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Date : 20051108

Dossier : IMM-2617-05

Référence : 2005 CF 1523

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 8 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                HAI TAO CHEN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur est citoyen de la Chine; il est arrivé au Canada comme passager clandestin sur un bateau en provenance de la Corée et il a fait une demande d'asile en juin 2004. Dans la décision du 28 octobre 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que : a) le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger; b) la demande n'avait pas un minimum de fondement au sens du paragraphe 107(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).


[2]                Comme le lui permettait le paragraphe 112(1) de la LIPR, M. Chen a demandé un Examen des risques avant renvoi (ERAR) le 28 janvier 2005. Après avoir examiné les documents produits à l'appui de sa demande d'ERAR et tenu une audience, l'agente d'ERAR a rejeté la demande dans la décision du 24 mars 2005. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]                La présente demande soulève les questions suivantes :

1.          Y a-t-il des éléments de preuve que l'agente a mal interprétés ou dont elle n'a pas tenu compte, ou a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable concernant l'allégation du demandeur selon laquelle il courrait un risque s'il rentrait dans son pays en raison du traitement réservé par les autorités aux personnes qui ont quitté la Chine illégalement?

2.          L'agente a-t-elle violé l'obligation d'équité :

a)          en ne respectant pas l'alinéa 168a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui prévoit que l'avis d'audience d'ERAR doit exposer « les questions de fait qui y seront soulevées » ?

b)          en ne respectant pas le droit de l'avocate du demandeur d'intervenir au cours de l'interrogatoire effectué par l'agente, contrairement à l'alinéa 168c) du Règlement, qui prévoit que le demandeur peut être assisté par un avocat?

[4]                Dans ses observations écrites, le demandeur a aussi soulevé une question supplémentaire au sujet des conclusions de l'agente ayant trait aux « nouveaux » éléments de preuve visant les conclusions clefs de la Commission. Le demandeur n'a pas donné suite à cette question à l'audience.

ANALYSE

La norme de contrôle

[5]                Aucune des parties ne conteste que la norme de contrôle de la décision de l'agente sur des questions de fait - c'est-à-dire en ce qui concerne la première question en litige - est la décision manifestement déraisonnable. L'agente n'a commis une erreur que si sa décision était fondée sur une conclusion de fait « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont _elle_ dispose » (alinéa 18.1(4)d)de la Loi sur les Cours fédérales).

[6]                Par contre, en ce qui a trait à l'allégation de violation des principes d'équité procédurale, je n'ai pas besoin de me prononcer sur la norme de contrôle applicable : « L'équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s'applique au résultat de ses délibérations » (Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 3 C.F. 195, au paragraphe 43, où l'on citait les observations du juge Binnie dans l'arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 102). En d'autres termes, comme l'agent est tenu de rendre chacune de ses décisions dans le respect des principes d'équité procédurale, il revient à la Cour de décider si cela a été fait en l'espèce.


Question #1 : Y a-t-il des éléments de preuve que l'agente a mal interprétés ou dont elle n'a pas tenu compte?

[7]                Dans sa demande, M. Chen a présenté un certain nombre de documents qu'il a qualifiés de _TRADUCTION_ « nouveaux éléments de preuve » , c'est-à-dire des éléments de preuve postérieurs à l'audience devant la Commission. Le demandeur a présenté des preuves ayant trait à sa crainte d'être arrêté et de subir des mauvais traitements en détention parce qu'il était un émigrant illégal de Chine, ce qui était pertinent quant aux observations sur lesquelles s'est appuyé le demandeur dans sa plaidoirie orale. Plus précisément, il y avait parmi ces preuves des documents ayant trait à deux personnes - Ying Hua Lin et Chen En - qui auraient été mises en détention et battues après être rentrées en Chine et après que les autorités chinoises eurent constaté qu'elles avaient émigré illégalement. En ce qui concerne Ying Hua Lin, le demandeur a produit :

·            la copie de la _TRADUCTION_ « décision de punition prononcée par l'administration de la sécurité publique » indiquant que, le 4 décembre 2004, il lui a été imposé une détention de 7 jours et une amende de cinq mille yuan pour avoir émigré illégalement au Japon;

·            la copie du _TRADUCTION_ « dossier d'état médical et de traitements » de l'hôpital provincial de Fujian indiquant les traitements administrés le 11 décembre 2004 pour des blessures dues, selon le patient, à des « voies de fait » .

[8]                En ce qui concerne Chen En, la seule preuve produite consistait en un rapport d'hôpital.

[9]                L'agente a examiné la preuve produite et elle en a reconnu l'authenticité. Cependant, elle a conclu qu'elle était _TRADUCTION_ « incapable de conclure que les traitements médicaux dont avaient besoin ces personne peuvent être attribués aux agressions d'agents de la sécurité publique ayant fait un usage exagéré de la force ou ayant infligé des traitements inhumains » . Le demandeur soutient que cette conclusion était manifestement déraisonnable et que la seule conclusion qui pouvait être raisonnablement tirée de la preuve ayant trait notamment à Ying Hua Lin était qu'il avait été agressé par les autorités carcérales.

[10]            À part des ou_-dires dans une lettre de sa mère, le demandeur n'a produit aucune preuve indiquant quand et pourquoi Chen En a été détenu. Par conséquent, en ce qui le concerne, la conclusion de l'agente n'était pas déraisonnable. En ce qui concerne Ying Hua Lin, le lien entre la détention et l'agression est plus solide. Je conviens que, pris ensemble, le dossier de détention et le dossier d'hôpital montrent que l'agression a très probablement eu lieu au cours de la détention de Ying Hua Lin. Cependant, la concordance temporelle entre l'agression et la détention ne signifie pas nécessairement qu'il a été agressé par les autorités alors qu'il était en détention. Une agression en détention peut être expliquée de plus d'une manière. Je ne peux dire que l'agente a tiré une conclusion manifestement déraisonnable sur cette question ou qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve.


[11]            Le demandeur soutient aussi que l'agente a commis une erreur lorsqu'elle n'a pas tenu compte de la lettre de la mère du demandeur qui a été produite en preuve. Dans sa lettre, sa mère mentionne les agressions dont ont été victimes Ying Hua Lin et Chen En. Ne pas mentionner des éléments de preuve importants corroborant le récit du demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle (Cepeda-Gutierrez (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.)). En l'espèce, le demandeur concède que la lettre émanant de sa mère ne reposait que sur des ou_-dires; elle ne contient pas d'éléments fiables corroborant l'agression qu'aurait perpétrée les autorités sur les intéressés. La Commission n'a pas fait erreur en ne mentionnant pas la lettre en question relativement au traitement subi par Ying Hua Lin et Chen En.

Question #2 : Y a t-il eu atteinte aux principes d'équité procédurale?

[12]            L'étude des demandes d'ERAR est visée par un certain nombre de dispositions de la LIPR et du Règlement. Ces dispositions se lisent comme suit :

LIPR

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

b) une audience peut être tenue si le ministre l'estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required[.]


Règlement

(1) Le demandeur peut présenter des observations écrites pour étayer sa demande de protection et peut, à cette fin, être assisté, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

(1) A person applying for protection may make written submissions in support of their application and for that purpose may be assisted, at their own expense, by a barrister or solicitor or other counsel.

161.(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l'alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s'appliquent dans son cas.

161.(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

167. Pour l'application de l'alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d'une audience est requise :

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l'existence d'éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l'importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu'ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

168. Si une audience est requise, les règles suivantes s'appliquent :

168. A hearing is subject to the following provisions:

a) un avis qui indique les date, heure et lieu de l'audience et mentionne les questions de fait qui y seront soulevées est envoyé au demandeur;

(a) notice shall be provided to the applicant of the time and place of the hearing and the issues of fact that will be raised at the hearing;

b) l'audience ne porte que sur les points relatifs aux questions de fait mentionnées dans l'avis, à moins que l'agent qui tient l'audience n'estime que les déclarations du demandeur faites à l'audience soulèvent d'autres questions de fait;

(b) the hearing is restricted to matters relating to the issues of fact stated in the notice, unless the officer conducting the hearing considers that other issues of fact have been raised by statements made by the applicant during the hearing;

c) le demandeur doit répondre aux questions posées par l'agent et peut, à cette fin, être assisté, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil;

(c) the applicant must respond to the questions posed by the officer and may be assisted for that purpose, at their own expense, by a barrister or solicitor or other counsel; and

d) la déposition d'un tiers doit être produite par écrit et l'agent peut interroger ce dernier pour vérifier l'information fournie.

(d) any evidence of a person other than the applicant must be in writing and the officer may question the person for the purpose of verifying the evidence provided.

[13]            En résumé, le principe de base est que les demandes d'ERAR sont instruites sur la base des observations écrites du demandeur. L'agent peut tenir une audience s'il estime qu'elle est nécessaire compte tenu des trois facteurs énoncés dans l'article 167. Comme l'explique le guide des procédures PP 3 de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), au paragraphe 12.2 :

L'audience vise à évaluer la crédibilité du demandeur. _..._ Dans la plupart des cas, l'agent d'ERAR est en mesure de déterminer, à l'aide des preuves documentaires, quels sont les faits véridiques et d'évaluer si le demandeur risque d'être maltraité en vertu de la définition des motifs de protection. _..._

La tenue d'une audience est envisagée si l'agent d'ERAR se trouve devant de nouveaux éléments de preuve concernant une question essentielle à la décision et que ces éléments entraîneraient une décision positive si l'agent n'avait pas de doutes au sujet de la crédibilité du demandeur.

[14]            Ce n'est que lorsque tous les facteurs énoncés à l'article 167 du Règlement sont respectés que l'agent peut tenir une audience. En l'espèce, personne ne conteste que l'agente a agi raisonnablement lorsqu'elle a décidé de tenir une audience. Par conséquent, il n'est pas nécessaire que j'interprète les exigences précises dont dépend la tenue d'une audience et que je décide si elles ont été remplies; je peux le tenir pour acquis. Les questions dont je suis saisie dans le cadre de la présente demande ont trait à la procédure qui doit être suivie lorsque l'agent décide qu'une audience sera tenue.

[15]            Le guide de CIC expose au paragraphe 12.3 la manière dont l'audience doit se dérouler. En résumé :

·          Un avis est envoyé au demandeur afin de lui faire part de la date, de l'heure et de l'endroit de l'audience, ainsi que des questions de fait qui y seront abordées;

·          L'audience ne porte que sur les points soulevés dans l'avis;


·          L'audience est dénuée de formalité et il n'y a pas de débat contradictoire; elle permet au demandeur de répondre aux questions posées par l'agente;

·          Le demandeur peut être représenté par un avocat, dont le rôle à l'audience « n'est pas de représenter du point de vue juridique, de faire valoir des arguments juridiques ou de soumettre de nouveaux éléments de preuve, mais de jouer un rôle de soutien afin d'aider son client à mettre au clair les questions soulevées » .

·          Il n'est pas opportun, de la part du demandeur ou de l'avocat qui le représente, d'aborder de nouveaux points ou de produire de nouveaux éléments de preuve qui n'ont aucun rapport avec les questions précisées dans l'avis;

·          Il n'est pas opportun de se servir de l'audience afin de faire valoir des arguments, notamment de droit;   

[16]            La procédure suivie par l'agente en l'espèce soulève deux questions : le caractère suffisant de l'avis et le rôle de l'avocat à l'audience. Je vais me pencher sur chacune d'entre elles.

a)          Le caractère suffisant de l'avis

[17]            Par l'avis du 9 mars 2005, l'agente d'ERAR saisie du dossier du demandeur a demandé que celui-ci se présente à une audience. Cet avis indiquait notamment que :

_TRADUCTION_ Cette audience concerne les preuves produites à l'appui de la demande, plus précisément les nouvelles preuves produites concernant les allégations de risque.

[18]            Dans la lettre du 9 mars 2005, l'avocate du demandeur a demandé des précisions au sujet des questions de fait devant être débattues à l'audience en ces termes :

_TRADUCTION_ La présente fait suite à notre conversation et à votre télécopie de ce jour. Je voudrais obtenir des précisions au sujet des questions de fait qui seront débattues à l'audience, conformément à l'alinéa 168a) du Règlement; je vous transmets l'original des documents mentionnés dans mes observations, comme vous l'avez demandé. Vous avez signalé que l'audience aura trait aux nouvelles preuves produites; cependant, vous n'avez pas précisé si vous avez l'intention de lui poser des questions uniquement au sujet de ces documents, ou si des questions de fait précises feront l'objet des débats.

L'agente n'a pas répondu à cette lettre.

[19]            Selon le demandeur, puisque l'agente n'a pas exposé les faits en cause, elle a violé le Règlement. En outre, et chose plus importante encore, le demandeur ne savait pas à quelles questions il serait appelé à répondre.

[20]            Le défendeur soutient que le demandeur savait parfaitement, ou aurait dû savoir, que la crédibilité était en cause et que l'audience porterait surtout sur cette question. En effet, le défendeur affirme que la fiabilité et la crédibilité de tous les éléments de preuve produits aux fins de l'ERAR constituaient la question de fait qu'aborderait l'agente. Le défendeur estime donc que l'avis était suffisant et que le demandeur a eu toute latitude pour préparer l'audience d'ERAR.

[21]            Selon l'alinéa 168a) du Règlement, l'avis doit mentionner les faits devant être abordés à l'audience. Cette disposition du Règlement vise à faire en sorte que la personne qui se présente à l'audience sache quels faits sont en cause et puisse donc se préparer de manière adéquate.


[22]            Connaître les questions auxquelles on est appelé à répondre constitue une principe fondamental de l'équité procédurale. En l'espèce, la question qui se pose est la suivante : l'avis du 9 mars 2005 a-t-il suffisamment informé le demandeur des questions de fait que voulait aborder l'agente pour qu'il puisse se préparer?

[23]            Le problème le plus grave que pose l'avis de l'agente est le fait qu'elle n'a pas répondu à la demande de précision de l'avocate du demandeur. S'il n'y avait pas eu cette demande de précision, j'aurais éventuellement pu conclure que la déclaration générale de l'agente indiquait en effet au demandeur que la fiabilité et la crédibilité de tous les documents produits à titre de « nouveaux » éléments de preuve seraient des questions de fait qui seraient abordées. Cependant, la demande de précision a signalé à l'agente le fait que le demandeur ne savait pas à quoi s'en tenir vu la teneur très générale de l'avis.


[24]            L'agente a indiqué que l'audience porterait sur « les preuves » ; cela n'est pas très utile. Le demandeur a produit de nombreux documents à titre d'éléments de preuve nouveaux. L'agente avait certainement une certaine idée des questions soulevées par son premier examen des documents. On ne prend pas à la légère la décision de tenir une audience et elle doit être fondée sur des préoccupations précises. L'agente a-t-elle eu des doutes quant à l'authenticité des dossiers d'hôpital? Ou quant à la lettre de la mère? A-t-elle remis en question la preuve documentaire? Une question de fait qui ressort de sa décision est celle de savoir si l'agression subie par Lin quand il était en détention a été perpétrée par les autorités frontalières. Si le demandeur avait sû que cela serait une « question de fait » abordée, il aurait peut-être pu mieux se préparer pour l'audience.

[25]            Vu les faits de l'espèce, je conclus que l'agente n'a pas indiqué les questions de fait devant être abordées, comme l'exige l'alinéa 168a) du Règlement. Dans les circonstances, cela constitue une atteinte aux principes d'équité procédurale.

b)          Le rôle de l'avocat

[26]            Comme cela a été signalé, selon l'alinéa 168c) du Règlement, à l'audience, le demandeur doit répondre aux questions posées par l'agent et peut, à cette fin, être assisté par un avocat. En l'espèce, le demandeur déclare dans son affidavit que l'agente n'a pas permis à son avocate d'intervenir au cours de l'interrogatoire effectué par l'agente ou de lui poser des questions. Le demandeur soutient que, vu la grande importance de l'audience sur son sort, il avait le droit de se faire interroger par sa propre avocate (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817), et que, en empêchant son avocate d'intervenir, l'agente a violé le Règlement et les principes d'équité procédurale.


[27]            Je conviens, vu l'affidavit du demandeur qui n'a pas été contredit, que l'agente a dit à l'avocate du demandeur que celle-ci ne devait pas intervenir au cours de l'interrogatoire. Cependant, je ne conviens pas que le demandeur a établi qu'il y a eu une erreur susceptible de contrôle. En fin de compte, le demandeur soutient que l'alinéa 168c) et les exigences d'équité procédurale obligent l'agent à laisser l'avocat intervenir tout au long de l'interrogatoire et de poser des questions au demandeur. À mon avis, cela va au-delà des exigences imposées par le Règlement ou par les principes d'équité procédurale.

[28]            Premièrement, nous devons comprendre la nature de l'audience d'ERAR, qu'il ne faut pas confondre avec l'audience tenue par la Commission; à mon avis, elle a une portée plus circonscrite. En l'espèce, la décision d'ERAR était accessoire à la décision principale rendue par la Commission relativement à la demande d'asile; comme l'indique l'article 113 de la LIPR, l'ERAR ne vise que les nouveaux éléments de preuve susceptible de modifier la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur d'asile n'a pas besoin de la protection du Canada. Il est aussi important de signaler que la décision d'accorder une audience relève du pouvoir discrétionnaire de l'agente. En outre, l'article 168 du Règlement énonce la procédure à suivre au cours de cette audience, et il est évident qu'elle est conçue pour que l'agente pose ses questions et que le demandeur y réponde. L'alinéa 168c) du Règlement accorde au demandeur le droit d'être assisté par un avocat lorsqu'il répond aux questions de l'agent; cependant, il ne précise pas que le demandeur a le droit d'être interrogé par son avocat.


[29]            Dans son affidavit, le demandeur ne dit pas clairement ce qu'il entend lorsqu'il dit que son avocate n'a pas pu « intervenir » . Si l'agent empêche l'avocat du demandeur de l'assister à répondre aux questions, cela peut, dans certains cas, constituer une atteinte à l'équité (par exemple, le demandeur peut avoir le droit d'être conseillé avant de répondre, mais il ne peut se faire souffler les réponses par l'avocat). Cependant, si l'agent empêche l'avocat d'interroger longuement le demandeur, à mon avis, il n'y a pas là atteinte aux principes d'équité.

[30]            En l'espèce, les notes prises par l'agente à l'audience n'indiquent pas que le demandeur a eu des difficultés à répondre aux questions qu'elle lui a posées. Dans son affidavit, le demandeur ne mentionne pas de problèmes à ce sujet. En outre, même s'il a peut-être été demandé à l'avocate de ne pas intervenir au cours de l'interrogatoire effectué par l'agente, elle a pu faire des observations en guise de conclusion. Cela aurait certainement assisté le demandeur relativement à ses réponses, même après la clôture de l'interrogatoire. Enfin, l'avocate a produit d'autres documents après l'audience, que l'agente a examinés. Je suis d'avis que l'avocate a eu là une autre occasion d'assister son client. Ni les notes de l'agente ni l'affidavit du demandeur n'indiquent que l'avocate a tenté d'intervenir au cours de l'interrogatoire. En résumé, le demandeur ne m'a pas convaincue qu'il n'a pas obtenu l'assistance dont il avait besoin pour répondre aux questions posées à l'audience.

[31]            Pour conclure, il y a plus d'une façon de respecter les exigences de l'alinéa 168c). Je suis d'avis que l'agente, au cours de l'audience et ultérieurement, a donné à l'avocate toute latitude pour assister le demandeur lorsqu'il a répondu aux questions qui lui ont été posées. En ce qui a trait à la prétendue atteinte aux principes d'équité procédurale, le demandeur a la charge de convaincre la Cour que la procédure choisie par l'agente a abouti à une iniquité; il ne l'a pas fait.


CONCLUSION

[32]            Pour ces motifs, je conclus que l'agente a commis une erreur en ne donnant pas un avis suffisant au sujet de l'audience d'ERAR. Le demandeur n'a pas obtenu gain de cause sur toutes les questions dont j'ai été saisie; cependant, il y a eu atteinte aux principes de justice naturelle puisque l'agente n'a pas donné un avis suffisant au sujet de l'audience et elle est déterminante. Il est impossible de conclure que le demandeur aurait été en mesure de donner des réponses adéquates aux questions de l'agente si celle-ci n'avait pas fait cette erreur. La décision de l'agente sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un autre agent d'ERAR pour réexamen.

[33]            Il ne doit y avoir d'ambigu_té sur le motif du renvoi de la présente affaire. Je précise donc que l'agent qui traitera la demande d'ERAR évaluera de la demande du demandeur comme si aucun examen n'avait eu lieu. À cet égard, il reviendra au nouvel agent de définir le processus d'évaluation de la demande, notamment de décider si une audience est nécessaire.

[34]            Les parties ont eu la possibilité de présenter des observations écrites sur la question de savoir si une question de portée générale devrait être certifiée, mais aucune d'elles n'a demandé que soit certifiée une question. Aucune question ne sera certifiée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.        La demande est accueillie, la décision de l'agente est annulée et la demande d'ERAR du demandeur est renvoyée à un autre agent d'ERAR pour réexamen;

2.        Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge   

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

                 


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                IMM-2617-05

INTITULÉ:                HAI TAO CHEN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 1er NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Brenda J. Wemp                                               POUR LA DEMANDERESSE

R. Keith Reimer                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brenda J. Wemp                                               POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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