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Date : 20210608


Dossier : IMM‑3527‑19

Référence : 2021 CF 561

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 8 juin 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

YANYU CHEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La demanderesse a présenté une requête écrite, conformément à l’article 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), sollicitant l’annulation de mon ordonnance précédente du 29 août 2019 (l’ordonnance) par laquelle j’ai rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la demanderesse (la demande d’autorisation).

[2] La demande d’autorisation contestait la décision du 28 mai 2019 prononcée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Je l’ai rejetée parce que la demanderesse avait omis de mettre sa demande d’autorisation en état.

[3] La demanderesse prétend n’avoir eu connaissance de mon ordonnance que dans le courant du mois de décembre 2019.

[4] Pourtant, la demanderesse n’a pas déposé sa requête avant le 6 mai 2021, soit 17 mois après le moment où elle affirme avoir pris connaissance de l’ordonnance. Elle n’a pas expliqué non plus le délai considérable entre le moment où elle a appris l’existence de mon ordonnance qui rejetait sa demande d’autorisation et celui du dépôt de la présente requête visant à la faire annuler. À mon avis, le fait de ne pas avoir déposé la présente requête en temps opportun porte un coup fatal à la requête de la demanderesse. Je vais tout de même aborder brièvement les exigences de l’article 399 ci‑après.

[5] La demanderesse fait valoir les moyens suivants dans sa requête :

  1. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée sans qu’elle le sache et sans qu’elle y ait dûment consenti par un consultant qui n’avait pas l’autorisation de le faire et qui a notamment contrefait sa signature. Par conséquent, elle ignorait tout de l’affaire au moment où la décision a été rendue;
  2. Sa cause est défendable;

iii. Pour réouverture : l’article 399 des Règles des Cours fédérales.

L’affidavit de la demanderesse

[6] Dans son affidavit du 23 février 2021, la demanderesse a précisé qu’elle avait retenu les services de New Generation Immigration Company (NewG) lorsqu’elle a présenté sa demande de résidence permanente. En mai 2017, NewG a rempli sa demande dans le cadre du programme Entrée express dans la catégorie de l’expérience canadienne. En juin 2017, l’IRCC a invité la demanderesse à solliciter le statut de résidente permanente. En juillet 2017, à la suite d’une erreur commise dans sa demande, NewG a retiré celle‑ci et a présenté une autre demande au nom de la demanderesse.

[7] En 2019, l’IRCC a de nouveau invité la demanderesse à solliciter son statut de résidente permanente. Cependant, à ce moment‑là, celle‑ci était retournée en Chine et n’avait pas de passeports pour son époux ou son enfant nouveau‑né. Au su de la demanderesse, NewG a présenté une demande sans les passeports manquants. En juin 2019, elle a averti la demanderesse que sa demande avait été rejetée. La demanderesse a appris qu’il s’agissait de sa dernière chance d’obtenir le statut de résidente permanente parce qu’elle était retournée en Chine et ne comptait plus suffisamment d’expérience professionnelle canadienne pour être admissible dans le cadre du système Entrée express.

[8] La demanderesse indique qu’elle avait consenti à l’offre faite par NewG de se « pourvoir en appel » du rejet, mais qu’elle n’avait pas reçu de leur part plus d’information à cet égard. Elle dit qu’elle suppose désormais que l’appel signalé par NewG était plutôt une demande de contrôle judiciaire introduite à la Cour fédérale. Elle affirme qu’en juin 2019, NewG a déposé un avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en son nom. Puis, en juillet 2019, NewG a déposé le dossier de demande à la Cour.

[9] La demanderesse prétend que les représentants de NewG l’ont « leurrée » en ce qui concerne le rejet du 9 septembre 2019 de sa demande d’autorisation à la Cour fédérale. À la place, la demanderesse soutient qu’elle n’a pris connaissance de cette décision qu’en décembre 2019 lorsque sa mère a visité sa propriété au Canada et a trouvé des documents envoyés par la Cour.

[10] La demanderesse nie avoir présenté la demande d’autorisation malgré le fait que la demande indique qu’elle se représentait elle‑même. Elle fait valoir que NewG a rédigé et déposé la demande en son nom sans qu’elle la revoie ou la comprenne.

[11] La demanderesse allègue que l’ordonnance qui rejette sa demande d’autorisation a été prononcée en son absence parce qu’elle n’avait pas consenti au dépôt de la demande. De plus, elle soutient que l’ordonnance devrait être modifiée au motif que la demande de contrôle judiciaire a été déposée sans qu’elle le sache, ce qui constitue « des faits nouveaux [qui] sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue ». Enfin, elle prétend que la conduite de NewG était frauduleuse.

L’article 399

[12] L’article 399 dispose que :

399 (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

399(1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

(a) ex parte; or

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

[BLANC]

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(2) On motion, the Court may set aside or vary in order

 

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

(a) where the order was obtained by fraud.

Analyse

[13] À mon sens, le paragraphe 399(2) est la seule disposition qui pourrait s’appliquer à la situation de la demanderesse.

[14] C’est seulement dans les circonstances les plus exceptionnelles que les Règles autorisent l’octroi d’une ordonnance annulant le rejet antérieur d’une instance (Bergman c Canada, 2006 CF 1082 [Bergman] au para 7; Fernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 909, [2001] A.C.F. n° 1287 (QL); Boubarak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1239, [2003] A.C.F. n° 1553 (QL).

[15] Dans sa décision Evans c Canada, 2014 CF 654 para 19 [Evans], notre Cour remarque qu’aux fins de l’examen des demandes présentées aux termes de l’alinéa 399(2)a) :

[…] les trois conditions suivantes doivent être remplies : i) les éléments découverts depuis peu doivent constituer des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) des Règles; ii) les « faits nouveaux » ne doivent pas être des faits nouveaux que l’intéressé aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable; et les « faits nouveaux » doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question : Ayangma c. Canada, 2003 CAF 382 au para 3.

[16] Toujours dans la décision Evans, la Cour a confirmé au para 20 que l’expression « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a) peut « englober autre chose que des éléments de preuve nouveaux ».

[17] Il semble que les « faits nouveaux » présentés par la demanderesse à l’appui de sa requête sont la conduite ou la négligence de son consultant en immigration qui, prétend‑elle, a pris des mesures en son nom sans qu’elle le sache ou qu’elle le comprenne pleinement. Or, la preuve même de la demanderesse montre qu’elle était de connivence avec NewG sur les mesures que cette dernière a prises directement ou indirectement en son nom. Bien qu’elle affirme maintenant qu’elle aurait retenu les services d’un avocat, cette prétention s’inscrit en faux contre son comportement antérieur envers NewG. En effet, elle avait continué d’en retenir les services malgré les erreurs commises dans ses demandes de résidence.

[18] À mon avis, le défaut de la demanderesse de s’informer adéquatement des mesures prises par son consultant en immigration ne correspond pas à des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a).

[19] Comme l’observe le juge Barnes dans la décision Bergman précitée, aux para 13 et 14 :

[13] Dans la décision Cove c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 266, [2001] A.C.F. no 482 (QL), le juge Denis Pelletier était saisi d’une demande de prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire. La demande de prorogation reposait sur des allégations de négligence de la part d’un consultant en immigration. Le juge Pelletier a refusé d’accorder le redressement sollicité pour ce motif, et a statué au paragraphe 10 que les clients sont tenus responsables de la négligence et des erreurs de leurs représentants :

10 Les particuliers qui se présentent à titre de personnes spécialisées en matière d’immigration adoptent la désignation de « conseiller juridique », comme c’est de plus en plus souvent le cas, seront assujettis à la même norme que ceux qui se présentent régulièrement devant la Cour. Les conséquences découlant de l’inexécution de leurs obligations pour leurs clients seront les mêmes que dans le cas des clients des avocats spécialisés en matière d’immigration. Il n’y a aucune raison pour laquelle la Cour devrait protéger les consultants des allégations de négligence en fermant les yeux lorsqu’ils commettent des erreurs. Les avocats spécialisés en matière d’immigration paient des primes d’assurance responsabilité élevées afin d’obtenir une protection qui pourrait être invoquée chaque fois qu’un tribunal refuse de fermer les yeux sur leurs erreurs. Appliquer une norme différente à l’endroit des consultants équivaut à subventionner la concurrence à laquelle ceux‑ci se livrent avec les avocats spécialisés en matière d’immigration.

[14] Dans la même veine, les fautes apparentes commises par les représentants des demanderesses en l’espèce ne font pas en sorte que ces dernières sont visées par les Règles qui permettent à la Cour d’annuler ses ordonnances antérieures. […] Les demanderesses n’ont ni expliqué adéquatement la longue période qui s’est écoulée avant qu’elle [sic] ne saisissent la Cour de la présente affaire, ni établi que le bien‑fondé de leur cause est défendable.

[20] La question en litige ne résulte pas d’une erreur de la Cour ou d’une incompréhension de sa part relativement à la demande d’autorisation de la demanderesse, mais plutôt des allégations de cette dernière quant à la conduite de son consultant en immigration. Cependant, cette conduite ne tombe pas dans la catégorie des faits nouveaux soulevés devant la Cour en lien avec sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[21] Dans tous les cas, même l’incompétence d’un avocat ne constituera un manquement aux principes de justice naturelle que dans des « circonstances extraordinaires » (Memari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1196 au para 36).

[22] La deuxième condition du critère exposé dans la décision Evans veut que les faits nouveaux ne puissent pas pouvoir été découverts grâce à la diligence raisonnable de la demanderesse. Dans son affidavit, cette dernière fait allusion au fait que NewG l’a informée qu’un appel serait interjeté en son nom. L’omission de la demanderesse de faire le suivi de son dossier est sa bévue et non le produit d’une erreur commise par la Cour.

[23] Selon la troisième condition du critère énoncé dans la décision Evans, les faits nouveaux doivent avoir une influence déterminante sur la décision en question. Les problèmes liés à la qualité de l’assistance fournie par un avocat ou un représentant ne remplissent pas cette condition du critère.

[24] Enfin, bien que la demanderesse soulève des allégations de fraude, la fraude alléguée doit émaner des fondements mêmes de la cause et doit être prouvée selon la prépondérance des probabilités. Se contenter de mentionner qu’elle a été victime de fraude ne suffit pas dans les circonstances actuelles pour appuyer sa demande de recours extraordinaire. Je constate que la demanderesse a déposé une plainte à l’encontre de son consultant en novembre 2020. Malgré tout, la simple formulation d’une plainte n’est pas la preuve d’une fraude.

[25] Le dossier révèle que le consultant a nié avoir déposé la demande d’autorisation au nom de la demanderesse. Dans le cadre de la présente requête, la Cour ne peut tirer de conclusions sur des faits litigieux.

[26] Dans tous les cas, et comme je l’ai souligné plus haut, l’omission de la demanderesse de solliciter une réparation tout de suite après avoir pris connaissance de l’ordonnance rejetant sa demande d’autorisation scelle le sort de la réparation qu’elle réclame à présent.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM‑3527‑19

LA COUR ORDONNE que la présente requête est rejetée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3527‑19

 

INTITULÉ :

YANYU CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUIN 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Ravi Jain

Neerja Saini

POUR LA DEMANDERESSE

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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