels ne changent rien. La demanderesse devait déterminer quels biens faisaient l'objet de la demande de remboursement et elle ne l'a pas fait.

[66]            Par conséquent, à mon avis, la défenderesse n'a pas commis d'erreur en limitant la portée de la demande de remboursement N15 aux papiers-mouchoirs vendus au cours de la période pertinente, à l'exclusion du papier hygiénique.


CONCLUSION

[67]            Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la demande de remboursement N15 déposée par la demanderesse en application de l'article 68 de la Loi le 15 mai 1992 ne lui donne pas le droit de réclamer un remboursement pour la TVF payée par erreur sur ses ventes de papier hygiénique au cours de la période pertinente.

                                        ORDONNANCE

L'appel est rejeté, et les dépens sont accordés à la défenderesse.

                                                                                   « E. Heneghan »                

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1270-02

INTITULÉDE LA CAUSE :            LES PAPIERS SCOTT LIMITÉE

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE JEUDI 31 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      MADAME LA JUGE HENEGHAN

DATE :                                                LE 3 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Thomas B. Akin                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Brian C. Pel

Anne Turley                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tetrault LLP                                               POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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