Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020425

Dossier : IMM-2762-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 25 AVRIL 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                                 AGNES SOLTESZ

                                                                                                                                               défenderesse

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                          « Luc Martineau »          

                                                                                                                                                                 Juge                     

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020425

Dossier : IMM-2762-01

Référence neutre : 2002 CFPI 467

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                                 AGNES SOLTESZ

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MARTINEAU

[1]                 Le demandeur réclame un contrôle judiciaire visant une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) par laquelle celle-ci a statué que la défenderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.


[2]                 La défenderesse, une citoyenne hongroise d'origine Rom est arrivée au Canada en juin 1999 accompagnée de son ex-conjoint de fait (le mari), d'origine ethnique hongroise. Celui-ci était reparti en Hongrie au moment où la Commission a instruit la cause. La défenderesse dit craindre de retourner en Hongrie parce que son mari, qui l'avait dans le passé battue et maltraitée, avait menacé de la tuer si elle décidait de revenir.

[3]                 La Commission a jugé la défenderesse digne de foi et conclu que son mari l'avait soumise à « des violences horribles » . Cela étant, elle a jugé qu'elle s'exposait au risque grave et significatif que le mari de la défenderesse essaie de la traquer et finalement de la trouver si elle revenait en Hongrie. Elle a conclu que « de telles violences sont des préjudices suffisants pour constituer de la persécution » et que cette sorte de persécution entre dans le cadre des motifs définis dans la Convention, à savoir l'appartenance de la défenderesse à « un groupe social » soit celui des « femmes maltraitées » . Par ailleurs, en tant que femme seule et d'origine Rom le tribunal était d'avis qu'elle ne pouvait avoir accès à une protection suffisante de la part de l'État hongrois, du fait que « la possibilité d'accès à une aide en tant que victime de violence familiale est à peu près nulle » . C'est pourquoi, le tribunal a décidé que la défenderesse est une réfugiée au sens de la Convention.

[4]                 Bien que le demandeur ait soulevé plusieurs contre-arguments dans sa requête, il s'en est entièrement désisté à l'audience, sauf en ce qui concerne l'allégation que la décision de la Commission touchant la crédibilité de la défenderesse avait été prise sans égard à la preuve, ou qu'elle était manifestement déraisonnable en raison de l'insuffisance des motifs de la Commission. Au soutien de son allégation, le demandeur s'est appuyé sur les contradictions suivantes relevées dans la preuve :


a)         La défenderesse est arrivée au Canada en compagnie de son mari avec qui elle a vécu jusqu'au retour de celui-ci en Hongrie.

b)         La défenderesse n'a pas fait état, dans le narratif de son formulaire de renseignements personnels (FRP) de ses problèmes conjugaux et n'a évoqué les sévices infligés par son mari que quelques jours seulement avant l'audience.

[5]                 Le demandeur a allégué que la Commission avait omis d'aborder dans sa décision l'effet négatif de ces contradictions sur la crédibilité de la défenderesse, d'où le caractère déraisonnable de ses conclusions. Cependant, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que la Commission a soit passé outre à la preuve pertinente, soit que les motifs de sa décision étaient insuffisants.

[6]                 Je note tout d'abord qu'à l'audience, le membre de la Commission a invité la défenderesse à expliquer l'absence de toute mention de violence conjugale dans son FRP et a précisé qu'elle procéderait à une évaluation de crédibilité. Il est raisonnable de supposer, par conséquent, que les réponses fournies par la défenderesse ont mis fin à toute inquiétude que le membre de la Commission avait pu nourrir. Les comptes rendus rapportent les échanges suivants qui ont ponctué l'audience :

[TRADUCTION]


RANGAN : D'accord? Je veux savoir qui sont ceux que vous craignez, pourquoi vous les craignez, si ce que vous avez enduré équivaut à de la discrimination ou de la persécution, si la protection par l'État vous était accessible dans votre pays d'origine; une évaluation de la crédibilité a lieu dans tous les cas soumis au tribunal.

Votre avocat me dit qu'il y a deux jours, vous lui avez fait part, pour la première fois, des mauvais traitements que vous a infligés votre conjoint de fait. Je voudrais savoir pourquoi vous n'avez rien dit à ce sujet dans le FRP ni, peut-être, donné des preuves à l'appui.

...

L'AVOCAT : Pourquoi n'avez-vous pas mentionné cette situation dans le narratif de votre FRP?

LA REVENDICATRICE : Parce qu'il était encore ici quand j'ai rédigé cela et si je l'avais fait il m'aurait battu très fort.

...

RANGAN : Qu'est-ce qui l'a fait - - pourquoi est-il venu au Canada alors?

LA REVENDICATRICE : Il a dit qu'il s'améliorera, que l'atmosphère serait différente.

RANGAN : Qu'est-il arrivé ici?

LA REVENDICATRICE : Il s'est très bien comporté pendant un certain temps.

RANGAN : D'accord, qu'est-il arrivé ensuite?

LA REVENDICATRICE : Le tout a recommencé.

RANGAN : La boisson ou les coups?

LA REVENDICATRICE : Les coups.

RANGAN : Avez-vous porté plainte à la police, ici?

LA REVENDICATRICE : Non, parce qu'il m'a battue et enfermée et que je ne pouvais pas sortir.

RANGAN : Vous n'étiez pas enfermée tout le temps.

LA REVENDICATRICE : Non, je ne pouvais pas porter plainte parce qu'il aurait pu me tuer, car il était très agressif. Mais je lui ai dit que j'allais l'accuser et c'est pourquoi il s'en est retourné chez lui.

...


[7]                 En deuxième lieu, il n'appartient pas à la Cour de décider si les réponses de la défenderesse à l'audience étaient satisfaisantes ou non. La question de savoir si elle était crédible ou pas repose sur l'évaluation de l'ensemble de son témoignage par la Commission et des preuves versées au dossier. La Commission dispose de divers moyens pour évaluer la crédibilité d'un revendicateur; l'analyse des contradictions entre le FRP et le témoignage oral en est un parmi d'autres. La Cour ne doit pas imposer à la Commission une méthode particulière à cet égard.

[8]                 Troisièmement, les évaluations de crédibilité dépendent d'une foule de facteurs dont il vaut mieux laisser le soin à la Commission laquelle a l'avantage d'entendre les témoins. En outre, même si l'on relève des contradictions, cela ne signifie pas qu'il faille automatiquement tirer une inférence négative. Le caractère spontané des réponses fournies durant un examen, les détails relatifs à des incidents allégués, le renvoi du revendicateur, etc. sont également importants. Il ne faudrait pas modifier les conclusions que la Commission a tirées sur des questions de fait, ni les inférences touchant la crédibilité, à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires et manifestement déraisonnables. Dans Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] J.C.F. 805, le juge Sharlow s'est prononcé en ces termes :

La Cour est d'avis que la SSR était en droit d'évaluer la conduite de la demanderesse comme elle l'a fait, en tenant compte de son récit, de même que de la manière dont il a été livré et vérifié au cours de l'audience, avec comme arrière-plan les autres preuves et sa propre perception du comportement humain. L'opinion de la Cour est appuyée par les observations du juge O'Halloran dans l'affaire Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, à la page 357 (C.A. C.-B.) :


En résumé, le véritable critère de la véracité du récit d'un témoin [...] doit être sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu'une personne raisonnable et informée reconnaîtrait d'emblée comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditions.

La Cour ne voit rien dans l'affaire Giron qui soit incompatible avec cette conclusion. Elle se réfère à cet égard aux commentaires du juge Décary dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), aux pages 316 et 317 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire [non souligné dans l'original]

[9]                 En quatrième lieu, je constate que les motifs de la Commission ont été rendus de vive voix presque aussitôt après l'audition. Par conséquent, le membre de la Commission, Vida Rangan, avait encore bien présent à l'esprit le témoignage de la défenderesse. Elle a expressément déclaré dans sa décision que celle-ci est venue au Canada avec son époux en juin 1999, mais elle n'a tiré aucune inférence négative de ce fait au moment de prononcer les motifs qui ont suivi. Il est évident que le membre de la Commission donnait foi aux dires de la défenderesse et acceptait son explication affirmant que son mari, qui l'avait maltraitée en Hongrie, avait promis de changer son comportement une fois rendu au Canada :

En janvier 1998, vous avez repris une liaison de fait avec Bela Pinter, un homme d'appartenance ethnique hongroise. Bela Pinter avait éveillé l'hostilité de sa famille à cause de sa liaison avec une Rom. Par conséquent, sa famille l'avait totalement rejeté, en particulier sa mère. Il ne pouvait plus voir la famille, ce qui a aggravé sa frustration. Par conséquent, vous êtes devenue la cible de cette frustration. Il a commencé à vous battre, vous a enfermée dans une pièce et vous a maltraitée verbalement. La fréquence et l'intensité des coups et de la violence augmentaient à chaque fois qu'il était en état d'ébriété. Il vous a menacée de mort si vous alliez trouver la police pour porter plainte et, par conséquent, vous vous êtes abstenue de le faire.


Lorsque vous avez décidé de quitter le pays, votre ancien conjoint de fait a promis de changer s'il vous accompagnait au Canada. Vous avez cru que sa promesse était faite de bonne foi et sincère, et votre conjoint de fait et vous-même êtes partis au Canada en juin 1999. Une paix et un calme relatifs ont régné pendant une courte période. Toutefois, votre conjoint de fait a recommencé à vous battre et à vous maltraiter verbalement encore une fois, peu de temps après votre arrivée au Canada. À chaque fois que vous menaciez d'appeler la police, son comportement s'améliorait, mais jamais très longtemps. Vous vous sentiez confiante vis-à-vis de la protection policière offerte ici et disiez souvent à votre conjoint de fait que vous le feriez expulser s'il continuait à vous maltraiter physiquement et verbalement.

[10]            Finalement, je considère que les conclusions de la Commission ne sont ni abusives ni arbitraires et qu'elles s'appuient sur le témoignage de la défenderesse. En outre, la Commission est censée, à moins de preuve contraire, avoir examiné toutes les preuves dont elle disposait, peu importe qu'elle en ait entièrement fait état ou non dans ses motifs. Les comptes rendus indiquent que la défenderesse a été longuement interrogée au sujet de sa relation avec son mari et des sévices qu'elle prétend avoir subis en Hongrie et au Canada. Au cours de son interrogatoire, elle a expliqué le motif de sa venue au Canada avec son mari et sa raison de craindre le retour en Hongrie. Elle a également expliqué pourquoi son FRP ne disait rien des coups qu'elle recevait de son mari. Ses explications sont certainement plausibles et la Commission n'a pas manifestement agi de façon irrationnelle ou abusive en les acceptant et elle n'était nullement tenue, à mon avis, de prendre en considération, dans sa décision, les contradictions signalées aujourd'hui par le demandeur. Ce cas est assez différent, à mon avis, de la situation d'un revendicateur que la Commission ne juge pas digne de foi. En raison des conséquences défavorables découlant d'une décision négative sur la revendication du statut de réfugié, on s'attend à ce que les explications fournies par la Commission soient plus détaillées, surtout si les preuves se contredisent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[11]            En dernière analyse, je suis persuadé que la Commission a tenu compte de l'ensemble de la preuve et que ses motifs étaient, dans les circonstances, suffisants et appropriés. Elle a exposé dans sa décision les conclusions de fait qu'elle a tirées ainsi que les principaux éléments de preuve sur lesquels elle se fondait. Les motifs abordent également les principaux points en litige. Le raisonnement suivi à cet égard est clairement détaillé et reflète l'attention accordée aux principaux facteurs pertinents de la définition de réfugié au sens de la Convention figurant à l'article 2 de la Loi sur l'immigration. Partant, il n'y a aucune raison d'intervenir.

[12]            La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[13]            Aucun des avocats ne m'a soumis une question d'importance générale pour certification.

                                                                                      « Luc Martineau »           

                                                                                                             Juge                     

OTTAWA (Ontario)

le 25 avril 2002

   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                                 IMM-2762-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                              M.C.I. c. Agnes Soltesz

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                 le 16 avril 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                         Monsieur le juge Luc Martineau

DATE DES MOTIFS :                                                         le 25 avril 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Matthew Oommen                                                             POUR LE DEMANDEUR

M. George Kubes                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                                              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

M. George Kubes                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

  
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.