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Date : 20040422

Dossier : T-1752-02

Référence : 2004 CF 589

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                                  ELLEN FLINN

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                            L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                        défenderesse

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Mme Ellen Flinn est une employée de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), qui faisait antérieurement partie de Revenu Canada. Au cours des années 90, en raison de changements organisationnels, l'ADRC a affecté beaucoup d'employés à ce qu'on a appelé des _ postes intérimaires _, c'est-à-dire à des postes d'une durée ne dépassant pas douze mois. Toutefois, en raison de circonstances particulières, bon nombre d'employés de l'ADRC ont occupé les postes intérimaires pendant une période allant jusqu'à dix ans. L'ADRC a examiné la situation en 1999 et en 2000. Elle a promu certaines des personnes qui occupaient des postes intérimaires à des postes d'une période indéterminée au moyen d'un processus de dotation accéléré.


[2]                Mme Flinn a occupé un poste intérimaire de niveau PM-5 pendant environ cinq ans, de 1997 à 2002. L'ADRC a promu deux autres employés de la direction générale dans laquelle Mme Flinn travaillait à des postes permanents, mais pas Mme Flinn. Mme Flinn a demandé que son cas soit examiné par un tiers indépendant (TI). Plus précisément, elle a demandé au TI de recommander la révocation des nominations des deux autres personnes et sa nomination à l'un des postes en question. Le TI n'a pas accepté de le faire, mais il a recommandé aux supérieurs de Mme Flinn de réexaminer sa situation dans le but de la nommer à un poste de PM-5 permanent. Trois directeurs généraux ont étudié le cas de Mme Flinn et ont décidé de ne pas la nommer à un poste permanent. Elle a été informée de cette décision et des motifs à l'appui au moyen d'une lettre émanant d'un directeur du personnel. Mme Flinn fait valoir que ses gestionnaires étaient liés par la recommandation du TI, et elle me demande de leur ordonner de mettre en application cette recommandation en la nommant à un poste de PM-5 permanent.

[3]                À la suite d'un processus de dotation distinct, Mme Flinn a été nommée à un poste permanent de niveau PM-5. Les parties conviennent que la présente affaire est désormais théorique parce que Mme Flinn a obtenu la réparation qu'elle recherchait lorsqu'elle a institué la présente instance. Malgré ceci, Mme Flinn prétend que les questions que soulève sa demande sont importantes et devraient être tranchées même si elles ne la touchent plus personnellement. La défenderesse soutient qu'il n'y a plus aucune raison de statuer sur le bien-fondé de la présente affaire. Je partage l'opinion de la défenderesse. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


I. Question en litige

[4]                Mme Flinn a soulevé quatre questions :

1. La présente affaire est-elle hypothétique et, dans l'affirmative, la Cour doit-elle quand même se prononcer sur son bien-fondé?

2. Les gestionnaires sont-ils liés par la recommandation du TI?

3. Quelle est la norme de contrôle applicable?

4. La décision des gestionnaires de ne pas mettre en application la recommandation du TI était-elle raisonnable?

[5]                Compte tenu de ma décision concernant la première question, je ne me prononcerai pas sur les autres questions.


II. Analyse

A. La présente affaire est-elle hypothétique et, dans l'affirmative, la Cour doit-elle quand même se prononcer sur son bien-fondé?

[6]                Pour trancher la question du caractère théorique de l'affaire, il est important de comprendre la nature de l'instance et les questions de droit qu'elle pourrait soulever.

[7]                En l'espèce, le TI a recommandé aux gestionnaires de Mme Flinn de réexaminer ses qualifications et sa situation _ dans le but de [la] placer sans processus de sélection au poste de niveau PM-5 qu'[elle] occupe présentement à titre intérimaire ou à un autre poste de niveau PM-5 qui convient _. Les gestionnaires ont effectivement examiné la situation de Mme Flinn, mais ils ont décidé de ne pas la nommer à un poste permanent. Mme Flinn affirme que selon la recommandation du TI elle devait être nommée au poste de PM-5. Elle estime que ses gestionnaires n'ont pas suivi cette recommandation, ce que, selon elle, ils étaient tenus de faire.


[8]                La défenderesse souligne que le TI a en fait rejeté la demande de Mme Flinn d'être nommée à un des postes intérimaires qui avaient été convertis en postes permanents. Par conséquent, la _ recommandation _ du TI n'était rien de plus qu'une simple recommandation. Elle était étrangère à la principale question dont était saisi le TI, et elle ne liait pas les gestionnaires de Mme Flinn. La demanderesse fait également valoir que les gestionnaires ont de toute façon suivi la recommandation du TI en réexaminant la situation de Mme Flinn et en étudiant l'opportunité de la nommer au poste. Le fait qu'ils ont décidé de ne pas le faire n'implique pas qu'ils n'ont pas suivi la recommandation du TI.

[9]                Comme je l'ai mentionné, les deux parties conviennent que Mme Flinn a, par d'autres moyens, été nommée au poste auquel elle aurait pu être nommée à l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire, ce qui rend théorique la présente instance. La question est de savoir s'il existe une bonne raison de trancher les questions de droit malgré cela.

[10]            Les cours sont naturellement peu disposées à trancher les questions de droit dans l'abstrait, à moins que des motifs impérieux de le faire n'existent. Le critère applicable a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. Une cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher une affaire théorique après avoir pris en considération trois facteurs :

·            est-on en présence d'un contexte réellement contradictoire, dans le sens où _ les deux parties ont un intérêt dans l'issue du litige _?

·            le fait de trancher les questions aura-t-il un effet concret qui justifie que des ressources judiciaires y soient consacrées?


·            le fait de trancher les questions amènerait-il la cour à s'éloigner de sa fonction habituelle consistant à trancher des litiges véritables, ou la cour serait-elle appelée à exercer une fonction à caractère plus législatif?

[11]            En l'espèce, je ne vois pas en quoi Mme Flinn pourrait avoir _ un intérêt dans l'issue du litige _, étant donné qu'elle a maintenant obtenu le poste qu'elle désirait obtenir initialement. Je constate toutefois qu'un litige véritable subsiste entre les parties concernant la nature de la _ recommandation _ du TI et la suite que les gestionnaires de Mme Flinn ont donnée à celle-ci. Cependant, compte tenu des circonstances de la présente affaire, je ne crois pas que ces questions aient des conséquences concrètes suffisamment importantes pour justifier que je les tranche de façon définitive.


[12]            Mme Flinn fait valoir que sa demande soulève une nouvelle question concernant le caractère contraignant des recommandations d'un TI et que cette question pourrait avoir une incidence sur des milliers de ses collègues. Toutefois, selon moi, la question qu'elle soulève ne revêt en réalité qu'une importance minime. Le TI a conclu que la plainte principale de Mme Flinn n'était pas justifiée, et il a ensuite formulé une recommandation qui était pour le moins accessoire par rapport à la question principale, et qui ne relevait peut-être même pas de sa compétence. Malgré ceci, la défenderesse s'est considérée liée par cette recommandation dans la mesure où elle a examiné les qualifications et la situation de Mme Flinn et a étudié l'opportunité de la nommer à un poste permanent. En bout de ligne, les gestionnaires ont décidé de ne pas nommer Mme Flinn au poste en cause, et ils ont énoncé les motifs de leur décision.

[13]            Il me semble donc que les faits de la présente affaire sont une série de circonstances inhabituelles et donnent lieu à une question étroite qui n'aura probablement pas d'incidence sur beaucoup d'employés. Si la présente affaire avait soulevé la question des recommandations formulées par un TI en général, il en serait allé tout autrement. Mais la défenderesse admet qu'en règle générale, les employeurs sont liés par les décisions des TI, et donc cette question ne se pose tout simplement pas en l'espèce.

[14]            Par conséquent, je conclus que la présente affaire est théorique, et je refuse de me prononcer sur les questions qui ont été soulevées par Mme Flinn. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.          La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _              

Juge                          

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1752-02

INTITULÉ :                                       ELLEN FLINN

c.

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 7 JANVIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                     LE 22 AVRIL 2004

COMPARUTIONS:

Jacquie de Aguayo                               POUR LA DEMANDERESSE

J. Sanderson Graham                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Alliance de la Fonction publique           POUR LA DEMANDERESSE

du Canada

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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