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Date : 20210628


Dossier : IMM‑1048‑20

Référence : 2021 CF 678

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2021

En présence de madame la juge Elliot

ENTRE :

GALDINO SANCHEZ AGUIRRE

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande présentée par Galdino Sanchez Aguirre (le demandeur), en vue d’obtenir un bref de mandamus enjoignant au défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), de rendre une décision concernant sa demande d’autorisation de voyage électronique (AVE) soumise le 27 juin 2019. Une question accessoire est liée à une lettre demandant des documents supplémentaires de la part du demandeur que ce dernier et son avocat affirment n’avoir jamais reçue.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen du Mexique qui a présenté une demande d’AVE le 27 juin 2019.

[4] Le 29 juin 2019, des agents d’immigration ont demandé plus de renseignements concernant la déclaration de culpabilité pour conduite avec capacités affaiblies par l’effet de l’alcool, dont le demandeur avait fait l’objet en Illinois en 2000. Le demandeur a remis l’information demandée le 8 juillet 2019.

[5] Le 24 juillet 2019, la demande d’AVE du demandeur a été envoyée pour évaluation au consulat du Canada à New York. Le demandeur a été jugé interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[6] La demande d’AVE a ensuite été transmise à l’ambassade du Canada au Mexique (l’ambassade) pour un examen plus approfondi. Le 17 octobre 2019, le Centre de soutien des opérations a statué que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations, mais qu’il ne l’était pas pour criminalité.

[7] Par l’entremise de son avocat, le demandeur a effectué un suivi régulier de sa demande pendante d’AVE entre le mois d’août 2019 et le mois de janvier 2020.

[8] Le 11 février 2020, le demandeur a déposé la présente demande pour solliciter une ordonnance obligeant le défendeur à se prononcer définitivement sur sa demande d’AVE.

[9] Le 2 septembre 2020, un agent de l’ambassade a évalué la demande d’AVE présentée par le demandeur. L’agent a déterminé que ce dernier était présumé réadapté, aux termes de l’article 18 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, car plus de dix ans s’étaient écoulés depuis le moment où la peine imposée avait été purgée.

[10] Le 7 septembre 2020, l’ambassade a envoyé au demandeur une lettre demandant des documents supplémentaires. Le demandeur affirme qu’il a pris connaissance de l’existence de cette lettre seulement après avoir reçu, le 21 avril 2021, le dossier certifié du tribunal (DCT) concernant la présente affaire.

[11] Le demandeur est retourné dans sa ville natale au début de la pandémie de COVID‑19 et son propriétaire, qui a pris soin du courrier acheminé à son adresse postale, ne l’a pas informé qu’il avait reçu une lettre de l’ambassade. Le demandeur allègue qu’il a parlé à son propriétaire pour en savoir davantage sur la lettre et qu’il a alors appris que ce dernier avait aussi quitté son lieu de résidence à cause de la pandémie et qu’il n’était pas revenu.

[12] Auparavant, l’ambassade communiquait avec le demandeur au moyen de son compte CléGC et avec son avocat par courriel.

[13] Au moment de l’audience, la demande d’AVE du demandeur ne faisait toujours pas état d’une décision définitive.

III. Question préliminaire

[14] Le nom du défendeur indiqué dans la demande est erroné. Il sera donc modifié dès à présent pour « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[15] Les parties n’ont indiqué qu’une seule question en litige :

  1. La Cour devrait‑elle accueillir la demande de bref de mandamus enjoignant au ministre de rendre une décision sur la demande d’AVE?

[16] En matière de recours en mandamus, la Cour n’est pas tenue de se prononcer sur la norme de contrôle indiquée : Callaghan c Canada (Directeur général des élections), 2010 CF 43 au para 64.

V. Analyse

A. Mandamus

[17] Pour que la Cour prononce une ordonnance de mandamus, il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public; l’obligation doit exister envers le demandeur; la Cour doit être convaincue que le demandeur a un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation; il ne doit exister aucun autre recours; l’ordonnance sollicitée doit avoir une incidence sur le plan pratique; la Cour doit estimer que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir la réparation demandée; et, compte tenu de la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue : Gagnon c Canada (Procureur général), 2019 CF 1661 au para 37; Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CA), conf par 3 RCS 110.

[18] Le défendeur est d’avis, tout comme je le suis, que l’obligation d’agir existe envers le demandeur. Il existe une obligation légale à caractère public de traiter la demande d’un candidat à la résidence permanente reconnue au titre du paragraphe 11(1) de la LIPR qui dispose que le ressortissant étranger doit présenter une demande de visa ou d’un autre titre requis par règlement : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 757 au para 50. Je conclus que le défendeur est astreint à une obligation légale à caractère public similaire de traiter la demande d’AVE au titre du paragraphe 11(1.01) de la LIPR qui exige des ressortissants étrangers qu’ils demandent une AVE avant d’entrer au Canada. Les deux dispositions sont libellées de manière similaire et sont analogues.

[19] Le défendeur reconnaît qu’il n’existe pas d’autre voie de recours disponible et que rien n’empêche, en vertu de l’équité, d’obtenir la réparation demandée.

[20] Rien n’indique le moment où une décision définitive sera prise quant à la demande d’AVE du demandeur alors que le ressortissant étranger est tenu d’être muni d’une AVE pour pouvoir entrer au Canada.

[21] Rien n’empêche la Cour, en vertu de l’équité, d’accorder une ordonnance de mandamus.

[22] Le défendeur conteste l’existence d’un droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation. Il prétend que le délai afférent au traitement de la demande d’AVE est raisonnable en raison des antécédents criminels du demandeur. Il fait en outre valoir que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.

[23] Un délai dans l’exécution d’une obligation légale peut être jugé déraisonnable lorsque le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige à première vue, que le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables et que l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante : Thomas c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 164 au para 19.

[24] Bien qu’à l’instar du défendeur, je sois d’avis que le délai moyen de traitement de 72 heures relatif à une demande d’AVE présentée en ligne n’est pas applicable en l’espèce étant donné les antécédents criminels du demandeur, je crois que le délai, en lui‑même, a été plus long que ce que la nature du processus exige. La demande en litige a été déposée le 27 juin 2019 et aucune décision n’a été rendue à son égard au moment de l’audience – soit près de deux ans plus tard.

[25] Je considère également qu’il n’existe aucun élément de preuve qui indique que le demandeur ou son avocat sont responsables du délai. En fait, le demandeur s’est enquis régulièrement du statut de sa demande.

[26] Finalement, je ne suis pas convaincue que le défendeur a justifié le délai d’une manière satisfaisante. Le bureau de New York a jugé le demandeur interdit de territoire le 25 juillet 2019. Le Centre de soutien des opérations l’a ensuite considéré, le 2 septembre 2020, comme une personne présumée réadaptée. La période de 90 jours pour soumettre des documents supplémentaires en réponse à la lettre du 7 septembre 2020, qui, selon les dires du demandeur, n’a pas été reçue par lui ou son avocat, est échue. Le défendeur n’a pas démontré que le délai était justifié.

[27] Le défendeur allègue que le délai ne découle pas de l’inaction ou de la mauvaise foi des fonctionnaires en immigration et affirme que la pandémie de COVID‑19 a perturbé les opérations de plusieurs ministères, surtout à l’extérieur du Canada. Même si ça peut être le cas, la demande d’AVE en litige a été déposée des mois avant le début de la pandémie et bien que je reconnaisse que la durée de traitement a pu être affectée par la pandémie, je conclus qu’un délai cumulatif de presque deux ans est déraisonnable.

[28] De plus, il est manifeste que l’ordonnance recherchée aura une incidence sur le plan pratique, et ce, indépendamment de l’issue de la demande d’AVE. Une décision définitive permettrait au demandeur de s’extirper de ces méandres procéduraux.

[29] J’examinerai maintenant la prépondérance des inconvénients afin de voir si elle penche en faveur de l’octroi d’un mandamus.

[30] Le défendeur soutient que la nécessité de préserver l’intégrité du régime d’immigration canadien exige que les fonctionnaires en immigration examinent en profondeur le profil de ceux qui désirent être admis au Canada, surtout lorsqu’un demandeur a des antécédents criminels. Bien que ça puisse être vrai, il y va de l’intérêt public d’avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable : Membreno‑Garcia c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 CF 306 au para 18.

[31] Le défendeur n’a pas soulevé d’autres facteurs qui pourraient avantager le ministre lors de l’examen de la prépondérance des inconvénients. Il me semble qu’une ordonnance de mandamus ne toucherait en grande partie que les intérêts du demandeur.

[32] On ne voit pas pourquoi le défendeur n’a pas été en mesure de prendre une décision sur la demande d’AVE. Le défendeur a déclaré que les fonctionnaires en immigration avaient évalué les antécédents criminels du demandeur en Illinois, son séjour prolongé sans autorisation aux États‑Unis et sa tentative antérieure d’entrer au Canada le 17 octobre 2019.

[33] Le demandeur attend maintenant depuis presque deux ans qu’il soit statué sur le sort de sa demande d’AVE. En l’absence d’une ordonnance enjoignant qu’une décision soit prise à son égard, nul ne sait combien de temps s’écoulerait avant que la demande d’AVE ne soit traitée.

[34] Vu la longueur des délais, l’absence de prise de décision à l’égard de la demande d’AVE surpasse tout inconvénient ou dommage que l’ordonnance pourrait imposer au défendeur. La prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur.

B. La demande de documents supplémentaires de l’ambassade

[35] Dans les cas où le défendeur n’a aucune indication que la communication a échoué ou que le courrier a été livré à la mauvaise adresse, le demandeur assume le risque de défaut de livraison : Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 503 au para 13. Ainsi, le demandeur aurait dû mettre son adresse postale à jour lorsqu’il est déménagé au début de la pandémie de COVID‑19 afin de s’assurer qu’il continuerait de recevoir par la poste les communications du défendeur relatives à sa demande.

[36] Or, la correspondance antérieure échangée entre le défendeur, le demandeur et son avocat se faisait par le téléchargement des documents sur un compte CléGC, dans le cas du demandeur, et par courriel dans le cas de l’avocat. Par conséquent, je suis d’avis que le demandeur avait raisonnablement une attente légitime que les mêmes procédures continuent d’être employées à l’égard de la correspondance future : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 26.

[37] Dans les circonstances de l’espèce, le demandeur devrait avoir l’occasion de répondre à la demande de l’ambassade concernant les documents supplémentaires. Le défendeur a manqué à l’équité procédurale en changeant ainsi la procédure établie en matière de communication. La demande est donc accueillie aux conditions énoncées dans le dispositif du jugement.

[38] Les parties ont présenté des observations quant aux délais raisonnables pour communiquer les documents supplémentaires et pour rendre une décision à l’égard de la demande d’AVE présentée par le demandeur. Ces observations sont comprises dans le dispositif du jugement.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1048‑20

LA COUR STATUE que :

  1. Le nom du défendeur est modifié pour « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

  2. La demande est accueillie aux conditions suivantes :

    1. Le demandeur répondra à la demande de documents supplémentaires du défendeur dans un délai de 30 jours suivant le prononcé du présent jugement.

    2. Le défendeur rendra une décision sur le bien‑fondé de la demande d’AVE présentée par le demandeur et la lui communiquera dans un délai de 60 jours suivant la réception des documents supplémentaires de celui‑ci.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  4. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1048‑20

 

INTITULÉ :

GALDINO SANCHEZ AGUIRRE c CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Jason E. Ankeny

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brett J. Nash

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jason E. Ankeny Professional Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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