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                                                                                                                     Date : 20041008

                                                                                                        Dossier : IMM-2789-02

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1390

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                        JING LI ET IMMIGRATION NORTH AMERICA, INC.

                                                                                                                            demandeurs

                                                                       et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         Le 27 octobre 2000, la demanderesse, Jing Li, a épousé Yonghui « Jesse » Zhou. M. Zhou, résident permanent du Canada, a parrainé la demande de résidence permanente au Canada de son épouse. Le 14 février 2001, conformément au Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement), M. Zhou a déposé un engagement portant qu'il résiderait au Canada, exclusivement et sans interruption, à partir de la date de son engagement à l'égard de la demande jusqu'au moment où le parent se verrait accorder le droit d'établissement au Canada. Le 25 mai 2001, un agent d'immigration a informé M. Zhou qu'il remplissait les conditions requises pour parrainer son épouse et, le 18 juillet 2001, la demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente au Canada.

[2]         En février 2002, M. Zhou s'est rendu en Chine. En mars et avril 2002, dans le cadre de l'évaluation de la demande, l'agente des visas chargée de l'évaluation a déterminé que M. Zhou ne résidait pas au Canada exclusivement et sans interruption, contrairement à son engagement et à ce qui était requis pour être un répondant admissible. L'agente des visas a donc conclu que M. Zhou ne répondait pas à la définition de « répondant » et ne remplissait pas les conditions requises pour parrainer la demande de résidence permanente de son épouse. La demande de la demanderesse a été refusée le 10 mai 2002. M. Zhou a interjeté appel devant la Section d'appel de l'immigration, appel qui a ensuite été retiré, puis la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

Questions en litige

[3]         La présente demande soulève les questions suivantes :


a)          L'agente des visas a-t-elle manqué aux règles d'équité procédurale en ne faisant pas part de ses préoccupations en matière de résidence à M. Zhou avant de prendre sa décision ou en se fondant sur une preuve extrinsèque non divulguée à M. Zhou?

b)          L'agente des visas a-t-elle excédé sa compétence en déterminant que M. Zhou ne remplissait pas les conditions requises pour être un « répondant » du fait de son omission de résider « exclusivement et sans interruption » au Canada?

c)          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que la résidence nécessitait une présence physique au Canada?

d)          Étant donné que M. Zhou avait le droit d'interjeter appel devant la Section d'appel de l'immigration (SAI), appel qu'il a ensuite retiré, la demanderesse a-t-elle satisfait à l'obligation d'épuiser les autres recours avant d'introduire la présente demande?

[4]         Deux questions préliminaires ont également été soulevées et tranchées de la façon suivante :

1)          Immigration North America Inc. n'a pas qualité pour agir comme partie à la présente demande.


2)          Bien qu'il ne constitue pas un affidavit souscrit par la demanderesse ou par M. Zhou, l'affidavit de Priscilla Lee sera admis, mais se verra accorder peu de poids.

Analyse

Question 1 : L'agente des visas a-t-elle manqué aux règles d'équité procédurale?

[5]         Il ressort clairement des dossiers du défendeur que la question de la résidence de M. Zhou préoccupait l'agente des visas. Ce qui est moins clair, cependant, c'est de savoir si cette préoccupation a été communiquée à M. Zhou ou à la demanderesse. Le dossier certifié du tribunal ne contient aucun document indiquant à M. Zhou, à la demanderesse ou à leur avocat que l'agente des visas craignait que M. Zhou ne remplisse pas son engagement de résidence. Bien que le dossier fasse état de deux appels téléphoniques à la résidence de M. Zhou, où la personne qui a répondu au téléphone a informé un agent d'immigration que M. Zhou ne reviendrait pas au pays avant la fin de 2002, il est possible que la demanderesse, M. Zhou ou leur avocat n'aient pas été informés que ces appels avaient eu lieu.


[6]         La demanderesse soutient que l'agente des visas a agi de façon contraire au principe bien établi énoncé dans la décision Muliadi et al c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et al, (1986) 2 C.F. 205 (C.A.F.).Dans Muliadi, au paragraphe 16, la Cour d'appel fédérale a souscrit aux vues qu'a exprimées le juge en chef Parker dans H.K. (An infant), [1967] 2 Q.B. 617, à la page 630 :

...même si un agent d'immigration n'agit pas à titre judiciaire ou quasi-judiciaire, je pense que de toute façon il doit donner à l'immigrant la possibilité de le convaincre qu'il satisfait aux exigences du paragraphe, et qu'il doit, à cette fin, communiquer à l'immigrant son impression initiale afin que celui-ci puisse la modifier. À mon sens, il ne s'agit pas de savoir si l'on agit ou si l'on est requis d'agir de façon judiciaire, mais de l'obligation d'agir de manière équitable.

[7]         En l'espèce, la demanderesse prétend n'avoir été au courant ni des préoccupations de l'agente des visas ni des appels téléphoniques qui avaient été faits à la résidence de M. Zhou.

[8]         Je conviens qu'il aurait été préférable que l'agente des visas soumette directement la question à la demanderesse, à M. Zhou ou à leur avocat. Cependant, il est possible, même si le dossier ne fait état d'aucune communication directe, que la demanderesse, M. Zhou ou leur avocat aient su que la question de la résidence était sur le tapis. Étant donné que ni M. Zhou ni la demanderesse n'ont souscrit d'affidavit, il faut examiner le dossier pour déterminer s'ils étaient aussi peu au courant de la question que la demanderesse le prétend maintenant.


[9]         L'agente des visas a demandé aux parties de fournir des éléments de preuve additionnels, dont le passeport et les déclarations de revenu canadiennes de M. Zhou. De toute évidence, cette demande a fait réaliser à l'avocat que la résidence posait problème, comme en fait foi le courrier électronique que ce dernier a envoyé à M. Zhou en date du 21 janvier 2002, indiquant ce qui suit :

[traduction] Parce que le revenu n'est pas en cause dans le parrainage entre époux, et parce que c'est le CTD de Mississauga, et non les bureaux des visas, qui détermine si les exigences en matière de revenu ont été satisfaites, l'agente ne peut vous demander de fournir vos T4 et vos avis de cotisation à des fins de parrainage; KWF semble plutôt chercher à savoir si vous êtes demeuré en Chine après que l'ambassade eut refusé de vous autoriser à rester auprès de votre épouse après avoir rejeté votre demande de PRR. D'où la demande de fournir votre passeport, c.-à-d. pour vérifier si celui-ci fait état d'un retour en Chine, et vos déclarations d'impôt, c.-à-d. pour vérifier si vous vous trouvez au Canada. [Non souligné dans l'original.]

[10]       Même s'il peut ne pas avoir très bien compris la procédure, l'avocat savait pertinemment que la résidence posait problème. Le fait qu'il n'ait pas compris pourquoi n'est pas important; il savait que cette question préoccupait l'agente des visas. Par conséquent, il était loisible à M. Zhou de fournir d'autres renseignements à l'appui de la demande. Le dossier ne contient aucun autre élément se rapportant à cette question. Comme je l'ai mentionné, aucun affidavit n'a été souscrit par la demanderesse ou par M. Zhou. L'agente des visas n'a pas non plus été contre-interrogée relativement à son affidavit. D'après mon examen du dossier, je suis donc convaincue que les parties concernées savaient ou auraient du savoir que la question de la résidence préoccupait l'agente des visas.


[11]       Les appels téléphoniques à la résidence de M. Zhou au Canada auraient dû être divulgués par l'agente des visas. Cependant, je ne suis pas prête à infirmer la décision à cause d'une omission de ce faire. D'abord, il n'existe aucun élément de preuve établissant que M. Zhou ou la demanderesse ne savaient pas que les appels avaient été faits; aucune preuve par affidavit crédible ne traite de cette question. Ensuite, les appels téléphoniques n'étaient pas les seuls éléments de preuve parmi ceux soumis à l'agente des visas qui l'avaient amenée à mettre en doute la résidence de M. Zhou. Même en l'absence des appels téléphoniques, il existe des éléments de preuve étayant la conclusion que M. Zhou n'avait pas résidé « exclusivement et sans interruption » comme l'exige la définition de « répondant » .

[12]       Pour conclure sur cette question, je suis convaincue qu'il n'y a pas eu manquement à l'obligation d'équité.

Question 2 : L'agente des visas a-t-elle excédé sa compétence?


[13]       La définition de « répondant » examinée en l'espèce est celle contenue dans le paragraphe 2(1) du Règlement. (Le Règlement a maintenant été remplacé par le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui a considérablement modifié les exigences en matière de parrainage.) L'alinéa a) de la définition exige que la personne qui parraine une demande démontre « à l'agent d'immigration qu'[elle] résider[a] exclusivement au Canada, sans interruption, à partir de la date de [son] engagement à l'égard de la demande jusqu'au moment où le parent se verra accorder le droit d'établissement au Canada » [non souligné dans l'original]. L'alinéa b) de la définition, qui s'applique aux citoyens canadiens, n'est pas en litige en l'espèce. Une personne peut parrainer la demande d'établissement si elle satisfait à un certain nombre d'exigences, dont celle qui consiste à prendre un engagement (paragraphe 5(2) du Règlement).

[14]       Il semble que selon le régime général applicable aux demandes de parrainage à l'époque pertinente, le répondant fournissait un engagement et faisait l'objet d'une évaluation par un agent d'immigration. Ce traitement initial a été effectué en ce qui concerne M. Zhou au Centre de traitement des demandes de Mississauga et, par lettre en date du 25 mai 2001, il a été informé qu'il remplissait les conditions pour devenir un répondant. Dans la même lettre, on avisait M. Zhou que son engagement était transmis au bureau des visas de Beijing, et que la personne parrainée devait remplir un formulaire de demande de résidence permanente et envoyer ce formulaire au bureau des visas.


[15]       La demanderesse soutient que l'agente des visas a excédé sa compétence en se substituant à l'agent d'immigration, un certain Max, qui avait déjà conclu que M. Zhou remplissait les conditions pour devenir un répondant. Plus particulièrement, la demanderesse signale que l'alinéa a) de la définition prévoit que le répondant doit convaincre « l'agent d'immigration » qu'il est un répondant admissible, et qu'un agent des visas n'est pas un « agent d'immigration » . La demanderesse attire l'attention sur l'alinéa b) de la définition qui parle d'un « agent des visas » , inférant par là que les deux fonctions doivent être distinguées.

[16]       Je ne suis pas de cet avis. Je signale que l'agent des visas est un agent d'immigration au sens de la Loi sur l'immigration (paragraphe 2(1)), qui définit l'agent des visas comme un « agent d'immigration en poste à l'étranger... » Ainsi, selon le sens ordinaire de l'alinéa a) de la définition de « répondant » , l'agente des visas, en l'espèce, était autorisée à déterminer si M. Zhou résiderait au Canada « exclusivement et sans interruption » . Ensuite, s'il est question à l'alinéa b) de la définition d'un « agent des visas » , c'est pour la simple raison que cet alinéa vise des personnes qui se trouvent à l'étranger; ces personnes ont toujours affaire à des agents des visas.

[17]       La demanderesse fait aussi valoir que, si l'agente des visas avait des doutes sur la capacité de M. Zhou de devenir un répondant, elle aurait dû renvoyer le dossier au Centre de traitement des demandes, où un agent d'immigration aurait pu examiner la question. Subsidiairement, la demanderesse soutient qu'une fois la décision de l'agent d'immigration rendue, la question de l'admissibilité était chose jugée.


[18]       Encore une fois, je ne crois pas au bien-fondé de cet argument. Certes M. Zhou avait déjà été informé qu'il remplissait les conditions d'admissibilité, mais cette décision avait été prise le 25 mai 2001, soit avant même que la demanderesse eût présenté sa demande de résidence permanente. Si le répondant devait satisfaire à la condition de maintenir une résidence au Canada jusqu'à ce que la demanderesse obtienne le statut demandé, cette condition pouvait difficilement être « satisfaite » avant même que la demanderesse eût présenté sa demande. En sa qualité de personne chargée d'examiner ladite demande, l'agente des visas était non seulement autorisée à se prononcer sur tous les aspects de la demande de parrainage, y compris sur la question de savoir si M. Zhou était un « répondant » , mais elle y était obligée.

[19]       Je suppose que, règle générale, aucun changement de statut ni aucun nouveau renseignement ne se présentent entre le moment où le répondant est informé qu'il peut parrainer quelqu'un et le moment où la demande est examinée. Cela n'a toutefois pas été le cas en l'espèce. Il ressort des faits de la présente affaire que l'examen effectué par l'agente des visas a soulevé la question de savoir si M. Zhou était, au moment dudit examen, un répondant. L'avis précédent n'était plus exact. Aucune décision finale portant que M. Zhou répondait à la définition de répondant aux fins de la demande d'établissement de la demanderesse n'avait été prise. Le principe de la chose jugée ne s'applique pas.


Question 3 : L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que la résidence nécessitait une présence physique au Canada?

[20]       La demanderesse fait valoir que l'agente des visas a mal interprété le paragraphe 2(1) du Règlement. Cette disposition traite de la « résidence » du répondant, et non de sa présence physique. Elle ne dit pas que les répondants ne peuvent quitter brièvement le Canada tant que l'examen de la demande de visa n'est pas terminé. La demanderesse signale également que la disposition actuelle, soit l'article 130 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, élimine l'obligation faite au répondant de maintenir une résidence au Canada pendant la période d'examen de la demande.

[21]       Bien que cet argument puisse être valable dans certaines circonstances, ce n'est pas le cas en l'espèce. À cause de l'omission de M. Zhou de produire un affidavit à l'égard de la présente demande, je me retrouve saisie d'un dossier qui étaye amplement la conclusion selon laquelle M. Zhou n'a jamais vraiment résidé au Canada. Quant à savoir si la notion de « résidence » implique une présence physique à 100 % ou quelque chose de moins, elle doit au moins se rattacher à un critère minimal de résidence. Aucun élément de preuve digne de foi établissant que M. Zhou a résidé au Canada pendant l'un ou l'autre des délais applicables ne m'a été soumis.


Question 4 : La demanderesse a-t-elle satisfait à l'obligation d'épuiser les autres recours avant d'introduire la présente demande?

[22]       Étant donné ma conclusion selon laquelle l'agente des visas n'a pas commis d'erreur à l'égard de l'une ou l'autre des questions soulevées par la demanderesse, je n'ai pas à examiner cette question.

Conclusion

[23]       Pour les motifs susmentionnés, je suis d'avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Le défendeur ne demande pas de dépens.

[24]       Aucune des parties ne m'ayant demandé de certifier une question, aucune question ne sera certifiée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Immigration North America, Inc. est radiée comme partie à la présente demande.

2.          La demande est rejetée.


3.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

       « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                                                                  

      Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2789-02

INTITULÉ :                                        JING LI ET AL c. M.C.I.

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 5 OCTOBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 8 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Mary Lam                                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Kareena Wilding                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Lam                                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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