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Date : 20210715


Dossier : IMM-5173-20

Référence : 2021 CF 743

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 juillet 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

KAVITHA BINU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Madame Kavitha Binu, la demanderesse, est citoyenne de l’Inde et travaille aux Émirats arabes unis (ÉAU) depuis 17 ans. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 27 septembre 2020 par laquelle un agent des visas de l’ambassade du Canada à Abou Dhabi (l’agent) a refusé sa demande de permis d’études. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour, compte tenu du but de sa visite, de ses débouchés professionnels limités dans son pays de résidence, de sa situation d’emploi actuelle, de son actif personnel et de sa situation financière.

[2] La demanderesse prétend que la décision de l’agent est déraisonnable pour plusieurs raisons. Elle allègue aussi que le personnel de l’ambassade du Canada à Abou Dhabi a fait preuve de partialité à son égard, ou qu’il existait une crainte raisonnable de partialité, compte tenu de ses relations passées avec le bureau, qui avait refusé ses demandes de visas de résident temporaire (VRT) et de permis d’études antérieures.

[3] J’ai examiné avec soin les arguments soulevés par la demanderesse pour contester le fond de la décision de l’agent et pour faire valoir sa crainte de partialité de la part du personnel du bureau d’Abou Dhabi. Aucun des arguments mis de l’avant par la demanderesse ne me convainc et je rejetterai sa demande de contrôle judiciaire.

I. Le contexte

[4] La demanderesse a présenté deux demandes de VRT, une en 2018 et l’autre en 2019, au bureau d’Abou Dhabi, qui ont toutes deux été refusées. Elle a ensuite demandé un premier permis d’études pour le Canada en janvier 2019. Sa demande ayant été refusée, la demanderesse a présenté une deuxième demande de permis d’études.

[5] Le programme d’études visé par la demanderesse est le programme de maîtrise en administration des affaires (MBA) de l’Université Canada West (UCW) à Vancouver, en Colombie-Britannique.

[6] Le 10 septembre 2019, un agent des visas du bureau d’Abou Dhabi a rejeté la deuxième demande de permis d’études de la demanderesse, demande qui a été réexaminée puis rejetée de nouveau le 24 octobre 2019. La demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’octobre 2019. Elle a par la suite accepté une offre de règlement et déposé un avis de désistement de sa demande de contrôle judiciaire en juin 2020.

[7] La deuxième demande de permis d’études de la demanderesse a été réattribuée à l’agent en cause dans la présente affaire, qui a sollicité des documents et des observations supplémentaires en août 2020. La demanderesse a répondu à cette requête, mais sa demande de permis d’études au Canada a de nouveau été rejetée le 27 septembre 2020. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[8] L’agent a refusé de délivrer le permis d’études demandé par la demanderesse pour entreprendre un MBA au Canada par application du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR). La décision de l’agent se compose d’une lettre de décision et des notes du Système mondial de gestion des cas (le SMGC).

[9] L’agent a d’abord résumé l’intention de la demanderesse d’entreprendre un MBA pour améliorer ses compétences, notamment en matière de leadership et de gestion du risque, ou pour fonder sa propre entreprise. La demanderesse a indiqué qu’elle souhaitait retourner en Inde en 2023 en partie pour revitaliser la plantation familiale et pour accepter une offre d’emploi non liée. La demanderesse s’attendait à ce que l’économie de l’Inde croisse substantiellement en 2022-2023, ce qui lui permettrait de retourner en Inde avec son mari et d’obtenir un poste de gestion financière. Les notes du SMGC détaillent aussi les préoccupations de l’agent à l’égard des explications fournies par la demanderesse pour justifier ses ambitions scolaires à UCW et le peu de liens qui la relient à l’Inde et aux ÉAU :

  • - Les plans de la demanderesse sont hypothétiques et ses prévisions économiques sont optimistes lorsqu’on considère les conséquences mondiales de la pandémie de COVID-19. Ils ne vont d’ailleurs pas dans le sens de la preuve.

  • - La demanderesse déclare qu’elle a effectué une recherche approfondie sur le programme de MBA de UCW, mais le gros de l’information contenue dans sa demande concerne l’université ou le programme lui-même et non la recherche entreprise. La demanderesse a aussi indiqué qu’elle avait communiqué avec des étudiants actuels, mais n’a rien dit de l’information reçue dans ce contexte.

  • - L’agent avait des doutes quant à l’état de la demande et du plan d’études puisque, d’une part, ils étaient rédigés en partie à la deuxième personne, ce qui donnait à penser que certaines sections avaient été copiées de sources tierces, et que, d’autre part, le texte contenait des phrases incomplètes et des erreurs d’orthographe et de style. Le plan d’études comportait divers sous-titres, mais le contenu ne correspondait pas à ceux-ci.

  • - Le plan d’études de la demanderesse offrait peu de détails concrets ou personnels et restait vague tout en n’étant pas convaincant.

  • - La demanderesse a des liens ténus avec l’Inde puisque, depuis 17 ans, elle vit aux ÉAU séparée de sa famille.

  • - L’agent a aussi accordé peu de poids à ses 17 années de résidence aux ÉAU puisqu’elle a l’intention de retourner en Inde.

III. Analyse

1. La décision de l’agent est-elle déraisonnable?

[10] La norme de contrôle qui s’applique à l’examen de la décision de l’agent sur le fond est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov)). La décision de l’agent des visas commande une grande déférence de la part de la Cour et elle peut être brève, mais elle doit répondre aux exigences d’une décision raisonnable, c’est-à-dire qu’elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La Cour suprême met l’accent sur deux éléments d’une décision raisonnable, soit le raisonnement du décideur et le résultat (Vavilov, au para 86). Les motifs donnés doivent témoigner d’une analyse logique et expliquer le résultat de l’analyse du décideur de manière intelligible.

[11] En l’espèce, je constate que la décision de l’agent satisfait à ces deux éléments essentiels d’une décision raisonnable. L’agent a fourni une analyse rationnelle et détaillée de l’application des exigences du RIPR à la demande de permis d’études de la demanderesse. Le rejet de cette demande fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[12] Comme je l’ai déjà mentionné, la demanderesse soutient que la décision de l’agent est déraisonnable pour différentes raisons, mais le cœur de sa contestation réside dans la façon dont il a appréhendé ses liens familiaux. La demanderesse affirme que l’agent a tout simplement fait allusion au fait que sa famille nucléaire habite aux ÉAU et y demeurera pendant ses études. Elle se demande pourquoi l’agent n’a pas considéré que cela démontrait qu’elle avait des liens solides à l’extérieur du Canada, et elle fait valoir que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a omis d’expliquer plus avant son analyse (Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 19). La demanderesse reproche aussi à l’agent la manière dont il a évalué son plan d’études pour son MBA et ses plans et débouchés professionnels en Inde. Elle prétend que son plan d’études a été assujetti à un examen plus approfondi que ce qui a cours normalement lors de l’évaluation de demandes de permis d’études. Selon la demanderesse, elle avait établi le fait qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[13] Les notes du SMGC établissent que l’agent a examiné tous les éléments essentiels de la preuve de la demanderesse en fonction de l’obligation qui lui incombe de prouver qu’elle quittera le Canada à la fin de son séjour. L’agent a énoncé que [traduction] « les liens les plus étroits de la demanderesse à l’extérieur du Canada sont sa famille nucléaire », mais que ces liens ne suffisaient pas à établir des liens familiaux solides et généraux à l’extérieur du Canada, étant donné qu’elle n’a pas de liens solides avec l’Inde ou les ÉAU. En premier lieu, eu égard à la famille de la demanderesse toujours en Inde, l’agent a considéré ce facteur comme faible puisqu’elle vit loin d’eux depuis 17 ans. En second lieu, après que la demanderesse a précisé qu’elle et sa famille immédiate avaient l’intention de quitter les ÉAU, il ne pouvait être dit qu’elle avait des liens solides avec ce pays. Contrairement aux prétentions de la demanderesse, il ne s’agit pas d’une affaire où l’agent n’a rien dit concernant les liens familiaux de la demanderesse à l’extérieur du Canada.

[14] L’élément central de l’analyse de l’agent était le plan d’études de la demanderesse et le défaut de celle-ci d’expliquer de façon convaincante comment le programme de UCW allait faire prospérer ses futurs plans professionnels. L’agent a remarqué que la majorité de l’information contenue au plan d’études portait sur l’université ou le programme. Il comportait de l’information générale qui semblait avoir été rédigée à la deuxième personne et qui n’était pas propre à la demanderesse, à sa recherche ou à sa situation. Il existe peu de liens avec les objectifs futurs qu’elle a exposés. L’agent a aussi repéré des contradictions dans le plan d’études sur les raisons qui ont mené la demanderesse à sélectionner UCW et, dans certains cas, une absence de corrélation entre les sous-titres utilisés et le contenu du plan.

[15] La décision de l’agent, telle qu’elle figure dans les notes du SMGC, est plus détaillée que bien des décisions rendues à l’égard de demandes de permis d’études. Cependant, je ne souscris pas à l’argument de la demanderesse selon lequel la quantité de détails rend la décision déraisonnable ou va au-delà de l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire d’un agent des visas. L’agent a offert une explication pour chaque argument mis de l’avant par la demanderesse dans ses observations et un résumé de l’évaluation de sa preuve. Après examen du dossier, dont le plan d’études de la demanderesse, et de la jurisprudence pertinente, je conclus qu’il était loisible à l’agent de tirer les conclusions consignées dans les notes du SMGC et, ultimement, de refuser la demande de permis d’études présentée par la demanderesse.

2. L’allégation de partialité de la part du personnel du bureau d’Abou Dhabi

[16] La demanderesse allègue qu’il apparaît clairement que sa relation passée avec le bureau d’Abou Dhabi était un facteur déterminant dans la décision de l’agent. Elle fait valoir que la décision laisse transparaître de la méfiance à l’égard de son plan d’études et que [traduction] « rien ne peut être raisonnablement à l’origine de la méfiance qui se manifeste dans les motifs donnés pour le refus ». La demanderesse fonde son allégation de partialité de la part du personnel du bureau sur le fait qu’elle s’est vu refuser des permis à plusieurs reprises et qu’il lui semble évident que les refus antérieurs ont, d’une manière ou d’une autre, influencé l’agent.

[17] Je ne suis pas d’accord.

[18] Il ne fait aucun doute que le droit d’être entendu par un décideur impartial est un élément essentiel du droit plus large d’une personne à l’équité procédurale. Or, le désaccord d’une partie quant à l’interprétation et à l’application de la preuve et du droit par un décideur ne saurait constituer le fondement d’une allégation de partialité (Sir c Canada, 2019 CAF 101 aux para 6, 8).

[19] Le critère pour conclure à la partialité ou à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est exigeant puisque l’impartialité des décideurs est présumée (Première Nation Sagkeeng c Canada (Procureur général), 2015 CF 1113 au para 105; Lostin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1098 au para 26). Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste (R c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484 au para 112). Une allégation de partialité ne devrait pas être faite à la légère et doit être étayée par des éléments de preuve concrets et substantiels. Elle ne peut reposer sur des soupçons ou des conjectures (Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au para 8).

[20] À la lumière de ce qui précède, j’ai soigneusement analysé les observations de la demanderesse et je conclus qu’elle ne s’est pas acquittée du lourd fardeau de la preuve qui lui incombait. L’évaluation de la demande de permis d’études effectuée par l’agent était exhaustive et il n’existe aucune preuve d’un manque d’impartialité dans la décision. Le fait que la demanderesse estime que les motifs contenus dans les notes du SMGC sont plus détaillés qu’à l’habitude n’est pas un argument convaincant à l’appui de sa crainte de partialité. Quant à ses craintes de partialité plus générales à propos du bureau d’Abou Dhabi, la demanderesse se base sur son opinion que les refus antérieurs ont dû influencer l’agent. Or, elle n’a pas fourni d’éléments de preuve objectifs qui pourraient permettre d’établir une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité. Le fait que le bureau d’Abou Dhabi a déjà refusé de délivrer des VRT ou des permis d’études à la demanderesse ne saurait être invoqué pour justifier les allégations de la demanderesse.

IV. Conclusion

[21] Je n’ai pas trouvé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agent. Les notes du SMGC exposent une analyse cohérente qui explique le motif du rejet de la demande de permis d’études de la demanderesse, soit l’incapacité par l’agent de conclure que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour. Par conséquent, la demande est rejetée.

[22] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER-5173-20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5173-20

 

INTITULÉ :

KAVITHA BINU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE

LE 5 JUILLET 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUILLET 2021

 

COMPARUTIONS :

Anabela Cosme

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Edith Savard

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anabela Cosme

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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