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Date : 20040820

Dossier : IMM-7113-03

Référence : 2004 CF 1161

Ottawa (Ontario), le 20 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                 MARCOS DAVID BONIOWSKI et

SALOME CECILIA ABALLAY

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'une agente d'exécution (l'agente) datée du 12 septembre 2003. Dans cette décision, l'agente a rejeté la demande des demandeurs visant à faire surseoir à leur renvoi jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur la demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires qu'ils ont faite à partir du Canada (la demande CH). Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant cette décision ainsi qu'une ordonnance de mandamus enjoignant le défendeur de surseoir à leur renvoi jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur leur demande CH.


CONTEXTE

[2]                Les demandeurs, mari et femme, sont des citoyens de l'Argentine dans la mi-trentaine. Ils ont une fille née au Canada âgée de six ans, Natalia. Les demandeurs ont reçu une formation d'enseignants en Argentine. Ils sont arrivés au Canada en 1997. Ils ont revendiqué le statut de réfugiés sept mois après leur arrivée, alléguant être persécutés par le gouvernement argentin parce qu'ils participaient aux activités du syndicat des enseignants et qu'ils étaient des défenseurs des droits de la personne. Leur revendication a été rejetée en avril 2002.

[3]                Les parents et deux des frères et soeurs du demandeur sont citoyens canadiens et résident au Canada. Les demandeurs travaillent depuis leur arrivée au Canada et sont très actifs au sein de leur communauté. Leur fille a commencé l'école primaire au Canada et est près de ses grands-parents et de ses cousins. Le demandeur a déclaré que sa famille envisage qu'il reprenne l'entreprise de soudage mécanisé de son père lorsque celui-ci prendra sa retraite.

[4]                Les demandeurs ont pour la première fois présenté leur demande CH en octobre 2002. Celle-ci leur a été retournée à deux reprises parce qu'elle était incomplète. Ils ont resoumis cette demande pour la dernière fois en mars 2003 et, à ce jour, aucune décision n'a encore été rendue sur cette demande. Le 15 mai 2003, une décision défavorable a été rendue relativement à l'examen des risques avant renvoi des demandeurs (l'ERAR).

[5]                Le 30 juin 2003, les demandeurs ont rencontré l'agente dans le cadre d'une entrevue préalable à leur renvoi. C'est à ce moment qu'ils ont reçu la décision défavorable rendue relativement à l'ERAR. Les demandeurs ont rencontré l'agente de nouveau le 22 juillet 2003 pour prendre les dispositions nécessaires en vue de quitter le pays et veiller à ce que leur fille obtienne un passeport. À cette entrevue, l'agente a accordé aux demandeurs plus de temps pour que leur conseil s'informe de l'état de leur demande CH, à condition que les demandeurs se procurent des billets d'avion et quittent le pays au plus tard le 15 septembre 2003.

[6]                Les demandeurs ont rencontré l'agente le 26 août 2003. L'agente a décidé d'accorder un sursis provisoire jusqu'au 30 septembre 2003. Le 29 août, le conseil des demandeurs a demandé un autre sursis à leur renvoi, jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur leur demande CH. Le conseil a refait la même demande le 9 septembre.

La décision de l'agente


[7]                L'agente a faxé aux demandeurs sa décision définitive, laquelle est contenue dans une lettre datée du 12 septembre 2003. Dans cette décision, l'agente affirme qu'elle a lu tous les documents soumis par les demandeurs, y compris leurs allégations datées du 29 août dans lesquelles ils reprennent l'ensemble de leur demande CH, mais qu'elle ne surseoira pas de nouveau à leur renvoi prévu pour le 30 septembre 2003. Les [traduction] « notes au dossier » de l'agente datées du 12 septembre 2003, qui sont jointes à un affidavit déposé par le défendeur dans la présente instance, exposent les motifs de décision de l'agente. Ces notes comportent les remarques suivantes quant à l'intérêt de la fille des demandeurs :

[traduction] Je suis convaincue que le client et sa famille ont rencontré la psychologue Nitza Perlman. J'ai examiné cette lettre ainsi que le CV du Dre Perlman, et il est clair que le Dre Perlman est en faveur de l'octroi d'un sursis à cette famille. Le Dre Perlman affirme également qu'il est dans l'intérêt supérieur de la fille du client, Natalia, de rester au Canada sous la surveillance de ses parents.

Je suis convaincue qu'Amnesty International a publié un article sur les droits des enfants en Argentine le 1er décembre 2002. Je suis convaincue que les clients pouvaient se procurer cet article avant de soumettre leurs conclusions finales relativement à leur examen des risques avant renvoi, et je suis convaincue qu'ils n'ont pas soumis cet article pour examen.

[...]

[8]                Le 25 septembre 2003, le juge O'Reilly de la Cour a accordé aux demandeurs un sursis à l'exécution de leur mesure de renvoi, jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur la présente demande de contrôle judiciaire : Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1101.

QUESTIONS EN LITIGE

[9]                1. L'agente a-t-elle manqué à l'obligation d'équité en fournissant aux demandeurs des motifs inadéquats à l'appui de sa décision?

2. L'agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant canadien des demandeurs?


ANALYSE

[10]            Les demandeurs soutiennent que les motifs de décision de l'agente sont inadéquats et qu'il s'agit là d'un manquement à l'obligation d'équité. Ils se fondent à cet égard sur l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.


[11]            À mon avis, vu l'objet du paragraphe 48(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), dans le cadre du régime établi par la loi, soit d'accorder un pouvoir discrétionnaire limité quant au moment où il y a lieu d'appliquer la mesure de renvoi, l'agente s'est acquittée de toute obligation de motiver qu'elle pouvait avoir dans sa lettre de décision du 12 septembre 2003, où elle dit avoir reçu et examiné les arguments des demandeurs et avoir décidé de ne pas surseoir au renvoi. Dans ce type de décision, l'agent jouit d'un pouvoir discrétionnaire très limité, et ni la loi ni le règlement n'exigent qu'il rende une décision concrète ou formelle pour surseoir au renvoi. La jurisprudence exige plutôt que l'agent reconnaisse qu'il jouit d'un certain pouvoir discrétionnaire de surseoir au renvoi, si les circonstances ne permettent pas d'appliquer la mesure de renvoi à un moment en particulier. À titre d'exemple, l'existence d'une demande CH pendante qui a été déposée en temps utile, des facteurs médicaux et la préparation des documents de voyage sont certains des facteurs qui peuvent être pris en considération par l'agent à cette étape. Les circonstances ne permettraient pas de renvoyer quelqu'un qui n'a pas de titres de voyage ou qui est gravement malade. Cependant, je ne suis pas convaincu de l'existence d'une obligation plus contraignante de fournir des motifs formels ou écrits à l'appui de ce type de décision administrative.

[12]            Les notes de l'agente datées du 12 septembre 2003 ont été déposées dans le cadre de la présente procédure de contrôle judiciaire et n'ont pas généralement à être communiquées aux demandeurs, compte tenu de la nature de cette décision. Toutefois, comme on l'a dit dans l'arrêt Baker, précité, la prise de notes faisant état des motifs, dans le cas de décisions administratives, favorise une meilleure prise de décision et fournit un fondement justificatif si la décision est contestée par voie de contrôle judiciaire. En conséquence, bien qu'elle ne soit pas obligatoire conformément au régime législatif, la pratique qui consiste à prendre des notes devrait être encouragée et devenir une pratique courante dans le ministère du défendeur.

[13]            Deuxièmement, les demandeurs prétendent que l'agente n'a pas mentionné dans ses motifs de décision si elle s'était penchée sur l'intérêt de leur enfant, ni comment elle avait soupesé ou pris en considération cet intérêt pour parvenir à sa décision définitive de ne pas surseoir au renvoi.


[14]            Les demandeurs renvoient au paragraphe 25(1) de la LIPR qui prévoit que l'agent chargé d'examiner la demande CH doit tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché par sa décision. Les demandeurs renvoient également aux objectifs de la LIPR, soit aux alinéas 3d) (la réunification des familles) et 3i) (la justice à l'échelle internationale). Les demandeurs disent que si les agents d'exécution appelés à trancher la question de savoir s'il y a lieu de surseoir à un renvoi ne sont pas tenus de prendre en considération l'intérêt de l'enfant, ces autres dispositions de la LIPR seront alors sans effet.

[15]            Les demandeurs soutiennent que la Cour a déclaré à plusieurs reprises que l'agent chargé du renvoi, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire limité de surseoir au renvoi, doit accorder suffisamment d'importance à l'intérêt supérieur de l'enfant. Les demandeurs invoquent à cet égard plusieurs décisions, et notamment les décisions suivantes : Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. 1785 (1re inst.) (QL), Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (1re inst.) (QL), Paterson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 139 (1re inst.) (QL), et John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 466 (1re inst.) (QL).

[16]            Le défendeur prétend que les notes de décision de l'agente indiquent qu'elle a tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant des demandeurs lorsqu'elle a décidé de ne pas surseoir au renvoi. Elle n'était pas tenue de procéder à un examen approfondi des facteurs à prendre en considération pour trancher la demande CH, parce que ce n'était pas son rôle de le faire : Thirunavukkarasu et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1350 (C.F.) (QL), et Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL).


[17]            Il est facile de comprendre dans quelle situation se trouvent les demandeurs. Les arguments qu'ils ont soumis relativement à leur demande CH montrent que depuis leur arrivée au Canada, ils sont activement engagés au sein de leur communauté en tant que bénévoles. Ils ont accru leurs compétences, ils ont des liens familiaux solides au Canada et ils se sont fait beaucoup d'amis et d'alliés dans leur communauté. Ils ont toujours occupé un emploi au Canada et sont fiers de ne pas avoir eu recours à l'aide sociale. Malgré tous ces facteurs positifs, le processus d'immigration des demandeurs a suivi son cours, et je ne vois aucune erreur dans la décision de l'agente chargée du renvoi. Comme le juge Nadon l'a affirmé dans la décision Simoes, précitée, aux paragraphes 11 et 12 :

[...] À mon avis, l'arrêt Baker n'oblige pas l'agent chargé du renvoi à effectuer un examen approfondi de l'intérêt des enfants, et notamment du fait que les enfants sont Canadiens. Cela relève clairement du mandat d'un agent qui examine les raisons d'ordre humanitaire. « Inclure » pareil mandat au stade du renvoi donnerait en fait lieu à la présentation d'une demande préalable à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, ce qui n'est pas, à mon avis, ce que la loi exige. L'article 48 de la Loi sur l'immigration prévoit ce qui suit : « Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent » [...]

À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l'agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d'exécuter une mesure de renvoi, l'agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d'autres raisons à l'encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face [Voir Paterson c. MCI, [2000] A.C.F. no 139 (1re inst.); Jmakina c. MCI, [1999] A.C.F. no 1680; Poyanipur c. MCI, 116 F.T.R. 4]. Ainsi, en l'espèce, le renvoi de la demanderesse, qui devait avoir lieu le 10 mai 2000, a pour des raisons de santé été reporté au 31 mai 2000. En outre, à mon avis, l'agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi tant que l'enfant de la demanderesse, qui était âgée de huit ans, n'avait pas terminé son année scolaire [...]

[18]            Je note que la disposition contenue dans l'ancienne loi, dont on a traité dans la décision Simoes, précitée, utilisait des termes similaires à ceux utilisés dans la disposition actuelle et prévoyait que la mesure de renvoi devait être exécutée « dès que les circonstances le permett[aient] » . De plus, la Cour dans Simoes a examiné cette disposition à la lumière de la Convention relative aux droits de l'enfant, et a conclu que l'intérêt supérieur de l'enfant devait demeurer une considération importante, qui ne pouvait toutefois pas empêcher l'application de la loi relativement aux parents de l'enfant, c'est-à-dire dans l'exécution d'une mesure de renvoi obligeant ceux-ci à quitter le Canada.

[19]            De plus, rien n'indique que l'agente a limité à tort l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas surseoir au renvoi, comme ce fut le cas dans l'affaire Poyanipur, précitée. La situation dans l'affaire John, précitée, invoquée les demandeurs, ressemble à celle dans laquelle ils se trouvent. En effet, dans cette affaire, la Cour a accordé un sursis au motif que la question de savoir si l'agente ayant refusé de surseoir au renvoi avait tenu compte de l'état de santé de l'enfant de la demanderesse constituait une question sérieuse. Toutefois, se fondant sur la décision Simoes, précitée, la juge Snider a rejeté la demande principale de contrôle judiciaire dans cette affaire, [2003] A.C.F. no 583 (C.F.) (QL), au motif que l'agent chargé du renvoi n'est pas tenu d'effectuer un examen approfondi de l'intérêt supérieur des enfants du demandeur, et qu'il ne doit tenir compte de cet intérêt que dans la mesure minimale requise pour l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider du moment où il y a lieu d'appliquer la mesure de renvoi conformément à l'article 48.


[20]            À mon avis, l'agent d'exécution conserve un pouvoir discrétionnaire souple et peut tenir compte de divers facteurs relativement au choix du moment où il convient d'appliquer la mesure de renvoi, y compris tout problème lié au renvoi de l'enfant avec ses parents ou la question de savoir si certaines dispositions ont été prises pour que l'enfant soit laissé sous la garde d'autres personnes au Canada lorsque ses parents doivent être renvoyés. Toutefois, l'objet de la loi n'est pas d'obliger l'agent chargé du renvoi à effectuer un examen approfondi des circonstances d'ordre humanitaire qu'il faut prendre en considération dans le cadre de l'examen de la demande CH du demandeur. Je ne vois donc aucune raison d'intervenir relativement à l'exercice qu'a fait l'agente de son pouvoir discrétionnaire en l'espèce, et la demande sera rejetée.

[21]            Les parties ont demandé à la Cour de leur donner le temps de réfléchir à la question de savoir s'il y avait lieu de soumettre une question grave de portée générale à certifier. En conséquence, les parties auront une semaine à compter de la date de la présente décision pour soumettre une question à certifier et auront par la suite quatre jours pour soumettre toute autre observation, après quoi l'ordonnance formelle sera prononcée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                                                  COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-7113-03

INTITULÉ :                                                    MARCOS DAVID BONIOWSKI ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 17 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Roger Rowe                                                      POUR LES DEMANDEURS

Stephen Jarvis                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roger Rowe                                                      POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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