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Date : 20210720


Dossier : T-2210-14

Référence : 2021 CF 766

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

THE BRITISH COLUMBIA CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une requête par laquelle la British Columbia Civil Liberties Association [BCCLA] sollicite une ordonnance lui adjugeant des dépens spéciaux.

[2] Bien qu’elles aient convenu de mettre fin à l’action au moyen d’un désistement, les parties ont décidé que la question des dépens serait tranchée dans le cadre de la présente requête. La BCCLA réclame une indemnité substantielle relativement aux dépens engagés par elle qu’elle qualifie d’inutiles. Le procureur général du Canada [le ministre] fait valoir qu’aucuns dépens ne peuvent ni ne devraient être adjugés dans les circonstances.

I. Historique procédural de la présente action

[3] La présente action a été intentée le 27 octobre 2014 par la BCCLA qui, comme le laisse entendre son nom, est un groupe de défense d’intérêts à but non lucratif qui œuvre à la protection des libertés civiles des Canadiens. Dans l’exercice de son rôle, elle intervient très activement dans des litiges d’intérêt public et s’efforce de compenser les frais y afférents au moyen de subventions et de dons provenant de sources variées, y compris de fiducies et de donateurs privés. Les avocats externes dont les services sont retenus travaillent souvent bénévolement, comme c’est le cas en l’espèce.

[4] Dans l’action sous‑jacente, la BCCLA contestait la validité constitutionnelle de certaines dispositions de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5 autorisant le Centre de la sécurité des télécommunications Canada [CST] à recueillir, à conserver et à utiliser des renseignements (y compris des métadonnées) obtenus accessoirement de Canadiens dans le cadre de ses activités de surveillance du renseignement étranger. Bien que le mandat du CST en ce qui touche la collecte de renseignements électromagnétiques vise des cibles étrangères et non des Canadiens, il est inévitable que des communications de Canadiens soient interceptées dans le cours de ses travaux.

[5] Un argument central que la BCCLA avançait dans son action était que le pouvoir du CST de collecter et de conserver accessoirement des renseignements confidentiels de Canadiens sans que le moindre type de surveillance judiciaire ne soit exercé contrevenait à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 (R.-U.) [la Charte]. Le ministre a fait valoir que des mécanismes de protection suffisamment robustes étaient en place pour protéger la vie privée des Canadiens si bien que les dispositions législatives contestées étaient conformes à la Charte.

[6] Après septembre 2017, l’action a été largement laissée en suspens en attendant que soit présenté et finalement adopté le projet de loi C‑ 59. Ce texte législatif abordait un certain nombre de préoccupations soulevées par la BCCLA, ce qui, selon dernière, rendait le litige en grande partie théorique. C’est pour ce motif que la BCCLA a décidé de se désister de l’action, ce à quoi le ministre a acquiescé.

[7] Même si l’action n’a jamais été tranchée sur le fond, les deux parties ont consacré un nombre d’heures considérable à des travaux juridiques, engageant notamment la procédure envisagée à l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑ 5 [LPC]. Entre juin 2013 et l’audition de la présente requête à Vancouver le 6 mai 2021, la valeur inscrite des services juridiques rendus par les avocats internes et externes de la BCCLA a atteint presque 600 000 $, auxquels s’ajoutaient des débours de 58 839,88 $. La BCCLA cherche à obtenir le remboursement de la totalité ou d’un pourcentage substantiel de ces montants à titre de dépens spéciaux payables en vertu de l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles].

[8] La BCCLA soutient qu’elle a contribué à l’adoption du projet de loi C‑ 59, qui a, à ses dires, remanié en profondeur les mécanismes de surveillance régissant les travaux du CST. Aux paragraphes 9 et 10 de ses observations écrites, elle justifie ainsi l’adjudication de dépens spéciaux :

[traduction]
9. Il est encore difficile de savoir si les activités qu’entreprendra le CST conformément à cette nouvelle loi seront valides d’un point de vue constitutionnel – le temps nous le dira. Cependant, la réforme entreprise par le Parlement de tout le cadre juridique régissant les activités de collecte de renseignements du CST au Canada répond de manière proactive aux questions soulevées dans le cadre du présent litige. Par ailleurs, le rôle joué par la partie requérante pour faire avancer cette réforme juridique doit être reconnu. Les mesures prises par le Parlement rendent théorique le présent litige et la partie requérante peut se targuer d’avoir réussi à exposer les dispositions et activités contestées du CST et d’avoir fait avancer la réforme juridique afin de dissiper les graves préoccupations constitutionnelles affectant toute personne au Canada.

10. La partie requérante sollicite à présent des dépens spéciaux compte tenu des circonstances exceptionnelles de la présente affaire. Il est approprié d’adjuger de tels dépens en se basant sur les règles uniques en matière de dépens applicables aux litiges d’intérêt public. La présente affaire soulevait des questions d’une importance exceptionnelle pour le public concernant des atteintes potentiellement généralisées à des droits protégés par la Charte. Il s’agit de l’une de ces actions intentées dans l’intérêt public, pour l’ensemble de la collectivité et l’amélioration de nos institutions démocratiques, dont aucun individu ou groupe n’est le seul bénéficiaire. Mais n’eût été la détermination de la partie requérante et la volonté d’avocats bénévoles diligents et expérimentés, ce litige n’aurait pas pu aller de l’avant.

[9] Le ministre voit les choses très différemment et affirme, en se basant sur l’arrêt Galati c Harper, 2016 CAF 39, [2016] ACF no 123 [Galati], que la BBCLA n’a aucun droit à des dépens spéciaux. Subsidiairement, il soutient que la BBCLA n’a pas satisfait aux conditions très strictes imposées pour recevoir de tels dépens établies dans l’arrêt Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 RCS 331 [Carter].

II. Principes juridiques

[10] L’octroi de dépens vise traditionnellement à indemniser la partie ayant réussi à faire reconnaître un droit valide ou à se défendre contre une action qui, en fin de compte, s’est révélée sans fondement. Dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 RCS 371 [Bande indienne Okanagan], la Cour suprême du Canada [la CSC] a toutefois confirmé que l’indemnisation n’est pas le seul but de l’attribution de dépens. L’approche moderne en la matière tient compte des objectifs politiques qui « favoris[ent] le déroulement raisonnable et efficace de la poursuite ». L’un de ces objectifs est l’accès à la justice, qui a gagné en importance à mesure que les litiges d’intérêt public se sont multipliés.

[11] Dans l’arrêt Bande indienne Okanagan, précité, la CSC a considéré, dans le contexte d’une attribution de provisions pour frais, que les Rules of Court de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique faisaient partie du contexte dans lequel la cour exerçait sa compétence inhérente de déroger à la règle habituelle voulant que les dépens suivent l’issue de la cause.

[12] Aux termes du paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales précité, notre Cour a « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens [et] de les répartir ». L’alinéa 400(3)h) prévoit que la Cour peut tenir compte du « fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens ». Suivant le paragraphe 400(4), la Cour « peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés ». Enfin, l’alinéa 400(6)d) prévoit que la Cour peut « condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause ».

[13] Le pouvoir d’adjuger les dépens contrairement au résultat de la cause relève implicitement de la compétence discrétionnaire de la Cour à l’égard des dépens, tout comme celui d’accorder une provision pour frais avant de savoir quelle partie aura gain de cause sur le fond : voir Bande indienne Okanagan, précité, au para 37.

[14] Dans les causes d’intérêt public, le but traditionnel de l’adjudication des dépens peut être écarté afin que les plaideurs puissent s’adresser aux tribunaux et leur demander de définir des droits constitutionnels et de trancher des questions d’une grande importance sociale. Les dépens peuvent être adjugés aux parties perdantes afin que les citoyens ordinaires ne soient pas dissuadés de soumettre d’importants arguments constitutionnels à l’examen de la Cour. L’arrêt Carter, précité, a modifié le critère relatif à l’attribution de provisions pour frais énoncé dans l’arrêt Bande indienne Okanagan, précité, pour l’octroi de dépens spéciaux dans des litiges d’intérêt public :

  1. Premièrement, l’affaire doit porter sur des questions d’intérêt public véritablement exceptionnelles;

  2. Deuxièmement, en plus de démontrer qu’ils n’ont dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance sur le plan économique, les demandeurs doivent démontrer qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée.

[15] Suivant le premier élément, les affaires ne seront « véritablement exceptionnelles » que si elles « [ont] une incidence importante et généralisée sur la société ». Le critère est strict; les dépens spéciaux ne seront attribués que dans les affaires « rares et exceptionnelles ». Lorsque ce critère est rempli, il « est contraire à l’intérêt de la justice de demander aux plaideurs individuels (ou, ce qui est plus probable, aux avocats bénévoles) de supporter la majeure partie du fardeau financier associé à la poursuite de la demande » : voir Carter, précité, au para 140. Bien que dans l’arrêt Carter, précité, les dépens aient été adjugés à la partie ayant eu gain de cause, le critère ne fait pas du succès un facteur déterminant dans l’octroi de dépens spéciaux. Ce critère sert plutôt à guider les cours de justice qui exercent leur pouvoir discrétionnaire dans les litiges d’intérêt public.

[16] Confirmant que le succès n’est pas un élément du critère, l’arrêt Goodwin c Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46 au para 90, [2015] 3 RCS 250, rendu huit mois après l’arrêt Carter, précité, indique que les « parties déboutées peuvent obtenir les dépens dans des affaires vraiment exceptionnelles mettant en cause des questions d’importance pour le public ». Il va de soi que des dépens spéciaux peuvent également être attribués lorsqu’une affaire a été effectivement rendue théorique par suite d’une modification législative.

[17] Le ministre fait valoir que notre Cour est liée par l’arrêt Galati, précité. D’après lui, cet arrêt confirme qu’un plaideur ne peut prétendre avoir eu gain de cause que si l’affaire est tranchée sur le fond en sa faveur. De ce que je saisis de l’arrêt Galati, précité, la Cour ne s’est pas écartée du critère de l’arrêt Carter en faisant du succès sur le fond une condition préalable à l’adjudication de dépens spéciaux. Elle répondait plutôt à un argument voulant que les codemandeurs avaient eu gain de cause, qu’elle a rejeté.

[18] La Cour a ensuite cherché à savoir si les codemandeurs avaient le droit de se voir accorder des dépens spéciaux par la Cour fédérale dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et en application des principes de l’arrêt Carter, et a conclu qu’ils « ne satisfais[aient] pas à ce critère non plus ». La Cour a ensuite fait remarquer de nouveau que les codemandeurs n’avaient pas eu gain de cause sans toutefois aller jusqu’à dire que le succès sur le fond était une exigence déterminante pour l’octroi de tels dépens. Le succès est plutôt une considération pertinente.

III. Montant des dépens

[19] Le paragraphe 400(1) des Règles confère à notre Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Dans l’arrêt Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 au para 10, [2017] ACF no 173, cette règle a été décrite comme « le principe premier de l’adjudication des dépens ».

[20] Aux termes du paragraphe 400(4) des Règles, notre Cour « peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés ». Dans l’arrêt Nova Chemicals, précité, la Cour a jugé que de bonnes raisons expliquaient que l’attribution de sommes globales soit devenue de plus en plus courante — elles permettent aux parties de sauver du temps, d’économiser de l’argent et favorisent l’objectif des Règles consistant à apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. La Cour a aussi reconnu que l’indemnisation suivant le tarif peut s’avérer très inadéquate dans les litiges complexes, mais a ajouté que « ce n’est pas parce que les frais effectivement engagés par la partie qui obtient gain de cause sont de beaucoup supérieurs au barème prévu au tarif qu’il est justifié d’adjuger des dépens majorés ».

[21] L’attribution de sommes globales comme dépens doit être justifiée au regard des circonstances de l’affaire et des objectifs de l’adjudication de dépens. Le mémoire de dépens sera un bon point de départ à partir duquel les cours de justice pourront exercer leur pouvoir discrétionnaire, mais l’objet de l’attribution d’une somme globale est mis en échec si la partie qui réclame une telle somme est tenue de fournir une quantité de détails semblables à celle qui serait exigée dans le cadre d’une taxation effectuée par un officier taxateur.

[22] Dans l’arrêt Nova Chemicals, précité, la Cour a indiqué que les sommes globales se situent généralement entre 25 % et 50 % des frais réellement engagés, tout en reconnaissant que certaines affaires pourraient justifier d’appliquer un pourcentage différent.

IV. Analyse

[23] Je conviens avec le ministre que l’on ne peut équitablement affirmer que le présent litige a catalysé l’adoption du projet de loi C‑ 59. Au mieux, il pourrait avoir été l’un des nombreux facteurs ayant contribué aux modifications législatives en question. Je conviens aussi avec le ministre que l’on ne peut considérer que la BCCLA a eu gain de cause dans son action étant donné que celle‑ci n’a jamais été jugée sur le fond. L’action n’était pas par ailleurs frivole et ceux qui l’ont intentée n’ont pas été déboutés. L’affaire soulevait des questions constitutionnelles importantes et sérieuses qui auraient très bien pu être tranchées en faveur de la BCCLA.

[24] Je ne qualifierais pas non plus les frais juridiques de la BCCLA de frais « inutiles » dans le sens usuel du terme. Le projet de loi C‑ 59 n’a pas résolu toutes les questions juridiques soulevées dans les actes de procédure de la BCCLA et l’affaire aurait pu vraisemblablement aller jusqu’au procès pour que ces questions laissées en suspens soient résolues. En fin de compte, la BCCLA a décidé que le projet de loi C‑ 59 dissipait suffisamment ses préoccupations principales et les parties se sont entendues pour mettre fin à la cause.

[25] J’accepte l’argument de la BCCLA selon lequel la présente action soulevait d’importantes questions en ce qui touchait la protection des intérêts des Canadiens en matière de confidentialité et la nécessité de mettre en place des mécanismes robustes de surveillance des pratiques du Canada relatives à l’interception de renseignements électromagnétiques concernant la sécurité nationale. L’action a clairement été intentée dans l’intérêt public au sens le plus large du terme parce qu’elle visait des pratiques susceptibles d’affecter les intérêts de nombreux Canadiens en matière de confidentialité. Il ne s’agissait résolument pas d’une affaire dans laquelle seuls les intérêts de quelques Canadiens étaient peut-être en péril. L’affaire satisfait au critère décrit dans l’arrêt Carter, précité, en ce sens qu’elle « a une incidence importante et généralisée sur la société ». Les limites en ce qui concerne la surveillance de citoyens canadiens par le gouvernement — quoiqu’accessoires en l’espèce à un objectif légitime de sécurité nationale — revêtent une importance considérable sur le plan juridique. Je suis convaincu que les questions soulevées par la BCCLA rendaient l’affaire exceptionnelle. Il ne s’agissait pas non plus de questions susceptibles, de par leur nature, d’être soulevées dans le contexte d’un litige privé. En effet, la collecte de renseignements par le CST ne risquait pas d’être portée à l’attention de Canadiens dont les intérêts en matière de confidentialité avaient été compromis.

[26] Je n’admets pas l’argument du ministre selon lequel la BCCLA avait un intérêt pécuniaire dans l’issue de l’affaire. L’action visait l’obtention d’un jugement déclaratoire et non de dommages‑intérêts. La possibilité que les avocats de la BCCLA puissent tirer profit d’une adjudication de dépens n’a en définitive aucune importance. D’ailleurs, comme l’a fait remarquer la CSC dans l’arrêt Carter, précité, il est contraire à l’intérêt de la justice de s’attendre à ce que les avocats bénévoles ayant plaidé dans une affaire exceptionnelle où l’adjudication des dépens est justifiée assument la majorité du fardeau financier associé à la poursuite de la demande.

[27] Le ministre affirme également que la BCCLA n’a pas démontré que les sommes nécessaires pour l’instance n’auraient pas pu être recueillies auprès de sources privées. La preuve dont je dispose sur cette question est considérable — bien qu’elle comporte certaines lacunes.

[28] Même si je suis convaincu qu’il est justifié en l’espèce d’adjuger des dépens spéciaux, l’indemnisation totale des travaux professionnels inscrits ne l’est pas.

[29] Le ministre a produit les états financiers vérifiés de la BCCLA pour les années 2013 à 2019. Le plus récent fait état de revenus légèrement supérieurs à 2 000 000 $ et de frais s’élevant à presque 1 600 000 $. Ces revenus proviennent principalement des frais d’adhésion, de dons, de subventions et de revenus d’investissement associés à un fonds de legs en fiducie [1] . Le ministre fait remarquer que sur ces sept années, la BCCLA a obtenu un excédent net de liquidités s’élevant à 460 282 $, ce qui représente un surplus annuel moyen de 65 754 $. Ces fonds, soutient‑il, auraient pu servir pour les frais du présent litige.

[30] Le ministre remet également en question les efforts déployés par la BCCLA pour réunir les fonds nécessaires à la poursuite du présent litige. Dans la preuve qu’elle a produite, la BCCLA qualifie ces efforts d’[traduction] « importants », mais ils n’ont permis de recueillir qu’environ 20 000 $ en dons. Peu de détails relatifs à la campagne de la BCCLA ont été produits.

[31] Le ministre conteste la réclamation relative aux frais engagés à l’égard de la demande fondée sur l’article 38 de la LPC, et soutient qu’il s’agissait d’une instance distincte à l’issue de laquelle aucuns dépens n’ont été adjugés. Ces travaux ont été évalués à environ 267 000 $, plus les débours connexes. Comme autres motifs de contestation du nombre d’heures de travail réclamées, le ministre a notamment mentionné des questions liées à d’autres instances civiles (y compris un recours collectif connexe), des questions liées aux médias, des heures consacrées à une réflexion sur l’incidence du projet de loi C‑ 59 (environ 50 000 $) et des frais relatifs à une requête futile et à des travaux redondants.

[32] Certaines des préoccupations soulevées par le ministre sont amplement fondées. Je suis convaincu que rien ne justifie le remboursement des dépens liés à la demande fondée sur l’article 38. Ces dépens auraient dû être réclamés à l’issue de l’instance en question, ou il aurait fallu s’entendre pour puissent être réclamés à une date ultérieure. L’ordonnance que j’ai rendue le 20 décembre 2016 ne prévoyait pas d’adjudication de dépens et il est à présent trop tard pour en réclamer.

[33] Je suis également convaincu que le temps de travail des avocats internes et externes de la BCCLA n’est pas exigible dans son intégralité. Certaines tâches inscrites semblent redondantes, sont sans rapport avec l’action ou ne constituent pas des travaux véritablement juridiques. Par exemple, les frais liés aux médias ne sont pas remboursables. Le temps passé à évaluer s’il fallait laisser tomber l’affaire avait sans aucun doute un aspect juridique, mais il s’agissait autrement d’une décision d’affaires.

[34] Le fait que l’issue de l’affaire ne soit guère favorable à l’adjudication d’une somme avoisinant une indemnisation complète revêt une importance additionnelle et considérable. Le succès ou l’absence de succès demeure extrêmement pertinent. Compte tenu de la preuve présentée, je ne suis pas convaincu que la présente action ait été le catalyseur de l’adoption du projet de loi C‑ 59 et donc que la question du caractère théorique se pose.

[35] Même si j’accepte la position du ministre selon laquelle la preuve présentée n’établit pas que des efforts maximaux ont été déployés pour financer la présente affaire sur des fonds privés, je ne peux pas convenir que la BCCLA avait les moyens financiers de poursuivre pleinement ce litige en recourant à ses propres ressources. La BCCLA est une partie très active qui agit dans l’intérêt public et dont la capacité financière est limitée. Elle doit régulièrement faire des choix quant aux actions à intenter et à la manière de les financer. Elle ne peut qu’occasionnellement s’en remettre à des sources privées et certains cas méritoires ne suscitent pas un grand intérêt de la part des donateurs. La décision d’engager une action comme la présente est souvent prise — comme ce fut le cas en l’espèce — grâce à la générosité d’avocats bénévoles. Ce sont les avocats qui assument le plus grand risque, et non les parties. Les actions telles que la présente ne sont pas non plus propices à des ententes conditionnelles sur les honoraires, car elles visent uniquement l’obtention de jugements déclaratoires et non de dommages‑intérêts.

V. Conclusion

[36] Compte tenu de tous ces facteurs, j’adjugerai à la BCCLA des dépens spéciaux de 175 000 $ et une somme de 25 000 $ au titre des débours. Comme la demanderesse a partiellement gain de cause dans la présente requête, une autre somme de 5 000 $ lui est adjugée pour les dépens relatifs à la requête.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-2210-14

LA COUR STATUE qu’il est fait droit à la requête et que la demanderesse obtiendra :

  1. des dépens spéciaux de 175 000 $ relativement à la présente affaire;

  2. des débours de 25 000 $;

  3. des dépens de 5000 $ au titre de la requête.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2210-14

 

INTITULÉ :

THE BRITISH COLUMBIA CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (C.‑B.)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 mai 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

juge BARNES

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

David J. Martin

Sebastian Ennis

 

pour la demanderesse

 

Donnaree Nygard

Helen Park

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martin + Associates

Vancouver (C.‑B.)

 

pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

pour le défendeur

 

 



[1] La BCCLA n’a aucun droit d’accéder aux capitaux de ce fonds, mais elle reçoit les revenus annuels nets qu’il génère.

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