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Date : 20060322

Dossier : T-1694-04

Référence : 2006 CF 370

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

 

ENTRE :

ROBERT MORGAN, s/n

KONA CONCEPT INC.

demandeur

et

 

GUIMOND BOATS LIMITED

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur sollicite un jugement sommaire de la Cour :

 

[traduction] déclarant que le jugement de la cour de district des États‑Unis, district d’Hawaii, rendu le 26 juillet 2004, et modifié le 26 janvier 2005, condamnant la défenderesse, Guimond Boats Limited, à verser au demandeur la somme de 402 213,48 $US, plus 28 183,45 $US au titre des dépens et des honoraires d’avocat, doit être reconnu et exécuté pour la somme équivalente en dollars canadiens en tant que jugement définitif de la Cour.

 

[2]               Le demandeur est résident de l’État d’Hawaï. Il avait pris connaissance d’une publicité de la défenderesse dans une revue, s’était rendu dans les locaux de la défenderesse à Escuminac (Nouveau-Brunswick) et avait éventuellement (en utilisant l’apparente raison sociale figurant dans l’intitulé de la cause) conclu avec la défenderesse, société constituée en vertu des lois du Nouveau‑Brunswick, un contrat portant sur la construction et la livraison d’un bateau de pêche en haute mer destiné à la pêche dans les eaux du littoral de son État d’origine.

 

[3]               Le bateau a été construit, livré et payé au Nouveau-Brunswick. Après en avoir pris livraison, le demandeur l’a acheminé jusqu’à Hawaï. Un différend étant survenu quant à la navigabilité du bateau et au respect des conditions du contrat de vente, le demandeur, utilisant à nouveau sa raison sociale, a intenté une action, à Hawaï, devant la cour de district des États-Unis. La défenderesse a comparu par l’intermédiaire d’un avocat et a sollicité le rejet de l’action en invoquant le défaut de compétence. La requête a été rejetée et aucun appel n’a été interjeté de l’ordonnance de rejet. La défenderesse a alors, dans un premier temps, donné pour instruction à son avocat hawaïen de comparaître devant la cour et de contester l’action mais, changeant ensuite de tactique, elle lui a demandé de se retirer de l’affaire, ce que l’avocat a fait tout en précisant que sa cliente entendait s’opposer à tout effort en vue de faire exécuter le jugement de la cour américaine au Canada. La cour de district a fini par rendre un jugement par défaut et ce jugement a par la suite été modifié afin d’y ajouter le demandeur à titre personnel.

 

[4]               La défenderesse a soulevé plusieurs objections sur des questions de forme, mais aucune d’elles ne me paraît fondée. La requête est accompagnée de l’affidavit d’un membre du cabinet d’avocats retenu par le demandeur; cet affidavit atteste des questions de pure forme et joint en annexe divers documents (dont l’authenticité n’est pas contestée), mais cela ne justifie pas, selon moi, la radiation de l’affidavit ou la récusation de l’avocat du demandeur; au besoin, je pourrais accorder l’autorisation de la Cour en vertu de l’article 82 des Règles. Le fait que la société demanderesse ait été dissoute conformément aux lois de l’État d’Hawaï avant que la cour des États‑Unis rende son jugement qui a été modifié par la suite afin de remplacer la raison sociale du demandeur par son nom personnel n’a pas à retenir l’attention de la Cour, car ces questions relèvent des tribunaux à Hawaï. Il en va de même de l’allégation de la défenderesse selon laquelle le jugement en question constitue une manœuvre visant à se soustraire à la politique de l’État d’Hawaï concernant les installations de mouillage en mer; même si l’on prend pour hypothèse que l’existence de cette politique a effectivement été démontrée, il ne s’agit pas de quelque chose dont la Cour pourrait ou devrait assurer l’application. Je rejette, enfin, les tentatives faites par l’avocat de la défenderesse pour attaquer la crédibilité du demandeur en citant des passages soigneusement choisis de divers documents; l’avocat n’a pas saisi l’occasion de contre-interroger le demandeur sur son affidavit et, dans les circonstances, il serait à la fois injuste et malvenu de le laisser mettre en cause l’honnêteté d’un témoin à qui il n’a donné la possibilité de s’expliquer ou de se défendre.

 

[5]               La défenderesse soulève cependant deux points valables. Ils concernent tous deux la question de la compétence de la Cour. La défenderesse affirme, en effet, que la Cour n’a pas compétence pour donner force exécutoire au jugement de la cour de district et, en outre, qu’il existe une véritable question litigieuse concernant la question de savoir si la cour de district avait compétence pour rendre le jugement initial. La question de savoir si la Cour fédérale a compétence pour accorder la réparation demandée en l’espèce a été soulevée plus tôt dans le cadre d’une requête préliminaire qui a été entendue par mon collègue le juge Phelan. Il a rejeté la requête et les motifs de ce rejet ont été publiés (2005 CF 214). Voici les principaux passages de sa décision :

14            Dans la présente demande, la défenderesse demande la radiation de la totalité de la déclaration au motif que l’une des réparations demandées ne relevait pas de la compétence de la Cour. Il ne s’agit pas d’une demande de radiation de certains paragraphes dans un acte de procédure.

15            La défenderesse renvoie la Cour à la décision rendue par le juge Dubé dans Eurobulk Ltd. c. Wood Preservation Industries, [1980] 2 C.F. 245. Cette décision doit toutefois être appliquée avec prudence. Elle a été rendue avant l’apparition de l’article 326 actuel. Elle a également été rendue avant que ne soit rendu l’arrêt de la Cour suprême du Canada Antares Shipping Corp. c. Capricorn (Le), [1980] 1 R.C.S. 553, dans lequel la Cour a rejeté l’approche américaine au droit maritime et a adopté une interprétation plus large de la compétence de la Cour fédérale en droit maritime en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Cour fédérale. Je ne crois pas que cette question de compétence soit axée sur l’arrêt City of Mecca de 1879 ou sur l’arrêt Weir de 1608.

16            La Cour fédérale a compétence dans le cas d’« une demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d’équipement d’un navire » (Loi sur la Cour fédérale, alinéa 22(2)n)). La demanderesse a plaidé qu’il y avait suffisamment de faits pour que l’on puisse contester la compétence de la Cour. À cette fin, la question n’est pas de savoir si la cour de district des États-Unis exerçait une compétence maritime mais de savoir si la présente demande en vertu du droit canadien relève du droit maritime canadien. J’estime que, compte tenu de la disposition de la Loi sur la Cour fédérale ainsi que des faits plaidés, du moins peut‑on le prétendre, elle relève du droit maritime canadien.


[6]               Il faut souligner que le juge Phelan s’est contenté de conclure, comme il devait le faire en étant saisi d’une requête en radiation, qu’on peut « prétendre » que la question relève de la compétence de la Cour. Le dossier n’a toutefois pas progressé depuis lors et aucun des arguments avancés dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire ne porte à remettre en question cette conclusion préliminaire ou n’indique que le problème de la compétence constitue en l’espèce une véritable question litigieuse. Sa conclusion que la question soulevée en l’espèce relève bien du droit maritime canadien et que les remarques incidentes du juge Dubé dans une affaire précédente doivent dorénavant être appliquées avec prudence compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada me paraît inattaquable. J’ajouterais, à la jurisprudence qu’il a lui‑même citée, les arrêts suivants : ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752; Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779; et Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437.

[7]               S’il est clair que la cour de district des États‑Unis s’est saisie de l’affaire uniquement en vertu de la règle dite de la « diversité » et que les contrats de construction navale ne relèvent pas du droit maritime des États-Unis, c’est à la Cour fédérale qu’il appartient, à mon avis, de définir l’objet de la présente affaire au Canada et j’estime que la question relève effectivement du droit maritime canadien. Cela étant, l’affaire relève à l’évidence de la compétence de la Cour.

 

[8]               Cela nous amène à la question beaucoup plus épineuse de la compétence de la cour de district des États-Unis pour rendre le jugement dont on sollicite maintenant l’exécution. C’est au demandeur qu’il incombe d’établir que la compétence de la cour américaine ne soulève pas de question litigieuse. Dans l’arrêt Beals c. Saldanha, [2003] 3 R.C.S. 416, la Cour suprême du Canada a eu récemment l’occasion d’examiner le droit canadien concernant l’exécution de jugements étrangers, dont elle a, à cette occasion, largement modifié les règles. Dans cet arrêt, les défendeurs avaient été poursuivis en Floride relativement à une opération immobilière conclue dans ce même État et ont fait l’objet d’un jugement par défaut. La Cour suprême a adopté le critère du « lien réel et substantiel », qui ne s’appliquait auparavant qu’à l’exécution des jugements d’une autre province. S’exprimant au nom de la majorité de la Cour, le juge Major a dit :

31            Les appelants ont soutenu que la reconnaissance des jugements de tribunaux étrangers ayant un lien réel et substantiel avec l’action ou les parties est particulièrement inquiétante lorsque ces jugements ont été rendus par défaut. Ils font valoir que, pour que le critère du « lien réel et substantiel » puisse s’appliquer à la reconnaissance et à l’exécution des jugements par défaut rendus par un tribunal étranger, il est nécessaire de le modifier. En l’absence d’injustice ou d’autres raisons aussi sérieuses non décrites en l’espèce, rien ne justifie logiquement d’établir une distinction entre un jugement rendu à l’issue d’un procès et un jugement par défaut.

32            Le critère du « lien réel et substantiel » requiert l’existence d’un lien important entre la cause d’action et le tribunal étranger. En outre, il est raisonnable d’assujettir au droit d’un ressort étranger le défendeur qui a été un acteur ou qui a participé à quelque chose d’important dans ce ressort. Un lien éphémère ou relativement peu important ne suffit pas pour qu’un tribunal étranger soit compétent. Le lien avec le ressort étranger doit être substantiel.

33            En l’espèce, les appelants ont acheté un terrain en Floride, ce qui représente un engagement important à respecter l’ordre juridique du ressort étranger. Lorsqu’une partie prend des mesures aussi concrètes et importantes qui l’assujettissent à la compétence d’un tribunal étranger, la crainte d’injustice liée à l’obligation de se défendre est moindre. Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que le Canadien qui conclut un contrat d’achat de terrain dans un autre pays produise une défense s’il y fait l’objet de poursuites relativement à cette opération.

34            Le critère du « lien réel et substantiel » est respecté en ce qui concerne tous les appelants. Il existe un lien tant réel que substantiel entre le ressort de la Floride, l’objet de l’action et les défendeurs. Comme l’affirment J.-G. Castel et J. Walker dans Canadian Conflict of Laws (5e éd. (feuilles mobiles)), p. 14-10 :

[traduction] Pour qu’un jugement étranger in personam soit reconnu et exécuté au Canada, il faut que le tribunal étranger ait eu compétence selon les règles de droit international privé canadiennes.


Selon les règles de droit international privé canadiennes, Dominic Thivy a acquiescé à la compétence du tribunal de la Floride lorsqu’il a produit une défense à la deuxième action. Ses manquements subséquents à la procédure prescrite par la loi de la Floride n’invalident pas cet acquiescement. Par conséquent, aux fins d’exécution du jugement en Ontario, le tribunal de la Floride aurait eu compétence à l’égard de M. Thivy indépendamment de l’analyse du lien réel et substantiel.

35            Un défendeur canadien poursuivi dans un ressort étranger est en mesure de remédier à toute injustice réelle ou apparente qui découle des procédures à l’étranger et de l’exécution subséquente du jugement au Canada. Les moyens de défense disponibles en Ontario sont fondés sur la justice naturelle, l’ordre public et la fraude. De plus, les défendeurs poursuivis à l’étranger peuvent plaider le forum non conveniens. D’ordinaire, ce principe peut être invoqué par la partie qui allègue que les procédures n’ont pas été engagées devant le tribunal approprié eu égard aux frais ou pour des raisons de commodité ou autres.

36            En l’espèce, les appelants ont conclu une opération immobilière en Floride quand ils ont acheté et vendu le terrain. Compte tenu de cette démarche concrète qui a eu pour effet de les assujettir à la loi de la Floride, il était raisonnable de s’attendre à ce que les appelants contestent l’action que les intimés ont intentée contre eux en Floride. Les appelants n’ont pas contesté l’action de la manière prescrite par les règles de la Floride. Ils avaient néanmoins dix jours pour porter en appel le jugement par défaut rendu en Floride, mais ils ne l’ont pas fait. Ils ne se sont pas prévalus non plus du délai supplémentaire d’un an dont ils disposaient pour faire annuler le jugement relatif aux dommages-intérêts. Bien qu’il soit dû au fait qu’ils ont suivi les conseils erronés de leur avocat, le défaut des appelants de chercher à faire annuler ou de porter en appel le jugement obtenu en Floride par les intimés ne saurait faire obstacle à l’exécution de ce jugement.

37            Pour qu’un tribunal national exécute un jugement rendu dans un ressort étranger, certaines conditions doivent être remplies. Le tribunal saisi de la demande d’exécution, en l’occurrence le tribunal ontarien, doit déterminer si le tribunal étranger avait un lien réel et substantiel avec l’action ou les parties, à tout le moins dans la mesure fixée dans l’arrêt Morguard, précité. L’existence d’un lien réel et substantiel est le facteur déterminant en matière de compétence. La présence d’un plus grand nombre d’indices de compétence traditionnels (acquiescement, engagement à se soumettre à une compétence particulière, lieu de résidence et présence dans le ressort étranger) contribue à renforcer le lien réel et substantiel avec l’action ou les parties. Bien que ce lien soit un facteur important, les parties à une action peuvent toujours choisir ou accepter le ressort dans lequel sera tranché leur différend, en acquiesçant ou en s’engageant à se soumettre à la compétence d’un tribunal étranger.

38            Si un tribunal étranger n’a pas exercé correctement sa compétence, le jugement qu’il a rendu ne sera pas exécuté. En l’espèce, les parties au litige ont concédé à juste titre que le tribunal de la Floride avait un lien réel et substantiel avec l’action et avec elles.


[9]               L’avocat du demandeur ne soutient pas énergiquement qu’il existe un lien réel et substantiel entre la présente affaire et l’État d’Hawaï, et il n’y a aucun doute dans mon esprit que le droit contractuel qui doit régir la relation entre les parties est le droit du Nouveau-Brunswick. Que le contrat, auquel les parties ont abouti par un échange de télécopies, ait été conclu dans cette province n’a que peu d’importance étant donné que les négociations préliminaires, l’exécution des travaux, la livraison du produit fini et le paiement ont tous eu lieu à l’établissement de la défenderesse, à Escuminac (Nouveau-Brunswick). Le principal lien entre la défenderesse et Hawaï est qu’elle aurait publié une publicité dans une revue distribuée sur l’ensemble du territoire des États-Unis, y compris à Hawaï. Selon moi, et pour reprendre l’expression du juge Major dans l’arrêt Beals, il s’agit là d’un « lien éphémère ou relativement peu important ». Même la cour de district des États-Unis, en affirmant sa compétence et en appliquant la loi extra‑étatique pertinente, s’est contentée de dire :

[traduction] Même si Guimond n’avait aucunement l’intention de solliciter des contrats à Hawaï, lorsqu’elle a publié cette publicité dans une revue à diffusion nationale, Kona Concept a vu cette publicité, a communiqué avec Guimond, a négocié avec celle-ci et a passé un contrat en vue de la conception et de la construction d’un bateau de pêche commerciale destiné à la pêche dans les eaux d’Hawaï. Les contacts que Guimond a eus avec Hawaï allaient bien au delà du contrat conclu avec Kona Concept. En effet, Guimond a envoyé à Kona Concept des documents publicitaires et a communiqué par téléphone avec Kona afin de la convaincre de lui commander un bateau. Cette sollicitation, les négociations qui se sont déroulées par télécopieur et par téléphone et l’envoi de projets de contrat par Guimond à Kona Concept à Hawaï suffisent [...]


[10]           Que le contrat soit régi par le droit du Nouveau-Brunswick ne change rien au fait que c’est le droit maritime canadien qui s’applique en l’espèce, ce droit étant obligatoirement un des composants du droit du Nouveau-Brunswick et, comme nous l’avons noté, le fondement de la compétence de la Cour.

 

[11]           Le demandeur prétend que les tribunaux américains ont compétence et fait valoir que la défenderesse a acquiescé à la compétence de la cour de district en comparaissant à l’action intentée à Hawaï, en ne faisant pas appel de l’ordonnance de la cour de district rejetant les objections à sa compétence, puis en produisant une défense au fond (appelée « Answer » en vertu des règles fédérales américaines applicables). J’ai des doutes sérieux au sujet de la justesse de cet argument.

[12]           La question de savoir si une partie a effectivement acquiescé à la compétence d’un tribunal étranger dépend à la fois des faits (que s’est-il effectivement passé dans le ressort étranger?), des règles du droit étranger applicable (quels étaient les recours offerts à la partie pour contester la compétence du tribunal et les a‑t‑elle exercés?) et des règles du droit maritime canadien concernant l’acquiescement. Il ressort de la preuve dont j’ai été saisi que la défenderesse a effectivement présenté à la cour de district une requête déclinatoire qui avait été rejetée. La défenderesse a ensuite déposé une défense au fond, mais a cessé peu après de participer à l’action, et le jugement dont on demande maintenant l’exécution a été rendu par défaut, ce qui veut vraisemblablement dire qu’il n’a pas été tenu compte de la défense. La preuve relative au droit américain applicable n’est pas claire. Il semble que le dépôt d’une défense n’entraîne pas le désistement de la contestation de la compétence par voie de requête et que même s’il s’avérait que le dépôt d’une défense comporte acceptation de la compétence du tribunal, on ne sait pas très bien quel a été l’effet du retrait subséquent de l’avocat. Les éléments produits dans le cadre de la requête ne permettent pas non plus de savoir si la réserve générale concernant ses moyens de défense que la défenderesse a formulée au dernier paragraphe (no 51) de sa défense au fond (« Answer » en droit américain) avait pour effet de maintenir sa contestation de la compétence du tribunal.

[13]           Selon moi, le droit canadien régissant l’acquiescement est en pleine évolution. L’ancienne règle voulant que toute comparution devant un tribunal étranger, même si cette comparution a expressément pour but de contester la compétence du tribunal, a suscité des critiques et a été, dans de nombreux ressorts, largement modifiée par le législateur. Elle a en outre été mise en doute par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans une décision confirmée dans de courts motifs oraux par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dovenmuehle Inc. c. Rocca Group Ltd., [1981] N.B.J. no 102; 34 N.B.R.(2d) 444; conf. par [1982] 2 R.C.S. 534.

[14]           Mais ce qui importe plus encore, c’est la récente adoption du critère du « lien réel et substantiel » dont il est fait état plus haut. Il est trop tôt pour dire les effets que l’application de ce critère aura sur les règles concernant l’acquiescement en droit maritime canadien. Si le seul lien existant entre la partie défenderesse et le tribunal étranger est un acquiescement allégué, il conviendrait de se montrer plus souple dans l’application de cette règle. Pour citer à nouveau le juge Major, les « indices de compétence traditionnels » et plus particulièrement l’acquiescement ne font que « renforcer » le lien réel et substantiel. Je considère au vu des éléments de preuve dont je dispose actuellement que les conditions de ce critère ne sont pas réunies en l’espèce. Il est clair que si c’est effectivement le cas, il n’y a aucun lien à renforcer et le tribunal étranger n’a donc pas compétence.

 

[15]           Pour ce qui est de ce volet de la requête, la défenderesse se fonde intégralement sur l’arrêt Rocca ainsi que sur les dispositions de la Loi sur les jugements étrangers du Nouveau‑Brunswick, L.R.N.‑B. 1973, ch. F-19, et elle affirme ne pas s’être soumise à la compétence de la cour de district sans la contester. J’admets, cependant, l’argument du demandeur lorsqu’il soutient que cette loi, qui est une loi provinciale, ne peut pas être appliquée à une question de droit maritime canadien, même en l’absence de règles de droit fédérales (voir Ordon, précité). Mais j’hésite à admettre l’argument voulant qu’il faudrait en outre interpréter restrictivement l’arrêt Rocca et considérer qu’il reposait uniquement sur l’interprétation du libellé de la loi qui utilise, plutôt que le mot traditionnel « acquiescement », les mots « a reconnu […] sans contester ». Prises dans leur contexte, ces expressions me semblent avoir la même signification et, compte tenu en particulier de l’arrêt Beals c. Saldanha, précité, l’arrêt Rocca corrobore la proposition selon laquelle la comparution devant un tribunal étranger dans l’unique but de contester sa compétence ne constitue pas un acquiescement à la compétence de ce tribunal. Cela ne règle pas bien sûr la question de savoir si la « défense au fond » déposée par la défenderesse contestait effectivement la compétence du tribunal américain et, même si elle ne le faisait pas, la question de savoir si elle a été ou pouvait être par la suite retirée.

 

[16]           La présente affaire ne se prête pas d’après moi à un jugement sommaire. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait. Sur certaines questions de fait, la preuve par affidavits n’est pas satisfaisante. Il y a également des questions de droit complexes qu’on ne saurait correctement trancher sans avoir une idée précise des faits concernant la compétence qui sont à la base de la présente affaire. Je me propose donc de rejeter la requête mais, compte tenu des circonstances, sans adjudication des dépens.

 

[17]           Dans son argumentation écrite, la défenderesse indique qu’elle souhaite une ordonnance de cautionnement pour les dépens. Sans doute y a‑t‑elle droit, mais sa demande est improprement introduite dans le cadre d’une réponse à une requête en jugement sommaire. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur un cautionnement satisfaisant, la défenderesse devrait présenter une requête à cette fin (de préférence en vertu de l’article 369 des Règles).

 

 

ORDONNANCE

 

La requête en jugement sommaire est rejetée sans dépens.

« James K. Hugessen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        T-1694-04

 

INTITULÉ :                                                       ROBERT MORGAN, s/n KONA CONCEPT INC.

                                                                            c.

                                                                            GUIMOND BOATS LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 26 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                  LE JUGE HUGESSEN

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 22 MARS 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

John G. O’Connor

 

POUR LE DEMANDEUR

Richard J. Scott, c.r.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Langlois Gaudreau O’Connor

Québec (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Allen Dixon Smith

Avocats

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

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