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Date : 20001027

Dossiers : T-1677-79

T-3488-82

T-2518-89

T-2521-89

T-2522-89

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 OCTOBRE 2000

EN PRÉSENCE DE :             MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                      GRANT R. WILSON

                                                                                                                               demandeur

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                            défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                Je suis saisie de requêtes présentées dans le cadre de cinq instances découlant    d'une taxation des dépens qu'a effectuée Charles E. Stinson, officier taxateur. Le demandeur, M. Wilson, n'est pas d'accord avec la taxation et demande, conformément à la règle 414 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, et ses modifications (les Règles), que la taxation des dépens soit révisée. La Couronne défenderesse sollicite une ordonnance refusant les intérêts par ailleurs dus au demandeur relativement aux dépens taxés en faveur du demandeur dans deux des instances, T-1677-79 et T-3488-82. Subsidiairement, la défenderesse sollicite une ordonnance limitant les intérêts dus au demandeur aux intérêts courus de ce qui est décrit comme étant « la date des jugements » , le 31 août 1988, jusqu'au 30 septembre 1989.

LES FAITS

[2]                Le demandeur a interjeté appel par voie des instances susmentionnées d'un certain nombre de cotisations fiscales. Le demandeur a eu gain de cause au procès dans les dossiers T-1677-79 et T-3488-82 et les dépens lui ont été alloués. Les jugements dans ces instances ont été rendus le 31 août 1988.

[3]                Le demandeur a également eu gain de cause au procès dans le dossier T-2521-89 et les dépens lui ont été alloués. Il appert que le jugement a été obtenu le 23 juillet 1996.

[4]                La Couronne a eu gain de cause au procès dans les dossiers T-2518-89 et T-2522-89 et les dépens lui ont été alloués. La date du jugement n'a pas été mise en preuve.


[5]                M. Stinson a taxé les dépens dans les cinq instances le 13 avril 2000.

[6]                M. Stinson a certifié le résultat de la taxation comme suit :

Action

Dépens en faveur de

Dépens réclamés aux fins de la taxation

Dépens taxés et alloués

T-1677-79

demandeur

58 682,68 $

3 700,00 $

T-3488-82

demandeur

58 682,68 $

3 200,00 $

T-2521-89

demandeur

15 610,38 $

4 000,00 $

T-2518-89

défenderesse

9 030,76 $

6 260,34 $

T-2522-89

défenderesse

6 150,00 $

3 560,00 $

[7]                Après compensation des dépens conformément à la règle 408(2), la somme de 1 079,66 $ a été certifiée comme constituant une dette de la défenderesse envers le demandeur.


[8]                Dans les projets de mémoires de dépens soumis par le demandeur dans les dossiers T-1677-79, T-3488-82 et T-2521-89, le demandeur a sollicité ce qui était décrit comme étant des « [i]ntérêts avant jugement [...] en conformité avec l'article 36 de la Loi sur la Cour fédérale » accumulés sur ses dépens depuis la date du jugement. La Couronne s'y est opposée et a prétendu que le demandeur n'avait pas droit à des intérêts avant jugement ou après jugement sur les dépens. Subsidiairement, la Couronne a soutenu que les intérêts devaient être réduits ou refusés en raison de la période qui s'est écoulée avant que le demandeur ne réclame la taxation de ses dépens.

[9]                L'officier taxateur a conclu que sa compétence se limitait à la fixation du montant admissible des dépens à titre d'indemnité et qu'il n'avait pas compétence pour rendre une décision relativement aux intérêts payables sur les dépens. L'officier taxateur a toutefois pris en considération, en tant que facteur applicable dans la taxation des dépens, le retard du demandeur. Il a accordé des sommes inférieures à ce qu'il aurait normalement accordé pour certains articles s'il n'y avait pas eu de retard. Dans ses motifs, l'officier taxateur n'a pas précisé les montants de réduction pour chaque article du tarif.

LA REQUÊTE DU DEMANDEUR EN APPLICATION DE LA RÈGLE 414

(i) Le rôle de la Cour dans le cadre de la révision de la taxation :

[10]            La compétence de la Cour pour intervenir à l'égard de la décision d'un officier taxateur ne permet pas à la Cour de substituer son analyse des faits à celle de l'officier taxateur. Comme l'a noté le juge Joyal dans la décision Harbour Brick Co. c. Canada (1987), 17 F.T.R. 255 (C.F. 1re inst.), la Cour ne peut intervenir que lorsqu'il y a eu une erreur de principe ou qu'on peut établir que le montant taxé est à ce point déraisonnable qu'il doit être attribuable à une erreur de principe.

(ii) Les erreurs alléguées par le demandeur

[11]            Le demandeur a prétendu que l'officier taxateur :


(a)         a commis une erreur de droit en effectuant une compensation avec les dépens accordés à la Couronne;

(b)         a commis une erreur de droit en n'accordant pas d'intérêts sur les dépens; et,

(c)         n'a pas examiné convenablement les facteurs énoncés à la règle 400.

(A) L'officier taxateur a-t-il commis une erreur dans sa compensation des dépens?

[12]            En faisant droit à la demande de compensation des dépens qu'a faite la défenderesse, l'officier taxateur a donné une interprétation large à la règle 408(2) compte tenu des principes généraux énoncés à la règle 3. Ces dispositions sont rédigées comme suit :


408(2) Lorsque des parties sont tenues de payer des dépens les unes aux autres, l'officier taxateur peut en faire le rajustement par compensation.

...

3. Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

408(2) Where parties are liable to pay costs to each other, an assessment officer may adjust those costs by way of set-off.

...

3. These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.


[13]            L'officier taxateur a exposé les motifs suivants :


[40] ... L'article 3 des Règles est impératif et il porte que les Règles « sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » . Je ne crois pas que ce texte ne s'applique qu'au jugement définitif, mais bien plutôt qu'il recouvre les diverses étapes comme celles de la taxation des dépens. La Cour m'a convaincu que si les cinq taxations en cause sont considérées de façon distincte pour le recouvrement, il existe un certain fondement à son inquiétude quant au préjudice qu'elle pourrait subir en l'absence de moyens réalistes de recouvrer les sommes en cause du demandeur dans la juridiction. Au vu de l'article 3 des Règles, j'interprète le paragraphe 408(2) des Règles de façon pragmatique et conclus en equity que la Couronne a droit à la compensation demandée.

[14]            Le demandeur a fait valoir qu'une telle compensation n'était pas permise par les dispositions des articles 222.1 et 225.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch.1 (5e supplément), et ses modifications. Le demandeur a soutenu que ces dispositions interdisaient à la Couronne de recouvrer ses frais auprès de lui jusqu'à ce qu'il soit statué sur tous les appels des jugements rendus contre lui. Comme ces appels étaient pendants, il n'y avait pas de condamnation aux dépens exécutoire qui pouvait faire l'objet d'une compensation.

[15]            L'officier taxateur a conclu que le demandeur s'était mépris quant à l'application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu sur lesquelles il s'était appuyé.

[16]            Je suis d'accord avec l'officier taxateur pour le motif suivant. Une fois qu'une décision de première instance a été obtenue contre le contribuable, le paragraphe 225.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'empêche pas le recouvrement forcé si la décision est par la suite portée en appel devant la Cour d'appel fédérale.


[17]            Je ne trouve donc aucune erreur de principe dans l'exercice par l'officier taxateur de son pouvoir discrétionnaire, prévu à la règle 408(2), de permettre la compensation des dépens adjugés.

(B) L'officier taxateur a-t-il commis une erreur en ne taxant pas les intérêts payables sur les dépens alloués au demandeur?

[18]            Le demandeur a sollicité des intérêts avant jugement et après jugement sur les dépens qui lui ont été alloués dans les trois actions. L'officier taxateur a conclu qu'il n'avait pas compétence pour accorder des intérêts. Il a estimé que ni la règle 409 ni la règle 407 ne lui conféraient une telle compétence. Ces règles sont rédigées comme suit :


407. Sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.

...

409. L'officier taxateur peut tenir compte des facteurs visés au paragraphe 400(3) lors de la taxation des dépens.

407. Unless the Court orders otherwise, party-and-party costs shall be assessed in accordance with column III of the table to Tariff B.

...

409. In assessing costs, an assessment officer may consider the factors referred to in subsection 400(3).


[19]            L'officier taxateur a fait l'analyse suivante :


Essentiellement, les dépens sont une indemnité et non une compensation ou des dommages-intérêts au sens de ces définitions. L'expression « la taxation des dépens » , que l'on trouve à l'article 409 des Règles, ne peut être considérée en fonction de l'article 407 des Règles comme venant ajouter un élément de compensation ou de dommages-intérêts aux dépens taxés. En particulier, l'article 409 des Règles ne peut servir de fondement permettant d'arriver à une somme précise de dépens pour ensuite, avant de délivrer le certificat, passer à une étape additionnelle qui permettrait de compenser non ce qui a été vraiment payé, mais ce qui a été perdu parce qu'on ne pouvait utiliser ces sommes à d'autres fins au moment où elles n'étaient pas en notre possession. Je crois que les parties peuvent obtenir une telle réparation, mais lorsque l'article 409 des Règles précise que je peux tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, on ne peut en élargir le sens de manière à empiéter sur la compétence de la Cour d'accorder des intérêts, y compris toute réparation disponible en vertu des diverses lois citées.

[20]            Ayant conclu qu'il n'avait pas compétence pour rendre une décision relativement aux intérêts, l'officier taxateur a par la suite réduit les dépens de M. Wilson d'un montant non précisé. L'officier taxateur a accordé des sommes inférieures à ce qu'il aurait normalement accordé pour certains articles réclamés par M. Wilson; ce qui est normalement accordé est probablement calculé en fonction de la colonne III du tarif B conformément à la règle 407. À cet égard, l'officier taxateur a exposé les motifs suivants :

... [L]'article 409 des Règles me permet de considérer certains facteurs, mais ma marge de manoeuvre est circonscrite par l'article 407 des Règles lorsqu'il s'agit de fixer l'indemnité au titre des dépens. [...] La Couronne m'a convaincu que le demandeur a résisté à ses efforts de régler la question des dépens et en conséquence j'ai accordé des sommes inférieures à ce que j'aurais normalement accordé pour certains articles.

[21]            Le demandeur a soutenu qu'en concluant qu'il n'avait pas compétence pour accorder des intérêts, l'officier taxateur avait commis une erreur et n'avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 36 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications (la Loi sur la Cour fédérale).

[22]            La défenderesse a prétendu que l'officier taxateur avait à bon droit conclu qu'il n'avait pas compétence pour rendre une décision sur la question des intérêts payables sur les dépens, et que, ce faisant, l'officier taxateur avait exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire.


[23]            La Couronne a invoqué les dispositions de l'article 31.1 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, et ses modifications (la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif), et les articles 129 et 130 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C-43, et ses modifications (la Loi sur les tribunaux judiciaires).

[24]            Pour déterminer si l'officier taxateur a commis une erreur de principe, j'examinerai dans un premier temps le régime législatif applicable au droit du demandeur à des intérêts avant jugement et à des intérêts après jugement sur les dépens.

[25]            Il faut se rappeler que le droit du demandeur de recouvrer ses frais auprès de la Couronne découle des jugements rendus en 1988 et en 1996. Pour ce qui est des intérêts avant jugement, le paragraphe 31(6) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif prévoit ce qui suit :


31. (6) Le présent article s'applique aux sommes accordées par jugement rendu à compter de la date de son entrée en vigueur. Aucun intérêt ne peut être accordé à l'égard d'une période antérieure à cette date.

31. (6) This section applies in respect of the payment of money under judgment delivered on or after the day on which this section comes into force, but no interest shall be awarded for a period before that day.


[26]            L'article 31 est entré en vigueur le 1er février 1992. En conséquence, il ne s'applique pas aux dépens accordés dans les jugements rendus en 1988.


[27]            Avant le 1er février 1992, l'article 36 de la Loi sur la Cour fédérale était rédigé comme suit :


36. Dans le jugement d'une plainte contre la Couronne, la Cour ne peut accorder d'intérêt sur aucune des sommes qu'elle estime être dues au demandeur, sauf si une clause d'un contrat y pourvoit expressément ou si une disposition législative en prévoit le paiement par la Couronne.

36. In adjudicating on any claim against the Crown, the Court shall not allow interest on any sum of money that the Court considers to be due to the claimant, in the absence of any contract stipulating for payment of that interest or of a statute providing in such a case for the payment of interest by the Crown.


[28]            Compte tenu de la version antérieure de l'article 36 de la Loi sur la Cour fédérale, et de l'absence de disposition législative prévoyant l'octroi d'intérêts avant jugement, il n'y a, à mon avis, aucun fondement justifiant l'octroi d'intérêts avant jugement sur les dépens découlant des jugements de 1988.

[29]            Quant aux intérêts après jugement relativement aux jugements rendus en 1988, l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale alors en vigueur prévoyait ce qui suit :


41. Sauf décision contraire de la Cour, les jugements, y compris ceux contre la Couronne, portent intérêt, à compter de leur prononcé, au taux fixé par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.

41. Unless otherwise ordered by the Court, a judgment, including a judgment against the Crown, bears interest from the time of giving the judgment at the rate prescribed by section 3 of the Interest Act.



[30]            Le taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt, L.R.C. (1985), ch. I-15, (la Loi sur l'intérêt) était de 5 p. cent par an. La jurisprudence interprétant l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale a établi qu'en l'absence d'ordonnance contraire, les intérêts sur les dépens accordés à la suite d'une condamnation aux dépens couraient à partir du jour du jugement et non du jour de la taxation. Voir : Canada (Ministre du Revenu national) c. Bethlehem Copper Corp., [1977] 1 C.F. 577 (C.A.F.). Il restait la compétence de la Cour dans les cas appropriés pour fixer le taux d'intérêt. Voir : Connaught Laboratories Ltd. c. Canada (1983), 49 N.R. 332 (C.A.F.) au paragraphe 27.

[31]            En ce qui concerne le droit du demandeur à des intérêts sur les dépens accordés dans le jugement de 1996, en particulier des intérêts avant jugement, le paragraphe 31(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif est applicable. Il prévoit ceci :


31. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d'intérêt avant jugement qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance visant l'État devant le tribunal et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

31. (1) Except as otherwise provided in any other Act of Parliament and subject to subsection (2), the laws relating to prejudgment interest in proceedings between subject and subject that are in force in a province apply to any proceedings against the Crown in any court in respect of any cause of action arising in that province.


[32]            En l'espèce, la cause d'action est née en Ontario, ce qui rend applicable la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.


[33]            L'alinéa 128(4)c) de la Loi sur les tribunaux judiciaires prévoit qu'il n'est pas accordé d'intérêts avant jugement sur les dépens. Il en est ainsi en Ontario tout au moins depuis les jugements rendus le ou après le 25 novembre 1977. Voir : L.O. 1977, ch. 51, par. 3(2).

[34]            Quant aux intérêts après jugement sur une somme d'argent due aux termes d'une ordonnance délivrée le ou après le 1er janvier 1985, le paragraphe 129(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires prévoit ceci :

129(1)    La somme d'argent due aux termes d'une ordonnance, y compris les dépens devant être liquidés ou ceux fixés par le tribunal, porte intérêt au taux d'intérêt postérieur au jugement, à compter de la date de l'ordonnance.

[35]            Bien qu'il s'agisse de la disposition générale, la Cour a, compte tenu des modifications prévues dans L.O. 1989, ch. 67, article 8, la compétence suivante conformément à ce qui est maintenant l'article 130 de la Loi sur les tribunaux judiciaires à l'égard des causes d'action nées après le 23 octobre 1989 :

130(1) Le tribunal peut, à l'égard de la totalité ou d'une partie de la somme qui porte intérêt aux termes de l'article 128 ou 129, s'il l'estime juste :

                a) refuser les intérêts prévus à l'un ou l'autre article;

                b) accorder des intérêts à un taux supérieur ou inférieur

                à celui qui est prévu à l'un ou l'autre article;

                c) accorder des intérêts pour une période différente de

                celle qui est prévue à l'un ou l'autre article.

(2) Pour l'application du paragraphe (1), le tribunal tient compte :

a) de la fluctuation des taux d'intérêt du marché;

b) des circonstances de l'espèce;

c) du fait qu'un paiement anticipé a été effectué;

d) des faits relatifs à la divulgation de renseignements médicaux par le demandeur;


e) du montant demandé et du montant recouvré dans le cadre de l'instance;

f) du comportement de l'une ou l'autre partie, qui aurait eu pour effet d'abréger ou de prolonger indûment la durée de l'instance;

g) de tout autre facteur pertinent.

[36]            Il n'est pas clair dans mon esprit que la cause d'action dans le jugement de 1996 est née après le 23 octobre 1989 parce que ce jugement se rapportait à la nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu de M. Wilson pour l'année d'imposition 1978 et découlait d'un avis de nouvelle cotisation délivré le 1er février 1989. Les incertitudes ne sont toutefois pas pertinentes parce que, avant les modifications contenues dans L.O. 1989, ch. 67, art. 8, ce qui était alors l'article 140 de la Courts of Justice Act, 1984 prévoyait que :

[TRADUCTION]

140. Le tribunal peut, en tenant compte de la fluctuation des taux d'intérêt du marché, des circonstances de l'espèce, de la conduite de l'instance ou de tout autre facteur pertinent, s'il l'estime juste :

a) refuser les intérêts prévus à l'article 138 ou 139;

b) accorder des intérêts à un taux supérieur ou inférieur à celui qui est prévu à l'article 138 ou 139;

c) accorder des intérêts pour une période différente de celle qui est prévue à l'article 138 ou 139,

à l'égard de la totalité ou d'une partie de la somme qui porte intérêt aux termes de l'article 138 ou 139. L.R.O. 1980, ch. 223, art. 36(6), 37(2).

Le paragraphe 139(1) auquel l'article 140 fait référence était identique au paragraphe 129(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires mentionné précédemment au paragraphe [34].


[37]            Dans Placentile v. Fabris (1993), 14 C.P.C. (3d) 210 (Div. gén.), le juge Kovacs a conclu que les intérêts après jugement payables sur les dépens courent généralement à partir du moment où le montant d'argent qui est à bon droit payable peut être déterminé.

[38]            En conséquence, pour résumer, le demandeur n'a jamais eu droit à des intérêts avant jugement sur ses dépens. Il a toujours eu droit à des intérêts après jugement, mais la Cour avait compétence (elle ne l'a apparemment pas exercée dans les présentes affaires) relativement au refus des intérêts, au taux d'intérêt et à la période au cours de laquelle des intérêts seraient payés. L'exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire est régi par la jurisprudence de la Cour ou par celle des tribunaux de l'Ontario, selon que le jugement a été rendu avant le 1er février 1992 ou par la suite.

[39]            Compte tenu de ce régime législatif, qu'en est-il de la conclusion de l'officier taxateur selon laquelle il n'avait pas compétence pour rendre une décision sur les intérêts?

[40]            L'arrêt-clé de la Cour en ce qui touche les intérêts sur les dépens est Bethlehem Copper, précité. À la page 579, la Cour a conclu que :

L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale énonce qu'un jugement porte intérêt à compter du moment où il a été rendu [Voir note 1 ci-dessous]. Le fait qu'une condamnation aux dépens est un jugement aux fins de l'article 40 n'a pas été contesté.

_________________________________________________________________

Note 1 : L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale énonce :


40. À moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour, un jugement, notamment un jugement contre la Couronne, porte intérêt à compter du moment où le jugement est rendu au taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.

__________________________________________________________________

    Du moment où la condamnation aux dépens est prononcée, il va de soi que son montant exact n'est pas déterminé à moins que le jugement porte sur une somme globale. Cependant, la taxation est essentiellement une procédure administrative, bien que parfois, comme c'est le cas en l'espèce, elle puisse avoir un caractère discrétionnaire. J'estime que ce caractère discrétionnaire de la taxation des dépens ne nous empêche pas d'accorder au libellé de l'article 40 son sens ordinaire. L'intérêt sur les dépens taxés au moment voulu en application d'un jugement doit courir du jour où il a été prononcé, sous réserve, bien sûr, d'une ordonnance contraire. Dans la présente cause, aucune ordonnance contraire n'a été rendue.

[41]            Dans les présentes affaires, aucune ordonnance contraire n'a été rendue quant aux intérêts payables sur les dépens accordés au demandeur.

[42]            L'article 40 de la Loi sur la Cour fédédale, qu'a examiné la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Bethlehem Copper, est identique à la disposition de la Loi sur la Cour fédérale qui, selon ce que j'ai conclu, s'applique aux jugements de 1988. Il s'ensuit, à mon avis, qu'en l'absence d'ordonnance contraire, M. Wilson a droit à des intérêts sur ces jugements au taux de 5 p. cent par an, ce qui est le taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.

[43]            En ce qui a trait au jugement de 1996, je conclus qu'en l'absence d'ordonnance contraire, M. Wilson a, conformément au paragraphe 129(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, droit à des intérêts sur ce jugement à compter de la date où il a été rendu, au taux d'intérêt postérieur au jugement, qui est applicable. La Loi sur les tribunaux judiciaires établit ce taux à 6 p. cent par an.


[44]            Les officiers taxateurs dans All Canada Vac Ltd. c. Lindsay Manufacturing Inc., [1992] A.C.F. no 354, T-262-88 (9 avril 1992) (C.F. 1re inst.) et Canada (Procureur général) c. Doucet, [1994] A.C.F. no 1290, T-2314-92 (20 mai 1994) (C.F. 1re inst.) ont appliqué l'arrêt Bethlehem Copper dans ce sens.

[45]            En conséquence, dans la décision Lindsay Manufacturing, après avoir taxé le mémoire de frais, l'officier taxateur a délivré un certificat pour le montant taxé, plus l'intérêt au taux fixé à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.

[46]            En l'espèce, l'officier taxateur a fondé le fait qu'il n'a pas taxé les intérêts sur les dépens, et vraisemblablement la non-inclusion des intérêts dans le certificat de taxation qu'a délivré l'officier taxateur, sur son interprétation des Règles, en particulier des règles 407 et 409. Avec égards, j'estime qu'en se fondant ainsi sur les Règles, l'officier taxateur a commis une erreur de principe. Je conviens que la Loi sur la Cour fédérale et les Règles ne confèrent pas à l'officier taxateur la compétence pour accorder des intérêts à la partie qui a gain de cause, mais la Loi et les Règles ne confèrent pas non plus à l'officier taxateur la compétence pour refuser le droit substantiel à des intérêts sur le jugement, prévu dans la Loi sur la Cour fédérale ou dans toute autre loi applicable.


[47]            Une partie peut recevoir des intérêts avant jugement ou après jugement par application d'une loi ou d'une ordonnance d'un juge ou d'un protonotaire qui a traité du fond de l'affaire. La partie XI des Règles ne comporte aucune disposition qui autorise l'officier taxateur à accorder ou à refuser des intérêts. Le droit à des intérêts dépendra du libellé de la loi applicable et de l'ordonnance du juge présidant ou du protonotaire.

(C) L'officier taxateur a–t-il commis une erreur en omettant d'examiner correctement les facteurs énoncés à la règle 400?

[48]            M. Wilson se plaint que l'officier taxateur n'a pas examiné correctement les alinéas a) à e) et les alinéas g) à i) de la règle 400(3), mais qu'il a plutôt conclu ceci : « [l]a Couronne m'a convaincu que le demandeur a résisté à ses efforts de régler la question des dépens et en conséquence j'ai accordé des sommes inférieures à ce que j'aurais normalement accordé pour certains articles » .

[49]            À mon avis, il importe de noter que le tarif B représente un compromis entre l'indemnisation de la partie qui a gain de cause par l'allocation des dépens et la non-imposition d'une charge excessive à la partie qui succombe. Ce n'est que dans les cas exceptionnels que la Cour peut s'écarter du tarif B, voir : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 84 C.P.R. (3d) 303 (C.F. 1re inst.).

[50]            Cependant, l'officier taxateur jouit d'un pouvoir discrétionnaire lorsqu'il taxe les dépens. L'officier peut tenir compte des facteurs mentionnés à la règle 400(3) des Règles. Un de ces facteurs, prévu à l'alinéa o), est « toute autre question » que l'officier taxateur juge pertinente.


[51]            Compte tenu de ce pouvoir discrétionnaire, des faits de l'espèce et de la longue période qui s'est écoulée avant que la taxation des dépens ne soit réclamée, je ne puis trouver aucune erreur de principe relativement aux taxations dont je suis saisie, et je ne peux pas conclure non plus, compte tenu des montants taxés, qu'une erreur de principe a été commise. En fait, M. Wilson demande plutôt que la Cour exerce un nouveau pouvoir discrétionnaire relativement à la taxation des dépens. Comme nous l'avons noté précédemment, ce n'est pas le rôle de la Cour dans le cadre de la révision d'une taxation.

LA REQUÊTE DE LA DÉFENDERESSE POUR LIMITER LES INTÉRÊTS

[52]          La défenderesse a invoqué le paragraphe 31.1(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et le paragraphe 130(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires pour obtenir une ordonnance modifiant les intérêts payables aux termes de l'article 129 de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

[53]            Comme nous l'avons noté précédemment, la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif ne s'applique pas aux jugements rendus en 1988. Cependant, comme nous l'avons noté précédemment, la Cour a compétence relativement au refus des intérêts, au taux d'intérêt et à la période au cours de laquelle des intérêts seront payés.


[54]            En examinant l'exercice de cette compétence, je note au départ que je ne suis pas convaincue que la procédure suivie par la Couronne pour soulever cette question soit appropriée. À mon avis, les considérations applicables au pouvoir discrétionnaire de la Cour d'accorder des intérêts avant jugement ou après jugement devraient en temps normal être soulevées avant la taxation de façon à ce que le certificat de l'officier taxateur puisse indiquer les droits des parties au paiement d'intérêts. Malgré cette réserve, comme le caractère adéquat de la procédure n'a pas été soulevé par les parties, je traiterai du bien-fondé de la requête de la Couronne.

[55]            En insistant vivement pour que les intérêts par ailleurs payables soient modifiés, la Couronne a prétendu que les intérêts devraient être réduits en raison de la période excessive qui s'est écoulée avant que M. Wilson ne fasse taxer ses dépens. On a affirmé qu'en raison de cela, il avait été difficile pour la Couronne d'évaluer ces dépens.

[56]            Toutefois, cet argument, à mon sens, ne tient aucun compte de deux facteurs. Premièrement, ce qui est le plus important, l'officier taxateur a déjà réduit le montant des dépens sur le fondement du retard de M. Wilson qui, selon ce qui a été conclu, a résisté aux efforts de la Couronne de régler la question des dépens. Le montant de la réduction n'a pas été précisé. Compte tenu de cette réduction, il n'est pas juste à mon avis de réduire maintenant les intérêts auxquels aurait par ailleurs droit M. Wilson.


[57]            Deuxièmement, l'allocation d'intérêts sur les dépens vise à assurer que le niveau de l'indemnité issu d'une adjudication des dépens ne s'érode pas avec le passage du temps. On a déposé en preuve devant moi la facture de l'avocat de M. Wilson au procès de 1988, qui montre le paiement en octobre 1988 des honoraires et débours au montant de 25 598,12 $ pour les services fournis relativement aux instances qui ont conduit aux jugements de 1988. Une facture semblable a été déposée en preuve relativement au procès de 1986, bien que la preuve n'indique pas clairement quand le compte a été acquitté. La Couronne a pu utiliser la somme qu'elle aurait par ailleurs dû payer à M. Wilson relativement aux dépens.

[58]            Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincue que la Couronne devrait être avantagée en n'étant pas obligée en temps normal de payer des intérêts sur les dépens alloués.

CONCLUSION

[59]            Pour les motifs susmentionnés, j'ai conclu que, sans l'omission de l'officier taxateur d'inclure le droit prévu par la loi à des intérêts après jugement dans le certificat de taxation, il n'y a aucun fondement justifiant l'annulation de la taxation des dépens. J'ai également conclu que la requête de la Couronne visant à obtenir une ordonnance refusant les intérêts dus au demandeur devrait être rejetée.


[60]            Quant à la mise en oeuvre de cette ordonnance, il est plus simple à mon avis que ces affaires soient renvoyées à l'officier taxateur afin qu'il fasse un nouveau calcul de la compensation en tenant compte des droits respectifs des parties en ce qui concerne les intérêts payables sur les dépens qui leur sont alloués. Il ne faut pas oublier que la Couronne, en l'absence d'ordonnance contraire du juge de première instance, aura droit à des intérêts après jugement en application de l'article 37 de la Loi sur la Cour fédérale (en supposant que cette disposition était en vigueur quand les jugements de la Couronne ont été obtenus, la preuve dont je suis saisie n'indiquant pas clairement quand ces jugements ont été obtenus) et des dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.

[61]            Il est loisible aux parties de solliciter d'autres directives.

ORDONNANCE

[62]            LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.          Les taxations dont je suis saisie seront remises à l'officier taxateur afin qu'il fasse un nouveau calcul de la compensation en tenant compte des droits respectifs des parties en ce qui concerne les intérêts payables sur les dépens qui leur sont alloués.

2.          Le reste de la requête du demandeur en révision des taxations est rejeté.

3.          La requête de la défenderesse visant à obtenir une ordonnance refusant ou limitant les intérêts est rejetée.


4.          Il est loisible aux deux parties de solliciter d'autres directives.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                                         Juge                           

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NOS DU GREFFE :                               T-1677-79, T-3488-82, T-2518-89, T-2521-89, T-2522-89

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Grant R. Wilson c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 15 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE

madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :              le 27 octobre 2000

ONT COMPARU :

M. Grant Wilson                                                                        LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE

M. Kevin Dias                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                                                POUR LA

Sous-procureur général du Canada                                            DÉFENDERESSE

Ottawa (Ontario)

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