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Date : 20011026

Dossier : T-815-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1163

ENTRE :

                                                                    LIFEGEAR, INC.

                                                   et PRIDE INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                                                URUS INDUSTRIAL CORPORATION

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

LA REQUÊTE


[1]                 La défenderesse, Urus Industrial Corporation (Urus), société par actions ontarienne exerçant son activité sous le nom de Koolatron (Koolatron), cherche à faire radier Pride International Inc. (Pride) comme demanderesse dans une action en contrefaçon de marque de commerce et en commercialisation trompeuse dans laquelle l'autre demanderesse est LifeGear, Inc. (LifeGear), société par actions des États-Unis qui produit des appareils d'exercice et est le propriétaire inscrit des marques de commerce canadiennes LIFEGEAR et SATURNE en liaison avec des appareils et des accessoires d'exercice.

[2]                 Dans leur action, les demanderesses cherchent à obtenir les réparations habituelles, à savoir :

1)         une déclaration de contrefaçon à l'égard des droits exclusifs de LifeGear au titre des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi);

2)         une déclaration de diminution de la valeur de l'achalandage attaché à chacune des marques de commerce déposées, en contravention avec l'article 22 de la Loi;

3)         une déclaration de manquement aux alinéas 7b) et 7c) de la Loi (commercialisation trompeuse);

4)         des injonctions permanente et interlocutoire;

5)         la destruction ou la remise des marchandises;

6)         des dommages-intérêts généraux et punitifs ainsi que la restitution des profits.

[3]                 La présente requête en radiation d'Urus se fonde sur l'article 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) et, en particulier, sur les alinéas 221(1)a), l'absence de cause d'action valable, 221(1)c), le caractère scandaleux, frivole ou vexatoire de la demande, ou 221(1)f), l'abus de procédure que constitue autrement la demande.

[4]                 Le critère de l'absence de cause d'action valable, dans l'hypothèse où les faits avancés dans la déclaration sont établis, est le suivant : est-il clair et manifeste que Pride, dans la déclaration des demanderesses, ne révèle aucune cause d'action valable contre la défenderesse (voir la décision Hunt c. Carey Canada Inc., [1992] R.C.S. 959 à la page 980)? Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une telle requête (voir le paragraphe 221(2) des Règles).

[5]                 Le critère applicable à l'alinéa 221(1)c) des Règles est également bien connu. Pour répondre à cette condition, l'auteur de la requête doit établir que l'acte de procédure est tellement futile qu'il n'a aucune chance de succès (voir l'arrêtCreaghan Estate c. Canada, [1972] C.F. 732 (C.A.F.)). Une preuve est admissible dans le cas des alinéas 221(1)c) et d). En l'espèce, la demanderesse Pride et la défenderesse Urus ont toutes les deux déposé une preuve par affidavit et l'auteur de l'affidavit de Pride a été contre-interrogé.

[6]                 Dans la déclaration, Pride est décrite de diverses manières, notamment comme :

1)         la distributrice des produits LifeGear au Canada, ayant la responsabilité générale des services après-vente et de soutien des produits fabriqués par LifeGear qui sont vendus au Canada (paragraphe 3 de la déclaration);

2)         la distributrice exclusive au Canada des appareils et des accessoires d'exercice LifeGear, fournissant son concours à LifeGear pour la prospection d'acheteurs et de clients au détail au Canada (paragraphe 14 de la déclaration);


3)         la titulaire de licence de LifeGear autorisée à utiliser les marques de commerce LIFEGEAR et SATURNE en liaison avec la distribution et la prestation de services reliées aux produits LifeGear au Canada (paragraphe 15 de la déclaration);

4)         une facilitatrice et, de ce fait, une partenaire des recettes, Pride ayant en février 1998 fait connaître Urus à LifeGear à titre de nouvelle distributrice potentielle au Canada des exerciseurs à mouvement elliptique Saturne de LifeGear et Urus ayant accepté de distribuer les exerciseurs à mouvement elliptique Saturne originaux de LifeGear au Canada, Pride et LifeGear partageant les recettes de ces ventes (paragraphe 16 de la déclaration).

[7]                 L'origine de la présente poursuite est un désaccord entre LifeGear and Urus (Koolatron) survenu après la dissolution d'un accord de distribution conclu vers mai ou juin 1998 par LifeGear et Koolatron. Selon l'accord de distribution, Koolatron devenait la distributrice canadienne exclusive des exerciseurs à mouvement elliptique Saturne de LifeGear et Koolatron parrainés par des vedettes du sport. LifeGear a mis fin à l'accord de distribution de cinq ans en alléguant que Koolatron n'avait pas importé le minimum de produits de fabrication LifeGear prévu dans l'accord.


[8]                 La déclaration allègue qu'en janvier 2001 ou vers cette période, Pride a découvert que Koolatron vendait au Canada des exerciseurs à mouvement elliptique Saturne de contrefaçon, non fabriqués par LifeGear, tout en continuant d'employer les marques de commerce SATURNE et LIFEGEAR en liaison avec ces produits de contrefaçon.

[9]                 Urus fait valoir que la déclaration ne révèle aucune cause d'action ou est vexatoire ou frivole en raison des faits suivants :

1)         LifeGear est la propriétaire inscrite des marques de commerce au Canada;

2)         il n'y a pas de lien contractuel entre Pride et Koolatron;

3)         Pride est une simple représentante commerciale et distributrice;

4)         le fond de la poursuite porte sur le produit SATURNE, qui ne concerne pas Pride;

5)         le seul produit fabriqué par LifeGear que Koolatron a vendu au Canada est le produit SATURNE.

[10]            En substance, Urus déclare que Pride n'a pas de droits de marque de commerce sur lesquels elle pourrait fonder une cause d'action contre Urus. Urus affirme que Stephen Milo, auteur de l'affidavit de Pride, l'a reconnu dans son contre-interrogatoire.

ANALYSE

1)         L'alinéa 221(1)a) - l'absence de cause d'action valable


[11]            Urus a le fardeau d'établir que Pride n'a pas de cause d'action valable contre elle. Pride prétend avoir des droits de marque de commerce à titre de licenciée de LifeGear au Canada à l'égard des deux marques de commerce SATURNE et LIFEGEAR (fait qui doit être tenu pour vrai).

[12]            Pride fait ressortir les dispositions relatives aux licences de l'article 50 de la Loi et s'appuie sur une certaine jurisprudence établissant que le licencié a une cause d'action en vertu de la Loi. Certaines décisions, comme Tonka Corp. et al. c. Toronto Sun Publishing Corp. et al. (1990), 41 F.T.R. 56, concernent l'article 50 de la Loi sous l'ancien régime de l'usager inscrit, maintenant aboli. Pride mentionne également la décision Miraj S.A. et al. c. Gerovital, Inc. et al. (1998), 81 C.P.R. (3d) 179, rendue par le protonotaire Giles et la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. et al. (2000), 10 C.P.R. (4th) 65, affaire en matière de brevet dans laquelle la qualité pour agir de la licenciée était contestée. Selon Pride, cette décision établit qu'une licence peut être implicite et reconnaît à la licenciée la qualité pour exercer une action sur le fondement de l'identité de l'intérêt relativement au litige (LifeGear et Pride dans la présente affaire).

[13]            L'avocat d'Urus s'est appuyé sur la décision Natural Waters of Viti, Ltd. c. C.E.O. International Holdings Inc., [2000] A.C.J. n º 452, où le protonotaire Lafrenière a radié une partie comme codemanderesse, du fait qu'elle était la distributrice exclusive. Cette affaire diffère de la présente espèce où la déclaration allègue spécifiquement que Pride est titulaire d'une licence.

[14]            Urus ne m'a pas persuadé, compte tenu du fait que les allégations de la déclaration sont tenues pour vraies, que Pride ne jouit pas, en vertu de la Loi, de droits de marque de commerce sur lesquels elle pourrait fonder une cause d'action. L'avocat d'Urus n'a présenté à la Cour aucune jurisprudence interprétant l'article 50 de la Loi de manière à refuser au licencié le droit de fonder une cause d'action sur cet article, contrairement à ce que m'a invité à faire l'avocat des demanderesses par la jurisprudence qu'il a citée.

2)         L'alinéa 221(1)c) - le caractère frivole et vexatoire

[15]            L'alinéa 221(1)c) diffère de l'alinéa 221(1)a) - l'absence de cause d'action valable - en ce qu'une preuve est admissible pour établir que la déclaration est vexatoire ou frivole. À cet égard, l'avocat d'Urus renvoie au contre-interrogatoire de Stephen Milo qui, d'une certaine façon, infirme le fait que Pride est la licenciée de la marque de commerce SATURNE, (fait qui, comme on l'a noté, devait être tenu pour vrai en vertu de l'alinéa 221(1)a)) ou qu'il puisse fonder une action en commercialisation trompeuse de Pride.

[16]            Pour démontrer que la déclaration de Pride est si manifestement futile qu'elle n'a aucune chance de succès, l'avocat d'Urus a l'obligation d'établir devant la Cour que les réponses du contre-interrogatoire de M. Milo constituent des affirmations claires et sans équivoque, puisqu'il n'entre pas dans le mandat de la Cour, lorsqu'elle est saisie d'une telle requête, d'être juge des faits.


[17]            Après avoir examiné les réponses de M. Milo au cours de son contre-interrogatoire, dans le contexte de la déclaration et de l'ensemble de l'interrogatoire, je ne suis pas persuadé que Pride doit être empêchée de se constituer partie demanderesse dans l'instance.

[18]            Premièrement, l'affirmation de M. Milo que Pride ne s'appuie pas sur des droits de marque de commerce doit être replacée dans le contexte d'une déclaration qui allègue que Pride est titulaire d'une licence pour les marques de commerce LIFEGEAR et SATURNE, d'une question qui est à la fois factuelle et juridique et d'une réponse qui n'est pas univoque quand on considère aussi les autres réponses. M. Milo a en effet parlé d'un préjudice aux marques de commerce et des ventes de Koolatron sous les marques de commerce [TRADUCTION] « que nous représentons » , ce qui donne peut-être, sans que ce soit clair, un certain fondement au fait que Pride soit licenciée par déduction à l'égard de la marque de commerce SATURNE (transcription, page 11).

[19]            Deuxièmement, il y a un litige factuel sur le fait de savoir si les produits vendus par Koolatron après la fin de l'accord de distribution portaient atteinte à la marque de commerce LIFEGEAR en faisant mention de cette marque dans le vidéo d'accompagnement du produit. L'avocat d'Urus n'a pas contesté l'intérêt de Pride dans la marque de commerce LIFEGEAR.

[20]            Troisièmement, les réponses de M. Milo fournissent un fondement à la demande de Pride dans l'action en commercialisation trompeuse au titre de l'alinéa 7c), au sujet de l'achalandage et de la réputation que Pride pouvait avoir, distincts de ceux de LifeGear, ainsi qu'au sujet de la perte de ventes relative au produit original SATURNE sur le marché en raison des activités d'Urus (ce qui diffère de la décision Natural Waters of Viti Ltd., précité, et de la décision Gund Inc. et al. c. Ganz Bros. Toys Ltd. (1989), 23 C.P.R. (3d) 344). Ce fondement apparaît dans les réponses de M. Milo concernant le partage des responsabilités et des efforts entre LifeGear et Pride.

[21]            Encore une fois, la preuve présentée sur ce point est peut-être faible, mais elle est suffisante, à mon avis, pour laisser l'instance suivre son cours. Il y a là un embryon de preuve.

3)         L'abus de procédure

[22]            L'avocat d'Urus a soutenu qu'adjoindre Pride à la demande constituait un abus de procédure, puisque l'opération ne visait qu'à éviter à LifeGear d'avoir à remettre un cautionnement pour dépens. Il a cependant concédé que pour établir l'abus de procédure dans ces circonstances, il devait établir soit l'absence de cause valable d'action, soit le caractère vexatoire ou frivole de la procédure. N'ayant établi aucun des deux, il n'a donc n'a pas établi que la déclaration constitue un abus de procédure, même si Pride n'a pas nié expressément l'allégation de motif inacceptable faite par l'auteur de l'affidavit d'Urus.


DÉCISION

[23]            Pour l'ensemble de ces motifs, la requête de la défenderesse visant à faire radier la déclaration des demanderesses est rejetée avec dépens, quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                                                                                      « François Lemieux »       

                                                                                                                                                                                                                              

                                                                                                                                                                 Juge             

OTTAWA (ONTARIO)

LE 26 OCTOBRE 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20011026

Dossier : T-815-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 OCTOBRE 2001

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                                    LIFEGEAR, INC.

                                                   et PRIDE INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                                                URUS INDUSTRIAL CORPORATION

                                                                                                                                               défenderesse


                                                                     ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, la requête de la défenderesse visant à faire radier la déclaration des demanderesses est rejetée avec dépens, quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                                                                                      « François Lemieux »     

                                                                                                                                                                                                                           

                                                                                                                                                                 Juge                   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-815-01

INTITULÉ :                                          LIFEGEAR, INC. ET AL. c. URUS INDUSTRIAL CORPORATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 23 OCTOBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                        LE 26 OCTOBRE 2001

COMPARUTIONS :

JAMES H. BUCHAN                                        POUR LES DEMANDERESSES

BRIAN D. BELMONT                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP                 POUR LES DEMANDERESSES

TORONTO

BELMONT, FINE & ASSOCIATES              POUR LA DÉFENDERESSE

TORONTO

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