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Date : 20210716


Dossier : IMM‑2628‑20

Référence : 2021 CF 749

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

AMBREEN MANSOOR MILAK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 15 mars 2020 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [le tribunal] a rejeté l’appel de la demanderesse à l’encontre du rejet de la demande de résidence permanente présentée par son époux [la décision].

II. Contexte

[2] La demanderesse, Ambreen Mansoor Milak, est une citoyenne canadienne qui est née et a grandi au Pakistan. Elle est arrivée au Canada en 1994. Elle est âgée de 50 ans et a trois enfants issus du premier de ses deux mariages précédents.

[3] La demanderesse explique que son époux a pris contact avec elle en 2015 sur Facebook. Il est âgé de 24 ans et fait actuellement des études universitaires au Pakistan. Il s’agit de son premier mariage et il n’a pas d’enfants.

[4] Lorsqu’il a pris contact avec la demanderesse sur Facebook, l’époux de cette dernière s’est d’abord présenté comme étant une femme, mais il a par la suite révélé être un homme. Le couple a continué à communiquer et, en avril 2016, l’époux de la demanderesse l’a demandée en mariage. Après quelques semaines, la demanderesse a accepté sa demande.

[5] La demanderesse s’est rendue au Pakistan, où elle est demeurée durant dix jours, pour rencontrer son conjoint pour la première fois en personne et pour l’épouser. Le mariage a eu lieu le 24 septembre 2016. Les membres des familles de la demanderesse et de son époux étaient fortement opposés à leur relation, mais cela n’a pas découragé le couple. Bien que le père et l’oncle de l’époux de la demanderesse aient agi comme témoins au mariage, sa mère a continué à s’y opposer.

[6] La demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer la demande de résidence permanente de son conjoint, au titre de la catégorie du regroupement familial (époux).

[7] La demande de résidence permanente a été rejetée le 2 mai 2019, au titre du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. L’agent de migration n’était pas convaincu que le mariage était authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition de la résidence permanente au Canada.

[8] Ce rejet a fait l’objet d’un appel devant la Section d’appel de l’immigration, lequel a été rejeté dans la décision du 15 mars 2020. Le tribunal a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage était authentique.

[9] La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à la Section d’appel de l’immigration pour nouvelle décision.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] Dans sa décision, le tribunal a déclaré ce qui suit :

[13] L’histoire de ce couple est tout simplement particulière. Étant donné la manière étrange dont elle a débuté, l’énorme écart dans la façon dont la relation s’est développée, la forte opposition des deux familles et la manière dont la relation a été cachée de la collectivité, il serait normal de s’attendre à ce que l’appelante et le demandeur puissent expliquer en détail et clairement en quoi leur mariage est authentique. Je reconnais que le demandeur connaissait relativement bien la vie de l’appelante au Canada et qu’il connaissait beaucoup plus de détails au sujet des enfants de cette dernière qu’il n’en connaissait durant son entrevue avec l’agent des visas. L’appelante a dit clairement que la plupart des membres de sa famille n’acceptaient pas leur relation et que c’est pourquoi elle a tenté de cacher son mariage à ses enfants et aux membres de sa fratrie avant qu’il soit célébré. Le conseil de l’appelante a mis le commissaire en garde contre un jugement sur la prise de décisions d’une personne parce que certaines personnes prennent dans la vie des décisions qui n’ont pas beaucoup de sens pour d’autres. Il incombe néanmoins à l’appelante d’expliquer pourquoi elle a pris les décisions qu’elle a prises. Le témoignage du demandeur a été peu utile parce qu’il n’a pas répondu directement à de nombreuses questions.

[11] Le tribunal a estimé que l’histoire du couple n’était pas crédible, notamment en ce qui concerne la façon dont il s’est rencontré, compte tenu de l’absence de documents attestant de communications. Le tribunal a conclu que l’époux de la demanderesse n’avait pas fourni de raisons suffisantes pour expliquer pourquoi il avait pris contact avec la demanderesse au départ et pourquoi il avait poursuivi la relation. Les époux n’ont pas fourni d’éléments de preuve clairs sur la façon dont la relation s’est développée, et le tribunal a estimé qu’il n’était pas crédible que les époux aient commencé à se raconter leurs expériences de vie et qu’ils soient tombés en amour en ligne après cinq ou six mois.

IV. Question en litige

[12] La question en litige est celle de savoir si la décision était déraisonnable du fait que le tribunal a ignoré des éléments de preuve importants et pertinents ou qu’il s’est fondé sur des incohérences sans importance et qu’il a mal interprété les éléments de preuve.

V. Norme de contrôle

[13] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]).

VI. Dispositions applicables

[14] Le paragraphe 4(1) du Règlement prévoit ce qui suit :

Mauvaise foi

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

Bad faith

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b) is not genuine.

VII. Analyse

A. La thèse des parties

[15] La demanderesse allègue que le tribunal a procédé à une analyse microscopique en se concentrant indûment sur des éléments non concluants, tout en n’accordant que peu de poids aux éléments de preuve importants et en fondant ses conclusions sur des jugements personnels. La relation des époux était organique et authentique. Il n’y avait rien de déraisonnable dans les explications fournies par les époux en réponse aux préoccupations du tribunal concernant l’origine et le développement de la relation. Le fait que le tribunal a accordé beaucoup de poids au défaut des époux de fournir des documents de communication est déraisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve, laquelle appuie l’authenticité du mariage. Le tribunal a, en outre, commis une erreur de logique en concluant que, comme la demanderesse n’avait pas présenté ses enfants à son époux, le mariage n’était pas authentique.

[16] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a réussi à démontrer aucune lacune suffisamment sérieuse dans l’analyse ou les motifs du tribunal pour justifier l’intervention de la Cour. La demanderesse demande à la Cour de procéder à un nouvel examen de la preuve pour en arriver à une conclusion différente.

[17] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, précité, au para 85). En l’absence de circonstances exceptionnelles, une cour de révision ne modifiera pas les conclusions de fait d’un décideur, lequel doit apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise. Le rôle d’une cour de révision n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, au para 125). Je prends note des préoccupations de la demanderesse concernant l’évaluation de la preuve faite par le tribunal, mais il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un cas où le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov, au para 126). Le tribunal a fait une évaluation approfondie de la situation des époux, y compris de la liste non exhaustive des facteurs énumérés dans la décision Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] DSAI no 353 (SAI) au paragraphe 3.

[18] La demanderesse n’a pas réussi à démontrer que la décision ne satisfaisait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité.

B. Le développement de la relation des époux

[19] La décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, le tribunal ayant procédé à un examen approfondi du dossier pour en arriver à la conclusion que le mariage n’était pas authentique (Vavilov, au para 99). Le tribunal a dûment tenu compte de la cohérence des témoignages de la demanderesse et de son époux, ainsi que de la connaissance que ce dernier avait de la vie de la demanderesse au Canada. La demanderesse et son époux n’ont fourni aucune explication ou n’ont fourni que des explications ambiguës ou vagues concernant le développement de leur relation. Le tribunal a jugé que certains aspects du récit n’avaient « pas beaucoup de sens », et les arguments de la demanderesse ne minent en rien cette analyse.

[20] La Cour a déclaré, au paragraphe 6 de la décision Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122, qu’il peut être difficile d’évaluer l’authenticité des relations personnelles de l’extérieur.

[21] La demanderesse décortique les conclusions du tribunal en ce qui a trait à l’origine et au développement de la relation entre les époux. Bien que je sois d’accord avec les principes généraux invoqués par la demanderesse, ceux‑ci ne font pas en sorte que la décision est déraisonnable en l’espèce. Je ne suis pas d’avis que le tribunal s’est indûment appuyé sur les écarts entre les époux sur les plans de l’âge et des antécédents matrimoniaux pour rendre la décision (Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 432 au para 16 [Nguyen]). En fait, le tribunal a déclaré : « Je reconnais que bon nombre de mariages concernent des personnes qui n’ont pas un âge rapproché. »

[22] En outre, les faits de l’espèce se distinguent de ceux de l’affaire Nguyen, dans laquelle la Cour a conclu qu’il était préoccupant que la Section d’appel de l’immigration n’ait pas expliqué en quoi « l’origine de la relation » était un élément important dans le cadre de cet appel. L’affaire Nguyen portait sur un mariage « qui dur[ait] depuis dix ans, après [que les époux] se soient connus pendant six ans, et qui [avait] engendré la naissance de deux enfants » (Nguyen, précitée, au para 17). Il n’est pas déraisonnable pour le tribunal de se questionner sur l’origine et le développement de la relation entre les époux en l’espèce.

[23] En outre, le tribunal n’exigeait pas des époux qu’ils [traduction] « aiment les mêmes genres de films » comme l’a soutenu la demanderesse. Le tribunal n’a pas commis d’erreur en faisant remarquer que la demanderesse, dans son témoignage sur leurs intérêts communs, s’est limitée à dire que son époux et elle aimaient regarder des films.

C. Absence de dossiers de communication

[24] En ce qui concerne l’absence de dossiers de communication, la demanderesse soutient que l’appréciation négative faite par le tribunal était déraisonnable, compte tenu [traduction] « du témoignage de vive voix cohérent et non contredit concernant ses rapports réguliers avec son époux, leur connaissance respective de la vie de l’autre et leur affection l’un pour l’autre tout au long de leur relation ».

[25] Une cour de révision ne doit pas apprécier à nouveau la preuve tel que le demande la demanderesse. Le tribunal n’a commis aucune erreur en concluant que l’histoire des époux « n’a pas beaucoup de sens » dans la mesure où cette conclusion se rapporte à l’absence de dossiers de communication. La demanderesse a fourni plusieurs raisons pour expliquer pourquoi elle n’avait pas produit les dossiers. La destruction du téléphone de son époux et sa difficulté à télécharger des conversations tenues antérieurement n’avaient pas beaucoup de sens étant donné la capacité de la demanderesse à télécharger et à communiquer les conversations tenues sur Facebook les 3 et 6 avril 2015.

D. Manque de soutien de la part des enfants de la demanderesse

[26] En outre, je suis d’avis que le tribunal n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a tenu compte du manque d’efforts déployés par la demanderesse pour présenter ses enfants à son époux. Bien que la demanderesse n’ait pas affirmé que ses enfants doivent accepter son futur époux, il ne s’agit pas là d’un motif pour discréditer la décision du tribunal. Il était loisible au tribunal de conclure que « le manque d’effort de [la demanderesse] pour présenter ses enfants au demandeur [son époux] et ouvrir la voie à une relation durable entre ces derniers [était] un indice que le mariage n’[était] pas authentique ».

[27] Ce facteur n’est qu’un de ceux examinés par le tribunal et, eu égard au contexte, il n’était pas déraisonnable.

[28] La demanderesse affirme que le tribunal a imposé des [traduction] « valeurs purement occidentales » et qu’il a procédé à une analyse microscopique de la preuve, mais je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent a effectué une analyse subjective de la preuve en se fondant sur ses propres antécédents culturels. Je souligne que le tribunal a tiré des conclusions défavorables de ce qui suit :

  1. La demanderesse a accepté de passer du temps au domicile de la famille de son époux après le mariage.

  2. Son époux ne lui a pas demandé ce qu’elle pensait de l’idée de rester au domicile de sa famille juste après le mariage.

  3. Le contrôle exercé sur son époux par la famille de celui‑ci est incohérent étant donné qu’il s’agit d’une personne qui a défié les volontés de sa famille.

  4. Même si elle s’opposait au mariage, la mère de son époux était présente pour accueillir la demanderesse à son arrivée au Pakistan en 2019.

[29] Le tribunal n’a pas indûment mis l’accent sur ces conclusions; elles ont été examinées à la lumière d’une évaluation globale de la preuve, y compris des préoccupations du tribunal quant à la crédibilité de l’origine et du développement de la relation. Ni le dossier ni la décision dans son ensemble n’appuient l’idée de la demanderesse selon laquelle ces conclusions sont problématiques. Cela ne suffit pas à convaincre la Cour que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle possède les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov, au para 100).

VIII. Conclusion

[30] Pour les motifs susmentionnés, la présente demande est rejetée.

[31] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2628‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2628‑20

 

INTITULÉ :

AMBREEN MANSOOR MILAK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juillet 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 16 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Gen Zha

 

Pour la demanderesse

 

Meenu Ahluwalia

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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