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Date : 20210629


Dossier : IMM‑3042‑20

Référence : 2021 CF 684

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

MARSELA NUNAJ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Marsela Nunaj est citoyenne de l’Albanie et résidente permanente du Canada. Mme Nunaj avait cherché à parrainer ses parents au Canada à titre de membres de la catégorie du regroupement familial, mais la demande de parrainage avait été rejetée, parce qu’elle n’avait pas satisfait aux exigences relatives au revenu vital minimum (RVM) prévues au sous‑alinéa 133(1)j)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Mme Nunaj a interjeté appel de la décision de l’agent des visas (l’agent) devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI). En appel, Mme Nunaj a admis qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences relatives au RVM et a demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de faire droit à l’appel pour des considérations d’ordre humanitaire.

[2] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Nunaj conteste la décision de la SAI selon laquelle les considérations d’ordre humanitaire étaient insuffisantes pour justifier une dispense des exigences relatives au RVM. Elle soutient que la décision de la SAI était déraisonnable, car celle‑ci a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte des considérations d’ordre humanitaire et en faisant abstraction d’éléments de preuve au dossier.

[3] Pour les motifs qui suivent, Mme Nunaj n’a pas établi que la décision de la SAI était déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. La question en litige et la norme de contrôle

[4] La seule question en litige dans la présente demande est de savoir si la SAI a raisonnablement conclu que les considérations d’ordre humanitaire étaient insuffisantes pour justifier une dispense des exigences relatives au RVM prévues dans le RIPR.

[5] La Cour suprême du Canada a énoncé les principes directeurs relatifs au contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme du caractère raisonnable est fondée sur la déférence, mais elle est rigoureuse : Vavilov, aux para 12‑13, 75, 85. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[6] Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, Mme Nunaj soutient que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas convenablement compte des considérations d’ordre humanitaire qu’elle avait présentées et en faisant abstraction d’éléments de preuve. Elle fait valoir que la SAI s’est concentrée sur le manque d’éléments de preuve documentaire et a commis une erreur en n’accordant que peu ou pas de poids au témoignage sur la relation étroite qu’elle entretenait avec ses parents, adoptant ainsi un point de vue unilatéral de la preuve. Elle soutient que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve importants qui contredisaient ses conclusions, sans expliquer pourquoi ces éléments n’étaient pas pertinents ou dignes de foi : Salguero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 486 au para 13.

[7] Selon Mme Nunaj, la SAI a indûment écarté son témoignage concernant la relation avec ses parents et le projet de ces derniers visant à la soutenir au Canada et à l’aider à prendre soin de ses enfants, en se fondant sur le manque de soutien des parents dans le passé. La demanderesse soutient qu’elle a témoigné des difficultés psychologiques et financières auxquelles elle serait confrontée sans le soutien de ses parents, compte tenu de l’échec de son mariage et des problèmes qu’elle avait en tant que mère célibataire.

[8] Mme Nunaj affirme que la SAI a manqué à l’équité procédurale en s’appuyant sur le témoignage au sujet de la relation tendue avec ses parents qu’elle avait livré dans le cadre d’une instance relative à la demande d’asile, tel qu’il a été résumé dans une décision, datée du 21 janvier 2014, rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la décision de la SPR). La demanderesse soutient que la décision de la SPR était confidentielle et qu’elle n’aurait pas dû être divulguée par le défendeur ou déposée au dossier de la procédure devant la SAI.

[9] De plus, Mme Nunaj affirme que la SAI a fait abstraction de son témoignage selon lequel elle avait rétabli la relation avec ses parents. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas une bonne relation avec ses parents lorsqu’elle est arrivée au Canada, mais que la naissance de son deuxième fils avait changé le cours de leur relation. Mme Nunaj indique que plus de six ans se sont écoulés depuis qu’elle avait témoigné dans le cadre de sa demande d’asile, et qu’il n’y avait aucun élément de preuve à jour devant la SAI démontrant que ses parents ne la soutenaient pas.

[10] Mme Nunaj soutient que la SAI n’a pas non plus tenu dûment compte de l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’elle a apprécié les considérations d’ordre humanitaire, car la demanderesse avait déclaré dans son témoignage que ses jeunes enfants entretenaient une relation particulièrement étroite avec leurs grands‑parents et que ceux‑là bénéficieraient de la présence permanente de ceux‑ci au Canada : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909.

[11] Mme Nunaj fait valoir que la SAI a conclu de façon déraisonnable qu’elle n’était pas franche dans son témoignage en se basant sur un seul échange, lorsqu’elle a expliqué qu’elle avait mal compris la question.

[12] Enfin, Mme Nunaj soutient que la SAI s’est fondée de manière déraisonnable sur le manque d’éléments de preuve documentaire à l’appui de son témoignage, après avoir rejeté sa demande visant à présenter des documents supplémentaires après l’audience.

[13] Je ne suis pas persuadée que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a examiné la question de savoir si les considérations d’ordre humanitaire dans l’appel de Mme Nunaj justifiaient la prise de mesures spéciales. L’appréciation et l’évaluation de la preuve relèvent du pouvoir discrétionnaire et de l’expertise de la SAI, et il n’appartient pas à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’apprécier à nouveau la preuve : Vavilov, aux para 125‑126; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CA); Brar v Canada (Minister of Employment & Immigration), 1986 CarswellNat 1379, [1986] FCJ No 346 (CA).

[14] Étant donné le manque de soutien des parents dans le passé, la SAI avait tout à fait le pouvoir discrétionnaire de n’accorder aucun poids au témoignage de Mme Nunaj selon lequel ses parents se conformeraient au projet visant à la soutenir financièrement et à prendre soin de ses enfants afin qu’elle puisse travailler. La SAI a pris en compte le témoignage de Mme Nunaj selon lequel elle s’était réconciliée avec ses parents; cependant, elle a constaté que Mme Nunaj n’avait pas fourni de détails sur cette réconciliation et a noté que ses parents n’avaient pas témoigné devant la SAI ou présenté des lettres appuyant l’appel de la demanderesse. La SAI était troublée par le fait que la relation avec les parents de Mme Nunaj n’avait pas été d’un grand soutien lorsque celle‑ci avait été obligée de présenter une demande de statut de réfugié dans un pays étranger en raison d’un époux violent, une période où elle avait grandement besoin de leur soutien. Le dossier ne contenait aucun élément de preuve de la part des parents qui indiquerait une volonté de fournir un soutien à Mme Nunaj ou de s’occuper de ses enfants. La SAI a fait remarquer que, dans son témoignage, Mme Nunaj avait déclaré que ses parents n’avaient jamais essayé de lui rendre visite au Canada, et a raisonnablement pris en compte le manque d’éléments de preuve corroborants étayant la relation entre ses parents, elle‑même et les enfants, tels que des pièces de correspondance avec ses parents ou des registres d’appels téléphoniques ou de messages. Comme le souligne le défendeur, Mme Nunaj a déclaré que la relation avec ses parents s’était améliorée après la naissance de son fils en mars 2014, soit deux mois après son témoignage devant la SPR selon lequel ses parents l’avaient reniée. Depuis, les parents de Mme Nunaj ne lui avaient pas rendu visite et n’avaient pas rencontré les enfants, et aucun élément de preuve ne démontrait que les parents avaient fait des efforts pour l’aider, financièrement ou autrement.

[15] De même, en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, bien que Mme Nunaj ait déclaré dans son témoignage que ses enfants bénéficieraient de la présence de leurs grands‑parents au Canada, la SAI a raisonnablement conclu que la demanderesse avait fourni peu d’éléments de preuve attestant de la relation de ses parents avec les enfants. Il était loisible à la SAI de conclure, sur la base du manque d’éléments de preuve, que l’intérêt supérieur des enfants n’était pas un facteur particulièrement déterminant dans le cadre de l’appel.

[16] La SAI a souligné que les facteurs à prendre en compte pour accorder une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire comprenaient l’ampleur de l’insuffisance du revenu de Mme Nunaj par rapport au RVM, la nature et la solidité de la relation avec les parents de la demanderesse, les motifs du parrainage, le besoin de soutien familial et l’intérêt supérieur des enfants. La SAI a tenu compte de ces facteurs ainsi que d’autres, puis a raisonnablement examiné et apprécié la preuve. Mme Nunaj n’a pas établi que la SAI avait commis une erreur dans l’appréciation de son témoignage, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve documentaire. La demanderesse n’a signalé aucun élément de preuve important négligé par la SAI ou contredisant les conclusions de celle‑ci.

[17] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SAI n’a pas manqué à l’équité procédurale en admettant la décision de la SPR et en tenant compte du témoignage de Mme Nunaj tel qu’il y est résumé. L’avocate du défendeur a signifié et déposé la décision de la SPR une semaine avant l’audience devant la SAI, accompagnée d’une lettre expliquant sa pertinence pour la procédure de la SAI. Au début de l’audience, avant de marquer les documents comme pièces, le commissaire de la SAI a demandé à l’avocate de Mme Nunaj si elle avait reçu la lettre et la décision de la SPR, et si elle avait l’intention de soulever une objection. L’avocate de Mme Nunaj a confirmé la réception des documents et a déclaré qu’il n’y avait pas d’objection.

[18] De plus, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SAI n’a pas commis d’erreur en refusant la demande de Mme Nunaj de présenter des documents après l’audience. La SAI a noté que Mme Nunaj avait été avisée de présenter sa preuve documentaire avant l’appel, après avoir manqué un délai prorogé pour le faire. L’explication fournie à la SAI — à savoir que l’un des enfants avait subi une opération pour lui enlever les amygdales le 24 février 2020 — n’explique pas le défaut de présenter des documents entre l’avis envoyé en août 2019 et l’audience tenue en mars 2020. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Nunaj n’attire l’attention sur aucun autre élément de preuve expliquant pourquoi elle n’a pas été en mesure de déposer une preuve documentaire avant la date de l’audience, ou les efforts qu’elle a entrepris pour recueillir des éléments de preuve avant l’audience.

[19] En fin de compte, la décision de la SAI de rejeter l’appel reposait sur l’insuffisance de ce qui avait été produit par rapport à la preuve requise pour permettre à Mme Nunaj de s’acquitter de son fardeau. À mon avis, la SAI a raisonnablement rejeté l’appel au motif que Mme Nunaj n’avait pas démontré suffisamment de considérations d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants, pour justifier une dispense des exigences relatives au RVM prévues dans le RIPR, à la lumière de l’ensemble des circonstances de son dossier.

IV. Conclusion

[20] Mme Nunaj n’a pas démontré que la décision de la SAI était déraisonnable, et, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[21] Aucune partie n’a proposé de question à certifier. Il n’y a aucune question à certifier en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3042‑20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3042‑20

 

INTITULÉ :

MARSELA NUNAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 29 juin 2021

COMPARUTIONS :

Anu Kumar

 

Pour la demanderesse

 

Camille Audain

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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