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Date : 20210716


Dossier : T-954-18

Référence : 2021 CF 751

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 16 juillet 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DEEPROOT GREEN INFRASTRUCTURE, LLC

ET DEEPROOT CANADA CORP.

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

GREENBLUE URBAN NORTH AMERICA INC.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La présente ordonnance porte sur les dépens et débours qui doivent être versés aux demanderesses, DeepRoot Green Infrastructure, LLC et DeepRoot Canada Corp. (DeepRoot), par suite du jugement et des motifs rendus sous la référence 2021 CF 501, où j’ai conclu que les revendications invoquées des brevets de DeepRoot étaient valides et qu’elles avaient été contrefaites par la défenderesse, GreenBlue Urban North America Inc. (GreenBlue).

[2] Pour les motifs exposés ci-après, j’ordonne que les dépens de DeepRoot soient taxés selon la colonne IV du tarif B et que DeepRoot obtienne remboursement des débours qui sont jugés raisonnables et nécessaires.

Le contexte

[3] Dans le jugement du 28 mai 2021, j’ai conclu que l’action en contrefaçon de brevet intentée par DeepRoot contre GreenBlue était bien fondée. La demande reconventionnelle de GreenBlue dans laquelle il est allégué que les revendications sont invalides pour divers motifs, à savoir l’antériorité, l’évidence, la portée excessive, l’insuffisance, la présentation d’éléments conjecturaux et l’article 53 de la Loi sur les brevets, a été rejetée.

[4] L’instruction s’est déroulée par vidéoconférence du 13 au 16, du 19 au 23 et du 26 au 29 octobre ainsi que les 17 et 18 décembre 2020.

[5] Les dépens ont été adjugés à DeepRoot, qui a eu gain de cause, et les parties ont été invitées à présenter des observations si elles ne parvenaient pas à s’entendre sur les dépens.

[6] Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur les dépens et, le 28 juin 2021, la Cour a reçu les observations suivantes :

  1. Des observations quant aux dépens de DeepRoot, y compris un projet de mémoire de frais appuyé par des affidavits de A. Kaludjerovic et de G. Ray;

  2. Des observations quant aux dépens de GreenBlue.

[7] DeepRoot demande l’adjudication de la somme globale de 690 297,07 $ au titre des dépens, qui représente 40 p. 100 de ses frais juridiques, et d’une somme de 340 250,81 $ au titre des débours, soit une somme totale de 1 030 546,88 $. DeepRoot a déposé un projet de mémoire de frais à l’appui de ces sommes. Subsidiairement, DeepRoot demande que les dépens soient taxés en application de l’article 405 des Règles des cours fédérales (les Règles) selon l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B et que le recouvrement des dépens soit autorisé pour le deuxième et le troisième avocat.

[8] GreenBlue conteste le caractère raisonnable de la somme globale demandée par DeepRoot au titre des dépens et soutient que ceux-ci devraient être établis conformément à la colonne III ou IV du tarif B et réduits d’un tiers. Selon les calculs de GreenBlue, ce montant est de 276 900 $.

Analyse

[9] Selon le paragraphe 400(1) des Règles, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens. Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans l’arrêt Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 :

[10] Selon le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, la Cour « a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens [et] de les répartir ». Ce principe a été décrit comme « le principe premier de l’adjudication des dépens » : Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, [2003] 2 C.F. 451, au para. 9 (Consorzio).

[11] Le paragraphe 400(4) des Règles porte expressément sur l’adjudication d’une somme globale au titre des dépens au lieu d’une taxation des dépens selon le tarif B.

400 (4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

400 (4) The Court may fix all or part of any costs by reference to Tariff B and may award a lump sum in lieu of, or in addition to, any assessed costs.

Les tribunaux privilégient de plus en plus l’adjudication de sommes globales au titre des dépens, et ce, pour la bonne raison que cette formule fait épargner aux parties temps et argent en plus de contribuer à la réalisation de l’objectif des Règles des Cours fédérales d’apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (article 3 des Règles). Lorsqu’il peut adjuger les dépens sous forme de somme globale, le tribunal n’a pas à faire une analyse détaillée et les audiences portant sur l’adjudication des dépens ne se transforment pas en exercice de comptabilité.

[12] Il peut convenir d’adjuger une somme globale dans des affaires relativement simples ou encore dans des affaires particulièrement complexes où un calcul précis des dépens serait inutilement laborieux et onéreux : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157, au para. 11.

[10] Le paragraphe 400(3) des Règles énonce les facteurs qui peuvent être pris en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, et j’en examine quelques-uns ci-dessous.

Alinéa 400(3)a) : le résultat de l’instance

[11] DeepRoot soutient qu’elle a eu gain de cause sur toutes les questions de fond et que l’adjudication des dépens devrait être faite en conséquence.

[12] GreenBlue avance que DeepRoot n’a pas eu gain de cause sur des questions essentielles, y compris la restitution des profits. Plus précisément, GreenBlue souligne que DeepRoot ne s’est pas vu accorder des dommages-intérêts ou des redevances sur des produits complémentaires ni une restitution des profits réalisés par la défenderesse. GreenBlue a également fait valoir que la Cour a privilégié la démarche adoptée par l’expert de la défenderesse selon laquelle une redevance raisonnable était de 7 p. 100 par unité. Enfin, GreenBlue affirme que la Cour a rejeté les allégations des demanderesses portant que les documents financiers de la défenderesse comportaient des lacunes et des irrégularités.

[13] À mon avis, DeepRoot a globalement eu gain de cause, car elle a établi l’existence de la contrefaçon et obtenu une injonction et des dommages-intérêts.

Alinéa 400(3)b) : les sommes réclamées et les sommes recouvrées

[14] À l’audience, DeepRoot a réclamé des dommages-intérêts de plus de 1,4 million de dollars sur le fondement d’une restitution de profits. La Cour a accordé des dommages-intérêts de 136 000 $ sur le fondement du versement d’une redevance.

[15] GreenBlue se fonde sur la décision Biofert Manufacturing Inc c Agrisol Manufacturing Inc, 2020 CF 501 au para 28, pour soutenir que le montant des dépens doit être proportionnel au montant recouvré. GreenBlue affirme qu’avant l’instruction, DeepRoot avait une certaine idée de la valeur de la réclamation et qu’elle aurait dû agir en conséquence.

[16] DeepRoot reconnaît que l’indemnité pécuniaire accordée est inférieure au montant qu’elle a demandé. Toutefois, elle soutient que l’injonction qu’elle a obtenue a une grande valeur.

[17] À mon avis, il s’agit d’un des facteurs qu’il faut examiner dans le contexte de l’ensemble de la réclamation présentée par DeepRoot.

Alinéa 400(3)c) : l’importance et la complexité des questions en litige

[18] La présente instance était manifestement importante pour les deux parties qui sont des concurrentes sur le marché de l’aménagement d’espaces verts urbains. Selon DeepRoot, les instances en contrefaçon de brevet sont intrinsèquement complexes. Elle souligne que la présente affaire portait sur deux brevets, et que pour les interpréter et les évaluer en vue d’établir l’existence d’une contrefaçon, il a fallu la présentation d’éléments de preuve techniques par des experts. DeepRoot affirme que la conduite de GreenBlue a contribué à renforcer la complexité des questions en litige.

[19] Pour sa part, GreenBlue soutient que DeepRoot a fait intervenir un trop grand nombre d’avocats dans le dossier. Toutefois, elle ne conteste pas la complexité de l’instance.

[20] Je suis d’accord avec DeepRoot pour dire que l’instance était complexe et que cette complexité a été renforcée par le nombre de motifs d’invalidité invoqués par GreenBlue.

Alinéa 400(3)e) : toute offre écrite de règlement

[21] Le 9 octobre 2020, GreenBlue a présenté une offre de règlement écrite à DeepRoot, quelques jours seulement avant l’instruction, qui a commencé le 13 octobre 2020. GreenBlue reconnaît que l’offre n’a pas été faite plus de 14 jours avant le début de l’instruction et que, par conséquent, elle ne déclenche pas les conséquences en matière de dépens découlant de l’application du paragraphe 420(3). Néanmoins, GreenBlue affirme que l’offre était une véritable offre et qu’elle était finalement plus favorable que le jugement obtenu par DeepRoot.

[22] DeepRoot fait simplement valoir que, comme l’offre de GreenBlue a été signifiée moins de 14 jours avant le début de l’instruction, elle ne relève pas du paragraphe 420(3).

[23] À mon avis, comme l’offre n’a pas respecté les conditions requises pour relever du paragraphe 420 des Règles, à savoir l’offre n’a pas été faite au moins 14 jours avant le début de l’instruction (Venngo Inc c Concierge Connection Inc (Perkopolis), 2017 CAF 96 au para 87), elle n’est pas pertinente quant aux dépens.

Alinéa 400(3)g) : la charge de travail

[24] DeepRoot soutient que ses dépens et débours correspondent à ceux des autres instances en matière de propriété intellectuelle de la même durée. Par conséquent, elle avance que toute taxation devrait être effectuée selon l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B et que le recouvrement des dépens devrait être autorisé pour le deuxième et le troisième avocat ainsi que le recouvrement total des débours jugés raisonnables et nécessaires.

[25] GreenBlue, quant à elle, avance que les dépens devraient être taxés ou calculés selon la colonne III ou, à défaut, la colonne IV du tarif B et que les dépens auxquels DeepRoot a droit devraient être réduits d’un tiers en raison de l’omission d’accepter l’offre de règlement plus favorable. Je ne puis souscrire à cette prétention.

Alinéa 400(3)i) : la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance

[26] DeepRoot fait valoir que la conduite de GreenBlue a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance. Plus précisément, DeepRoot affirme que GreenBlue n’a pas respecté les délais, qu’elle a produit des documents financiers insuffisants ou en retard et qu’elle a refusé de circonscrire les questions en litige en vue de l’instruction.

[27] Tels sont les facteurs qui appuient une taxation des dépens selon une échelle plus élevée.

Conclusion

[28] Pour les motifs qui précèdent, une adjudication des dépens majorés n’est pas justifiée en l’espèce. Bien que je ne sois pas disposée à accorder une somme globale pour les dépens, j’ordonnerai une taxation des dépens selon la colonne V du tarif B et un remboursement des débours jugés raisonnables et nécessaires.


ORDONNANCE dans le dossier T-954-18

LA COUR ORDONNE que les dépens de DeepRoot soient taxés selon la colonne V du tarif B. DeepRoot doit obtenir remboursement des débours qui sont jugés raisonnables et nécessaires.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-954-18

 

INTITULÉ :

DEEPROOT GREEN INFRASTRUCTURE, LLC ET AL c GREENBLUE URBAN NORTH AMERICA INC

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 16 JUILLET 2021

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

Geoffrey D. Mowatt

Bentley Gaikis

Aleksandar Kaludjerovic

 

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

Ted A. Kalnins

Yuri Chumak

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES/

dÉfendERESSES RECONVENTIONNELLES

 

Dickinson Wright LLP

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

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