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     Date: 20000814

     Dossier: T-3141-91


     IN RE : Loi de l'impôt sur le revenu

Entre :

     DIANE DE CHANTAL, femme d'affaires,

     domiciliée et résidant au 16, chemin Senneville,

     Senneville (Québec) H9X 1B6

     Demanderesse

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE

     Défenderesse



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE PINARD :

[1]      Il s'agit d'un appel, par voie d'action, d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt, datée du 10 septembre 1991, ayant maintenu en partie les appels de l'appelante des cotisations d'impôt du ministre du Revenu national (le Ministre) pour ses années d'imposition 1984, 1985 et 1986.

[2]      La question en litige est celle de savoir si les profits tirés des ventes d'immeubles suivantes constituent un gain en capital ou un revenu d'entreprise :

-      vente, le 31 décembre 1984, d'un duplex commercial, à Ste-Anne de Bellevue, acquis en décembre 1979 par la demanderesse, une amie, Annette Lavigne, et le fils de cette dernière;
-      vente, le 18 juillet 1984, d'un immeuble à logements situé à Westmount, acquis le 6 septembre 1983 par la demanderesse et son amie Annette Lavigne;
-      vente échelonnée sur quelques mois, entre septembre 1984 et avril 1985, de seize immeubles situés à Verdun, comportant six logements chacun, acquis plus tôt par la demanderesse entre mars 1982 et août 1983;
-      vente, le 28 janvier 1986, d'un édifice de vingt-quatre logements neufs situé à la Place Datura, à l'Île Perrot, préalablement acquis par la demanderesse le 6 juin 1985; vers la mi-janvier 1986, le mari de la demanderesse avait acquis un intérêt indivis de cinquante pour cent dans cette propriété.

[3]      Si la Loi de l'impôt sur le revenu ne précise pas la distinction entre un gain en capital et un revenu d'entreprise, la jurisprudence, à cet égard, s'avère fort utile. Les lignes directrices établies par les tribunaux ont été bien résumées par mon collègue le juge Rouleau dans Happy Valley Farms Ltd. v. Her Majesty The Queen, [1986] 2 C.T.C. 259, à la page 263 :

             Several tests, many of them similar to those pronounced by the Court in the Taylor case [[1956] C.T.C. 189; 56 D.T.C. 1125 (Ex. Ct.)], have been used by the courts in determining whether a gain is of an income or capital nature. These include:
         1.      The nature of the property sold. Although virtually any form of property may be acquired to be dealt in, those forms of property, such as manufactured articles, which are generally the subject of trading only are rarely the subject of investment. Property which does not yield to its owner an income or personal enjoyment simply by virtue of its ownership is more likely to have been acquired for the purpose of sale than property that does.
         2.      The length of period of ownership. Generally, property meant to be dealt in is realized within a short time after acquisition. Nevertheless, there are many exceptions to this general rule.
         3.      The frequency or number of other similar transactions by the taxpayer. If the same sort of property has been sold in succession over a period of years or there are several sales at about the same date, a presumption arises that there has been dealing in respect of the property.
         4.      Work expended on or in connection with the property realized. If effort is put into bringing the property into a more marketable condition during the ownership of the taxpayer or if special efforts are made to find or attract purchasers (such as the opening of an office or advertising) there is some evidence of dealing in the property.
         5.      The circumstances that were responsible for the sale of the property. There may exist some explanation, such as a sudden emergency or an opportunity calling for ready money, that will preclude a finding that the plan of dealing in the property was what caused the original purchase.
         6.      Motive. The motive of the taxpayer is never irrelevant in any of these cases. The intention at the time of acquiring an asset as inferred from surrounding circumstances and direct evidence is one of the most important elements in determining whether a gain is of a capital or income nature.
             While all of the above factors have been considered by the courts, it is the last one, the question of motive or intention which has been most developed. That, in addition to consideration of the taxpayer's whole course of conduct while in possession of the asset, is what in the end generally influences the finding of the court.


[4]      Est également pertinente la doctrine de l'intention secondaire définie par la Cour de l'Échiquier du Canada dans Racine, Demers and Nolin v. Minister of National Revenue, 65 DTC 5098, aux pages 5111 et 5112 :

             Pour donner à une transaction qui comporte l'acquisition d'un capital le double caractère d'être aussi en même temps une initiative d'une nature commerciale, l'acquéreur doit avoir, au moment de l'acquisition, dans son esprit, la possibilité de revendre comme motif qui le pousse à faire cette acquisition; c'est-à-dire qu'il doit avoir dans son esprit l'idée que si certaines circonstances surviennent il a des espoirs de pouvoir la revendre à profit au lieu d'utiliser la chose acquise pour des fins de capital. D'une façon générale, une décision qu'une telle motivation existe devrait être basée sur des inférences découlant des circonstances qui entourent la transaction plutôt que d'une preuve directe de ce que l'acquéreur avait en tête.
             Lorsqu'un homme achète une grande surface de terrain dans le but avoué d'y construire, par exemple, un centre d'achats et d'y louer des magasins pour en obtenir un revenu de loyers, mais qu'au moment de l'acquisition il ne fait aucun arrangement pour obtenir le financement permanent d'un montant considérable d'argent qu'il devra y placer ou qui sera requis pour les fins de son projet, ou aucun arrangement pour obtenir des locataires et qu'il n'a obtenu aucune information relativement à la question de savoir si le site en question possède les caractéristiques nécessaires et adéquates pour un tel projet, ou lorsque ce terrain est situé dans un secteur qui est adjacent à un autre secteur qui pousse et qui est en pleine expansion sur la périphérie et où la valeur des terrains a déjà commencé à monter et où l'acquéreur possède une expérience dans le domaine immobilier qui lui permet d'anticiper les changements qui peuvent se produire dans la valeur immobilière, il s'en suit presqu'une inférence irrésistible que cet homme avait dans son esprit lorsqu'il a acquis le terrain l'idée que s'il ne réussissait pas à faire les arrangements nécessaires pour y établir un centre d'achats, il pourrait indubitablement revendre ce terrain à profit.


[5]      Considérant la preuve en l'espèce à la lumière de ces enseignements, seule la première vente, soit celle du duplex commercial situé à Ste-Anne de Bellevue, m'apparaît avoir permis la réalisation d'un gain en capital. En ce qui concerne toutes les autres ventes, je ne suis pas satisfait, sur la prépondérance des probabilités, que les profits en résultant le sont à titre du capital plutôt qu'à titre du revenu.

[6]      Au sujet de la vente du duplex commercial de Ste-Anne de Bellevue, celui-ci fut loué à une personne qui le transforma en restaurant français. À l'expiration du bail d'une durée de cinq ans, la demanderesse et ses co-propriétaires acceptèrent de vendre l'immeuble au restaurateur-locataire qui, autrement, menaçait de quitter les lieux. La vente, au montant de 95 000 $, généra un profit global de 70 222 $. Vu le délai de cinq ans entre l'acquisition et la vente, le bail de longue durée consenti et la menace de perdre un locataire sérieux de l'immeuble, je considère de la nature du capital la transaction en cause. D'ailleurs, suite à l'audition, l'avocate de la défenderesse a écrit à l'Administrateur de cette Cour pour confirmer que le Ministre reconnaissait maintenant que le profit réalisé suite à la vente de l'immeuble concerné devait être considéré comme étant un gain en capital.

[7]      Les autres transactions diffèrent en ce que leurs circonstances tendent plutôt à démontrer que la demanderesse désirait acquérir des immeubles à logements dans le but, si possible, de les revendre à profit à la première belle opportunité. En effet, la demanderesse est une femme d'affaires qui, de 1978 à 1982, a travaillé comme agent immobilier. Mariée au notaire Michel Bélanger le 24 décembre 1984, elle a travaillé au bureau de celui-ci, sur la rive-sud de Montréal, pour y exercer des fonctions administratives et para-légales importantes. À la fin de l'année 1986, la demanderesse a obtenu l'incorporation de sa propre compagnie, "Les investissements Diane de Chantal Inc.", oeuvrant dans le domaine de l'administration et la vente d'immeubles. À l'époque pertinente, la demanderesse n'avait pas d'expérience véritable dans la gestion d'immeubles locatifs.

[8]      Au sujet de l'immeuble situé à Westmount, la demanderesse explique qu'il a été acquis dans le but de permettre à son mari d'y installer un deuxième bureau de pratique notariale, vu ses nombreux clients à Outremont et à Montréal. Réalisant quelques mois plus tard qu'un règlement de zonage interdisait semblable pratique, la demanderesse affirme s'être vue contrainte de vendre l'immeuble. Cette explication m'apparaît peu vraisemblable. D'abord, je trouve exorbitante l'idée d'acheter un immeuble comportant de quatorze à seize logements pour simplement permettre l'utilisation de l'un d'entre-eux par son mari sans qu'il ait à payer de loyer. De plus, la demanderesse reconnaît qu'aucune vérification de zonage n'a été faite avant l'acquisition de l'immeuble et qu'en dehors du coût d'impression de nouvelle papeterie professionnelle, seuls des "aménagements minimes" ont dû être faits pour rendre le bureau opérationnel. Aucune étude sérieuse de rentabilité a été déposée en preuve. Après avoir conservé l'immeuble pendant quelque dix mois à peine, la demanderesse l'a vendu au prix de 331 000 $, réalisant un profit de 34 440 $.

[9]      En ce qui concerne les seize immeubles de six logements chacun situés à Verdun, la demanderesse soutient les avoir acquis dans le but de vivre éventuellement du revenu de leurs loyers, ce qu'elle aurait d'ailleurs indiqué avant de les acheter à son comptable agréé, J.-M. Bourassa. Disant avoir mal évalué une clientèle qui, vivant en majeure partie de l'assistance sociale, payait en retard ou ne payait tout simplement pas le loyer, l'intervention constamment défavorable de la Régie du logement l'a amené à se départir rapidement de ces immeubles. Encore là, l'excuse est peu convaincante. Je conçois mal qu'une femme d'affaires avertie comme la demanderesse ait pu dépenser près d'un million de dollars pour acquérir ces immeubles à logements sans préalablement en étudier sérieusement la valeur des baux. Aucune preuve précise du manque à recevoir des baux n'a été faite. Les immeubles ont été acquis sur une période de huit mois, entre le 23 décembre 1982 et le 22 août 1983, pour être tous vendus au plus tard le 12 avril 1985. Malgré les difficultés alléguées par la demanderesse, elle a réalisé un profit total de 269 350 $, et ce, sans même apporter les améliorations suggérées par son agent d'immeuble Mario Besner à certains des logements en cause.

[10]      Finalement, concernant l'édifice de vingt-quatre logements neufs (Place Datura) et du terrain adjacent, à l'Île Perrot, la demanderesse dit également les avoir acquis dans la perspective de vivre éventuellement du revenu des loyers. Elle explique simplement la vente rapide de ces immeubles par une offre d'achat non sollicité trop alléchante pour être refusée. Encore là, les circonstances ne me permettent pas de juger que la demanderesse entendait d'abord profiter de revenus de location stables et progressifs. L'édifice et le terrain adjacent, acquis en juin 1985 au prix de 575 000 $ et grevés d'une première hypothèque de 430 000 $, ont été revendu moins de sept mois plus tard, en janvier 1986, permettant la réalisation d'un profit global de 129 775 $. Ce profit fut partagé également entre la demanderesse et son mari, ce dernier ayant acquis un intérêt indivis de cinquante pour cent dans la propriété quelque deux semaines avant sa vente. Encore là, aucune étude sérieuse de la rentabilité, eu égard au revenu des loyers et aux coûts d'administration, n'a été déposée en preuve.

[11]      Je trouve également révélateurs de l'intention de la demanderesse, au temps de l'acquisition de chacun des immeubles à logements en cause, les faits suivants :

-      le fait que la demanderesse travaillait à temps plein à l'étude légale de son mari, y exerçant des fonctions administratives et para-légales;
-      le fait que la demanderesse n'avait pas d'expérience dans la gestion d'immeubles locatifs, et
-      le fait que toutes ces acquisitions importantes aient été faites dans une période de temps relativement courte, soit entre mars 1982 et janvier 1986.

[12]      Bref, compte tenu de toutes ces circonstances, la demanderesse n'a pas réussi à prouver son intention de faire un investissement de la nature d'un gain en capital. Les faits mis en preuve me permettent plutôt de conclure que les profits qu'elle a réalisés sont véritablement des revenus d'entreprise.

[13]      L'action de la demanderesse est donc maintenue en partie et le tout déféré au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations comme suit :

-      le gain tiré de la vente de l'immeuble commercial sur la rue Ste-Anne, à Ste-Anne de Bellevue constitue un gain de capital, et
-      les gains tirés des autres ventes, celles concernant les immeubles à logements situés à Verdun, Westmount et l'Île Perrot, constituent des revenus d'entreprise d'achat et de revente d'immeubles.

[14]      Le Ministre devra en outre tenir compte des admissions faites en son nom aux paragraphes 33 et 34 de la Défense en l'instance. Vu le succès mitigé de la demanderesse, il n'y a pas d'adjudication de dépens.








                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 14 août 2000



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