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Date : 20210708


Dossier : IMM‑7176‑19

Référence : 2021 CF 724

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2021

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

UZMA QURBAN

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Uzma Qurban, est citoyenne du Pakistan. En 2014, elle a reçu un certificat de désignation de la province de la Saskatchewan et a présenté une demande de résidence permanente, depuis l’étranger, à titre de candidate d’une province. La demanderesse a fourni, à l’appui de sa demande, une lettre attestant son expérience professionnelle comme cuisinière à temps plein dans un restaurant et salle de réception de mariage donné depuis avril 2015.

[2] En février 2016, l’unité antifraude [UAF] d’Islamabad de l’Agence des services frontaliers du Canada a effectué une visite sur place pour vérifier l’emploi de la demanderesse. Cette vérification a suscité plusieurs sujets de préoccupation qui ont été résumés dans un rapport de l’UAF. En conséquence, en avril 2016, l’agent chargé de l’examen a envoyé par courriel à la demanderesse une lettre relative à l’équité procédurale par laquelle il l’informait qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’elle avait fait de fausses déclarations sur des faits importants quant à son expérience professionnelle et que la lettre d’emploi présentée n’était pas authentique. La lettre mentionnait également que l’employeur identifié dans la lettre d’emploi avait indiqué que la demanderesse n’avait jamais travaillé pour lui. L’agent a avisé cette dernière qu’il envisageait de tirer une conclusion de fausses déclarations.

[3] Après avoir reçu plusieurs demandes infructueuses d’information supplémentaire sur les réserves afférentes au travail, la demanderesse a déposé des observations en réponse et fourni des éléments de preuve afin de corroborer ses déclarations quant à son emploi au restaurant et à la salle de réception de mariage. Elle a notamment fourni les déclarations solennelles de deux particuliers interrogés dans le cadre des vérifications en personne effectuées avant la délivrance de la lettre relative à l’équité procédurale. Ces personnes avaient notamment indiqué que certaines de leurs déclarations antérieures aux fonctionnaires canadiens étaient erronées et ils expliquaient les raisons de ces contradictions.

[4] Le 30 octobre 2019, un agent d’immigration [l’agent] du Haut‑commissariat du Canada à Londres a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse sur le fondement que cette dernière était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations, et ce, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[5] La demanderesse allègue que l’agent n’a pas respecté les principes d’équité procédurale en retenant des éléments de preuve extrinsèque pour appuyer sa décision sans lui permettre d’en prendre connaissance et sans lui offrir une réelle occasion d’y réagir. La demanderesse se fonde sur la décision Chawla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 434 [Chawla] pour appuyer son argument voulant que l’omission de divulguer des renseignements importants qui empêche un demandeur de savoir à quoi il doit répondre est un manquement à l’équité procédurale. La demanderesse renvoie également à Mehta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1073 [Mehta] pour étayer son argument que les éléments de preuve extrinsèque doivent être divulgués au demandeur.

II. Analyse

[6] Lorsqu’il s’agit d’examiner des questions relatives à l’équité procédurale, le rôle de notre Cour est de déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54‑56; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[7] Après examen du dossier et après avoir soupesé les observations de la demanderesse, je ne suis pas convaincue qu’un manquement à l’équité procédurale s’est produit en l’espèce.

[8] Il est bien établi que lorsqu’il envisage de tirer une conclusion de fausses déclarations, l’agent des visas a le devoir d’informer le demandeur des préoccupations qui peuvent donner naissance à une telle conclusion et qu’il doit lui fournir une réelle occasion de répondre. Cette obligation est habituellement remplie par l’envoi au demandeur d’une lettre relative à l’équité procédurale qui doit être assez détaillée pour permettre à celui‑ci de savoir à quoi il doit répondre (Bayramov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 256 au para 15). Si l’agent possède de l’information extrinsèque dont le demandeur ignore l’existence, ce dernier devrait avoir l’occasion de dissiper les réserves de l’agent qui découlent de cette preuve (Chawla, au para 14; Amin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 206 au para 29).

[9] Bien que la lettre relative à l’équité procédurale envoyée au demandeur ne divulguait pas l’ensemble des détails contenus dans le rapport de l’UAF, elle transmettait de toute évidence les réserves exprimées par l’agent chargé de l’examen voulant que la lettre qui attestait l’emploi de la demanderesse était fausse et que cette dernière avait fait de fausses déclarations sur son expérience professionnelle au restaurant et à la salle de réception de mariage. Elle énonçait aussi que l’employeur identifié dans la lettre avait déclaré que la demanderesse n’avait jamais travaillé pour lui.

[10] Contrairement aux faits exposés dans les affaires Chawla et Mehta, la lettre relative à l’équité procédurale avait informé la demanderesse que les préoccupations de l’agent chargé de l’examen émanaient d’une déclaration faite par une personne désignée dans la lettre d’emploi comme étant le gestionnaire de la demanderesse. Avec ce savoir en poche, la demanderesse a été en mesure d’apprendre que l’UAF avait également interrogé le portier du restaurant et de la salle de réception de mariage. Elle a donc pu recueillir l’information que les personnes en question ont fournie lors de leurs entrevues et obtenir des déclarations solennelles de leur part. Dans sa réponse du 6 juillet 2016, la demanderesse a effectivement reconnu qu’elle avait récolté des renseignements auprès de son gestionnaire qui pourraient expliquer les préoccupations de l’agent chargé de l’examen. Elle dissèque ensuite abondamment les raisons qui ont pu mener l’UAF à conclure erronément à partir des entrevues données par le gestionnaire et le portier qu’elle n’avait pas travaillé au restaurant et à la salle de réception de mariage.

[11] En outre, dans l’affaire Chawla, le demandeur avait démontré que la non‑divulgation des éléments de preuve extrinsèque l’avait empêché de contredire le bien‑fondé de l’information recueillie et de miner la crédibilité de la personne qui avait livré les renseignements. En l’espèce, lorsqu’interrogée sur la nature de l’information contenue dans le rapport de l’UAF qui l’aurait amenée à modifier ses observations si elle en avait eu connaissance, la demanderesse a répondu, lors de l’audience devant notre Cour, qu’elle aurait mentionné la durée d’emploi du portier. Le rapport de l’UAF spécifiait que le portier travaillait depuis les débuts du restaurant et de la salle de réception de mariage, qui remontaient à [traduction] « un an et demi » alors que dans les faits, il n’était à pied d’œuvre que depuis quelques semaines. La demanderesse fait valoir que l’embauche récente du portier expliquait pourquoi il avait déclaré qu’aucune femme ne travaillait au restaurant et à la salle de réception de mariage.

[12] L’ennui avec l’argument de la demanderesse vient du fait que tant le portier que le gestionnaire ont abordé la question dans leurs déclarations solennelles. Hormis ce qui touche à la durée d’emploi du portier, la demanderesse n’a relevé aucune information importante qui, si elle lui avait été communiquée auparavant, l’aurait menée à la contredire et à produire des observations supplémentaires (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 440 au para 12; Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 419 au para 15).

[13] Au vu du dossier à ma disposition, je suis d’avis que la demanderesse connaissait les préoccupations de l’agent et qu’elle avait eu l’occasion d’y répondre. Elle l’a d’ailleurs fait en présentant des observations et en fournissant des éléments de preuve supplémentaires pour attester son expérience professionnelle à au moins cinq (5) reprises.

[14] Les notes inscrites au Système mondial de gestion des cas montrent que l’agent a analysé l’ensemble de la preuve de la demanderesse, y compris les deux (2) déclarations solennelles du gestionnaire et du portier, ainsi que les observations supplémentaires de la demanderesse. En fin de compte, l’agent a privilégié le rapport de l’UAF au détriment de la preuve de la demanderesse étant donné que la preuve documentaire comporte souvent de graves problèmes de fiabilité au Pakistan et vu l’aisance avec laquelle il est possible de s’en procurer par la collusion avec les amis ou la famille, moyennant rétribution ou sous la contrainte. En outre, puisque la demanderesse n’a contesté le caractère raisonnable d’aucune des conclusions de l’agent, il ne m’est pas loisible de décider si la conclusion était ou non raisonnable.

[15] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7176‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7176‑19

INTITULÉ :

UZMA QURBAN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JUIN 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 8 JUILLET 2021

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

POUR LA DEMANDERESSE

Michel Pépin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Mark J. Gruszczynski

Westmount (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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