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Date : 20210722


Dossier : IMM-6364-20

Référence : 2021 CF 778

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SOLMAZ ASADI RAHMATI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Mme Solmaz Rahmati, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent des visas (l’agent) a rejeté ses demandes de permis d’étude et de visa de résident temporaire (VRT). L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour en raison de ses liens familiaux au pays et dans son pays de résidence, ainsi que de la raison de sa visite.

[2] La demanderesse soutient que la décision de l’agent est déraisonnable pour plusieurs motifs. Elle fait également valoir que l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en tirant des conclusions déguisées en matière de crédibilité et en ne lui donnant pas l’occasion d’y répondre.

[3] J’ai conclu que le processus suivi par l’agent était équitable et que sa décision n’était pas fondée sur des conclusions en matière de crédibilité. Cependant, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la décision n’est pas raisonnable selon le cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Par conséquent, la demande sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

I. Contexte

[4] La demanderesse, une citoyenne de l’Iran, est mariée et mère de deux enfants mineurs. Sa famille et elle détiennent des VRT canadiens valides. Son mari et ses enfants ne l’accompagneront pas au Canada. De même, les autres membres de sa famille vivent en Iran et y resteront.

[5] Depuis 2010, la demanderesse travaille en Iran pour le compte d’une société pétrolière et a l’intention d’occuper un poste de gestion auprès de ce même employeur après avoir terminé ses études au Canada. La demanderesse et son mari sont actionnaires d’une autre société iranienne où ce dernier est directeur général.

[6] La demanderesse a été admise à la maîtrise en administration des affaires (MBA) à l’Université Canada West (UCW) à Vancouver, en Colombie-Britannique. Elle s’était auparavant inscrite à l’Université Shomal en Iran afin de suivre un programme d’études préparatoires à la maîtrise en administration des affaires en prévision de son entrée au programme de MBA au Canada. Elle a obtenu neuf crédits à l’Université Shomal.

[7] La demanderesse a demandé un permis d’études afin de fréquenter l’UCW, mais sa demande a été rejetée le 7 octobre 2020. La décision de l’agent est constituée d’une lettre de décision et de notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC). Dans sa lettre de décision, l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour en raison de ses liens familiaux au Canada et en Iran, ainsi que de la raison de sa visite. L’explication à l’appui des conclusions de l’agent est exposée dans les notes du SMGC, dont un extrait complet figure au paragraphe 14 du présent jugement.

[8] Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste la décision de l’agent.

II. Analyse

1. Équité procédurale

[9] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas agi équitablement en fondant son refus de lui accorder un permis d’études sur des conclusions déguisées en matière de crédibilité sans l’aviser et lui donner l’occasion de répondre.

[10] Les parties conviennent que les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-56 (Canadien Pacifique)). La Cour doit examiner si le processus suivi par l’agent était juste et équitable en mettant l’accent sur les droits substantiels de la demanderesse et les conséquences qu’entraînerait un refus de lui accorder un permis de travail (Canadien Pacifique, au para 54; Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 au para 13).

[11] À mon avis, l’agent n’a pas rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse pour des raisons de crédibilité. La personne qui demande un permis d’études ou de travail a le droit de voir sa demande évaluée selon un processus équitable même si le degré d’obligation d’équité envers les demandeurs de visas se situe à l’extrémité inférieure du registre (Charara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1176 aux para 26-27). L’agent n’est pas tenu d’aviser le demandeur d’une préoccupation qui découle directement de la loi ou d’autres exigences connexes ni de lui fournir l’occasion de présenter des observations à cet égard (Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 38). Il incombe au demandeur de présenter tous les renseignements nécessaires à l’appui sa demande; l’agent n’a pas à chercher ces renseignements.

[12] La demanderesse soutient que l’agent pourrait s’être fondé sur des renseignements extrinsèques, mais je conclus que cette observation n’est pas étayée par le dossier ou la décision. L’argument de la demanderesse selon lequel sa demande était complète et étayait pleinement son plan d’obtenir un MBA pour faire progresser sa carrière ne permet pas de conclure que l’agent doutait de sa crédibilité et qu’il ne croyait pas à l’explication fournie dans sa demande.

2. La décision était-elle raisonnable?

[13] Comme je l’ai déjà mentionné, la demanderesse soutient que la décision de l’agent est déraisonnable. Elle fait valoir qu’il n’a pas expliqué les motifs ayant mené à sa décision et qu’il s’est livré à des suppositions et à des hypothèses.

[14] Les motifs du refus de l’agent sont énoncés de la façon suivante dans les notes consignées dans le SMGC :

[traduction]

À la lumière des renseignements présentés, du statut d’emploi de la demanderesse principale et de son parcours scolaire, je signale qu’il semble déraisonnable qu’elle suive la maîtrise proposée en administration des affaires à l’Université Canada West compte tenu de son cheminement professionnel. D’après les études et les emplois antérieurs de la demanderesse principale, rien ne donne à penser que ce programme constitue une progression logique dans son cheminement étudiant et professionnel, puisqu’elle a déjà obtenu une maîtrise en génie de l’environnement. Le champ d’études de la demanderesse ne semble pas être la suite logique de son cheminement étudiant et ne semble pas non plus constituer un domaine d’études connexe. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas convaincu que la demanderesse est une véritable étudiante qui quittera le pays à la fin de sa période de séjour autorisée. La demande est rejetée.

[15] La décision de l’agent sur le fond est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 10, 23; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 aux para 11, 23). La Cour doit faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard de la décision d’un agent des visas. En outre, la décision peut être brève, mais elle doit satisfaire aux exigences d’une décision raisonnable, c’est-à-dire qu’elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La Cour suprême met l’accent sur deux éléments de la décision raisonnable : le raisonnement suivi par le décideur et le résultat de la décision (Vavilov, au para 86). Les motifs donnés doivent témoigner d’une analyse logique et expliquer le résultat de manière intelligible.

[16] En l’espèce, je conclus que la décision de l’agent n’est pas fondée sur une analyse cohérente établissant un lien entre, d’une part, les renseignements et les documents présentés par la demanderesse à l’appui de sa demande et, d’autre part, la conclusion selon laquelle elle ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour. Afin de satisfaire aux exigences de transparence et d’intelligibilité de la Cour suprême, l’agent doit expliquer la raison pour laquelle le demandeur n’a pas répondu aux préoccupations ayant mené à la décision défavorable.

[17] L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour pour les deux motifs énoncés dans la lettre de décision. Premièrement, l’agent s’est dit préoccupé par les liens familiaux de la demanderesse au Canada et dans son pays de résidence. Deuxièmement, il a mis en doute la raison de sa visite au pays.

[18] Dans les notes consignées dans le SMGC, l’agent n’a pas expliqué pourquoi il s’est fondé sur les liens familiaux de la demanderesse au Canada et en Iran pour conclure qu’elle pourrait décider de rester au Canada. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la référence à ses liens familiaux n’a aucune assise dans la preuve dont disposait l’agent. La demanderesse entretient des liens familiaux solides en Iran et n’a aucune famille ni aucun autre lien au Canada. Sa famille immédiate ne l’accompagnera pas au Canada pour la durée de ses études. Je conclus que le fait que l’agent ait invoqué les liens familiaux de la demanderesse au Canada pour rejeter sa demande constitue une erreur importante et susceptible de contrôle puisqu’elle n’est pas intelligible ni justifiée.

[19] La demanderesse souligne qu’elle détient un VRT pour entrées multiples valide jusqu’au 11 janvier 2023. Elle soutient que l’agent a déraisonnablement ignoré cet aspect de son témoignage et le fait qu’elle n’a pas besoin d’un permis d’études pour entrer au Canada. La pertinence du VRT dans l’évaluation d’une demande de permis d’études a récemment été examinée par mon collègue, le juge Pentney, dans la décision Mekhissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 230 (Mekhissi). Dans cette affaire, l’agent avait conclu que le demandeur, qui détenait un VRT valide, sollicitait un permis d’études en vue de s’établir au Canada de façon permanente. Le juge Pentney a conclu qu’il était impossible de suivre la logique de l’agent puisque le demandeur n’avait pas besoin de demander un permis d’études s’il souhaitait s’établir au Canada.

[20] Dans sa décision en l’espèce, l’agent ne conclut pas que la demanderesse cherche à s’établir au Canada en permanence; il met plutôt en doute la raison de sa visite. À la lumière de la décision Mekhissi, je conclus que le fait que l’agent n’ait pas mentionné le VRT de la demanderesse en lien avec la préoccupation relative à la raison de sa visite constitue une omission importante qui mine la logique de la décision.

[21] La demanderesse met en doute la conclusion de l’agent selon laquelle son projet d’études à la maîtrise en administration des affaires semble déraisonnable compte tenu de son cheminement professionnel. À cet égard, la demanderesse demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve présentée dans le cadre de sa demande de permis d’études. L’agent a expliqué ses préoccupations dans les notes du SMGC, et celles‑ci ne sont pas contredites par la preuve que la demanderesse a présentée dans sa demande. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas présenté suffisamment de renseignements au sujet de son éducation et de sa situation professionnelle. Je ne suis pas en désaccord avec cette affirmation. La demanderesse soutient être une experte de la santé, de la sécurité et de l’environnement, qui travaille pour une importante société pétrolière en Iran et qui a suivi de nombreux cours en rapport avec la gestion. Je conclus qu’il était loisible à l’agent d’affirmer que, [traduction] « [d]’après les études et les emplois antérieurs de la [demanderesse], rien ne donne à penser que ce programme constitue une progression logique » dans ses études et sa carrière. Je suis aussi d’accord avec le défendeur pour dire que la lettre d’emploi fournie par la demanderesse indique seulement qu’elle occupe un emploi et reçoit un salaire donné. À mon avis, les motifs de l’agent répondent à l’une des principales questions qu’il devait trancher, soit la viabilité du projet d’études à la maîtrise en administration des affaires ainsi que l’objectif qu’avait la demanderesse en sollicitant un permis d’études. Il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de ces motifs en contrôle judiciaire (Mekhissi, au para 15).

[22] La demanderesse soulève plusieurs autres questions relativement à la décision et se demande pourquoi l’agent n’a fait référence à aucun élément de preuve distinct, comme le paiement de frais de scolarité, son emploi continu auprès du même employeur pendant 11 ans et le fait qu’elle est actionnaire d’une société iranienne avec son mari. Je conclus que ces omissions dans les notes du SMGC, qu’elles soient examinées isolément ou collectivement, ne sont pas importantes. Je reviens à la prémisse selon laquelle l’agent n’est pas tenu d’évaluer chaque facette de la preuve présentée par le demandeur et qu’il ne commet aucune erreur susceptible de contrôle en se concentrant sur les aspects importants de la demande.

[23] En conclusion, la décision n’est pas transparente ni intelligible compte tenu de l’absence d’analyse logique concernant les liens qu’entretient la demanderesse au Canada et du défaut de l’agent de tenir compte de son VRT valide. En outre, la décision n’est pas justifiée à la lumière de la preuve présentée par la demanderesse. Pour ces motifs, la demande est accueillie.

[24] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-6364-20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6364-20

 

INTITULÉ :

SOLMAZ ASADI RAHMATI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUILLET 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 JUILLET 2021

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jessica Ko

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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