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Dossier : T-646-15

Référence : 2021 CF 770

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

demanderesse

et

P.S. KNIGHT CO. LTD.

ET GORDON KNIGHT

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] L’Association canadienne de normalisation (la CSA) sollicite une ordonnance déclarant les défendeurs, P.S. Knight Co. Ltd. (Knight Co.) et M. Gordon Knight, ainsi qu’une société apparentée, PS Knight Americas Inc. (Knight Americas), coupables d’outrage au tribunal. Les parties accusées d’outrage seront désignées, collectivement, comme les parties Knight.

[2] La CSA allègue que chacune des parties Knight a violé ou, subsidiairement, a aidé et encouragé une autre partie Knight à violer les conditions d’un jugement modifié (Association canadienne de normalisation c P.S. Knight Co. Ltd., 2016 CF 294) et d’un jugement supplémentaire (Association canadienne de normalisation c P.S. Knight Co. Ltd., 2016 CF 387) rendus par le juge Manson de notre Cour en 2016 (collectivement appelés le jugement). La Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement (P.S. Knight Co. Ltd. c Association canadienne de normalisation, 2018 CAF 222) et la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel des défendeurs (P.S. Knight Co. Ltd. et al. c Association canadienne de normalisation, [2019] CSCR no 37).

[3] Dans le jugement, rendu dans le cadre d’une action en violation du droit d’auteur, le juge Manson a déclaré que Knight Co. avait contrevenu au droit d’auteur de la CSA sur l’édition de 2015 du Code canadien de l’électricité, première partie (le code de la CSA de 2015). Il a ordonné à Knight Co. de restituer à la CSA tous les exemplaires de sa publication contrefaite (le code de Knight) et a interdit en permanence à Knight Co., à ses administrateurs, à ses directeurs, à ses employés et à toute autre société apparentée sous son contrôle de reproduire, de distribuer ou de vendre le code de Knight, ou d’agir à l’encontre du droit d’auteur de la CSA sur le code de la CSA de 2015, sans l’autorisation écrite expresse de la CSA. Les parties Knight sont accusées de trois chefs d’outrage au tribunal pour avoir désobéi à cette ordonnance.

[4] En outre, Knight Co. a été condamnée à verser à la CSA des dommages-intérêts préétablis d’un montant de 5 000 $ pour les actes de contrefaçon passés, ainsi que les dépens de l’instance, fixés à 96 336 $.

[5] La CSA allègue que, depuis octobre 2020, les défendeurs ont repris la reproduction, la distribution et la vente de la publication contrefaite, le code de Knight, par l’intermédiaire d’une entité nouvellement constituée, Knight Americas, en contravention des conditions du jugement. La CSA allègue que les parties Knight ont délibérément désobéi à l’injonction et qu’elles ont adopté un comportement de mauvaise foi pour se soustraire aux obligations qui leur incombent aux termes du jugement, notamment en tentant de se soustraire à la compétence de la Cour en se livrant à des activités de contrefaçon par l’intermédiaire de Knight Americas.

[6] Les parties Knight soulèvent quatre points en défense :

[7] Je conclus que les éléments de preuve établissent hors de tout doute raisonnable que chacune des parties Knight a sciemment contrevenu aux conditions du jugement. Les moyens de défense soulevés par les parties Knight n’excusent pas la violation. Pour les motifs exposés ci-dessous, je déclare chacune des parties Knight coupable de tous les chefs d’outrage au tribunal dont ils sont accusés.

II. Le contexte

A. Les parties

[8] La CSA est un organisme sans but lucratif qui élabore des normes dans divers domaines, notamment des normes sur l’installation et l’entretien de l’équipement électrique au Canada (le code de la CSA). La première édition du code de la CSA a été publiée vers 1927. Une nouvelle édition est publiée tous les trois ans.

[9] Knight Co. est un éditeur de livres. M. Knight est l’unique dirigeant et administrateur de Knight Co. et de Knight Americas.

[10] Bien que les défendeurs aient été représentés par un avocat dans le cadre l’action en violation du droit d’auteur (y compris en appel), M. Knight a agi pour son propre compte dans l’instance pour outrage au tribunal. Avant l’audience relative à l’outrage, M. Knight a demandé et obtenu l’autorisation de représenter Knight Co. et Knight Americas. À l’audience, il a confirmé qu’il souhaitait toujours les représenter.

B. L’historique de l’instance et des instances connexes

[11] En 2012, la CSA a intenté une action en violation du droit d’auteur contre les défendeurs, en vue d’interdire la vente d’un guide annoté du code de la CSA (dossier de la Cour no T-1178‑12). Au cours de l’action de 2012, la CSA a appris que Knight Co. prévoyait publier une copie complète de l’édition de 2015 du code de la CSA et l’offrir en vente au public au tiers du prix de la publication de la CSA. La CSA a donc introduit l’instance en l’espèce (dossier de la Cour no T‑646-15), qui a abouti au jugement qui est au cœur des accusations d’outrage au tribunal.

[12] Comme il est indiqué ci-dessus, l’un des moyens de défense des parties Knight contre les accusations d’outrage est que le code de la CSA peut être reproduit librement sans violer le droit d’auteur parce qu’il a été incorporé à la loi. Dans l’action sous-jacente, les défendeurs ont soutenu que, parce que la CSA est un organisme gouvernemental et que le code de la CSA est incorporé par renvoi aux lois provinciales, la Couronne est titulaire du droit d’auteur. Les défendeurs ont également soutenu que le code de la CSA est du domaine public et ne peut faire l’objet d’un droit d’auteur parce qu’il a été incorporé par renvoi aux lois provinciales. Les arguments des défendeurs n’ont pas été retenus par la Cour.

[13] Les défendeurs ont fait appel du jugement. Les conditions monétaires du jugement ont été suspendues en attendant qu’il soit statué sur l’appel. L’injonction, cependant, n’a pas été suspendue.

[14] En mars 2018, alors que l’appel était en cours, la CSA a appris que Knight Co. avait annoncé au public qu’elle commencerait à vendre une copie complète de l’édition de 2018 du code de la CSA. La CSA a engagé une troisième instance pour violation du droit d’auteur (dossier de la Cour no T-577-18) et a présenté une requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire dans cette instance. La requête dans le dossier de la Cour no T-577-18 a été résolue au moyen d’un procès-verbal de transaction (pièce A27), qui a donné lieu à une entente permettant aux défendeurs de vendre l’édition de 2018 du code de Knight en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale, le produit de la vente devant être détenu en fiducie par les défendeurs (l’entente de 2018). L’entente de 2018 est invoquée en tant que l’un des moyens de défense des parties Knight dans la présente instance pour outrage au tribunal. Les parties Knight soutiennent que l’entente de 2018 les autorise à reproduire et à vendre des exemplaires du code de la CSA, ou du moins de l’édition de 2018 du code de la CSA.

[15] Après que la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel des défendeurs en décembre 2018, la CSA a demandé la confirmation que les défendeurs cesseraient toute vente du code de Knight et se conformeraient à l’injonction telle qu’elle est établie dans le jugement. N’ayant pas reçu de confirmation, la CSA a introduit une requête en vue d’obtenir une ordonnance de justification dans le cadre de la présente instance (dossier de la Cour no T-646-15) contre Knight Co. et Gordon Knight. Une ordonnance de justification a été rendue le 1er mai 2019 (l’ordonnance de justification antérieure).

[16] Le 23 mai 2019, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’en appeler de la décision de la Cour d’appel fédérale présentée par les défendeurs. Les défendeurs ont reconnu la décision défavorable sur leur site Web et ont indiqué qu’ils se conformeraient au jugement. Selon la CSA, étant donné que les défendeurs avaient publié la reconnaissance et qu’il apparaissait qu’ils avaient cessé de vendre le code de Knight, la CSA a abandonné le dossier de la Cour no T‑577-18 et n’a pris aucune mesure concernant l’ordonnance de justification antérieure.

[17] En ce qui concerne les événements qui ont conduit à la présente instance pour outrage au tribunal, la CSA allègue que, en octobre 2020, elle a appris que les défendeurs avaient repris la reproduction, l’offre en vente, la vente et la distribution d’exemplaires de l’édition de 2018 du code de Knight par l’intermédiaire d’une entité américaine nouvellement constituée (Knight Americas). M. Knight a publié une annonce en ligne indiquant que le code de Knight, [traduction] « à l’égard [duquel] la Cour [fédérale] a rendu une décision défavorable, est de nouveau disponible », ayant été réédité par l’intermédiaire de Knight Americas, qui [traduction] « n’est pas assujettie à la compétence directe de la Cour fédérale ». L’annonce indiquait : [traduction] « [la CSA] a oublié d’enregistrer le droit d’auteur sur ce document […] Nous l’avons donc fait. Au moment où vous lisez ces lignes, le Code canadien de l’électricité est la propriété privée de [Knight Americas] aux États-Unis ». En conséquence, la CSA a entamé une procédure judiciaire aux États-Unis afin de faire annuler l’enregistrement du droit d’auteur américain et d’interdire les activités des parties Knight aux États-Unis, et elle a demandé une ordonnance de justification dans le cadre de la présente instance, laquelle a été accordée le 8 janvier 2021 (l’ordonnance de justification).

III. La question en litige

[18] La question en litige en l’espèce est de savoir si une ou plusieurs des parties Knight ont commis un outrage au tribunal pour ne pas avoir respecté les conditions du jugement. Les trois accusations d’outrage énoncées dans l’ordonnance de justification sont les suivantes :

[traduction]

1. QUE Knight Co., Knight Americas et Gordon Knight ont reproduit, distribué de manière préjudiciable, vendu et offert en vente le code de Knight, intitulé Knight’s Canadian Electrical Code, première partie, 2018-2021, 24e édition, ou ont autorisé d’autres personnes à le faire, en violation du jugement et des droits que détient la CSA sur l’édition de 2015 de son code sur l’électricité en vertu de la Loi sur le droit d’auteur;

2. QUE Knight Co., Knight Americas et Gordon Knight ont omis de restituer à la CSA tous les exemplaires du code de Knight, intitulé Knight’s Canadian Electrical Code, première partie, 2018-2021, 24e édition, produits depuis la date du jugement, ainsi que toutes les planches et tous les fichiers électroniques s’y rapportant, en violation du jugement;

3. QUE Knight Americas a aidé et encouragé Knight Co. et Gordon Knight à perpétrer les actes décrits aux points (1) et (2) ci‑dessus, en violation du jugement.

[19] Après l’audience sur la responsabilité pour outrage au tribunal, M. Knight a déposé une lettre demandant à la Cour en général, et aux juges chargés du dossier en particulier, de se récuser. J’ai émis une directive indiquant qu’une demande de récusation doit être présentée par voie de requête, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles des CF]. Aucune requête n’a été déposée.

IV. Analyse

A. Les principes généraux

[20] Est coupable d’outrage au tribunal quiconque désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour ou agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour : art 466b) et c) des Règles des CF.

[21] Pour conclure à l’existence d’un outrage civil, trois éléments doivent être établis : l’ordonnance dont on allègue la violation doit formuler de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait; la partie à qui on reproche d’avoir violé l’ordonnance doit avoir été réellement au courant de son existence, et la personne qui aurait commis la violation doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige : Carey c Laiken, 2015 CSC 17 aux para 33-35 [Carey].

[22] Il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne à qui l’outrage au tribunal est reproché avait l’intention, en agissant comme elle l’a fait, « d’entraver la bonne administration de la justice ou de porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour ». Il suffit de conclure que l’ordonnance était « claire et que l’auteur de l’outrage au tribunal a commis l’acte interdit en connaissance de cause » : Apotex Inc c Merck & Co Inc, 2003 CAF 234 au para 60.

[23] L’outrage au tribunal est de nature criminelle ou quasi criminelle. Par conséquent, les éléments constitutifs de l’outrage doivent être établis selon la norme de preuve criminelle, soit la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable : art 469 des Règles des CF. La personne à qui l’outrage au tribunal est reproché bénéficie de la présomption d’innocence, et le fardeau de prouver l’outrage au tribunal incombe à l’accusateur et ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé : R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320 au para 36 [Lifchus]; Sweda Farms Ltd v Ontario Egg Producers, 2011 ONSC 3650 aux para 24-25 [Sweda Farms] (conf par 2012 ONCA 337).

[24] L’approche à l’égard des conclusions sur la crédibilité de la preuve contestée, en ce qui a trait aux éléments constitutifs de l’outrage au tribunal et à tout moyen de défense soulevé, exige que je prononce l’acquittement si je crois la preuve disculpatoire des parties accusées, si je ne crois pas la preuve disculpatoire mais que j’ai un doute raisonnable quant à la véracité de l’affaire, ou si la preuve que j’accepte ne me convainc pas, hors de tout doute raisonnable, que les parties accusées sont coupables d’outrage : Sweda Farms, au para 25. Un doute raisonnable doit reposer sur la raison et le bon sens et doit avoir un lien logique avec la preuve ou l’absence de preuve. Il n’exige pas une preuve correspondant à la certitude absolue : Lifchus, au para 36. La personne à qui l’outrage au tribunal est reproché n’est pas obligée de témoigner [traduction] « mais, [si elle] choisit de témoigner, son témoignage est soumis à un examen approfondi, et le tribunal peut en tirer des conclusions défavorables » : Sweda Farms, au para 24.

[25] Les pouvoirs de la Cour en matière d’outrage sont discrétionnaires et ne doivent être exercés qu’à titre de mesure de dernier recours et que lorsqu’il est nécessaire de protéger l’administration de la justice : Carey, au para 36; Morasse c Nadeau‑Dubois, 2016 CSC 44 au para 21.

B. La preuve et les conclusions

[26] Les témoignages dans la présente instance pour outrage au tribunal ont été donnés oralement : art 70(1) des Règles des CF.

[27] La CSA a cité deux témoins, George Douglas (Doug) Morton et Junior Williams. M. Morton est employé par la CSA. Il a participé à l’action sous-jacente en violation du droit d’auteur contre les défendeurs (il était le déposant principal de la CSA) et à d’autres instances contre les défendeurs. M. Morton a témoigné au sujet de l’historique de l’instance entre les parties et des activités des parties Knight pour la reprise des ventes du code de Knight. Il a été contre-interrogé. M. Williams est un enquêteur privé qui a acheté le code de Knight au Canada. Il a témoigné au sujet de la boutique en ligne, de son achat et des événements connexes. Il n’a pas été contre-interrogé.

[28] M. Knight a choisi de témoigner, mais a limité son témoignage principal à la présentation de pièces documentaires et à l’explication de leur pertinence. Certaines de ces pièces ont été jugées irrecevables. M. Knight a été contre-interrogé.

(1) Ordonnance claire et non équivoque

[29] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, le premier élément requis pour justifier une conclusion d’outrage est que l’ordonnance dont on allègue la violation – en l’espèce, le jugement – doit formuler de manière claire et non équivoque ce que la partie doit faire ou ne doit pas faire : Carey, au para 33; Canada (Commission des droits de la personne) c Warman, 2011 CAF 297 aux para 88-89.

[30] La Cour peut déterminer qu’une ordonnance n’est pas claire si, par exemple, il manque un détail essentiel sur l’endroit, le moment ou l’individu visé par l’ordonnance, si elle est formulée en des termes trop larges ou si des circonstances extérieures ont obscurci son sens, ou encore si l’ordonnance est simplement déclaratoire : Carey, au para 33; Syndicat des travailleurs des télécommunications c Telus Mobilité, 2004 CAF 59 au para 4.

[31] Le juge Manson a conclu que la société défenderesse, Knight Co., avait violé le droit d’auteur sur le code de la CSA de 2015. Les conditions du jugement qui sont en cause dans la présente instance pour outrage au tribunal sont les suivantes :

2. [Knight Co.], ses administrateurs, des directeurs, ses employés et toute autre société apparentée sous son contrôle, ne peuvent, par les présentes, reproduire, distribuer ou vendre le code de Knight, ou agir à l’encontre du droit d’auteur de la CSA quant au code de la CSA de 2015, sans l’autorisation écrite expresse de la CSA.

3. [Knight Co.] doit restituer à la CSA toutes les copies du code de Knight produites jusqu’à la date du présent jugement ou après, ainsi que toutes les planches et tous les fichiers électroniques du code de Knight.

[32] Il ne fait aucun doute que le jugement était en vigueur au moment où les actes d’outrage auraient été commis en 2020. Le jugement était définitif et avait été confirmé par la Cour d’appel fédérale, et la Cour suprême du Canada avait refusé l’autorisation d’en appeler en mai 2019 (pièces A9 et A12).

[33] Les parties Knight affirment toutefois que leurs activités ne relèvent pas de la portée du jugement. Elles avancent deux arguments à cet égard : (i) étant donné que seule Knight Co. a été jugée responsable de la violation du droit d’auteur, M. Knight et Knight Americas ne peuvent être déclarés coupables d’outrage pour avoir enfreint les conditions du jugement; (ii) le jugement vise uniquement l’édition de 2015 du code de Knight; il n’interdit pas la reproduction, la distribution ou la vente des éditions ultérieures du code de Knight. Par conséquent, dans le contexte du premier élément du critère de l’outrage, je me suis demandé si j’ai un doute raisonnable quant à la question de savoir si le jugement énonce de manière suffisamment claire s’il s’applique aux parties autres que Knight Co. et aux éditions du code de Knight autres que celle de 2015.

[34] La CSA fait valoir que les paragraphes 2 et 3 du jugement sont clairs et ne souffrent pas du type de défaut ou de problème qui soulèverait un doute raisonnable quant à la question de savoir si les activités des parties Knight s’inscrivent dans la portée du jugement.

[35] Premièrement, la CSA soutient que le jugement lie expressément non seulement Knight Co. mais aussi ses administrateurs, ses directeurs, ses employés et toute autre société apparentée sous son contrôle. La CSA a présenté les rapports de profil d’entreprise du gouvernement de l’Alberta obtenus en septembre 2020 et en mars 2021, dans lesquels M. Knight figure en tant que directeur de Knight Co. (pièce A2). Aucun autre administrateur ou directeur n’y figure. La CSA a également présenté les registres de société de l’État du Texas pour Knight Americas (pièce A15), dans lesquels figure le nom d’un directeur, M. Knight. La CSA souligne que le juge Manson a conclu que M. Knight était l’unique tête dirigeante de Knight Co. Lors de l’audience pour outrage, M. Knight a déclaré dans son témoignage qu’il exploitait une entreprise par l’intermédiaire de Knight Co. depuis 2009 ou 2010, et qu’il avait constitué Knight Americas en société. M. Knight a également déclaré qu’il était responsable de la rédaction du contenu du site Web à l’adresse suivante <www.restorecsa.com> (le site Web de Restore CSA). La CSA a présenté un imprimé d’une annonce publiée le 18 octobre 2020 sur le site Web de Restore CSA, intitulée « Knight’s Code is Back! » (pièce A14), dont voici un extrait :

[traduction]

Alors comment pouvons-nous rééditer le code de Knight maintenant?

Tout d’abord, « nous » (c’est moi) avons constitué une nouvelle entité aux États-Unis et transféré des actifs à cette nouvelle entité. Le code de Knight est réédité depuis les États‑Unis par PS Knight Americas Inc, qui n’est pas assujettie à la compétence directe de la Cour fédérale et à la décision du juge Manson.

[36] J’estime que la preuve établit hors de tout doute raisonnable que M. Knight est un directeur de Knight Co. et que Knight Americas est une société apparentée. Outre Knight Co, qui y est nommée, le jugement s’applique expressément aux administrateurs, aux directeurs, aux employés et à toute autre société apparentée à Knight Co. Je suis convaincue, hors de tout doute raisonnable, que le jugement s’applique clairement aux trois parties Knight.

[37] En outre, même une partie qui n’est pas spécifiquement liée par les conditions de l’injonction peut être déclarée coupable d’outrage si cette partie, ayant connaissance de l’injonction, en enfreint les conditions : Baxter Travenol Laboratories c Cutter (Canada) Ltd, [1983] 2 RCS 388 aux para 10-12. Lorsqu’une société est déclarée coupable d’outrage, les dirigeants qui ont aidé et encouragé une autre personne à commettre la violation peuvent être déclarés coupables d’outrage : Manufacturers Life Insurance Co. c Guaranteed Estate Bond Corp, [2000] ACF no 172 (CFPI) au para 15 [MLI c GEB]; Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs des télécommunications, 2002 CFPI 656 au para 16 [Telus Mobilité]; Setanta Sports Canada Ltd c 1053007 Ontario Inc, 2011 CF 99 au para 14 [Setanta Sports]. Ces principes fournissent une justification supplémentaire à ma conclusion que le jugement s’applique aux trois parties Knight.

[38] Deuxièmement, la CSA soutient que le jugement ne se limite manifestement pas à l’édition de 2015 du code de Knight et interdit tout acte qui viole le droit d’auteur de CSA dans le code de la CSA de 2015. La CSA souligne que M. Knight et Knight Co. n’ont pas fait valoir en appel que les conditions de l’injonction manquent de clarté de quelque manière que ce soit (pièce A8 – avis d’appel, dossiers de la Cour d’appel fédérale nos A-90-16, A-121-16) et que les parties Knight n’ont pas présenté de requête en clarification des conditions. La CSA soutient que le comportement des parties Knight démontre qu’elles ont toujours compris les conditions du jugement. Par exemple, M. Knight a déclaré qu’il avait cessé de vendre l’édition de 2018 du code de Knight après que la Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation d’interjeter appel. En outre, M. Knight a publié des déclarations sur le site Web de Restore CSA qui sont incompatibles avec la croyance selon laquelle le jugement vise uniquement l’édition de 2015 du code de Knight. Voir par exemple les déclarations suivantes (avec mes commentaires entre crochets) :

 

[39] Les observations écrites des parties Knight dans le cadre de la présente instance sont également incompatibles avec la croyance selon laquelle le jugement a uniquement interdit la reproduction et la vente de l’édition de 2015 du code de Knight. Voir par exemple les observations suivantes (avec mes notes entre crochets) :

[traduction]

En janvier 2018, la fonction publique [la CSA] a publié l’itération 2018-2021 du code de l’électricité.

Les défendeurs ont admis que la décision du juge Manson s’applique à toute la législation, mais étaient d’avis que la Cour d’appel fédérale corrigerait sûrement ce qui était considéré comme une décision aberrante et compromise […]

[40] À un moment donné au cours de son témoignage lors de l’audience relative à l’outrage au tribunal, M. Knight a concédé que la « décision du juge Manson » – c’est-à-dire le jugement – s’applique à toutes les éditions du Code canadien de l’électricité.

[41] Je conclus qu’il est clair que les conditions du jugement ne visent pas uniquement l’édition de 2015 du code de Knight. Le jugement ne définit pas le terme « code de Knight » de manière à ce qu’il soit limité à l’édition de 2015 spécifiquement. L’ordonnance de restitution et l’injonction ne visent pas uniquement l’édition de 2015 du code de Knight, et les conditions du jugement visent d’autres éditions ou versions du code de Knight qui violeraient le droit d’auteur de la CSA sur le code de la CSA de 2015. En effet, l’injonction empêche les personnes visées d’« agir à l’encontre du droit d’auteur de la CSA sur le code de la CSA de 2015 », ce qui signifie qu’elle interdit tout acte qui serait interdit aux termes de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42 [Loi sur le droit d’auteur], que ce soit à l’égard du code de Knight ou de toute autre publication qui contrefait le code de la CSA de 2015.

[42] Les parties Knight sont accusées d’outrage au tribunal à l’égard du Knight’s Canadian Electrical Code, première partie, 2018-2021, 24e édition. Je suis convaincue, hors de tout doute raisonnable, que le jugement s’applique clairement à cette publication.

(2) Connaissance de l’ordonnance

[43] La partie qui allègue l’outrage au tribunal doit prouver que la partie à qui on reproche d’avoir violé l’ordonnance était réellement au courant de son existence. La connaissance peut être déduite du comportement, par exemple dans le cas d’un appel d’une ordonnance qui ne pouvait être interjeté qu’après la réception d’instructions de la personne qui aurait commis l’outrage : Apple Computer Inc c Minitronics of Canada Ltd, [1988] 2 CF 265.

[44] Les parties Knight ne contestent pas qu’elles étaient réellement au courant du jugement pendant toute la période pertinente. Évidemment, Knight Co. et M. Knight étaient directement impliqués dans l’action sous-jacente en violation du droit d’auteur et dans les appels. M. Knight a publié de nombreux messages concernant le jugement sur le site Web de Restore CSA et il en connaissait clairement les conditions. M. Knight est l’unique tête dirigeante de Knight Co. et de Knight Americas, qu’il a constituée en société en juin 2020 dans le but de tenter de se soustraire au jugement. Je suis convaincue, hors de tout doute raisonnable, que les trois parties Knight étaient réellement au courant du jugement pendant toute la période pertinente, y compris au moment où elles se sont livrées à des actes qui violaient ses conditions.

[45] M. Knight affirme que l’ordonnance de justification n’a pas été dûment signifiée à Knight Americas. Je ne suis pas d’accord. L’ordonnance de justification n’exigeait pas de signification à personne et indiquait que la signification aux trois personnes qui auraient commis l’outrage devait être effectuée en envoyant une copie de l’ordonnance de justification par courriel (à sales@psknight.com) et par messagerie (à une adresse à Calgary). L’ordonnance de justification a été signifiée de cette manière, et il ne fait aucun doute qu’elle a été portée à l’attention de M. Knight.

(3) Commettre intentionnellement un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omettre de commettre un acte comme elle l’exige

[46] Le troisième élément du critère exige la preuve que la personne qui aurait commis l’outrage a intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige : Carey, aux para 32-35. Il n’est pas nécessaire d’établir que la personne qui aurait commis l’outrage avait l’intention de désobéir à l’ordonnance; l’absence d’intention d’entraver la bonne administration de la justice ou de commettre un outrage au tribunal ne constitue pas un moyen de défense opposable à une conclusion d’outrage : Burberry Ltd c Ramjaun (Laguna Trading), 2016 CF 1188 aux para 17-19.

[47] La CSA allègue que les parties Knight ont vendu les éditions 2018 et 2021 du code de Knight à des clients canadiens, contrevenant ainsi aux conditions du jugement. Bien que je convienne avec la CSA que l’édition de 2021 du code de Knight reproduit une partie importante du code de la CSA de 2015, la publication de 2021 est postérieure à l’ordonnance de justification. Les accusations d’outrage portent sur l’édition de 2018 du code de Knight, et mes conclusions d’outrage sont fondées sur l’édition de 2018 du code de Knight mentionnée dans l’ordonnance de justification.

[48] Compte tenu des faits de l’espèce, pour prouver hors de tout doute raisonnable que les parties Knight ont intentionnellement commis les actes d’outrage dont ils sont accusés, il faut établir : (i) que les parties Knight ont reproduit, distribué ou vendu l’édition de 2018 du code de Knight ou ont omis de restituer à la CSA tous les exemplaires de cette édition et (ii) que l’édition de 2018 du code de Knight viole le droit d’auteur de la CSA sur le code de la CSA de 2015.

[49] En ce qui concerne tout d’abord la question de savoir si les éléments de preuve établissent hors de tout doute raisonnable le fait que l’édition de 2018 du code de Knight viole le droit d’auteur de la CSA sur le code de la CSA de 2015, le jugement, confirmé en appel, conclut qu’il existe un droit d’auteur sur le code de la CSA de 2015 et que la CSA en est titulaire. La CSA a présenté en preuve un exemplaire du code de la CSA de 2015 (pièce A1). M. Morton a déclaré dans son témoignage que la CSA publie des mises à jour de son code tous les trois ans, lorsqu’une nouvelle édition est publiée.

[50] La CSA a également présenté en preuve l’exemplaire de l’édition de 2018 du code de Knight acheté par M. Williams (pièce A18) et un imprimé provenant d’une boutique en ligne à l’adresse www.psknight.com (le site Web de Knight) et indiquant ce qui suit au sujet de l’édition de 2018 du code de Knight (pièce A17) :

[traduction]

Knight’s Canadian Electrical Code contient le code complet, plus des annotations mineures pour souligner les changements apportés par rapport aux éditions précédentes du code. Puisque le code de Knight est une réimpression autorisée du code de l’électricité, toutes les illustrations, les explications et les descriptions qu’il contient sont présentées entièrement et exactement telles qu’elles ont été adoptées par les gouvernements.

[51] Étant donné que chaque édition du code de la CSA et du code de Knight compte des centaines de pages, la CSA a présenté en preuve des pièces matérielles pour montrer les similitudes entre le code de la CSA de 2015 et le code de Knight de 2018 (pièce A23) et entre le code de la CSA de 2015 et le code de Knight de 2021 (pièce A24). M. Morton a déclaré qu’il avait comparé les passages pour confirmer leur exactitude. J’ai examiné les pièces A23 et A24 et j’ai également comparé directement les versions complètes de ces publications.

[52] Les parties Knight déclarent que le code de Knight de 2018 et le code de Knight de 2021 ne sont pas une [traduction] « reproduction exacte ou une imitation déguisée » du code de la CSA de 2015. Elles affirment que le formatage du code de Knight est très différent. De plus, les parties Knight s’appuient sur le fait que la CSA a affirmé dans le cadre d’une requête (décision marquée en tant que pièce A26) qu’il existe 180 erreurs dans le code de Knight (je note que le juge des requêtes a conclu que les erreurs étaient des différences mineures).

[53] Il est bien établi en droit que la violation du droit d’auteur n’exige pas que la publication contrefaite soit une reproduction exacte ou une imitation déguisée d’une œuvre protégée par le droit d’auteur. La responsabilité pour violation du droit d’auteur est établie lorsque « la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque » est reproduite : art 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur.

[54] Si je comprends bien les arguments des parties Knight, celles-ci ne contestent pas sérieusement le fait que les éditions de 2018 et de 2021 du code de Knight reproduisent une partie importante du code de la CSA de 2015. Elles n’ont pas présenté d’observations écrites ou orales ni d’éléments de preuve pour expliquer en quoi le code de Knight n’est pas essentiellement semblable au code de la CSA de 2015. En fait, les parties Knight déclarent dans leurs observations écrites que [traduction] « [l]e libellé du code de l’électricité ne peut pas, bien entendu, être légalement modifié par les défendeurs ». L’argument présenté en défense par les parties Knight à l’égard de cet élément du critère en matière d’outrage est qu’elles n’ont pas violé le droit d’auteur de la CSA sur le code de la CSA de 2015 sans l’autorisation de la CSA, parce que : a) le code de la CSA a été incorporé à la loi et peut être reproduit librement sans violer le droit d’auteur; et b) l’entente de 2018 permet aux parties Knight de reproduire et de vendre des exemplaires du code de la CSA, ou du moins de l’édition de 2018 du code de la CSA.

[55] Comme il a été mentionné ci-dessus, l’argument selon lequel le code de la CSA peut être reproduit librement parce qu’il a été incorporé à la loi a été soulevé et rejeté dans le cadre de l’action sous-jacente en violation du droit d’auteur. La Cour a conclu « [qu’]il serait contraire à une interprétation téléologique de la Loi sur le droit d’auteur de priver la CSA de ses droits quant à la version 2015 du code de la CSA simplement parce que certaines provinces ont intégré ce code dans la loi ». La question de l’incorporation à la loi était également une question clé en appel. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel des défendeurs, concluant que les lois et les règlements peuvent faire l’objet d’un droit d’auteur au Canada. L’argument des parties Knight concernant l’incorporation à la loi constitue une contestation incidente et inadmissible du jugement dans le cadre de l’audience relative à l’outrage au tribunal. La violation des conditions du jugement, une ordonnance valide, constitue un outrage au tribunal : Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626 au para 51 [Liberty Net].

[56] De même, le moyen de défense selon lequel les actes des parties Knight sont autorisés par l’entente de 2018 conclue après la date du jugement doit être rejeté. L’entente de 2018 a réglé la requête en injonction interlocutoire de la CSA. Lorsqu’elles se sont livrées aux actes en questions en 2020, les parties Knight savaient que l’entente de 2018 n’était pas applicable. Les observations écrites des parties Knight déposées dans le cadre de l’instance pour outrage au tribunal décrivent l’entente de 2018 comme une entente qui [traduction] « maintenait le statu quo, en attendant que la Cour d’appel fédérale statue sur l’appel interjeté par le défendeur à l’encontre de la décision du juge Manson » [non souligné dans l’original]. Par ailleurs, en 2019, les défendeurs ont cessé de vendre le code de Knight de 2018, reconnaissant dans une publication en ligne que [traduction] « la reproduction du code de l’électricité, connu sous le nom de code de Knight, n’est plus autorisée ». En effet, M. Knight a constitué la société Knight Americas pour vendre le code de Knight de 2018 parce qu’il reconnaissait que le jugement interdisait la vente ou l’offre en vente de l’édition de 2018 au Canada.

[57] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue hors de tout doute raisonnable que le code de Knight de 2018 reproduit une partie importante du code de la CSA de 2015, en violation des articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur. Cette reproduction n’a pas été permise ou autorisée par l’incorporation du code de la CSA à la loi ou par l’entente de 2018.

[58] En outre, je suis convaincue hors de tout doute raisonnable que les parties Knight ont reproduit l’édition de 2018 du code de Knight et l’ont vendu et distribué au Canada, et qu’elles n’ont pas remis tous les exemplaires, électroniques ou autres, du code de Knight de 2018. Le témoignage de M. Williams et les pièces documentaires qu’il a présentées établissent ce qui suit :

[59] Les parties Knight n’ont présenté aucun élément de preuve qui soulève un doute raisonnable quant à la question de savoir si une ou plusieurs d’entre elles ont commis les actes décrits ci-dessus. Compte tenu de la preuve, je suis convaincue, hors de tout doute raisonnable, que chacune des parties Knight a commis au moins l’un des actes consistant à « reproduire, distribuer ou vendre » le code de Knight de 2018, en violation des conditions du jugement. Je suis également convaincue, hors de tout doute raisonnable, que chacune des parties Knight a omis de restituer tous les exemplaires du code de Knight de 2018, comme l’exigeait le jugement.

[60] Les parties Knight ne peuvent pas se soustraire aux conditions du jugement ou à la compétence de la Cour en passant par Knight Americas.

[61] M. Knight a admis en contre-interrogatoire que les ventes du code de Knight sur le site Web de Knight ne sont pas limitées géographiquement et que les publications offertes en vente sur le site peuvent être achetées et expédiées au Canada. Il a également admis que, en octobre 2020, Knight Americas a commencé à prendre des réservations pour l’édition de 2021 du code de Knight. À l’instar des ventes de l’édition de 2018 du code de Knight, les réservations pour l’édition de 2021 n’étaient pas limitées géographiquement. M. Williams a déclaré dans son témoignage qu’il avait réservé, puis acheté et reçu un exemplaire de l’édition de 2021 du code de Knight. Il a acheté l’édition de 2021 au Canada et l’a reçue à une adresse à Toronto, en Ontario.

[62] En contre-interrogatoire, M. Knight a refusé de répondre aux questions concernant les adresses de l’expéditeur figurant sur le colis envoyé par messagerie à M. Williams, y compris la question de savoir si l’une des adresses à Calgary figurant sur le colis était l’adresse du domicile de M. Knight. Je tire une conclusion défavorable du refus de M. Knight de témoigner sur les adresses à Calgary. Comme le souligne la CSA, les initiales de M. Knight sont « GEK » et M. Knight est le seul directeur mentionné à la fois pour Knight Co. et Knight Americas. Je suis convaincue que la commande en ligne du code de Knight de 2018 a été effectuée au Canada et que le produit a été expédié de l’Alberta vers l’Ontario, selon les instructions de M. Knight. L’étiquette d’expédition et l’étiquette d’adresse de retour apposées sur le colis indiquent que la société américaine, Knight Americas, mène au moins une partie de ses activités depuis Calgary. Comme il est indiqué ci-dessus, l’exemplaire du code de Knight de 2018 livré à M. Williams indique qu’il a été publié par Knight Co. et imprimé au Canada.

[63] J’estime que les propos suivants, tenus par le juge Bastarache dans l’arrêt Liberty Net rendu par la Cour suprême du Canada (aux paragraphes 52 et 53), s’appliquent à la question qui m’est soumise :

52 Le deuxième motif invoqué par les appelants est que l’ordonnance relative à l’outrage au tribunal est inapplicable parce qu’elle vise à interdire des actes accomplis à l’extérieur du Canada et donc hors de la compétence territoriale de la Cour fédérale du Canada. Cet argument est mal fondé […] Dès qu’au moins une partie de l’infraction est commise au Canada, les tribunaux canadiens sont compétents pour connaître de l’affaire. Le juge La Forest a formulé ainsi ce principe dans l’arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, aux pp. 212 et 213 :

Selon moi, il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu’une partie importante des activités qui la constituent se soit déroulée au Canada. Comme l’affirment les auteurs modernes, il suffit qu’il y ait un « lien réel et important » entre l’infraction et notre pays, ce qui est un critère bien connu en droit international public et privé...

La présente affaire ne constitue même pas un cas limite d’application de ce principe. Nous sommes en présence d’une annonce relative à un message qui contrevenait aux conditions de l’ordonnance, annonce faite au Canada au moyen de la ligne téléphonique même par laquelle les messages offensants étaient communiqués, et cette annonce a été faite en toute connaissance de la teneur de ces messages et du fait qu’ils violaient les conditions de l’ordonnance prononcée par le juge Muldoon.

53 Les défendeurs ont sciemment contrevenu à l’ordonnance du juge Muldoon et ont, à juste titre, été condamnés pour outrage au tribunal par le juge Teitelbaum.

[64] La décision de reprendre les ventes de l’édition de 2018 du code de Knight en octobre 2020 et le refus de restituer tous les exemplaires de cette publication étaient clairement des actes délibérés. Bien qu’il n’y ait aucune exigence d’établir une « intention de désobéir », c’est-à-dire le fait de vouloir désobéir à l’ordonnance ou au jugement en question ou de choisir sciemment de le faire (ASICS Corporation c 9153-2267 Québec Inc., 2017 CF 5 au para 33, citant Carey, aux para 39-42, 47), à mon avis, les parties Knight ont choisi de désobéir au jugement. Il ressort clairement du contenu des messages qui ont été publiés en ligne par M. Knight et qui ont été produits en preuve, ainsi que du comportement de M. Knight envers la CSA et la Cour lors de l’audience relative à l’outrage au tribunal, que le profond désaccord de M. Knight à l’égard du jugement a franchi une limite et témoigne d’un manque de respect.

[65] En résumé, les parties Knight ont intentionnellement commis des actes interdits par le jugement, et elles ont intentionnellement omis d’accomplir les actes imposés par le jugement. Leurs activités sont visées par les conditions du jugement, et la Cour a compétence pour les reconnaître coupables d’outrage. Les éléments de preuve établissent, hors de tout doute raisonnable, que chacune des parties Knight est coupable d’outrage au tribunal et les parties Knight n’ont présenté aucun élément de preuve susceptible de soulever un doute raisonnable à cet égard.

[66] Les éléments de preuve établissent que Knight Co. et Knight Americas sont essentiellement des prolongements de M. Knight lui-même, et que celui-ci en est l’unique tête dirigeante. En plus de conclure que M. Knight a contrevenu directement au jugement, je conclus qu’il est coupable d’outrage au tribunal en sa qualité de dirigeant ayant aidé et encouragé Knight Co. et Knight Americas à commettre une violation du jugement : MLI c GEB, au para 15; Telus Mobilité, au para 16; Setanta Sports, au para 14.

[67] Si je conclus que Knight Americas a contrevenu directement au jugement, ce qui est suffisant pour la reconnaître coupable d’outrage au tribunal, je conclus également que Knight Americas a aidé et encouragé Knight Co. et M. Knight à agir en violation du jugement.

V. Conclusion

[68] Pour les raisons qui précèdent, je conclus que les parties Knight sont coupables d’outrage au tribunal. Knight Americas est coupable d’outrage à l’égard des trois chefs d’accusation. Knight Co. est coupable d’outrage à l’égard des chefs d’accusation 1 et 2. M. Knight est coupable d’outrage à l’égard des trois chefs d’accusation, à la fois en sa qualité personnelle (chefs d’accusation 1 et 2) et en sa qualité de tête dirigeante de Knight Co. et de Knight Americas (tous les chefs d’accusation).

[69] Les parties Knight ayant été déclarées coupables d’outrage, l’instance passera à l’étape suivante, soit l’audience relative à la peine : Winniki c Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52 aux para 12-16.

[70] Cette audience peut être fixée à l’une des dates suivantes : le 3, le 13, le 15 ou le 16 septembre, entre le 4 et le 7 octobre ou entre le 18 et le 21 octobre. D’ici cinq jours, la CSA déposera une lettre auprès de la Cour, avec copie à M. Knight par courriel, indiquant les dates d’audience, parmi celles qui sont proposées, qui ne lui conviennent pas et établissant un calendrier proposé pour les délais de dépôt et toute question de procédure avant l’audience, exprimé en jours avant l’audience. Dans les cinq jours suivant la lettre de la CSA, M. Knight déposera une lettre auprès de la Cour, avec copie aux avocats de la CSA par courriel, indiquant les dates d’audience, parmi celles qui sont proposées, qui ne lui conviennent pas et répondant, le cas échéant, au calendrier proposé par la CSA. Après avoir pris en considération la disponibilité des parties et leur position respective sur le calendrier proposé, la Cour émettra une directive fixant la date et le calendrier de l’audience.

[71] Une partie peut demander des instructions ou une conférence de gestion de l’instance si elle souhaite proposer une autre façon de faire pour la prochaine étape.

[72] La question des dépens des deux étapes de la présente instance pour outrage au tribunal ainsi que de la requête en vue d’obtenir une ordonnance de justification sera tranchée à l’étape de la détermination de la peine.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-646-15

LA COUR STATUE :


« Christine M. Pallotta »

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh



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