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Date : 20020311

Dossier : T-2042-00

Référence neutre : 2002 CFPI 270

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

BONNIE AH CHEER CHAN

appelante

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 L'appelante interjette appel de la décision d'un juge de la citoyenneté rendue le 11 septembre 2000, rejetant la demande de citoyenneté de l'appelante au motif qu'elle n'a pas satisfait à l'exigence relative à la résidence prescrite par l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29. La preuve démontre que l'appelante a séjourné au Canada pendant 348 jours au cours des quatre années précédant sa demande de citoyenneté, ce qui est largement inférieur au critère défini par la Loi qui exige d'avoir séjourné au Canada pendant au moins trois années (1 095 jours) au cours des quatre années précédant le dépôt de la demande.

[2]                 L'appelante est née le 1er janvier 1975. Elle et sa mère sont arrivées au Canada le 2 août 1994 après avoir obtenu le statut d'immigrantes reçues. Elle était alors âgée de 19 ans. Sa déclaration assermentée indique qu'à l'époque, elle étudiait à l'Université Columbia et [Traduction] « après mon arrivée, j'ai dû retourner aux États-Unis pour poursuivre mes études » . Rien dans le dossier n'indique combien de temps l'appelante a séjourné au Canada avant le début de la période de quatre années précédant sa demande de citoyenneté, laquelle période a commencé à courir le 18 janvier 1995. Toutefois, la preuve démontre qu'elle a quitté le Canada le 14 janvier 1995 pour retourner à l'Université Columbia, où elle poursuivait des études de premier cycle. Elle a ensuite entrepris des études en architecture à l'Université Harvard. Elle prétend qu'il n'existait aucun programme comparable au Canada. Tout au long de ses études, l'appelante retournait périodiquement au Canada; elle y a séjourné 348 jours au total. Elle est finalement rentrée au Canada pour se joindre à un cabinet d'architectes canadien en janvier 1999.

[3]                 L'appelante disposait de tous les éléments habituels de résidence, à savoir :

- un numéro d'assurance sociale;

-une carte santé;

-un permis de conduire ontarien;

-une carte d'abonnement à la bibliothèque publique de North York;


-un compte dans une banque canadienne;

-une carte de crédit et une carte-client émise par cette banque.

De 1994 à 1998, elle a également produit une déclaration de revenu au Canada.

[4]                 L'appelante a manifesté un grand intérêt pour les sujets liés au Canada au cours de ses études en architecture à l'Université Harvard. Elle a rédigé un article sur l'aménagement dans la région métropolitaine de Toronto. Elle a également participé à la conception du nouveau complexe diplomatique de l'ambassade du Canada à Beijing, en République populaire de Chine.

[5]                 L'appelante a déposé sa demande de citoyenneté presque immédiatement à son retour au Canada. Au cours de l'entrevue qu'elle a eue avec un juge de la citoyenneté, elle a eu l'impression que sa demande serait accueillie. Le juge lui a demandé de lui envoyer une copie de son article sur l'aménagement. Elle a donc été fort surprise d'apprendre que sa demande avait été rejetée. Elle a été plus étonnée encore de découvrir, lors de la production du dossier du Tribunal, que le juge avait rendu sa décision le jour même de l'entrevue, le 14 juillet 2000, sans même attendre de recevoir la copie de l'article qu'il avait demandée.

[6]                 Dans la lettre avisant l'appelante du rejet de sa demande, le juge de la citoyenneté affirme ce qui suit :


            [Traduction]

Selon la preuve produite à votre dossier et présentée lors de l'audience, vous avez été absente du Canada pendant un total de 1 112 jours au cours des quatre années précédant votre demande de citoyenneté (soumise le 18 janvier 1999). Au cours de cette période, vous avez été présente au Canada pendant 348 jours. Vous deviez donc me convaincre, pour satisfaire aux critères relatifs à la résidence, que vos absences du Canada (ou du moins qu'une partie de vos absences) pouvaient faire partie de votre période de résidence au Canada. La jurisprudence de la Cour fédérale exige, pour établir une résidence, qu'une personne démontre que son mode de vie est centralisé au Canada, dans les faits comme dans l'esprit. Si le demandeur est en mesure d'établir cette preuve, ses absences du Canada n'ont pas d'incidence sur sa période de résidence, à condition qu'il soit démontré que cette personne a quitté le Canada de manière provisoire uniquement et qu'elle a maintenu une forme de résidence réelle et tangible au Canada. J'ai donc examiné attentivement votre dossier afin de déterminer si vous aviez établi votre résidence au Canada avant de vous absenter du pays afin que nous puissions néanmoins comptabiliser ces absences dans le calcul de votre période de résidence.

            Bien que vous ayez démontré un grand attachement vis-à-vis du Canada par le biais de votre relation avec votre famille, vos absences du Canada sont beaucoup plus longues que votre présence au pays. Vous connaissez bien le Canada et la société mais vous auriez été incapable de participer à la société canadienne pour vous « canadianiser » puisque vous avez été absente pendant plus de 75 % de cette période. La présence physique demeure un facteur important pour déterminer la citoyenneté canadienne.

            Après avoir examiné l'ensemble de la preuve produite devant moi, soit par témoignage, soit par le dépôt de documents, je ne peux conclure que vous avez établi une résidence au Canada par le biais d'un mode de vie centralisé au Canada au cours des quatre années précédant le dépôt de votre demande de citoyenneté canadienne.


[7]                 L'appelante affirme que le juge de la citoyenneté n'a pas correctement appliqué le critère de résidence en ce qu'il a confondu deux critères, à savoir le mode d'existence centralisé défini dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, et la simple présence physique, que l'on retrouve dans Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. 232. L'appelante s'appuie sur la décision du juge Lutfy (tel était alors son titre) dans Re Lam, [1999] A.C.F. 410, qui conclut que le juge de la citoyenneté peut appliquer l'un ou l'autre de ces critères, à condition qu'il les applique correctement. Le juge en arrive à cette conclusion après avoir examiné la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions des juges de la citoyenneté, en rappelant que toutes les décisions de la Cour fédérale, section de première instance, lient également les juges de la citoyenneté. L'appelante prétend qu'en l'instance, le juge a confondu les deux critères et qu'il a donc commis une erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[8]                 L'appelante ajoute qu'elle n'a pas eu droit à une audience équitable puisque le juge n'a pas tenu compte de la preuve matérielle qu'il avait demandé à l'appelante de produire avant de rendre sa décision. Aucune jurisprudence n'est citée à l'appui de cette prétention.

[9]                 Pour satisfaire aux exigences de la Loi sur la citoyenneté, il faut d'abord établir la preuve de résidence et ensuite, que celle-ci a été maintenue. C'est seulement lorsque la résidence est établie qu'elle peut être maintenue. La résidence n'est pas établie par la seule arrivée au Canada. En l'espèce, la preuve de résidence n'est pas très solide. La propre déclaration assermentée de l'appelante révèle qu'à peine arrivée au Canada, elle est retournée aux États-Unis afin d'y poursuivre ses études. Pour établir la preuve de sa résidence au Canada, l'appelante s'appuie sur le fait qu'elle avait une chambre dans la maison de ses parents et sur certains indices de résidence passifs.

[10]            Cette question a été examinée par le juge Cattanach dans Re Pattni, [1980] A.C.F. 1017, où le savant juge s'exprime comme suit :


[par. 35]      Pour que les absences physiques du Canada puissent quand même être assimilées à une résidence au pays, le requérant doit d'abord avoir établi une telle résidence au Canada.

[par. 36]      Dans l'affaire Perviz Mitha où j'ai prononcé le jugement, le 1er juin 1979, j'avais dit :

À mon sens, pour savoir si les absences physiques du Canada s'expliquent pour des fins assez temporaires pour qu'elles n'interrompent pas la continuité de la résidence, il faut d'abord établir une « résidence » , c'est-à-dire savoir dans quelle mesure la personne « s'établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances au lieu en question » . Il faut toutefois distinguer la « résidence » au sens courant et le « concept de séjour ou de visite » .

[11]            Voir également Canada (Secrétaire d'État) c. Yu, [1995] A.C.F. 919 (1ère inst.), où le juge Rothsteinaffirme que le défaut d'établir la résidence justifie le rejet de la demande de citoyenneté.

[12]            La même question s'est posée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lam, [1999] A.C.F. no 651, où l'appelante était également étudiante. Cette dernière, âgée de 22 ans à l'époque, avait accompagné ses parents au Canada en vue de s'y établir puis elle était retournée aux États-Unis pour y achever ses études. Elle retournait parfois au Canada et passait ses vacances à Hong Kong. Elle a déposé une demande de citoyenneté mais elle avait accumulé beaucoup moins que les 1 095 jours de résidence exigés par la Loi. Sur la question relative à l'établissement de la résidence, le juge Simpson s'exprime comme suit :


[par. 10]      Toutefois, la décision Papadogiorgakis ne permet pas de conclure qu'un étudiant peut venir au Canada pour une courte période, ne pas y établir une première résidence, puis passer de longues périodes d'études et de vacances à l'étranger et, sur ce fondement, s'attendre à remplir les exigences en matière de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne. Je devrais faire remarquer qu'établir une résidence n'est pas seulement une question de rassembler les documents habituels liés à la résidence (carte santé, carte d'assurance-sociale, carte bancaire, déclaration d'impôts, carte de bibliothèque, permis de conduire, etc.). À mon avis, il faut également faire des efforts pour s'intégrer et participer à la société canadienne, ce qui pourrait se faire dans un lieu de travail, dans un groupe de bénévoles, ou dans une activité sociale ou religieuse, pour ne nommer que quelques possibilités.

[13]            La même question s'est posée dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1796. L'appelante était également étudiante au moment de son arrivée au Canada. Le juge Wetston affirme ceci, à propos de l'établissement de la résidence :

[par. 9]      À mon avis, lorsque la présence physique est minimale, le facteur le plus important est la qualité des attaches du requérant avec le Canada. Il doit y avoir la preuve qui indique de véritables attaches avec le Canada. Ces attaches doivent dépasser le fait d'avoir seulement des attaches avec la famille installée au Canada, d'avoir un permis de conduire canadien ou un numéro d'assurance sociale.

[par. 10]      Il existe des facteurs qui peuvent servir à mettre en lumière ces attaches. L'appelante a-t-elle réellement tenté de retourner au Canada au cours des vacances? Dans la négative, pourquoi? Par exemple, est-elle retournée au Canada au cours des vacances d'été pour obtenir un emploi d'été ou faire le travail communautaire au Canada? Au cours de ces visites, s'est-elle engagée dans des activités qui favorisent son intégration dans la société canadienne? Par exemple, s'est-elle jointe à un club social, à un club d'athlétisme, à un groupe confessionnel ou a-t-elle suivi un cours ou un programme? A-t-elle raisonnablement tenté de déterminer si d'autres programmes existaient au Canada qui pourraient répondre à ses buts d'instruction, et de s'inscrire à ces programmes?

[par. 11]      En bref, l'appelante doit établir sa résidence au Canada en pensée et en fait. Elle doit avoir centralisé son mode de vie au Canada.


[14]            La preuve matérielle déposée devant la Cour n'établit pas clairement à quel moment l'appelante aurait établi sa résidence au Canada puisque cette dernière est rapidement retournée aux États-Unis pour y poursuivre ses études. Au cours des quatre années qui ont suivi, elle est revenue au Canada à plusieurs reprises pour différentes périodes mais à défaut d'avoir établi sa résidence au Canada, ces périodes de présence au Canada ne pouvaient servir à maintenir une résidence qu'elle n'avait jamais établie. Rien dans la preuve produite devant le juge de la citoyenneté n'indique qu'au cours des périodes où l'appelante était présente au Canada, elle se serait engagée dans des activités qui pourraient constituer une intégration ou une participation dans la société canadienne. La seule exception possible est un fait mentionné par l'avocat de l'appelante dans ses plaidoiries à l'effet qu'elle aurait adhéré, à titre d'étudiante, à la Toronto Society of Architects. Ce seul élément n'est pas suffisant pour établir la résidence.

[15]            L'extrait des motifs de la décision du juge de la citoyenneté rapporté plus haut indique que l'examen de ce dernier a porté sur la question de l'établissement de la résidence; il a jugé qu'il ne pouvait conclure que l'appelante avait établi sa résidence au Canada. Cette décision est justifiée par les éléments du dossier dont il disposait et elle ne doit pas être modifiée.


[16]            Les arguments présentés par l'avocat de l'appelante concernant la décision du juge Lutfy dans la décision Lam, précitée, ne lui sont d'aucune utilité puisqu'en l'espèce, la question est non pas de savoir si l'appelante a maintenu sa résidence, mais bien si elle a oui ou non établi sa résidence. Le principe selon lequel la résidence doit être établie avant qu'elle puisse être maintenue n'est pas contesté. Il n'y a donc pas lieu de suivre un courant de jurisprudence plutôt qu'un autre puisque la jurisprudence est unanime sur la question.

[17]            En ce qui a trait à l'argument de l'appelante selon lequel elle aurait été privée des règles de la justice naturelle, il reviendrait à dire que le juge, ayant exigé de l'appelante qu'elle produise des éléments de preuve supplémentaires, aurait été lié par ceux-ci et qu'il aurait été tenu de les examiner avant de rendre sa décision. Bien que cet argument puisse être fondé lorsque la preuve exigée est pertinente à la question de fond, il ne peut être retenu lorsque la preuve additionnelle demandée n'est pas pertinente. L'article de l'appelante sur l'aménagement urbain à Toronto portait peut-être sur un sujet d'intérêt pour le juge de la citoyenneté. Il n'était toutefois aucunement pertinent pour établir la résidence. À mon avis, il n'y a pas eu manquement aux règles de la justice naturelle.

ORDONNANCE

L'appel à l'encontre de la décision du juge de la citoyenneté rendue le 11 septembre 2000 est rejeté.

      « J.D. Denis Pelletier »         

                                                                                                             Juge                       

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                               T-2042-00

INTITULÉ :                              Bonnie Ah Cheer Chan - et -

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    27 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                                             

DATE DES MOTIFS :           11 mars 2002

COMPARUTIONS:

Mme Nancy Myles Elliot                                                               POUR L'APPELANTE

M. Greg G. George                                                                        POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Nancy Myles Elliot                                                                         POUR L'APPELANTE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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