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                                                                                                                                 Date : 20050805

                                                                                                                    Dossier : IMM-3687-05

                                                                                                                Référence : 2005 CF 1071

ENTRE :

                                        OSCAR JESUS MALPARTIDA NAVARRO

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

[1]                Le demandeur a présenté une requête visant à obtenir le sursis de son renvoi au Pérou, prévu pour le 5 août 2005. Il demande que son renvoi ne soit pas mis à exécution jusqu'à ce que la Cour ait statué sur sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision prise le 18 mai 2005 par l'agent d'examen des risques avant renvoi.


Faits

[2]                Le demandeur est citoyen du Pérou, et il est âgé de 55 ans. Il exerçait le métier de courtier d'assurance. Au début de l'année 2001, il est devenu membre d'un « comité de voisinage » . Ses fonctions consistaient à dénoncer ceux qui perturbaient l'ordre public comme les voleurs de voiture, les vendeurs de drogue et autres délinquants qui sévissaient dans son quartier. Grâce à l'information qu'il fournissait, la police parvenait à arrêter les délinquants.

[3]                En raison de la qualité de son travail, il a été nommé coordonnateur de son comité. Peu après, il a commencé à recevoir des lettres et des appels téléphoniques proférant des menaces à sa vie et à celle de sa famille. On lui demandait plus précisément de démissionner de son travail au sein du comité et d'arrêter de dénoncer les gens.

[4]                Il a d'abord fait l'objet de certains délits mineurs, qu'il a dénoncés à la police. Puis, le 29 juillet 2001, alors qu'il marchait non loin de son domicile, il a été pris pour cible par un groupe de personnes et il a évité de peu un coup de feu tiré dans sa direction. Il en a immédiatement avisé la police par téléphone, qui a envoyé une patrouille sur les lieux.


[5]                Plutôt que de se présenter au poste de police le lendemain matin pour faire un rapport plus complet, comme on le lui avait demandé, il a pris la décision de fuir la région et n'est revenu à son domicile qu'un mois plus tard. Constatant que la police n'avait rien fait et craignant pour sa sécurité, il a alors décidé de quitter son pays. Sa fille, qui vit au Canada, lui a acheté un billet d'avion et il est arrivé au pays le 4 octobre 2002, et demanda le statut de réfugié le 6 novembre 2002.

[6]                Sans mettre en doute la crédibilité du demandeur, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d'asile le 1er août 2003 au motif qu'il n'avait pas été établi que l'État péruvien était incapable d'assurer sa sécurité. On a notamment considéré que si la police n'avait pas donné suite à sa plainte, c'est parce que le demandeur n'avait pas pris les mesures appropriées en ne se présentant pas pour compléter son rapport. D'autre part, la Commission s'est dite d'avis que les autorités avaient pris des dispositions depuis la chute du gouvernement Fujimori pour éradiquer le problème de la corruption dans les forces de l'ordre.

[7]                La Cour fédérale a rejeté sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire le 4 décembre 2003. Le 12 décembre 2003, il a déposé une demande d'exemption de visa pour considérations humanitaires. Enfin, on lui a offert un examen des risques avant renvoi le 20 janvier 2005.


[8]                Dans sa décision rendue le 18 mai 2005, l'agente chargée de l'examen des risques avant renvoi a rejeté la demande de M. Navarro. Après avoir relevé que les prétentions du demandeur soulevaient essentiellement les mêmes craintes que celles qui furent exposées devant la Commission, l'agente a conclu qu'elles ne permettaient pas d'établir que l'État péruvien serait dans l'incapacité de le protéger, d'autant plus qu'aucun changement significatif dans les conditions au Pérou n'était survenu depuis la décision de la Commission. Le demandeur se pourvoit maintenant à l'encontre de cette décision au moyen d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire devant cette Cour.

Question en litige

[9]                La seule question à trancher consiste à déterminer si cette demande de sursis satisfait aux critères développés dans les arrêts RJR MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311 et Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1988) 86 N.R. 302.

Analyse

[10]            Pour avoir gain de cause, le demandeur doit donc établir que sa requête soulève une question sérieuse, qu'il subirait un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée, et que la balance des inconvénients favorise l'octroi de l'ordonnance, compte tenu de la situation respective des deux parties.


[11]            Considérant tout d'abord l'existence d'une question sérieuse, il suffit pour le demandeur d'établir que ses prétentions ne sont ni futiles ni vexatoires. Dans le cadre d'une procédure de sursis, cette exigence est somme toute minimale. En l'occurrence, le demandeur soutient que l'agente ERAR n'a pas sérieusement considéré et analysé les deux nouvelles preuves documentaires qu'il a soumises. Le premier de ces deux nouveaux documents consiste en un extrait des nouvelles du site internet du canal de télévision péruvien « frecuencialatina » rapportant l'assassinat du chef du comité d'un quartier de Lima et faisant état des plaintes des gens du quartier relativement au manque de sécurité et à l'inactivité de la sécurité civile. Le deuxième est un article de journal relatant les assassinats commis dans la dernière année contre des dirigeants de comité de quartier, et indiquant que la police n'a pas retracé les coupables.

[12]            Dans sa décision, l'agente ERAR a fait référence à ces documents en disant simplement qu'ils « font état de craintes antérieurement énoncées par le demandeur et analysées par la SPR. Ils ne permettent pas de conclure que l'État péruvien serait dans l'incapacité de le protéger » .

[13]            Or, le demandeur soutient que ces documents méritaient une analyse plus rigoureuse, compte tenu de leur pertinence et de la similarité des faits rapportés avec la situation du demandeur. Il est vrai que le décideur administratif n'a pas l'obligation de commenter et d'examiner soigneusement toutes et chacune des preuves qui lui sont soumises. Mais lorsque cette preuve tend à remettre en question les conclusions qu'il tire, soutient le demandeur, il ne peut se contenter de la rejeter sans s'en expliquer. Dans le cas présent, il s'agissait de la première preuve de faits similaires, qui accréditait non seulement les craintes du demandeur mais également sa prétention que les forces de l'ordre sont impuissantes devant de tels assassinats. A sa face même, cette prétention n'est pas sans fondement, et je suis d'avis que le demandeur satisfait à la première exigence pour l'émission d'un sursis dans la mesure où il a soulevé une question sérieuse eu égard au traitement qui a été réservé à cette nouvelle preuve.


[14]            Eu égard au préjudice irréparable, le demandeur a plaidé qu'il craignait pour sa vie et son intégrité corporelle advenant son retour au Pérou. Tenant compte de la nouvelle preuve soumise et du sort que semblent avoir connu d'autres représentants de quartiers au cours des dernières années, il n'est pas déraisonnable pour le demandeur de se sentir vulnérable. Comme sa crédibilité n'a jamais été remise en question, et comme la Commission elle-même concède que sa démission ne le mettrait pas automatiquement à l'abri de représailles, je crois que son retour au Pérou risquerait de lui causer un préjudice qui ne pourrait être subséquemment compensé dans l'hypothèse où il aurait gain de cause dans sa demande de révision judiciaire de la décision ERAR.

[15]            Enfin, compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis que la prépondérance des inconvénients joue clairement en faveur du demandeur. Il est vrai que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés fait obligation au défendeur d'exécuter les ordonnances de renvoi aussitôt qu'il lui est possible de le faire. Je considère cependant qu'un délai de quelques mois dans l'exécution de cette mesure est de loin préférable au préjudice grave que pourrait subir le demandeur s'il devait être renvoyé au Pérou avant même que sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ait pu être examinée.


[16]            La requête du demandeur pour obtenir un sursis à son renvoi du Canada est donc accueillie et un délai lui est accordé jusqu'à ce que la Cour lui refuse l'autorisation de poursuivre la procédure de contrôle judiciaire ou, si cette autorisation lui est accordée, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                                                      (s) « Yves de Montigny »          

Juge


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                          IMM-3687-05

INTITULÉ:                                         OSCAR JESUS MALPARTIDA NAVARRO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE:                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE:                 le 4 août 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:    le juge de Montigny

DATE DE L'ORDONNANCE:         le 5 août 2005

COMPARUTIONS:

Me Serban Mihai Tismanariu                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Pépin                                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:


Serban Mihai Tismanariu

Avocat

Montréal (Québec)                                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

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