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Date : 20210728


Dossier : IMM-4685-20

Référence : 2021 CF 797

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

GBOLAHAN OLU AWAKAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Awakan, un citoyen du Nigéria, a demandé l’asile au Canada en 2018. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande au motif qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Abuja, au Nigéria. Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), mais cette dernière a rejeté l’appel et confirmé la conclusion de la SPR concernant la PRI. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[2] La demande sera rejetée étant donné que la SAR a traité de façon cohérente chacune des questions dont elle était saisie et qu’elle a justifié ses conclusions en renvoyant à la décision de la SPR, à la preuve au dossier ainsi qu’aux observations du demandeur en appel.

I. Contexte

[3] Le demandeur a quitté le Nigéria pour se rendre aux États‑Unis en 2017, car il craignait d’être victime de violence de la part de membres de la société secrète Ogboni (la société Ogboni) et de la police nigériane, laquelle entretiendrait des liens importants avec la société Ogboni, selon lui. Il est arrivé au Canada le 9 mars 2018. Son épouse et ses trois enfants d’âge adulte sont demeurés au Nigéria.

[4] Avant son départ du Nigéria, le demandeur travaillait comme gestionnaire du système interne d’enquête sur les fraudes d’une banque bien établie. Un de ses collègues, M. Omokemi, a tenté de le convaincre de prendre part à un stratagème pour frauder la banque. Le demandeur craignait M. Omokemi, dont il connaissait l’appartenance à la société Ogboni, mais a refusé de participer au stratagème. Bien que le demandeur ait signalé l’incident à son supérieur, la fraude a été commise. Le demandeur a pu récupérer les fonds, mais il a été subséquemment congédié par le comité disciplinaire de la banque. Un autre collègue lui a fait savoir que deux des membres du comité appartenaient à la société Ogboni.

[5] Le demandeur affirme avoir été enlevé par un groupe de quatre hommes peu après. Il a été agressé et gardé en captivité jusqu’à son évasion deux jours plus tard. Le demandeur soutient qu’il a reçu des menaces constantes de la part de membres de la société Ogboni sur son cellulaire avant et après qu’il a fui le Nigéria pour aller aux États‑Unis.

[6] Le demandeur a présenté l’affidavit de son épouse faisant état de trois incidents où des hommes non identifiés ont pénétré de force dans son domicile au Nigéria en se faisant passer pour des policiers. Ces incidents ont eu lieu en mars, en avril et en juin 2017, après que le demandeur a quitté le Nigéria. Le demandeur affirme que les trois individus ont pu obtenir un mandat de perquisition, qu’ils ont présenté lors de l’incident de juin 2017. Selon le demandeur, cette capacité d’obtenir un mandat de perquisition témoigne du pouvoir et de la corruption de la société Ogboni et des services policiers étant donné qu’il n’a jamais été accusé d’un crime au Nigéria.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur le 14 juin 2019. Elle a examiné les deux volets du critère relatif à l’existence d’une PRI, concluant en premier lieu que le demandeur n’avait pas démontré que M. Omokemi et la société Ogboni avaient des liens avec la police partout au Nigéria ni que les hommes qui s’étaient rendus à son domicile après son départ étaient liés à M. Omokemi ou à la société Ogboni. La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était toujours recherché après son évasion et son départ du Nigéria. Au vu de la preuve documentaire objective figurant dans le cartable national de documentation (le CND), le tribunal a conclu que le demandeur ne serait pas en danger à Abuja. En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la SPR a déterminé qu’il n’était pas objectivement déraisonnable pour le demandeur de chercher refuge à Abuja, compte tenu de son niveau d’éducation, de son expérience de travail et de sa capacité à trouver du travail.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] En appel devant la SAR, le demandeur a contesté divers aspects de l’analyse de la PRI effectuée par la SPR. La SAR a examiné chacune des observations du demandeur en fonction du critère à deux volets énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam), et a finalement conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son analyse. Par conséquent, elle a rejeté l’appel.

[9] La SAR a d’abord examiné l’observation du demandeur selon laquelle la SPR a eu tort de ne pas lui accorder le bénéfice du doute concernant la possibilité que ses agents de persécution aient des liens partout au Nigéria et que les policiers qui s’étaient rendus à son domicile soient liés à M. Omokemi et à la société Ogboni. La SAR n’a relevé aucune erreur dans l’examen de cette question par la SPR et a indiqué que le demandeur avait confondu la question de la crédibilité et la question de la suffisance de la preuve. Le demandeur croyait que M. Omokemi et la société Ogboni disposaient des moyens nécessaires pour le trouver à Abuja, mais il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir ce fait selon la prépondérance des probabilités.

[10] Quant à savoir si la SPR a [traduction] « sélectionné à sa guise » la preuve documentaire figurant dans le CND, la SAR a souligné que le demandeur n’avait présenté aucun motif à l’appui de son argument et que la SPR avait passé en revue la preuve documentaire sur la société Ogboni lorsqu’elle a interrogé le demandeur au sujet d’Abuja. En l’absence d’un argument précis sur l’erreur qu’aurait commise la SPR et ayant elle‑même examiné les documents du CND, la SAR n’a constaté aucune erreur et a fait sien les motifs de la SPR.

[11] En appel, le demandeur a également soutenu que la SPR aurait dû lui accorder le bénéfice du doute quant à la motivation des policiers à le repérer. La SAR n’était pas d’accord. Le tribunal a mentionné qu’il avait examiné la preuve et a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir cette motivation prospective, particulièrement compte tenu des quatre années qui se sont écoulées depuis son congédiement par la banque. La SAR a souligné que le demandeur ne savait pas si les personnes ou les policiers qui s’étaient rendus à son domicile après son départ appartenaient ou non à la société Ogboni. L’affidavit de son épouse n’a pas été contesté, mais il ne suffisait pas en soi à établir que les personnes qui s’étaient rendues à son domicile étaient des policiers ou étaient liées à M. Omokemi ou à la société Ogboni. La SAR était d’accord avec la SPR pour dire que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve faisant foi d’une quelconque poursuite depuis 2017.

[12] En ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à l’existence d’une PRI, la SAR a souligné la brièveté des arguments invoqués en appel par le demandeur au sujet des erreurs qui auraient été commises à cet égard. Le demandeur a affirmé que la SPR a supposé que sa situation personnelle l’aiderait à trouver du travail et qu’elle ne lui a pas accordé le bénéfice du doute relativement au fait que « les dynamiques de sa vie » augmenter le risque auquel il serait exposé. La SAR a conclu que rien dans le dossier ne donnait à penser qu’il serait déraisonnable pour le demandeur de se réinstaller à Abuja, eu égard aux nouveaux éléments de preuve relatifs aux mesures prises par le gouvernement nigérian en réponse à la pandémie de COVID‑19.

[13] En résumé, la SAR n’a constaté aucune erreur dans l’analyse qu’a effectuée la SPR des deux volets du critère relatif à l’existence d’une PRI et a donc rejeté l’appel.

III. Question en litige et norme de contrôle

[14] La question en l’espèce est celle de savoir si la SAR a commis une erreur en concluant que le demandeur disposait d’une PRI viable à Abuja. Le demandeur conteste l’analyse des deux volets du critère qu’a effectuée la SAR. Il soutient d’abord que la SAR a commis une erreur en appréciant la capacité et la motivation de ses agents de persécution à le retrouver à Abuja sans tenir compte de son témoignage accepté et crédible ni de la preuve objective. Le demandeur fait également valoir que la SAR a eu tort d’affirmer qu’Abuja constitue une PRI raisonnable, car elle n’a pas pris en compte sa situation personnelle.

[15] Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme applicable aux motifs et aux conclusions de la SAR concernant l’existence d’une PRI est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov)). Aucune des situations énumérées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov permettant de déroger à la présomption ne s’applique en l’espèce.

[16] La Cour suprême souligne deux composantes d’une décision raisonnable : le raisonnement du décideur et le résultat de la décision. Les motifs exposés doivent refléter une analyse logique et expliquer le résultat de façon intelligible. Bien qu’un résultat puisse être raisonnable, il ne saurait être « tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné » (Vavilov, au para 86). Je conviens avec le demandeur que le raisonnement sous‑jacent d’une décision administrative doit être transparent, intelligible et justifié.

IV. Analyse

[17] La notion de PRI est inhérente à la définition de réfugié au sens de la Convention à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Si le demandeur d’asile peut trouver refuge ailleurs dans un pays, habituellement son pays de nationalité, le Canada n’est pas tenu de lui offrir une protection. De plus, une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR est une personne qui est exposée à un risque de préjudice partout dans ce pays. Par conséquent, l’existence d’une PRI viable entraîne le rejet d’une demande d’asile fondée sur les articles 96 ou 97 (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7).

[18] Le critère pour déterminer si le demandeur d’asile dispose d’une PRI viable a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rasaratnam. Le décideur doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que :

1. le demandeur ne sera pas exposé à une sérieuse possibilité de persécution ou à un risque au sens de l’article 97 dans la ville proposée comme PRI;

  1. la situation dans la partie du pays proposée comme PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont propres.

[19] Il incombe au demandeur de démontrer qu’il ne répond à aucun des deux volets du critère (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA); Obotuke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 407 au para 16).

1. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation du risque de persécution auquel serait exposé le demandeur à Abuja?

[20] Le demandeur affirme que l’appréciation effectuée par la SAR de la capacité et de la motivation de ses agents de persécution à le retrouver à Abuja comporte des erreurs susceptibles de contrôle à deux égards. Premièrement, le demandeur soutient que l’analyse de la SAR va à l’encontre de son témoignage et de la preuve. Deuxièmement, il affirme que la SAR s’est fondée sur des extraits isolés de certains rapports sur la situation au pays figurant dans le CND et a fait fi d’éléments de preuve contradictoires dans ces mêmes rapports. De l’avis du demandeur, ces deux erreurs minent de façon individuelle et cumulative la transparence et la justification des conclusions de la SAR et rendent la décision déraisonnable.

[21] J’ai examiné soigneusement les arguments du demandeur eu égard à la preuve au dossier et à la preuve documentaire qu’il invoque, mais je n’ai pas été convaincue par ses arguments. La SAR a examiné la preuve de manière exhaustive et intelligible et a traité des observations qu’il a soulevées en appel. Chaque conclusion de la commissaire est expliquée de manière transparente et cohérente et est justifiée. Par conséquent, je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son appréciation du premier volet du critère.

[22] Le demandeur souligne que son exposé circonstancié et son témoignage ont été jugés crédibles par la SPR et la SAR. Il soutient que les éléments de preuve qu’il a présentés fournissaient amplement d’information sur M. Omokemi et la société Ogboni, sur leur niveau d’organisation et sur leur capacité à le retrouver n’importe où au Nigéria. Par exemple, au cours de son témoignage devant la SPR, le demandeur a affirmé que la société Ogboni est omniprésente dans le pays et qu’elle jouit d’une grande influence auprès des forces policières. Le demandeur fait également valoir que son témoignage a été corroboré par les affidavits de son épouse et de son ami et par le rapport médical faisant état des blessures qu’il a subies durant son enlèvement.

[23] La SAR s’est penchée sur l’observation du demandeur selon laquelle la SPR aurait dû lui accorder le bénéfice du doute quant à son témoignage et au fait qu’il croit que ses agents de persécution sont en mesure de le retrouver peu importe où il se trouve au Nigéria. Comme je l’ai mentionné précédemment, la SAR a conclu que le demandeur confondait la question de la crédibilité et la question de la suffisance de la preuve. La commissaire a reconnu que le demandeur croyait que la société Ogboni disposait des moyens nécessaires pour le retrouver à Abuja, mais elle a ajouté qu’il n’avait « présenté aucune autre preuve pour l’établir selon la prépondérance des probabilités ». La SAR a renvoyé au paragraphe 37 de la décision Iyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 67 de notre Cour :

[37] […] Contrairement aux observations des demandeurs, le fait que leur témoignage soit crédible concernant leur peur n’atténue pas l’exigence de fournir suffisamment d’éléments de preuve objectifs.

Comme énoncé dans la décision Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521, au paragraphe 54, 266 ACWS (3d) 435 :

[54] En l’espèce, les demandeurs ont été jugés crédibles; cependant, cela n’élimine pas la nécessité d’éléments de preuve objectifs selon lesquels la possibilité de refuge intérieur proposée n’est pas viable. […]

[24] Les arguments avancés par le demandeur à l’appui de sa demande en l’espèce sont similaires à ceux qu’il a exposés à la SAR. Il fait valoir que son témoignage au sujet de sa suspension et de son congédiement de la banque ainsi que de son enlèvement subséquent n’a pas été contesté. Je suis d’accord. Il soutient également avoir affirmé de manière crédible qu’il croyait que la société Ogboni peut le retrouver à Abuja. Là encore, je suis d’accord, mais je reprends la conclusion de la SAR selon laquelle le fait que le demandeur croyait que ses agents de persécution avaient les moyens de le retrouver n’importe où au Nigéria ne permet pas d’établir que ceux‑ci sont objectivement en mesure de le faire. Il s’agit d’une question de preuve insuffisante et non de crédibilité ou de conclusions déguisées sur la crédibilité. L’argument du demandeur selon lequel son témoignage est corroboré par les affidavits de son épouse et de son ami et par le rapport médical faisant état des blessures qu’il a subies par suite de son enlèvement n’est pas convaincant, car ces documents ne traitent pas de cette question. Plus précisément, l’affidavit de son épouse ne lie pas les incidents survenus au domicile familial à la société Ogboni et n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, l’influence ou la portée de M. Omokemi ou de la société Ogboni à Abuja.

[25] Le demandeur conteste la déclaration de la SAR selon laquelle la société Ogboni n’est pas parvenue à le retrouver après son enlèvement et avant son départ du Nigéria. Il souligne qu’il s’était réfugié chez un ami dans sa ville natale pendant cette période, de la fin de l’année 2016 à février 2017. Je reconnais que la preuve démontre que le demandeur est resté chez un ami à la suite de son enlèvement et de son hospitalisation. Cela dit, la question de savoir si le demandeur est demeuré caché ou non pendant l’intégralité de cette période ne permet pas d’établir la capacité de ses agents de persécution de le retrouver à Abuja.

[26] En ce qui concerne la preuve documentaire figurant dans le CND, le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en se fondant sur des extraits isolés de la preuve documentaire tout en faisant fi d’éléments de preuve allant à l’encontre de ses conclusions. Ces éléments de preuve se trouvaient en partie dans les mêmes documents auxquels la commissaire a renvoyé dans sa décision.

[27] La SAR a fait référence aux documents 1.3 et 13.5 du CND et a fait remarquer que ceux‑ci ont été portés à l’attention du demandeur au cours de l’audience devant la SPR. Cette dernière a indiqué au demandeur que la société Ogboni n’ pas de réel pouvoir ni d’influence dans les États du Centre‑Ouest, mais celui‑ci a répondu qu’il savait que la société continuait d’avoir une influence dans l’ensemble du pays. À la suite d’un examen indépendant du CND et en l’absence d’un argument précis dans les observations du demandeur sur les erreurs qu’aurait commises la SPR, la SAR a conclu que l’évaluation de la preuve objective effectuée par la SPR ne comportait aucune erreur.

[28] Dans ses observations en l’espèce, le demandeur renvoie au document 1.3 du CND et au rapport sur une entrevue avec un avocat nigérian qui s’y trouve. Cette entrevue porte sur la capacité de la société Ogboni à trouver et à éliminer les anciens membres de la société qui sont susceptibles de révéler ses secrets, et sur les efforts que la société déploie à cette fin. L’avocat nigérian affirme que la société compte des ramifications partout au pays et qu’elle peut trouver un ancien membre si elle le souhaite. Cet exemple de preuve contradictoire ne m’amène pas à conclure que la SAR a commis une erreur. Certes, le rapport traite du pouvoir qu’exerce la société Ogboni dans toutes les régions du Nigéria, mais il porte sur l’utilisation de ce pouvoir pour trouver d’anciens membres de la société. Cet élément de preuve doit être soupesé en fonction de l’évaluation par la SAR de la motivation de la société Ogboni à retrouver le demandeur, qui n’en a jamais été membre.

[29] Selon la preuve objective, la société Ogboni compte parmi ses membres des policiers, des magistrats et des fonctionnaires, ainsi que des membres d’autres groupes considérés comme appartenant à l’élite. Je conviens avec le demandeur que la SAR a eu tort de déclarer que son témoignage à cet égard était purement hypothétique. Je n’en conclus pas qu’il s’agit d’une erreur importante ou susceptible de contrôle dans le contexte de la décision dans son ensemble. Les arguments du demandeur à propos de l’infiltration de membres de la société Ogboni dans les forces policières et de la question générale de la corruption dans les corps policiers nigérians n’établissent pas la thèse du demandeur, à savoir qu’il serait exposé à la persécution et à un préjudice sérieux de la part des services policiers à Abuja. Le demandeur doit établir leur motivation à agir ainsi.

[30] La SAR a conclu que le demandeur n’a pas établi que la société Ogboni était toujours motivée à le retrouver ou en avait toujours l’intention quatre ans après son départ du Nigéria, que ce soit par ses propres membres ou par l’intermédiaire de ses liens avec la police. Je conclus qu’il était loisible à la SAR d’en arriver à cette conclusion eu égard aux éléments de preuve fournis par le demandeur et à la preuve objective dont elle disposait.

[31] Premièrement, la SAR a examiné la question de savoir si les personnes ou les policiers qui se sont rendus au domicile du demandeur au Nigéria en 2017 voulaient lui causer du tort pour le compte de M. Omokemi ou de la société Ogboni. La SAR a souligné que lors de son témoignage à l’audience devant la SPR, le demandeur a déclaré que ni lui ni son épouse ne savaient si les policiers en question étaient membres de la société Ogboni. La SAR a également fait remarquer que lorsqu’on lui a demandé si son épouse savait pourquoi la police le cherchait, il a répondu qu’il ne pensait pas qu’elle le savait.

[32] Comme je l’ai déjà dit, la SAR a reconnu que le témoignage et la preuve du demandeur n’ont pas été contestés, mais a conclu que les éléments de preuve que celui-ci avait présentés n’avaient pas démontré que les personnes qui se sont présentées chez lui étaient des policiers ou étaient liées à ses agents de persécution. Le raisonnement de la SAR et son explication de sa conclusion sont justifiés. Le demandeur soutient que la seule conclusion logique que l’on peut tirer du fait qu’il n’est pas recherché pour un crime au Nigéria, conjugué à la preuve de la corruption endémique au sein des forces policières et des liens de ces dernières avec la société Ogboni, est que les trois incidents survenus à son domicile doivent avoir été causés pour le compte de M. Omokemi et de la société Ogboni. Je ne suis pas disposée à tirer cette conclusion en l’absence d’éléments de preuve concernant l’identité, la profession ou les affiliations des hommes responsables des incidents.

[33] Deuxièmement, le demandeur conteste l’évaluation qu’a effectuée la SAR de sa preuve concernant la diffusion de sa photo par les forces policières au Nigéria et son défaut de prouver son affirmation voulant qu’il ait reçu des menaces par message texte de la part de ses agents de persécution après avoir quitté le Nigéria. La preuve du demandeur concernant la diffusion d’une photo consiste en son témoignage selon lequel il ne sait pas si une photo a été diffusée, mais qu’il connaît les pratiques des policiers. La question concernant les messages textes découle d’une observation formulée par le demandeur dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, à savoir que les messages textes étaient admissibles en preuve. La SPR, après avoir demandé au demandeur pourquoi il n’avait pas présenté une copie papier des messages textes à l’audience, n’a pas été convaincue par sa réponse, à savoir qu’il n’était pas en mesure de montrer les messages textes au tribunal puisque la pile de son cellulaire avait lâché et qu’il ne pouvait pas s’en procurer une nouvelle. La SPR lui a demandé s’il avait conservé une copie des messages textes, et il a initialement indiqué qu’il pourrait en fournir une. Lorsque la SPR a insisté sur la question, le demandeur a dit qu’il ne pouvait pas produire une copie, et la SPR a conclu que ses explications étaient aussi changeantes qu’évasives.

[34] Le demandeur soutient que ni la SPR ni la SAR n’auraient dû exiger la corroboration de ses déclarations. Je ne constate aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard puisque la question de la preuve corroborante a été soulevée en raison des éléments de preuve que le demandeur a lui‑même présentés et non en raison d’une obligation de produire des éléments corroborants imposée par le décideur.

2. La SAR a-t-elle commis une erreur en considérant Abuja comme une PRI raisonnable?

[35] Le demandeur fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de tous les aspects de sa situation personnelle lorsqu’elle a examiné s’il serait déraisonnable pour lui de s’installer à Abuja. Il affirme que le tribunal a limité son analyse à la probabilité qu’il trouve un emploi dans la ville et a fait fi de facteurs comme son statut d’Autochtone, son âge et le fait qu’il n’a pas de famille à Abuja.

[36] Le demandeur a présenté très peu d’observations concernant le deuxième volet du critère relatif à l’existence d’une PRI. Il a fait référence à la décision de la SPR et a déclaré que [traduction] « la conclusion de la Commission au paragraphe 34 montre que celle‑ci a encore une fois omis de lui accorder le bénéfice du doute étant donné que les dynamiques de sa vie augmentent le risque auquel il est exposé ».

[37] Le demandeur soutient que la SAR devait tenir compte de tous les aspects de sa vie, qu’il ait ou non souligné dans ses observations des erreurs ou des omissions précises dans la décision de la SPR. Il s’appuie sur une décision de 2018 de la SAR dans laquelle la commissaire avait dressé une liste de facteurs s’appliquant au deuxième volet du critère relatif à l’existence d’une PRI, notamment le transport et les déplacements, la langue, l’éducation et l’emploi, le logement, la religion, l’identité autochtone et la disponibilité des soins médicaux et des soins de santé mentale (X (Re), 2018 CanLII 52123 (CA CISR) au para 22). Or, il est nécessaire de lire cette décision dans son ensemble pour comprendre l’approche de la SAR. Le paragraphe qu’a cité le demandeur fait partie d’une section d’introduction dans laquelle la commissaire énonce les principes généraux qui s’appliquent à une PRI. Dans son analyse, la commissaire a fait référence au témoignage de l’appelante et aux observations que celle-ci a produites en appel (au para 40) :

[40] À l’audience, il a été demandé à l’appelante pourquoi elle ne pouvait pas déménager à Port Harcourt ou à Ibadan. Elle a déclaré qu’elle ne pouvait vivre à Port Harcourt parce qu’elle ne parlait pas la langue locale, qu’elle ne vient pas de cet État et que son appartenance au groupe ethnique des Yoruba la distinguerait. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait vivre à Ibadan en raison de sa proximité géographique du lieu de résidence de ses agents de persécution (voir ci-dessus) et parce qu’elle n’y connaît personne, de sorte qu’elle aurait des difficultés en matière de logement et d’emploi. J’aborderai chaque facteur à tour de rôle.

[38] En l’espèce, la SPR a souligné que le demandeur n’avait pas expliqué dans son témoignage pourquoi il ne pouvait pas vivre à Abuja. En appel, le demandeur n’a parlé de sa situation que de façon générique et n’a abordé aucun facteur susceptible de miner le caractère raisonnable d’Abuja comme PRI pour lui personnellement (Akintola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 971 aux para 21, 32). Dans sa décision, la SAR a affirmé que le demandeur n’a pas précisé ce qu’il entendait par « les dynamiques de sa vie ». La commissaire a tenu compte des facteurs évidents – le discernement, le niveau de scolarité et l’expérience de travail considérable du demandeur – et a conclu que ces facteurs l’aideraient à s’établir à Abuja.

[39] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a déclaré que la cour de révision doit « interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus » (au para 94). En l’espèce, dans le cadre du contrôle de la décision de la SAR, il est crucial de prendre en compte la manière dont le demandeur a formulé ses motifs d’appel (Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 13).

[40] J’ai examiné la preuve ainsi que les arguments présentés par le demandeur en appel et en l’espèce. Je conclus qu’il était loisible à la SAR de conclure que la SPR n’a commis aucune erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi que sa situation personnelle donnerait lieu à des conditions déraisonnables qui mettraient sa vie et sa sécurité en danger s’il s’installait à Abuja. Il n’a fourni aucun élément de preuve concret faisant foi de telles conditions.

V. Conclusion

[41] En résumé, je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer qu’il ne dispose pas d’une PRI viable à Abuja. Le demandeur n’a pas établi que ses agents de persécution ont toujours la motivation de le trouver à cet endroit et de lui causer du tort ou qu’ils continuent de le pourchasser depuis son évasion et son départ du Nigéria. Je conclus également que la conclusion de la SAR selon laquelle il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de se réfugier à Abuja est justifiée eu égard à la preuve et aux observations des parties. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR est rejetée.

[42] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4685-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4685-20

 

INTITULÉ :

GBOLAHAN OLU AWAKAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 15 juillet 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JUILLET 2021

 

COMPARUTIONS :

MIvan Skafar

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MZoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hasa Avocats

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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