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Date : 20210716


Dossier : IMM-5783-19

Référence : 2021 CF 748

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

QUENINE ROSA MA CANEO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 11 septembre 2019 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [le tribunal] a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse contre la mesure d’exclusion prise contre elle au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], parce qu’elle a fait de fausses déclarations [la décision contestée].

II. Contexte

[2] La demanderesse, Quenine Rosa Ma Caneo, est une citoyenne des Philippines. Elle est arrivée au Canada en 2013 à titre de personne à charge inscrite dans la demande de résidence permanente de sa mère.

[3] La mère de la demanderesse est arrivée au Canada en 2004 munie d’un permis de travail délivré dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants. Elle est devenue résidente permanente du Canada en 2013.

[4] La demanderesse a une fille, née le 24 août 2012. Ni la demanderesse ni sa mère n’ont déclaré l’enfant à titre de personne à charge au moment où elles ont obtenu leur droit d’établissement.

[5] La demanderesse est devenue résidente permanente du Canada le 31 mai 2013.

[6] Le 27 juin 2013, la mère de la demanderesse a présenté une demande visant à ajouter sa petite‑fille comme personne à charge. La demande a été rejetée étant donné que la mère de la demanderesse avait déjà obtenu le droit d’établissement. Le 20 décembre 2013, la demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer sa fille au Canada.

[7] Une lettre d’équité procédurale a été envoyée à la demanderesse, et l’affaire a été déférée pour enquête au motif que la demanderesse et sa mère auraient été interdites de territoire au Canada pour fausses déclarations, par application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Des mesures d’exclusion ont été prises contre elles.

[8] La demanderesse et sa mère ont interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration. Elles n’ont pas contesté la conclusion relative aux fausses déclarations, mais ont plutôt fait valoir qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant qu’il soit fait exception à l’interdiction de territoire, par application de l’alinéa 67(1)c) de la Loi. Le tribunal a accueilli l’appel de la mère de la demanderesse, mais a rejeté celui de la demanderesse. La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision contestée et renvoyant l’affaire à la Section d’appel de l’immigration pour nouvelle décision.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Le tribunal s’est demandé s’il devait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 67(1)c) de la Loi pour prendre des mesures spéciales compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant et des motifs d’ordre humanitaire. Il a conclu ce qui suit :

  1. La gravité des fausses déclarations était un facteur défavorable dans l’appel.

  2. Si la demanderesse et sa mère ont exprimé certains remords, elles ont néanmoins continué à rejeter le blâme et la responsabilité de leurs fausses déclarations sur des tiers, ce qui a atténué les remords exprimés. Dans l’ensemble, ce facteur a joué en leur défaveur dans l’appel.

  3. La demanderesse occupait un emploi stable. En outre, elle était fiancée et comptait se marier au Canada. Il y avait peu d’éléments de preuve attestant qu’elle avait des actifs au Canada. Le niveau d’établissement de la demanderesse a été considéré comme un facteur neutre dans l’appel.

  4. La famille de la demanderesse au Canada ne subirait pas de difficultés excessives si l’appel était rejeté.

  5. La demanderesse entretient des liens plus solides que sa mère avec les Philippines, en partie parce que sa fille y réside. Le fait qu’elle ne se heurterait pas à des difficultés excessives si elle devait retourner aux Philippines a été un facteur neutre dans son appel.

  6. La fille de la demanderesse vivrait aux Philippines avec son père biologique, qui est toxicomane. La relation entre la demanderesse et le père de sa fille est acrimonieuse, et les éléments de preuve laissent penser qu’il ne s’occupe pas de sa fille de manière optimale. Cependant, aucune explication raisonnable n’a été fournie quant à la façon dont la demanderesse s’y prendrait pour faire venir sa fille au Canada. Le tribunal a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse que celle-ci réside avec elle aux Philippines.

[10] Le tribunal a conclu que la mère de la demanderesse s’était acquittée du fardeau de la preuve, mais pas la demanderesse. Pour celle-ci, vu l’ensemble des circonstances, il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.

IV. Questions en litige

[11] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La qualité de l’interprétation à l’audience a‑t‑elle donné lieu à un manquement à l’obligation d’équité procédurale?

  2. La décision contestée est‑elle déraisonnable?

V. Norme de contrôle

[12] La question de la qualité de l’interprétation devant le tribunal en est une d’équité procédurale, et elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Mowloughi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 662 au para 13, citant Zaree c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 889 au para 7). La deuxième question, qui porte sur le fond de la décision contestée, est quant à elle susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

VI. Dispositions législatives applicables

[13] Les alinéas 40(1)a) et 67(1)c) de la Loi sont ainsi rédigés :

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

Misrepresentation

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Fondement de l’appel

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Appeal allowed

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

VII. Analyse

[14] La demanderesse allègue avoir été privée de son droit à l’équité procédurale parce qu’il y a eu des inexactitudes dans l’interprétation lors de l’audience devant la Section d’appel de l’immigration. Le tribunal aurait en outre tiré des conclusions de fait erronées et n’aurait pas tenu compte des éléments de preuve dont il disposait.

[15] Le défendeur est d’avis que la Cour ne devrait accorder que très peu de poids aux allégations non étayées de la demanderesse concernant la qualité de l’interprétation lors de l’audience devant la Section d’appel de l’immigration. Il affirme que l’interprétation était adéquate et que la décision du tribunal est tout à fait raisonnable.

A. Questions préliminaires

(1) Intitulé

[16] L’intitulé est par la présente modifié pour que le nom de la demanderesse, Quenine Rosa Ma Caneo, soit correctement orthographié.

(2) Preuve par affidavit

[17] Le défendeur allègue que les affidavits de la demanderesse et de sa mère ne sont pas conformes à plusieurs règles de preuve applicables dans les procédures de contrôle judiciaire. Il estime que l’affidavit de la mère de la demanderesse devrait être radié et que l’on ne devrait accorder que peu de poids à celui de la demanderesse.

[18] Je reconnais que la mère de la demanderesse a assisté à l’audience devant la Section d’appel de l’immigration et qu’elle présente des observations dont elle a une connaissance personnelle aux paragraphes 5 à 8 de son affidavit, souscrit le 22 octobre 2019 (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, art 12(1); Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, art 81(1)). Toutefois, dans la mesure où cet affidavit comporte des arguments, il ne peut être admis comme élément de preuve et le paragraphe 9 est par la présente radié (Singh Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1097 au para 19).

[19] À mon avis, l’affidavit de la demanderesse, souscrit le 23 octobre 2019, ne comporte pas d’arguments, comme le prétend le défendeur. Cependant, dans la mesure où la demanderesse y présente des opinions sur les éléments de preuve dont disposait la Section d’appel de l’immigration aux paragraphes 7 à 10, 12 et 13 et 18 et 19, peu de poids a été accordé à cette preuve.

[20] Qui plus est, les deux affidavits ont été rédigés en anglais. Or, ils ne sont pas conformes au paragraphe 80(2.1) des Règles des Cours fédérales, et ce, même si les déposantes ont précisé qu’elles avaient une connaissance limitée de l’anglais. Par conséquent, la preuve par affidavit a été appréciée eu égard à ces vices de procédure.

B. Interprétation

[21] La demanderesse allègue que l’interprétation lors de l’audience devant la Section d’appel de l’immigration était de piètre qualité. Son avocat a demandé un contrôle de l’interprétation, mais cette demande a été rejetée par le tribunal, qui n’a pas abordé les préoccupations relatives à l’interprétation dans sa décision.

[22] Si une interprétation concomitante est nécessaire lors d’une audience, elle doit être adéquate, mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit parfaite (Jovinda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1297 au para 27 [Jovinda]). « [L]’interprétation fournie aux demandeurs devant la section du statut doit satisfaire à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance » (Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191 au para 4 [Mohammadian], citant R c Tran, [1994] 2 RCS 951). Toute préoccupation relative à l’interprétation doit être soulevée par le demandeur à la première occasion (Jovinda, précitée, au para 28; Mohammadian, précité, au para 13).

[23] Les principes énoncés dans l’arrêt Mohammadian ont été résumés par la Cour de la façon suivante (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161 au para 3; Owochei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 140 au para 25) :

a. L’interprétation doit être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante.

b. Il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice réel pour obtenir une réparation.

c. L’interprétation doit être adéquate, mais n’a pas à être parfaite. Le principe le plus important est la compréhension linguistique.

d. Il y a renonciation au droit lorsque la qualité de l’interprétation n’est pas contestée par le demandeur à la première occasion, chaque fois qu’il est raisonnable de s’y attendre.

e. La question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée à l’égard de la mauvaise qualité de l’interprétation est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas.

f. Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion.

[Souligné dans l’original.]

[24] Rien dans le dossier ne permet d’étayer les allégations de la demanderesse et de sa mère en ce qui concerne la qualité de l’interprétation. Il est difficile de savoir avec exactitude quelles erreurs ont été commises par les interprètes, et la demanderesse n’a ni précisé ni étayé ses affirmations. Bien que celle‑ci n’ait pas à démontrer l’existence d’un préjudice réel, les erreurs d’interprétation doivent néanmoins être graves et non négligeables, avoir nui à sa capacité de répondre aux questions et avoir joué un rôle important dans les conclusions du décideur (Gebremedhin c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 497 au para 14).

[25] En outre, je ne peux conclure que le tribunal a manqué à son obligation d’équité procédurale parce qu’il a rejeté la demande de contrôle ou qu’il n’a pas fourni de motifs écrits concernant cette demande en particulier étant donné qu’il n’y a pas de preuve convaincante qu’il y a eu des erreurs graves dans l’interprétation (Rutka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 659 aux para 23, 24).

C. Caractère raisonnable de la décision

[26] La demanderesse n’a pas démontré que la décision ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, précité, au para 86). Elle a fait à cet égard de simples affirmations qui ne sont pas étayées par le dossier. Elle n’a pas démontré que le tribunal a écarté des éléments de preuve ou qu’il a contredit ses conclusions en ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant. En outre, le tribunal n’a pas tiré de conclusion déraisonnable en ce qui concerne la crédibilité, comme l’a affirmé l’avocat de la demanderesse lors de sa plaidoirie. Par ailleurs, les arguments sur la situation dans le pays invoqués dans la plaidoirie sont sans fondement puisqu’ils n’ont pas été soulevés en temps opportun ou conformément aux procédures applicables.

[27] Il importe de souligner que la fille de la demanderesse réside actuellement aux Philippines et que la conclusion du tribunal selon laquelle la demanderesse n’a fourni aucune explication raisonnable quant à la façon dont elle s’y prendrait pour faire venir sa fille au Canada n’a pas été contestée. Dans ce contexte, le tribunal a bien évalué qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant que la demanderesse réside avec sa fille aux Philippines.

[28] La décision contestée est raisonnable.

VIII. Conclusion

[29] La présente demande est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5783‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé est par la présente modifié pour que le nom de la demanderesse, Quenine Rosa Ma Caneo, soit correctement orthographié.

  2. La demande est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5783-19

 

INTITULÉ :

QUININE ROSA MA CANEO c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE Tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 juillet 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Nico Breed

 

Pour la demanderesse

 

David Shiroky

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nota Bene Law

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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