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Date : 20210721


Dossier : T-678-20

Référence : 2021 CF 775

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2021

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

RICHARD TIMM

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] M. Richard Timm purge une peine d’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération avant 25 ans, dans un établissement carcéral géré par le Service correctionnel du Canada [SCC]. Il est éligible à la libération conditionnelle totale depuis le 9 septembre 2019.

[2] Il conteste la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel], laquelle confirme le refus de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission] de lui accorder la libération conditionnelle totale ou même une semi-liberté.

[3] M. Timm reproche aux deux instances d’avoir mal saisi ou de n’avoir pas considéré la situation tendue entre lui et ses agents de libérations conditionnelles et avec son équipe de gestion de cas [ÉGC], lesquels sont en partie responsables de son comportement. En ce sens, la Commission a fondé sa décision sur des faits erronés et incomplets et elle n’a pas respecté son obligation de s’assurer que l’information sur laquelle elle se base soit sûre et convaincante (Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 à la p 96 [Mooring]).

II. Faits

[4] Bien qu’il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour double meurtre au premier degré, complot pour meurtre, entrave à la justice et parjure, M. Timm continue à ce jour à clamer son innocence.

[5] Entre septembre 2017 et septembre 2018, M. Timm a reçu des permissions de sorties avec escorte pour des visites familiales, lesquelles se sont bien déroulées.

[6] Son programme de sortie avec escorte est néanmoins annulé après qu’il ait démontré une attitude intransigeante, méfiante et défiante envers son ÉGC. Il a tenté en vain de faire casser cette décision mais dans sa décision, la Section d’appel souligne son manque de collaboration avec son ÉGC et son agent, éléments essentiels au lien de confiance requis pour une autorisation de sortie. La Section d’appel conclut donc que M. Timm représente toujours un risque inacceptable pour la société. Cette décision n’a pas été contestée devant la Cour.

[7] M. Timm a plutôt présenté une demande de semi-liberté ou de libération conditionnelle totale, laquelle est également refusée par le Commission et, subséquemment, par la Section d’appel. C’est cette dernière décision qui fait l’objet de la présente demande.

III. Décision contestée

[8] D’abord, il importe de préciser que même si la Cour est techniquement saisie d’une demande visant la décision de la Section d’appel, lorsque la Section d’appel confirme la décision de la Commission, la Cour doit ultimement s’assurer de la légalité de la décision de la Commission (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384 au para 10 [Cartier]). Un survol des deux décisions s’impose donc.

A. La Commission

[9] Lorsqu’elle est saisie d’une demande de libération partielle ou totale avant l’expiration légale de la peine, la Commission doit déterminer si le délinquant représente un risque inacceptable pour la société ou si cette libération contribuera à la protection de celle-ci tout en favorisant la réinsertion sociale du délinquant en tant que citoyen respectueux des lois (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, art 102 [la Loi]).

[10] Dans le cas qui nous occupe, la Commission a pris en considération le dossier carcéral de M. Timm, son témoignage, les observations tant écrites qu’orales de son procureur, ses démarches juridiques antérieures et les évaluations psychologiques dont il a fait l’objet.

[11] La Commission a résumé les conflits que M. Timm a eus avec ses agents; il a refusé de rencontrer sa nouvelle agente en mars 2019, il a critiqué le travail de son ancien agent et l’a tenu responsable du peu d’avancement dans son dossier, et il a refusé d’entamer un suivi clinique avec sa nouvelle agente. Compte tenu du peu de temps entre sa nomination et l’audience devant la Commission, la nouvelle agente a fait sienne la position de son prédécesseur de ne pas recommander la semi-liberté et la libération conditionnelle totale pour M. Timm.

[12] La Commission a noté que l’ÉGC était d’avis que certains des principaux facteurs prédisposant le comportement criminel de M. Timm étaient toujours présents, soit la gestion déficitaire des émotions, l’accumulation de frustrations et la relation conflictuelle avec la figure paternelle ou d’autorité. L’ÉGC est également d’avis que sa remise en liberté est prématurée et qu’il serait plutôt préférable de commencer par une reclassification vers un établissement à sécurité minimale, avant de considérer la semi-liberté et la libération conditionnelle totale.

[13] La Commission s’est dite en accord avec l’ÉGC. M. Timm a eu peu de sorties avec escortes, et il requiert une réinsertion sociale graduelle. La Commission a également considéré certains autres facteurs tels la gravité et la violence de sa criminalité, son manque de travail sur ses difficultés personnelles et autres facteurs de risques comme sa méfiance face à l’autorité, et son manque d’outils personnels pour diminuer le risque qu’il présente. La Commission a confirmé que la collaboration avec les figures d’autorité est absolument essentielle dans le cadre d’un élargissement en communauté.

[14] Par conséquent, la Commission a refusé la demande de M. Timm, étant d’avis que sa libération présenterait un risque inacceptable pour la société, et qu’elle ne contribuerait pas à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois. La Commission lui a plutôt recommandé d’établir une relation de confiance avec son ÉGC et son agente et de s’investir dans les étapes préalables à la semi-liberté.

B. La Section d’appel

[15] Devant la Section d’appel, M. Timm a fait valoir que le SCC s’oppose à sa mise en liberté pour le seul motif qu’il continue à nier en partie sa culpabilité.

[16] Or, la Section d’appel rappelle qu’il s’agit là d’un facteur important qui peut être considéré dans l’évaluation du risque mais qu’il ne peut pas être le seul motif de refus (Ouellette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54 aux para 75-76 [Ouellette]). La Section d’appel note toutefois que la Commission a expressément déclaré que le fait que M. Timm continue de nier sa culpabilité n’est pas un facteur qui empêche sa mise en liberté. Son manque de collaboration, sa méfiance envers ses intervenants et la gestion de ses émotions sont les facteurs ayant principalement influencé la décision de la Commission.

[17] M. Timm reprochait également à la Commission d’avoir préféré la version des faits des représentants du SCC à la sienne. Or, la Section d’appel estime plutôt que la Commission a considéré la version des faits de M. Timm et sa description du conflit qui persiste entre lui et ses agents : a) M. Timm a témoigné longuement sur les difficultés rencontrées avec ses agents; b) la Commission a même résumé le témoignage de M. Timm sur le sujet; et c) la Commission dit comprendre que M. Timm ait vécu des expériences ayant contribué à sa perception négative du système.

[18] La Section d’appel a donc confirmé la décision de la Commission, étant d’avis que cette dernière a raisonnablement considéré et soupesé l’ensemble des facteurs pertinents.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[19] Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question : La Section d’appel a-t-elle erré en confirmant la décision de la Commission et en refusant la demande de liberté partielle ou la libération conditionnelle totale du demandeur?

[20] La norme de contrôle applicable à cette analyse est celle de la décision raisonnable puisqu’aucune des exceptions identifiées par la Cour suprême dans Vavilov n’est applicable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]).

[21] Le défendeur soumet que la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions de la Commission compte tenu de son expertise particulière. La jurisprudence pré-Vavilov lui donne effectivement raison (voir par exemple Twins c Canada (Procureur général), 2016 CF 537 au para 25 [Twins]).

[22] Par ailleurs, dans May c Canada (Procureur général), 2020 CF 292 au paragraphe 23, le juge Brown confirme qu’une telle retenue est également cohérente avec l’un des principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, soit le fait pour la Cour d’être attentive à la façon avec laquelle le décideur administratif met son expertise à profit (Vavilov au para 93).

[23] Cela dit, la Cour suprême affirme également que la norme de la décision raisonnable est une norme unique qui doit tenir compte du contexte dans lequel une décision est prise (Vavilov aux paras 88-89).

V. Analyse

[24] M. Timm soumet que la Commission a un rôle inquisitoire et qu’elle doit questionner le délinquant et ses agents lorsque l’information présentée à la Commission semble incomplète. Elle doit ainsi valider les différentes versions des faits (Lepage c Canada (Procureur général), 2007 QCCA 567 au para 33). Elle doit finalement s’assurer que les renseignements sont sûrs et convaincants (Mooring à la p 96).

[25] M. Timm soumet un argument similaire à celui qu’il a fait valoir devant la Section d’appel : la Commission a erré en acceptant la version des faits du SCC sans enquêter sur la part de responsabilité de ses agents dans la relation conflictuelle qu’il entretient avec eux.

[26] M. Timm ajoute que la Commission aurait pu ajourner l’audience pour demander un complément d’information sur les conflits persistants entre lui et son ÉGC, ce qu’elle n’a pas fait. Sans complément d’information, la Commission ne pouvait pas considérer la preuve soumise comme étant sûre et convaincante.

[27] Finalement, M. Timm réitère que la Commission ne pouvait pas laisser le fait qu’il nie toujours ses crimes teinter l’ensemble de son dossier.

[28] Les arguments de M. Timm ne sont pas parvenus à me convaincre que la décision de la Section d’appel, et au passage celle de la Commission, étaient déraisonnables.

[29] Le Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires [le Manuel] prévoit que les décisions sur la mise à liberté requièrent l’examen de toutes les informations pertinentes disponibles. Lorsqu’une information pertinente n’est pas disponible, le Manuel prévoit que la Commission peut reporter l’examen de la demande du délinquant, ajourner l’examen pour obtenir les renseignements ou encore procéder à l’examen afin de respecter le délai prévu.

[30] Il ressort du dossier que M. Timm avait effectivement une relation conflictuelle avec son agent précédent, lequel a été remplacé par l’agente présente à l’audience devant la Commission, quelques mois seulement avant l’audience. Dans son témoignage devant la Commission, l’agente a indiqué qu’on lui a imposé ce transfert et qu’elle n’a pas eu le temps d’analyser le dossier suffisamment pour lui permettre de faire sa propre opinion sur la recommandation à faire à la Commission. Elle a donc adopté la position mise de l’avant par son prédécesseur de ne pas recommander la libération partielle ou totale de M. Timm. Elle a par ailleurs clairement indiqué qu’en ce qui la concernait, le fait pour M. Timm de nier sa culpabilité n’était pas un facteur déterminant et qu’à la lumière de l’ensemble des facteurs positifs se trouvant au dossier de M. Timm, elle avait bon espoir de pouvoir travailler avec lui pour l’accompagner vers une reclassification et, éventuellement, vers une libération conditionnelle. Cela nécessitait cependant que M. Timm apprenne à accepter l’autorité, qu’il apprenne à faire confiance à ses agents et à son ÉGC, et qu’il participe aux rencontres qu’on lui fixe. L’agente indique finalement qu’au cours de sa courte période en poste, M. Timm a refusé quelques rencontres et il a eu une attitude négative à son égard.

[31] La Commission n’a pas une obligation illimitée d’enquêter auprès du SCC à la recherche de toute information qui pourrait être utile à son analyse; elle doit plutôt prendre en compte toute information pertinente reçue du SCC et contenue dans le dossier d’un délinquant (Miller c Canada (Procureur général), 2010 CF 317, au para 54; DLE c Canada (Procureur général), 2019 CF 909, aux para 35-36).

[32] Or, la Commission n’avait pas à enquêter au-delà de la preuve documentaire qui lui était présentée, soit le dossier de M. Timm et toute preuve documentaire additionnelle qui lui était loisible de présenter, ni au-delà des témoignages reçus.

[33] Une lecture des notes sténographiques de l’audience devant la Commission me convainc que la Commission s’est intéressée à la relation conflictuelle que M. Timm a eue avec ses agents précédents, elle s’est intéressée à la version des faits de M. Tim, elle a interrogé tant ce dernier que son agente actuelle à ce sujet et a tenu compte du rapport psychologique qui confirme qu’il a beaucoup de difficulté avec l’autorité. M. Timm a lui-même admis qu’il avait beaucoup de difficulté à se contenir et qu’il tentait de développer des mécanismes lui permettant de résister aux irritants. À mon sens, la Commission s’est acquittée de sa tâche de considérer l’ensemble de la preuve, de questionner les témoins sur leur version des évènements et de soupeser le tout.

[34] S’adressant à M. Timm, la Commission indique ce qui suit:

...vous êtes décrit comme étant une personne rigide dans votre mode de pensée, sur la défensive et méfiante avec les intervenants et qui offre une collaboration minimale avec votre équipe de gestion de cas. L’audience a permis à la Commission de constater la présence de cette rigidité qui peut vraisemblablement freiner la progression de vos acquis et votre travail clinique. La Commission comprend que certaines situations ont pu contribuer à maintenir votre vision négative du système et décourager votre implication dans votre processus de réinsertion sociale.

[…]

Pendant l’audience, la Commission a pu constater votre refus catégorique de collaborer avec votre nouvelle [agente]. Malgré son ouverture à collaborer, qu’elle a présenté clairement à l’audience, malgré l’avis de votre assistant indiquant que votre nouvelle [agente] est une personne ouverte et disponible à vous supporter, malgré les demandes insistantes de la Commission à vous ouvrir face à une intervention de votre [agente], vous avez maintenu un discours négatif, empreint de vos échecs passés, et vous êtes peu enclin à collaborer avec elle. Vous persistez à croire que la négation de vos délits fait en sorte que le [Service correctionnel] refusera toute forme d’élargissement.

[35] La Commission reconnaît donc que M. Timm a vécu des expériences négatives avec certains de ses agents antérieurs; elle n’a pas ignoré le fait que cela ait pu contribuer à le décourager.

[36] Toutefois, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de retenir que son attitude actuelle envers sa nouvelle agente, dont la Commission a elle-même été témoin lors de l’audience, lui permettait de conclure qu’il représentait toujours un risque pour la société et qu’il n’était pas prêt pour une libération partielle ou totale. Il était raisonnable de conclure qu’il est essentiel qu’une relation de confiance entre M. Timm et ses intervenants s’établisse et qu’il apprenne à collaborer avec les figures d’autorité avant de permettre un élargissement de sa liberté.

[37] Finalement, je suis d’avis que la Commission a adéquatement traité de la question du déni de culpabilité et qu’elle a tenu compte de la preuve devant elle pour conclure que pour le SCC, cela n’était plus un facteur qui freinerait la progression du dossier de M. Timm.

VI. Conclusion

[38] Pour les motifs exposés aux présentes, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Elle l’est toutefois sans frais.

 


JUGEMENT dans T-678-20

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucun frais n’est accordé.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-678-20

 

INTITULÉ :

RICHARD TIMM c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 mars 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JUILLET 2021

 

COMPARUTIONS :

Pierre Tabah

Andrée-Anne Dion-Côté

 

Pour le demandeur

 

Sean Doyle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah & Associés

Saint-Jérôme, Québec

 

Pour le demandeur

 

Procureur Général du Canada

Montréal, Québec

 

Pour le défendeur

 

 

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