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Date : 20210719

Dossier : T‐967‐16

Référence : 2021 CF 765

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

SHAWN SOMERVILLE MILNE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Shawn Milne, est propriétaire d’une propriété rurale. À l’extrémité nord de sa propriété se trouve une maison où vivent le demandeur, son épouse et leurs quatre enfants. Un corridor ferroviaire achalandé longe tout le côté nord de la propriété du demandeur et passe près de sa résidence.

[2] Le corridor ferroviaire a été élargi en 2012. Pour réaliser le projet d’élargissement, la défenderesse a exproprié une bande de terre de 0,64 acre de la propriété du demandeur (les terrains requis). Les terrains requis se trouvent directement au sud du corridor ferroviaire et s’étendent quelque peu sur toute la longueur de la limite nord de la propriété du demandeur. Le demandeur a reçu 1 000 $ à titre d’indemnisation pour l’expropriation des terrains requis.

[3] L’élargissement du corridor ferroviaire a permis la construction d’une troisième voie ferrée directement au sud des deux voies déjà en place et l’ajout de quelque huit trains de voyageurs par jour. L’élargissement a donc fait augmenter le trafic ferroviaire dans le corridor et rapproché ce même trafic de la résidence du demandeur.

[4] Le demandeur soutient qu’il a droit à une indemnité supplémentaire pour l’expropriation au titre de la Loi sur l’expropriation, LRC 1985, c E‐21 (la Loi). Il affirme qu’il ne peut plus vivre dans la résidence située sur sa propriété en raison de la hausse de bruit, de lumière et de pollution causée par l’élargissement du corridor ferroviaire. Il sollicite donc une somme de 967 534 $ à titre de dommages‐intérêts pour troubles de jouissance afin d’éloigner sa résidence et ses améliorations connexes du corridor ferroviaire et de les déplacer vers l’extrémité sud de sa propriété. Subsidiairement, le demandeur sollicite une somme de 247 100 $ à titre de dommages‐intérêts pour effet préjudiciable, en raison de la diminution de la valeur de ce qui lui reste par suite de l’élargissement du corridor ferroviaire. Le demandeur ajoute qu’il a droit à une indemnité supplémentaire de 1 100 $ pour les terrains requis.

[5] À mon avis, le demandeur n’a pas établi le bien‐fondé de ses demandes d’indemnité pour troubles de jouissance et effet préjudiciable. Ces deux demandes d’indemnité reposent sur l’idée selon laquelle l’élargissement du corridor ferroviaire a produit une hausse perceptible du son, ce que le demandeur n’a pas établi à mon avis. Cependant, j’accepte le fait que la valeur des terrains requis s’élevait à 2 100 $ au moment de la prise, ce qui donne au demandeur le droit d’obtenir une indemnité supplémentaire de 1 100 $.

II. Les faits

[6] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, daté du 2 février 2021, que j’ai joint à l’annexe A du présent jugement. J’ai également joint à l’annexe B un glossaire des termes qui sont employés fréquemment tout au long du jugement.

A. La propriété du demandeur et le corridor ferroviaire

[7] Depuis le milieu des années 1800, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) exploite un corridor ferroviaire à deux voies entre Montréal et Toronto. Le tronçon de ce corridor qui longe la partie nord de la propriété du demandeur est connu sous le nom de corridor de Marysville et relie les villes de Belleville et de Napanee. Par rapport à la propriété du demandeur et aux environs, le corridor de Marysville passe directement au sud d’une route appelée « promenade de l’Aéroport ».

[8] La propriété du demandeur est une terre agricole de 95 acres dont l’adresse municipale est le 464, chemin Mitchell, à Belleville, en Ontario. Il a acheté la propriété au coût de 220 000 $ à son retour dans la région de Belleville en 2003. Le demandeur vit sur sa propriété et l’utilise pour ses activités d’exploitation agricole biologique.

[9] La résidence se trouvant sur la propriété du demandeur a été construite en 1867. Le demandeur a effectué d’importants travaux de rénovation à la résidence lorsqu’il en a fait l’acquisition.

[10] Des travaux de construction visant à élargir le corridor ferroviaire ont débuté le ou vers le 24 avril 2012. La troisième voie ferrée a été mise en service le 24 novembre 2012.

[11] Avant l’élargissement du corridor ferroviaire (pré‐élargissement), la résidence du demandeur était située à quelque 34,14 mètres de la voie ferrée la plus au sud et à quelque 25,3 mètres au sud du corridor ferroviaire. Après l’élargissement (post‐élargissement), la résidence du demandeur se situe à quelque 29,87 mètres au sud de la nouvelle voie ferrée et à quelque 14,6 mètres au sud du corridor ferroviaire élargi. Autrement dit, avec l’élargissement du corridor ferroviaire, la résidence du demandeur se trouve désormais environ 4,5 mètres plus près de la voie ferrée la plus proche.

[12] Au nord de la résidence du demandeur se trouve une légère pente qui descend vers le corridor ferroviaire. La résidence du demandeur est située sur le haut de cette pente. Elle se trouve donc environ 3 mètres plus haut que le corridor ferroviaire. La pente commence à diminuer là où le corridor ferroviaire débute. Depuis l’élargissement du corridor, la pente commence plus près de la résidence du demandeur qu’avant l’élargissement.

[13] Après l’élargissement, la section qui se trouve entre la résidence du demandeur et le corridor ferroviaire est maintenant plus exposée à la vue. Le demandeur allègue que le projet d’élargissement a entraîné le retrait d’un talus composé principalement de foin reposant sur le haut de la pente située au nord de sa propriété. De plus, une partie du sol et de la végétation a été retirée de la pente, ce qui rend la résidence du demandeur encore plus visible des voies ferrées.

[14] Le demandeur soutient que le talus, le relief du terrain et la végétation agissaient tous comme une barrière naturelle entre sa résidence et le corridor ferroviaire. Le demandeur soutient que, depuis que ces éléments ont été enlevés, le bruit, la lumière et la pollution provenant du corridor ferroviaire ont augmenté à sa résidence.

[15] Les diagrammes ci‐dessous figurent dans la preuve de M. Ward Lansink, témoin expert appelé par le demandeur. Ces diagrammes sont reproduits dans les présents motifs à des fins d’illustration uniquement, et non pour établir la véracité de leur contenu, puisque M. Lansink n’en est pas l’auteur.

[16] Le premier diagramme présente le corridor ferroviaire et la portion nord de la propriété du demandeur, y compris sa résidence, pré‐élargissement :

pre-exrpo

Description : coupe transversale montrant le terrain au nord de la résidence du demandeur pré‐élargissement. L’axe des x représente la distance, le sud étant à gauche et le nord, à droite. La résidence du demandeur est tout au sud, tandis que la promenade de l’Aéroport est complètement au nord. Plus ou moins au milieu de l’axe des x se trouve le corridor ferroviaire, le talus étant directement au sud de celui‐ci. L’axe des y représente le relief du terrain. Il montre le talus qui surplombe légèrement le terrain au nord de la résidence du demandeur et bloque ainsi la ligne visuelle entre la résidence du demandeur et la voie la plus au nord du corridor ferroviaire. La pente descendant vers le corridor ferroviaire commence à être abrupte environ à 25 mètres au nord de la résidence du demandeur. Il y a également de la végétation adjacente au talus dépasse de beaucoup la hauteur de la résidence du demandeur.

[17] Le deuxième diagramme présente les mêmes éléments, mais post‐élargissement :

post-expro

Description : coupe transversale montrant le terrain au nord de la résidence du demandeur post‐élargissement. L’axe des x représente la distance, le sud étant à gauche et le nord, à droite. La résidence du demandeur est tout au sud, tandis que la promenade de l’Aéroport est complètement au nord. Plus ou moins au milieu de l’axe des x se trouve le corridor ferroviaire, qui a été élargi vers le sud avec l’ajout d’une troisième voie. L’axe des y représente le relief du terrain. Le diagramme permet de voir que le talus a été retiré et qu’il ne bloque donc plus la ligne visuelle entre la résidence du demandeur et la voie la plus au nord du corridor ferroviaire. La pente menant au corridor ferroviaire commence à descendre environ à 15 mètres au nord de la résidence du demandeur suivant, désormais, un angle de 45 degrés. La végétation au sommet de la pente est maintenant moins abondante.

B. Les procédures précédentes

[18] Le demandeur a des démêlés concernant le corridor ferroviaire depuis presque aussi longtemps qu’il a fait l’acquisition de sa propriété.

(1) Les procédures mettant en cause la ville de Belleville et l’Office des transports du Canada

[19] Dans une pétition présentée le 1er mai 2004 à la ville de Belleville, le demandeur a demandé que soit interdit l’usage des sifflets de train au passage à niveau se trouvant sur le chemin Mitchell et a joint à sa pétition les signatures d’autres membres de la communauté. En contre‐interrogatoire, le demandeur a déclaré que, à la suite de la pétition du 1er mai 2004, il n’était plus obligatoire, pour les trains, d’utiliser leurs sifflets au passage à niveau situé sur le chemin Mitchell, ce qui réduit le bruit causé quotidiennement par les sifflets de train à sa résidence.

[20] Dès qu’il fut informé du projet d’élargissement du corridor ferroviaire, le demandeur a déposé, le 18 août 2009, une plainte à l’Office des transports du Canada (l’Office). Dans celle‐ci, il allègue qu’en absence de mesures d’atténuation, cet élargissement entraînerait une hausse de l’intensité sonore le long du corridor ferroviaire. Il demande notamment qu’une barrière antibruit soit érigée et que l’on éloigne sa maison du corridor ferroviaire.

[21] Le demandeur a déposé une autre plainte portant la date du 26 avril 2010 auprès de l’Office, cette fois au nom d’un groupe communautaire. Dans cette plainte, il a mentionné à nouveau la hausse possible de l’intensité sonore et proposé, notamment, que l’élargissement du corridor ferroviaire soit annulé, que des barrières antibruit soient érigées et/ou que les maisons situées à proximité du corridor soient reconstruites ou déplacées.

[22] Dans sa décision du 19 janvier 2012, l’Office concluait qu’avant l’élargissement, le bruit et les vibrations engendrés par le corridor ferroviaire étaient raisonnables, au sens de l’article 95.1 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 (la LTC). De plus, l’Office a prévu que le bruit et les vibrations engendrées par le corridor ferroviaire après son élargissement resteraient raisonnables. Pour en arriver à ces conclusions, l’Office s’est fondé sur celles du rapport préparé par Stantec Consulting Ltd (Stantec), intitulé Sound and Vibration Assessment et daté du 12 février 2010 (le rapport Stantec de 2010). Ce rapport prédisait que la hausse du bruit et des vibrations découlant de l’élargissement du corridor ferroviaire serait pratiquement imperceptible le long du corridor de Marysville.

(2) Les négociations en vue d’en arriver à un règlement

[23] Avant l’expropriation, le CN et le demandeur ont tenté de régler la contestation par celui‐ci de l’élargissement du corridor ferroviaire, afin d’éviter un litige. Le demandeur a proposé que sa résidence soit démolie et qu’une autre résidence soit construite ailleurs sur sa propriété. Dans une lettre du 7 mai 2010, le CN a fait une offre qui allait dans le sens de cette proposition.

[24] Au cours de son interrogatoire principal, le demandeur a déclaré qu’il avait convenu avec le CN, en juillet et août 2010, que celui‐ci lui verserait une indemnité de 610 250 $ pour lui permettre de construire une résidence équivalente qui serait éloignée du corridor ferroviaire. Cependant, les parties n’ont pu s’entendre sur les clauses restrictives touchant la propriété du demandeur en ce qui concerne l’exploitation ultérieure du corridor ferroviaire.

[25] Dans une lettre datée du 1er septembre 2010, le CN a mis fin aux négociations avec le demandeur, soulignant que les efforts de négociation avaient échoué. Au cours de son témoignage, le demandeur a déclaré que cette lettre était [traduction] « très choquante », car il croyait qu’ils [traduction] « étaient très près d’en arriver à un règlement ».

(3) Les procédures d’expropriation

[26] Le 21 septembre 2011, après l’abandon des négociations en vue d’en arriver à un règlement, le ministère qui portait alors le nom de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a enregistré un [traduction] « avis d’intention d’exproprier de la Couronne » à l’encontre de la propriété du demandeur. Le 23 janvier 2012, le ministre des Travaux publics a signé [traduction] l’« avis de confirmation de l’intention d’exproprier ». Le 24 janvier 2012, la défenderesse a exproprié les terrains requis.

[27] Le ou vers le 24 janvier 2012, la défenderesse a offert au demandeur la somme de 1 000 $ à titre d’indemnité légale pour l’expropriation des terrains requis, au titre de l’article 16 de la Loi. Dans une lettre datée du 13 juin 2016, le demandeur a accepté l’offre d’indemnité de la défenderesse.

[28] En raison de l’expropriation des terrains requis, le demandeur a eu besoin d’une nouvelle voie d’accès et d’une nouvelle clôture le long du périmètre du corridor ferroviaire, et il a obtenu une indemnité de 40 341 $ pour la voie d’accès et de 5 618 $ pour la clôture.

(4) La requête en jugement sommaire

[29] Le 20 juin 2016, le demandeur a déposé sa déclaration dans la présente action. Par la suite, la défenderesse a présenté une requête en jugement sommaire, au titre du paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les Règles).

[30] La défenderesse a fait valoir que, étant donné que la Loi ne prescrivait pas de délai à l’intérieur duquel un demandeur devait exercer un recours pour obtenir une indemnité, le délai de prescription de base de deux ans prévu par la loi ontarienne intitulée Loi de 2002 sur la prescription des actions, LO 2002, c 24, annexe B, s’appliquait à la demande du demandeur, aux termes du paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7. La défenderesse a donc affirmé que la demande du demandeur était prescrite, parce qu’elle avait été introduite plus de deux ans après la découverte de la cause d’action, lorsque l’« avis de confirmation de l’intention d’exproprier » a été enregistré en janvier 2012.

[31] Dans une décision rendue le 9 juin 2017 (2017 CF 569), le juge Gleeson a conclu que l’alinéa 31(1)a) de la Loi prévoyait un délai de prescription à l’égard de l’action du demandeur :

Procédure en vue de déterminer l’indemnité

Proceedings to determine compensation

31 (1) Sous réserve de l’article 30 :

31 (1) Subject to section 30,

a) une personne qui a droit à une indemnité pour un droit ou intérêt exproprié peut :

(a) a person entitled to compensation in respect of an expropriated interest or right may,

(i) après l’enregistrement de l’avis de confirmation, si elle n’a accepté aucune offre faite en vertu de l’article 16,

(i) at any time after the registration of the notice of confirmation, if no offer under section 16 has been accepted by him, and

(ii) dans un délai d’un an à compter de l’acceptation de l’offre, dans tout autre cas,

(ii) within one year after the acceptance of the offer, in any other case,

engager des procédures devant le tribunal par voie d’exposé de la demande pour le recouvrement du montant de l’indemnité à laquelle elle a alors droit;

commence proceedings in the Court by statement of claim for the recovery of the amount of the compensation to which he is then entitled; or

[32] Par conséquent, le juge Gleeson a rejeté la requête de la défenderesse. Étant donné que la Loi prévoyait un délai de prescription, il a décidé que le délai de prescription de deux ans prévu dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario ne s’appliquait pas à l’action du demandeur. Le délai de prescription applicable est plutôt celui qui est prévu au sous‐alinéa 31(1)a)(ii) de la Loi, selon lequel l’action du demandeur doit avoir été engagée dans un délai d’un an à compter de l’acceptation par le demandeur de l’offre d’indemnité légale de la défenderesse. Étant donné que le demandeur a déposé sa déclaration environ une semaine après avoir accepté l’offre d’indemnité de la défenderesse, son action n’était pas prescrite.

[33] Dans un arrêt rendu le 6 juin 2018 (2018 CAF 113), la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Gleeson.

(5) La requête en contestation indirecte

[34] La veille du début de l’instruction en l’espèce et dans ses observations présentées de vive voix le 23 mars 2021, la défenderesse a contesté l’admissibilité de la totalité de la preuve des experts des parties concernant l’évaluation du bruit et des vibrations causés par le corridor ferroviaire à la résidence du demandeur. La défenderesse a fait valoir que cette preuve avait pour effet de contester indirectement la décision du 19 janvier 2012 de l’Office, qui avait conclu, notamment, que le bruit et les vibrations engendrés par le corridor ferroviaire post‐élargissement seraient raisonnables au sens de l’article 95.1 de la LTC.

[35] Une contestation indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation d’une ordonnance ou d’un jugement (Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 (SCFP) au para 33). En d’autres termes, la théorie de la contestation indirecte empêche une partie de contourner les effets d’une décision prononcée contre elle (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62 au para 61). La preuve qui vise à contester indirectement une conclusion d’un autre tribunal judiciaire ou administratif pourrait être jugée inadmissible (Dankiewicz v Sullivan, 2021 ONSC 485 au para 14).

[36] Dans une ordonnance rendue le 24 mars 2021, j’ai rejeté la requête de la défenderesse.

[37] Ainsi que je l’explique en détail ci‐dessous, le demandeur a présenté des éléments de preuve sur le bruit et les vibrations pour établir que le rapport Stantec de 2010, sur lequel l’Office se fonde dans sa décision, comportait des calculs erronés des niveaux sonores dans la zone adjacente au corridor ferroviaire. Stantec a admis cette erreur dans une lettre du 30 juillet 2019.

[38] Soulignant le paragraphe 34 de l’arrêt SCFP de la Cour suprême du Canada, j’ai décidé que le demandeur n’avait pas présenté les éléments de preuve sur le bruit et les vibrations pour contester indirectement la décision de l’Office, car cette preuve ne visait pas à infirmer la décision de celui‐ci, mais plutôt à vérifier, pour les besoins d’une demande différente comportant des conséquences juridiques différentes, si la décision en question était correcte. Dans mon ordonnance du 24 mars 2021, j’ai déclaré ce qui suit :

[traduction]

[7] Le demandeur ne conteste pas la validité juridique de la décision de l’Office ni ne cherche à annuler les effets de cette décision en sollicitant une indemnité au titre de la [Loi]. Le demandeur conteste plutôt le bien‐fondé factuel de la décision de l’Office, en affirmant que celui‐ci s’est appuyé sur des éléments de preuve erronés. Dans l’arrêt SCFP, la Cour suprême du Canada a confirmé que cette approche n’était pas une contestation indirecte. En outre, la défenderesse n’a présenté aucune observation sur la question de savoir si cette approche constituait un abus de procédure, ainsi qu’en a décidé la Cour suprême dans l’arrêt SCFP.

[39] J’ai en outre souligné que la conclusion de l’Office n’était pas déterminante quant aux répercussions que l’élargissement du corridor ferroviaire pouvait avoir sur la propriété du demandeur et quant à la manière dont ces répercussions pouvaient nécessiter l’octroi d’une indemnité supplémentaire au titre de la Loi. La première question concerne la nécessité de maintenir une infrastructure ferroviaire viable, alors que la seconde a trait aux répercussions de l’expropriation sur la propriété du demandeur. Effectivement, l’Office a conclu qu’il n’avait pas compétence pour examiner les questions relatives à l’acquisition et à l’expropriation de terrains au titre de l’article 95.1 de la LTC.

[40] Étant donné que j’ai conclu que le demandeur ne tentait pas de se soustraire aux conséquences de la décision de l’Office, et que celui‐ci avait refusé d’examiner, dans sa décision, la question de l’indemnité pour l’expropriation des terrains requis, j’ai jugé que la présentation par le demandeur d’éléments de preuve sur le bruit et les vibrations ne constituait pas une contestation indirecte.

III. Les témoins et la preuve

A. Le demandeur

[41] Le demandeur a témoigné, notamment, au sujet de sa propriété, des répercussions de l’élargissement du corridor ferroviaire et de l’expropriation des terrains requis.

[42] J’ai conclu que le demandeur était crédible. Il n’a pas fait de déclarations exagérées pendant son témoignage et a répondu honnêtement lorsqu’il a été interrogé au sujet de renseignements qu’il ne connaissait pas ou ne se rappelait pas.

[43] Le demandeur a expliqué qu’il était né et avait grandi sur une ferme située à environ un kilomètre de sa résidence actuelle. Selon le demandeur, il avait fait l’acquisition de la propriété en 2003, parce qu’elle comportait une terre agricole productive et était située près de la ferme de son père, ce qui permettait le partage d’équipement et de main‐d’œuvre au sein de la famille. Son mariage en 2006 avait été célébré sur la propriété, et son épouse et lui avaient eu depuis quatre enfants qui avaient tous été élevés sur la propriété. Le demandeur a également témoigné au sujet des rénovations importantes qu’il avait apportées à sa résidence entre 2003 et 2012 environ.

[44] Le demandeur a allégué qu’avant l’agrandissement, le seul problème que posait pour lui le trafic ferroviaire à proximité de sa résidence était l’utilisation des sifflets de train. Le demandeur a expliqué qu’après l’annonce de l’élargissement du corridor, il a représenté un groupe communautaire et a déposé des plaintes auprès de l’Office au sujet des effets prévus du projet d’agrandissement.

[45] Le demandeur a expliqué que, vers la fin de 2012, avant la mise en service de la troisième voie ferrée, sa famille et lui avaient déménagé chez son frère à Belleville [traduction] « afin de [leur] donner plus de temps pour régler les problèmes ». Le demandeur a déclaré qu’ils étaient restés 13 mois chez son frère, malgré le fait qu’au départ, le déménagement était censé être temporaire.

[46] Le demandeur a expliqué qu’il avait par la suite aménagé un talus au moyen de balles de foin pour bloquer la ligne visuelle entre sa résidence et le corridor ferroviaire. Selon le demandeur, le talus était relativement efficace pour atténuer le bruit causé par le corridor ferroviaire au premier étage de sa résidence, mais pas au deuxième. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré que le talus mesurait au départ huit pieds de hauteur, mais qu’il s’était affaissé avec le temps, puisque le foin avait moisi.

[47] Le demandeur a déclaré que l’élargissement du corridor ferroviaire avait eu des conséquences néfastes pour sa famille, en raison de l’augmentation du bruit, de la lumière et de la pollution. Il a fourni plusieurs enregistrements vidéo qu’il avait faits en janvier et février 2021, lesquels illustraient le trafic le long du corridor ferroviaire. Il a également fourni des photographies qu’il avait prises de sa propriété et du corridor ferroviaire tant avant qu’après l’élargissement.

B. Les experts dans les domaines du bruit et des vibrations

[48] Chacune des parties a retenu les services d’un témoin expert pour évaluer les niveaux de bruit et de vibration engendrés par l’élargissement du corridor ferroviaire à la résidence du demandeur.

[49] Le demandeur a retenu les services de M. Paul Kirby, qui est un spécialiste de l’environnement possédant une longue expérience en matière d’évaluation du bruit, ayant mené des évaluations portant notamment sur plusieurs projets d’infrastructure ferroviaire. M. Kirby est actuellement le vice‐président d’Independent Environmental Consultants (IEC). Depuis que le demandeur a initialement retenu ses services en 2012, M. Kirby a rédigé cinq rapports et réponses concernant le bruit et les vibrations engendrés à la résidence du demandeur par l’élargissement du corridor ferroviaire.

[50] J’ai conclu que M. Kirby était crédible : il a répondu clairement aux questions et a refusé de formuler des hypothèses lorsqu’il a été interrogé sur des sujets dont il n’avait pas une connaissance directe ou immédiate.

[51] Pour sa part, la défenderesse a retenu les services de M. Frank Babic à titre d’expert dans les domaines du bruit et des vibrations. M. Babic est un ingénieur qui, à l’instar de M. Kirby, a mené de nombreuses évaluations de bruit et de vibrations. Il a évalué des projets résidentiels et des projets touchant des infrastructures ferroviaires et routières, agissant fréquemment en qualité de responsable technique. M. Babic est actuellement à l’emploi de Stantec.

[52] J’ai conclu que M. Babic était crédible : il a répondu franchement aux questions, a admis certaines propositions lorsqu’il croyait qu’il était juste de le faire et a admis des erreurs commises par ses prédécesseurs chez Stantec.

(1) La terminologie

[53] Dans leur preuve sur le bruit et les vibrations, les experts ont discuté de deux variables : le niveau sonore jour‐nuit (le Ldn) et le pourcentage de bruit très gênant (le % HA).

[54] Le Ldn représente le niveau sonore moyen pendant 24 heures. Il se mesure en décibels avec la pondération A (dBA), une unité qui mesure le volume du son ajusté pour la sensibilité de l’audition humaine.

[55] À titre de référence, les experts conviennent qu’une hausse de 3 dBA ou moins est imperceptible, et qu’en contrepartie, une hausse de 10 dBA correspond au doublement du volume sonore.

[56] On calcule le Ldn en combinant le niveau sonore diurne (le Ld), la mesure du niveau sonore entre 7 h et 22 h, et le niveau sonore nocturne (le Ln) la mesure du niveau sonore entre 22 h et 7 h. Puisque le bruit gêne davantage les résidents la nuit, une pénalité de +10 décibels est ajoutée au Ln.

[57] La valeur % HA est le pourcentage de personnes pour lesquelles les données d’enquêtes prédisent qu’elles devraient être très gênées par l’intensité sonore associée à une valeur donnée de Ldn.

(2) Les rapports d’expert

[58] Il y a deux rapports d’expert en bruit et vibrations en cause dans la présente action, et ces rapports ont donné lieu à plusieurs réponses : a) le rapport Stantec de 2010; b) le rapport d’avril 2015, intitulé Noise and Vibration Measurement and Modelling Program et révisé par M. Kirby, qui agissait alors en qualité d’employé d’ARCADIS (le rapport ARCADIS de 2015). Je commenterai chaque rapport à tour de rôle avant de présenter mes conclusions à leur sujet.

a) Le rapport Stantec de 2010

[59] Un des documents qui sous‐tendent la preuve des experts dans les domaines du bruit et des vibrations, c’est le rapport Stantec de 2010 que le CN a commandé aux fins d’évaluer les effets prévus de l’élargissement du corridor ferroviaire. Bien que le rapport émane de Stantec, M. Babic n’a pas participé à la rédaction du rapport Stantec de 2010. Le rapport n’est pas présenté en preuve pour établir la véracité de son contenu, parce que ses auteurs n’ont pas été appelés à témoigner à l’instruction.

[60] Pour le rapport Stantec de 2010, on a mesuré les niveaux sonores à différents endroits le long du corridor de Marysville avant l’élargissement et prédit le changement du niveau sonore occasionné par l’élargissement. Pour son rapport, Stantec n’a pas directement mesuré les niveaux sonores sur la propriété du demandeur. Il s’agit de la seule mesure mise en preuve des niveaux sonores près de la propriété du demandeur avant l’élargissement.

[61] Stantec a conclu que le Ldn pré‐élargissement à 20 mètres de la voie ferrée était de 73,8 dBA, ce qui se traduit par un % HA de 34 % (ces chiffres étaient plus bas à l’origine et ont été corrigés ultérieurement dans une lettre de M. Babic, datée du 30 juillet 2019). Les parties conviennent que ce chiffre est exact.

[62] Le rapport Stantec de 2010 a prédit les niveaux sonores post‐élargissement à l’aide d’un programme de modélisation. Les programmes de modélisation absorbent de l’information et utilisent des outils prédictifs pour estimer les niveaux sonores pour les situations où les mesures sont difficiles, par exemple les scénarios futurs. Dans ce cas, Stantec a utilisé un programme de modélisation appelée STEAM qui a prédit le pire scénario raisonnable de propagation du son depuis le corridor ferroviaire avant et après son élargissement.

[63] Stantec a utilisé STEAM pour prédire que le Ldn pré‐élargissement à 29 mètres de la voie, le long du corridor de Marysville, serait de 80 dBA, ce qui donne un % HA de 55 %. Stantec a ensuite prédit qu’à cette distance, le Ldn post‐élargissement n’augmenterait que de 0,18 dBA, ce qui entraînerait une hausse de 0,42 % du % HA.

b) Le rapport ARCADIS de 2015

[64] Pour le rapport ARCADIS de 2015, on a mesuré les niveaux sonores post‐élargissement sur la propriété du demandeur. Il s’agit de la seule preuve de telles mesures.

[65] À partir des données des mesures du rapport Stantec de 2010, pour le rapport ARCADIS de 2015, il a été calculé que le Ldn pré‐élargissement était de 73,6 dBA à 20 mètres de la voie ferrée, une valeur inférieure de 0,2 dBA seulement au calcul corrigé du Ldn de Stantec.

[66] À partir de ses propres mesures prises sur un site légèrement à l’ouest de la résidence du demandeur, ARCADIS a conclu, dans son rapport de 2015, que le Ldn post‐élargissement à 20 mètres de la voie ferrée était de 78,7 dBA. M. Kirby a expliqué qu’il avait mesuré les niveaux sonores à cet endroit afin de reproduire ceux du lieu où était le récepteur lors des mesures du rapport Stantec de 2010, le long du corridor de Marysville, approximativement à un kilomètre à l’ouest de la propriété du demandeur.

[67] Dans le rapport ARCADIS de 2015, les données prises par ARCADIS et traitées par un système de modélisation appelée Cadna‐A prédisaient les niveaux sonores à 33 mètres de la voie ferrée à la façade la plus exposée de la résidence du demandeur, c’est‐à‐dire à l’étage supérieur sur la face nord de celle‐ci. Dans une lettre datée du 17 mars 2021, M. Babic convient que la façade la plus exposée est un lieu d’évaluation adéquat.

[68] Sur la base de la modélisation avec Cadna‐A, il a été conclu, dans le rapport ARCADIS de 2015, que le Ldn pré‐élargissement’à la résidence du demandeur était de 71,4 dBA et que le Ldn post‐élargissement à cet endroit était de 76,5 dBA. Par conséquent, dans le rapport ARCADIS de 2015, il a été conclu que l’élargissement du corridor ferroviaire avait causé une hausse de 5,1 dBA du Ldn à la résidence du demandeur, ce qui avait entraîné une hausse de 16,2 % du % HA.

(i) Le talus

[69] Le rapport ARCADIS de 2015 attribue la hausse du bruit à la résidence du demandeur principalement à la suppression du talus entre celle‐ci et le corridor ferroviaire. Il y a été conclu que le talus réduisait d’environ 4 dBA le Ldn à la résidence du demandeur. Si l’évaluation du Ldn pré‐élargissement n’avait pas tenu compte de la présence du talus, le Ldn post‐élargissement prévu ne serait que de 1 dBA supérieur au Ldn pré‐élargissement. En d’autres mots, si lors de l’élargissement on n’avait pas supprimé le talus, alors présent, la hausse du bruit consécutive à l’élargissement du corridor ferroviaire aurait été imperceptible à la résidence du demandeur.

(ii) La troisième voie ferrée

[70] M. Kirby a également allégué que, dans le rapport Stantec de 2010, la modélisation des niveaux sonores post‐élargissement qui s’appliquaient à la propriété du demandeur supposait à tort que la nouvelle troisième voie se trouverait au nord des voies existantes, alors qu’en réalité, elle se trouvait au sud.

[71] Dans ses observations finales, la défenderesse a affirmé que [traduction] « M. Babic a[vait] réfuté les affirmations de M. Kirby selon lesquelles la modélisation contenue dans le rapport Stantec de 2010 contenait des erreurs en lien avec la configuration des voies et l’emplacement de la [troisième] voie ».

[72] Je conclus que l’observation de la défenderesse est inexacte. La section du corridor ferroviaire qui est adjacente à la propriété du demandeur constitue une anomalie. Étant adjacente à la propriété du demandeur et aux environs, la troisième voie se trouve bien au sud des voies existantes; par rapport au corridor de Marysville, de façon générale, elle se trouve au nord des voies. Dans son rapport de 2010, Stantec a omis de tenir compte de ce détail au moment de procéder à la modélisation du son provenant du corridor ferroviaire.

[73] M. Babic n’a pas admis que l’omission de Stantec était une erreur en soi, puisque le rapport Stantec de 2010 cherchait à évaluer les niveaux sonores le long du corridor de Marysville et ne s’intéressait pas d’une manière particulière à la propriété du demandeur. Toutefois, M. Babic a admis que la modélisation des niveaux sonores dans le voisinage de la propriété du demandeur était, [traduction] « dans le meilleur des cas, mal alignée » et a conséquemment conseillé M. Kirby sur la manière de rajuster la modélisation de Stantec pour la rendre précise dans la zone adjacente à la propriété du demandeur. L’idée que M. Babic a [traduction] « complètement réfuté » l’erreur alléguée de Stantec, comme l’a affirmé la défenderesse, est donc une mauvaise interprétation de la preuve de M. Babic.

(3) Conclusion

[74] Le rapport ARCADIS de 2015 a établi les niveaux sonores pré‐élargissement et post‐élargissement à la propriété du demandeur. Ces deux conclusions sont essentielles pour la demande du demandeur et sont donc vivement débattues entre les parties. Ces conclusions portent sur les questions de savoir si les niveaux sonores à la résidence du demandeur ont augmenté par suite de l’élargissement et si, en raison de cette hausse, le demandeur a droit à une indemnité supplémentaire au titre de la Loi, pour troubles de jouissance et pour effet préjudiciable. J’examine ci‐dessous ces deux conclusions à tour de rôle.

a) Les niveaux sonores pré‐élargissement

[75] Le rapport ARCADIS de 2015 se fonde sur les données du rapport Stantec de 2010 pour déterminer les niveaux sonores pré‐élargissement, puisque le rapport ARCADIS 2015 a été rédigé après l’élargissement. En utilisant des données mesurées, Stantec a finalement conclu que le Ldn pré‐élargissement à 20 mètres de la voie verrée était de 73,8 dBA à environ un kilomètre à l’ouest de la propriété du demandeur et au nord de la promenade de l’Aéroport. Les parties conviennent que ce chiffre est exact.

[76] À partir des données mesurées pour le rapport Stantec de 2010, le rapport ARCADIS de 2015 a modélisé le Ldn pré‐élargissement à la résidence du demandeur (à 33 mètres de la voie ferrée) et a obtenu une valeur de 71,4 dBA. La défenderesse affirme que cette conclusion n’est pas fiable, et ce, pour trois motifs : (i) le rapport Stantec de 2010 n’a pas été admis pour la véracité de son contenu; (ii) les données mesurées ont été captées à un lieu de réception différent et donc ne peuvent s’appliquer à la résidence du demandeur; (iii) la modélisation du rapport ARCADIS de 2015 se basait incorrectement sur la conclusion de l’existence d’un talus de 3 mètres sur la propriété du demandeur avant l’élargissement.

[77] Seul le troisième argument de la défenderesse me convainc, mais j’examinerai chacun des arguments.

(i) La preuve par ouï‐dire

[78] Le rapport Stantec de 2010 ne peut être admis en preuve pour établir la véracité de son contenu, parce que ses auteurs n’ont pas été appelés à témoigner à l’instruction, de sorte qu’il constitue une preuve par ouï‐dire. Cependant, je ne crois pas que cette inadmissibilité empêche les experts de se fonder sur les données contenues dans le rapport Stantec de 2010. Tant M. Kirby que M. Babic ont été contre‐interrogés au sujet de la véracité des données et de la façon dont elles avaient été utilisées dans leur preuve respective. Bien que les experts ne s’entendaient pas sur la façon dont les données avaient été utilisées dans la modélisation, aucun d’eux n’a contesté la fiabilité des mesures mêmes et aucune question à ce sujet ne leur a été posée en contre‐interrogatoire. Je conclus donc que les calculs qui figurent dans le rapport ARCADIS de 2015 et qui se fondaient sur les données du rapport Stantec de 2010 sont admissibles pour établir la véracité de leur contenu.

(ii) La position du récepteur

[79] La défenderesse affirme qu’étant donné le récepteur en cause dans le rapport Stantec de 2010 se trouvait dans un lieu différent ayant une autre topographie que celle du récepteur utilisé pour le rapport ARCADIS en 2015, les données qu’il a permis de recueillir sont inapplicables à la résidence du demandeur. Toutefois, M. Kirby a choisi de positionner le récepteur utilisé pour la préparation du rapport ARCADIS de 2015 de manière à reproduire la position du récepteur utilisé pour le rapport Stantec de 2010, ce qui implique une distance semblable de la voie ferrée et une topographie similaire.

[80] Je conclus que la position du récepteur utilisée par M. Kirby n’invalide pas les conclusions du rapport ARCADIS de 2015. La défenderesse n’a pas démontré de quelle manière l’écart de position entre les récepteurs était si fondamental qu’il rendait inapplicables les mesures du rapport Stantec de 2010 pour la propriété du demandeur. Par exemple, la défenderesse note que la position où Stantec a pris ses mesures était plus proche de la promenade de l’Aéroport, mais il n’y a pas de preuve pour indiquer à quel point la circulation était intense sur cette voie au moment des mesures de Stantec ou à quel point cette proximité a amplifié ces mesures.

(iii) La modélisation du talus

[81] Les calculs de M. Kirby reposaient sur la notion qu’avant l’élargissement, au nord de la résidence du demandeur, il y avait un talus de 3 mètres qui atténuait le bruit venant du corridor ferroviaire. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’un tel talus à cette époque, ce qui rend peu fiables les calculs du rapport ARCADIS de 2015 du Ldn pré‐élargissement à la résidence du demandeur.

[82] Le rapport ARCADIS de 2015 présentait des scénarios modélisés des niveaux sonores pré‐élargissement à la résidence du demandeur, avec et sans talus. Lorsque la modélisation du rapport ARCADIS de 2015 tenait compte du talus, la conclusion était que le Ldn pré‐élargissement à la résidence du demandeur s’élevait à 71,4 dBA. La conclusion du rapport ARCADIS de 2015 pour la modélisation ne tenant pas compte du talus était que le Ldn pré‐élargissement à la résidence du demandeur s’élevait à 75,8 dBA. (Je note que selon la modélisation effectuée avec Cadna‐A, le Ldn pré‐élargissement à 20 mètres de la voie ferrée était de 78,3 dBA, ce qui explique pourquoi le Ldn pré‐élargissement sans talus de 75,8 dBA à la résidence du demandeur, tel qu’il a été modélisé, est supérieur au Ldn pré‐élargissement de 73,6 dBA à 20 mètres de la voie ferrée, tel qu’il a été mesuré.)

[83] Selon la modélisation contenue dans le rapport ARCADIS de 2015, le talus fait environ trois mètres de haut, bloquant ainsi presque entièrement la ligne visuelle entre la résidence du demandeur et la voie ferrée. Le rapport ARCADIS présente l’image suivante de la modélisation CadnaA, qui illustre le talus avant l’élargissement, puis son retrait après l’élargissement :

Description : rendu tridimensionnel de base d’images tirées de la configuration du modèle CadnaA de M. Kirby. Il est important de noter que les deux images de la résidence du demandeur sont vues du nord du corridor ferroviaire et sont orientées vers le sud. L’image du haut représente le scénario pré‐élargissement, dans lequel le talus de terre bloque presque entièrement la ligne visuelle entre la résidence du demandeur et la voie. L’image du bas illustre le scénario post‐élargissement, dans lequel le talus de terre est retiré, et la ligne visuelle entre la résidence du demandeur et la voie est presque entièrement dégagée.

[84] Je conclus que le demandeur n’a pas établi que le talus invoqué dans le rapport ARCADIS de 2015 existait avant l’élargissement.

[85] M. Kirby n’a présenté aucune preuve concernant le talus. Il a admis en contre‐interrogatoire qu’il n’était pas allé voir la propriété du demandeur avant de prendre les mesures, en 2014, pour la préparation du rapport ARCADIS de 2015. Il n’a donc pas pris de mesures ni n’a vu le talus dans l’état où il existait avant l’élargissement, se fondant manifestement sur le demandeur pour la prise de mesures.

[86] La preuve documentaire du demandeur concernant le talus présente des lacunes. Le demandeur a soumis une série de photos qu’il a prises de sa propriété avant et après l’élargissement et qui, selon lui, montrent bien le talus. Toutefois, aucune des photos ne permet de voir un talus de terre de 3 mètres de haut qui était en place avant l’élargissement, et sur lequel se fondait le rapport ARCADIS de 2015. Tout au plus, les photos montrent un certain nombre d’arbustes le long du périmètre de la propriété du demandeur, y compris quelques arbres et des balles de foin en décomposition. Bien qu’une bonne partie de cette végétation ait été retirée en raison de l’élargissement du corridor ferroviaire, ce qui faisait en sorte que la résidence du demandeur était visible des voies, cette végétation ne se compare pas au talus de 3 mètres figurant dans la modélisation du rapport ARCADIS de 2015.

[87] Une des photos du dossier du demandeur est particulièrement digne de mention. Le demandeur a expliqué qu’il avait pris cette photo au début de 2012 depuis le côté nord de sa résidence, sur la partie avant de la pelouse, en direction du corridor ferroviaire. Si le talus avait existé à l’époque, il aurait été normal de voir une barrière de foin de trois mètres s’élever depuis la pelouse, de façon à obstruer la plus grande partie, voire la totalité, du paysage illustré sur la photographie. Cependant, sur la photographie, l’horizon est clairement visible. Il y a quelques arbustes au premier plan, mais ils ne dépassent pas la taille du photographe, et encore moins une hauteur de trois mètres.

[88] Si le talus existait avant l’élargissement, le demandeur l’a forcément aménagé à un moment donné, entre le début de l’année 2012 et la date à laquelle les terrains requis ont été expropriés à la fin de cette même année. Cependant, le témoignage du demandeur au sujet de ces détails est insuffisant. Le demandeur déclare avoir cultivé et récolté du foin pour aménager un talus de huit pieds (environ trois mètres), mais il précise l’avoir fait après son retour de son séjour de 13 mois chez son frère, qui a débuté à la fin de 2012, après l’élargissement. En particulier, le demandeur a déclaré ce qui suit pendant son interrogatoire principal :

[traduction]

Alors, vous savez, après 13 mois, il était évident qu’aucune solution ne viendrait dans un avenir proche et que nous devions penser à une meilleure option. C’est à ce moment‐là que j’ai semé du foin que je pourrais récolter et utiliser comme barrière antibruit temporaire. [...] J’ai donc aménagé une barrière en balles de foin du mieux que j’ai pu. C’était plutôt impressionnant à l’époque. C’était, vous savez, assez long et assez grand; cependant, malheureusement, étant donné qu’elle devait être aménagée très près de la maison, elle n’a pas donné une protection adéquate, certainement pas pour le deuxième étage, seulement parce qu’elle était située trop près de la maison. Elle a fourni une certaine protection pour le premier étage. Et, lorsque les enfants jouaient dehors, elle a certainement atténué le bruit au niveau du rez‐de‐chaussée. Cependant, encore là, c’était là une solution temporaire qui devait nous permettre de gagner du temps et nous inciter à revenir dans la maison.

[89] À la lumière de ce qui précède, j’accorde peu de poids à la conclusion du rapport ARCADIS de 2015 selon laquelle le Ldn pré‐élargissement à la résidence du demandeur était de 71,4 dBA, puisque ce calcul reposait sur l’existence d’un talus de trois mètres. J’accorde plutôt un poids plus grand à la conclusion du rapport ARCADIS de 2015 selon laquelle le Ldn pré‐élargissement à la résidence du demandeur était de 75,8 dBA, puisque ce calcul reflète les niveaux sonores pré‐élargissement en l’absence d’un talus.

b) Les niveaux sonores post‐élargissement

[90] J’accepte la conclusion du rapport ARCADIS de 2015 selon laquelle le Ldn post‐élargissement à la résidence du demandeur est d’environ 76,5 dBA. Cette conclusion n’a pas été contredite.

[91] Le rapport ARCADIS de 2015 est la seule preuve d’expert dans laquelle les niveaux de son et de vibrations ont été mesurés sur la propriété du demandeur après l’élargissement. La défenderesse n’a pas affirmé que les mesures faites pour obtenir ce chiffre étaient incorrectes, elle n’a pas non plus fourni de données qui lui seraient propres pour les contredire. Lorsque l’on a interrogé M. Babic relativement à la modélisation par M. Kirby des niveaux sonores post‐élargissement à la résidence du demandeur, il a déclaré qu’il n’avait pas été [traduction] « engagé » pour répondre à cette conclusion fondamentale. De plus, M. Babic a reconnu en contre‐interrogatoire que les mesures sont [traduction] l’« étalon‐or », puisqu’elles donnent généralement des représentations plus précises des niveaux sonores que la modélisation.

c) La hausse du son

[92] L’écart du Ldn à la résidence du demandeur avant l’élargissement et celui après est une hausse des niveaux sonores découlant de l’élargissement du corridor ferroviaire.

[93] Je conclus que la hausse du son à la résidence du demandeur est un Ldn d’environ 1 dBA, une variation imperceptible. J’en arrive à cette décision à la lumière de la conclusion selon laquelle le Ldn pré‐élargissement à la résidence du demandeur était de 75,8 dBA, alors qu’au même lieu, le Ldn post‐élargissement est de 76,5 dBA. Cette décision reflète la conclusion du rapport ARCADIS de 2015 selon laquelle la hausse du son à la résidence du demandeur serait d’environ 1 dBA sans le talus.

[94] Pour résumer, le talus faisait partie intégrale de la conclusion du rapport ARCADIS de 2015, selon laquelle l’élargissement du corridor ferroviaire avait produit une hausse perceptible du son à la propriété du demandeur. Puisque le demandeur n’a pas établi l’existence d’un tel talus à l’époque, je conclus qu’il n’y a pas eu de changement perceptible du son.

(4) Les directives

[95] Les rapports d’expert tiennent compte de deux ensembles de directives en particulier : les directives nationales de Santé Canada pour l’évaluation environnementale : Effets du bruit sur la santé de mai 2005 (les directives de Santé Canada) et le manuel Transit Noise and Vibration Impact Assessment de la Federal Transit Agency des États‐Unis, daté de mai 2006 (les directives de la FTA).

a) Les directives de Santé Canada

[96] Le rapport Stantec de 2010 et le rapport ARCADIS de 2015 ont tenu compte des directives de Santé Canada. Les directives de Santé Canada recommandent de « proposer des mesures d’atténuation », si un projet :

a) produit un Ldn 75 dBA;

  • b)entraîne une hausse de 6,5 % ou plus du % HA.

[97] Selon l’explication donnée par M. Kirby, le premier critère est [traduction] « absolu », car il ne considère pas les changements de niveaux sonores, alors que le second est [traduction] « relatif », car il ne considère que les changements dans les niveaux sonores.

b) Les directives de la FTA

[98] Le rapport ARCADIS de 2015 s’est aussi basé sur les directives de la FTA. Selon celles‐ci, une [traduction] « répercussion grave » advient si le projet produit une hausse d’environ 2 dBA ou plus à un environnement sonore existant avec un Ldn d’environ 75 à 77 dBA. Les projections du bruit ayant une [traduction] « répercussion grave » entraînent la plus grande nécessité d’atténuation.

[99] Bien que les parties ne s’entendent pas sur l’application des directives de la FTA à la propriété du demandeur, M. Babic a admis en contre‐interrogatoire qu’elles constituaient [traduction] « une ressource qui peut être prise en compte ». J’accepte donc le fait que tant les directives de Santé Canada que celles de la FTA s’appliquent à l’évaluation des répercussions des niveaux sonores sur la propriété du demandeur par suite de l’élargissement du corridor ferroviaire.

c) Les autres directives

[100] M. Kirby a affirmé que l’élargissement du corridor ferroviaire allait à l’encontre d’autres directives réglementaires, mais M. Babic a invoqué des raisons impérieuses pour en écarter l’application. Cependant, la question à trancher en l’espèce est de savoir si le demandeur a droit à une indemnité supplémentaire au titre de la Loi; il ne s’agit pas ici de déterminer le nombre de directives réglementaires que l’élargissement du corridor ferroviaire n’a pas respectées. Les directives ne sont pertinentes que dans la mesure où elles aident la Cour à comprendre les répercussions des niveaux sonores sur la propriété du demandeur. Un seul ensemble de directives suffit à cette fin, tout au plus deux. Par conséquent, j’examinerai uniquement les directives de Santé Canada et celles de la FTA, puisque les parties conviennent qu’elles sont applicables.

d) Conclusion

[101] Je conclus que les mesures d’atténuation n’étaient recommandées que par le critère absolu des directives de Santé Canada.

[102] À la résidence du demandeur, le Ldn était de 75,8 dBA avant l’élargissement et est de 76,5 dBA après l’élargissement. Puisque ces deux chiffres dépassent 75 dBA, les directives de Santé Canada recommandent de considérer des mesures d’atténuation pour les deux scénarios selon le critère absolu.

[103] L’élargissement du corridor ferroviaire a accru le Ldn à la résidence du demandeur d’environ 1 dBA. Puisque le demandeur n’a pas démontré que ce changement avait produit une hausse de 6,5 % ou plus du % HA, je conclus que les directives de Santé Canada ne recommandent pas de considérer des mesures d’atténuation selon le critère relatif. De même, cette hausse ne constitue pas une [traduction] « répercussion grave » selon les directives de la FTA, puisqu’une hausse d’environ 2 dBA ou plus n’est pas survenue dans un environnement sonore existant avec un Ldn d’environ 75 à 77 dBA.

[104] À la lumière de ce qui précède, je conclus que les directives applicables n’offrent que peu d’appui à l’argument du demandeur selon lequel la hausse du son découlant de l’élargissement du corridor ferroviaire a eu des répercussions négatives à sa résidence. Le seul critère qui n’a pas été respecté est le critère absolu des directives de Santé Canada. Or, il a été dérogé à ce critère avant et après l’élargissement, puisque le Ldn à la résidence du demandeur dépassait 75 dBA dans toutes les périodes pertinentes. Je conclus donc que le non‐respect des directives de Santé Canada n’est pas indicatif d’un changement des niveaux sonores.

C. Les experts en évaluation immobilière

[105] Le demandeur a appelé M. Greg McCulloch à témoigner en qualité de témoin expert, aux fins de l’évaluation du coût lié au déplacement de la résidence du demandeur plus au sud sur sa propriété, de façon à l’éloigner du corridor ferroviaire. Depuis juin 2002, M. McCulloch travaille pour Laurie McCulloch Building Moving, une société contractante spécialisée dans le déplacement de propriétés patrimoniales et la préservation de façades. M. McCulloch a remplacé son père en qualité de président de l’entreprise en mars 2019.

[106] J’ai conclu que M. McCulloch était crédible : il a répondu aux questions d’une façon claire et franche.

[107] La défenderesse a contesté l’admissibilité de la preuve de M. McCulloch, au motif qu’il n’avait pas été reconnu en qualité de témoin expert et que, compte tenu de l’interprétation que la défenderesse donnait à la Loi, la preuve de ce témoin n’était pas pertinente à l’égard de l’action du demandeur. J’ai conclu que M. McCulloch avait la qualité de témoin expert, eu égard à son expérience en matière de projets de déplacement de propriétés patrimoniales en Ontario, et que sa preuve était pertinente quant aux questions à trancher à l’instruction.

[108] M. McCulloch a fourni un rapport d’expert daté du 29 janvier 2021 et intitulé Quotation for Buildings Relocation (le rapport McCulloch de 2021), dans lequel il avait évalué à 759 134 $ le coût du déplacement de la résidence du demandeur.

[109] Le demandeur a appelé M. Ward Lansink à témoigner en qualité de témoin expert, aux fins de l’évaluation de l’indemnité à laquelle il avait droit pour l’expropriation des terrains requis. M. Lansink est un évaluateur immobilier agréé qui est spécialisé dans les affaires d’expropriation. Avant de se joindre à Altus Group Ltd. en octobre 2020, M. Lansink avait travaillé comme évaluateur principal pour GSI Real Estate & Planning Advisors Inc. (GSI) depuis janvier 2011.

[110] J’ai conclu que M. Lansink était un témoin crédible : il a donné des réponses détaillées aux questions qui lui ont été posées et n’a pas cherché à embellir son témoignage. En contre‐interrogatoire, M. Lansink a admis qu’il savait avant l’instruction que son rapport comportait plusieurs erreurs. Il aurait été préférable que M. Lansink porte ces erreurs à l’attention de la Cour au début de son témoignage, mais je ne crois pas que cette faille ait miné sa crédibilité.

[111] La défenderesse a soulevé comme question préliminaire une objection à l’admission d’une lettre datée du 30 décembre 2020 qui avait été préparée par M. Kenneth Stroud de GSI, conjointement avec M. Lansink, mais que celui‐ci n’avait pas signée.

[112] La défenderesse a fait valoir que M. Lansink n’avait pas compétence pour témoigner sur le contenu de la lettre du 30 décembre 2020, puisqu’il n’en était pas l’auteur. La défenderesse n’a soulevé cette objection qu’après que M. Lansink eut commencé à témoigner au sujet de la lettre.

[113] J’ai autorisé M. Lansink à témoigner au sujet de la lettre du 30 décembre 2020. Dans le dernier paragraphe de la lettre, il est mentionné que M. Lansink [traduction] « a participé à la rédaction de la présente lettre et [...] était d’accord sur les opinions qui y étaient exprimées ». M. Lansink a expliqué qu’il n’avait pas signé la lettre, parce qu’il n’était plus à l’emploi de GSI lorsque la lettre avait été envoyée, de sorte qu’il ne pouvait pas apposer sa signature sur le papier à en‐tête de GSI. Eu égard à l’explication que M. Lanskin a donnée au sujet de la raison pour laquelle il n’avait pas signé la lettre du 30 décembre 2020, alors qu’il avait participé à sa rédaction, j’ai conclu que son témoignage au sujet de la lettre était admissible.

[114] La défenderesse a appelé M. Stephen Rayner à témoigner en qualité de témoin expert, aux fins de l’évaluation de l’indemnité due au demandeur pour l’expropriation des terrains requis. À l’instar de M. Lansink, M. Rayner est évaluateur immobilier agréé. M. Rayner a débuté sa carrière en 1972 et a fondé sa propre société en 1981, sous le nom de S. Rayner & Associates Ltd., dont il est actuellement le président et le directeur général. M. Rayner possède une longue expérience en qualité d’évaluateur dans les procédures d’expropriation.

[115] J’ai conclu que M. Rayner manquait de crédibilité. M. Rayner a souvent répondu de façon évasive en contre‐interrogatoire et donné des réponses indirectes et détournées à des questions relativement simples :

[traduction]

Q. Et M. Lansink passe en revue un certain nombre de commentaires concernant une perte d’intimité, perte d’écran, lumière additionnelle. Vous vous souvenez de toutes ces questions?

R. Je ne fais pas de commentaire sur ces questions; mes commentaires concernent le niveau sonore.

[...]

Q. Oui, je vous remercie. Je veux simplement m’assurer de bien vous comprendre. Toute la discussion, l’analyse au sujet au soutien de votre opinion concernant l’effet préjudiciable, se trouve dans ces pages, 60, 61 et 27, 28? C’est là que nous la trouvons? Il n’y a pas d’autres endroits du rapport que je n’ai pas vus?

R. Ce sont les seules mentions écrites. Toutes ces remarques sont fondées sur mon inspection et mon analyse de la maison à l’époque. J’ai examiné toutes sortes d’aspects.

Q. Ce n’est pas ce que je vous demande, Monsieur. Je vous demande simplement si ce que je vous ai indiqué au sujet de votre rapport est l’endroit où nous trouverons l’analyse?

R. C’est un résumé de mon analyse.

[...]

Q. D’accord. Alors vous dites, Monsieur, que la propriété la maison la structure que nous voyons du côté gauche de cette photographie, voulez‐vous dire, monsieur, que cette structure se trouvait, à la date de la vente en question, sur le 166? Est‐ce là votre témoignage aujourd’hui?

R. Je ne puis l’affirmer avec certitude, parce que je ne peux voir ça en contexte.

Q. D’accord. Alors vous n’allez pas pas de problème. Vous ne savez pas, d’une façon ou d’une autre, en regardant la photographie, c’est ça?

R. L’objet des documents concernant le 166, comme c’était le cas pour les deux autres ventes, c’est que M. Lansink n’a pas fait preuve de diligence raisonnable lors des recherches concernant ces ventes; il n’a pas confirmé s’il y avait ou non des bâtiments sur l’emplacement, s’ils étaient abandonnés, s’ils pouvaient être utilisés. Il a dit que c’était un site vacant, point final.

[116] De plus, je me suis opposé à ce que M. Rayner invoque la preuve concernant le 166, chemin Roblin, que je commente en détail à partir du paragraphe 146 du présent jugement.

(1) Le rapport Rayner de 2012

[117] L’Appraisal Report de M. Rayner portant la date du 24 janvier 2012 (le rapport Rayner de 2012) concernait l’évaluation de la valeur marchande des terrains requis. Ce rapport avait été commandé afin de déterminer l’indemnité à verser au demandeur pour l’expropriation des terrains requis. Selon ce rapport, les terrains requis ont été évalués à 1 000 $ au moment de la prise survenue le 24 janvier 2012, et c’est cette somme que le demandeur a finalement reçue de la défenderesse à titre d’indemnité pour l’expropriation.

[118] Le rapport Rayner de 2012 s’appuyait sur une [traduction] « méthode de comparaison directe » pour calculer la valeur des terrains requis. Cette méthode consiste à examiner les ventes de propriétés similaires situées dans les environs, également appelées [traduction] « indices », à calculer le prix de vente par hectare (ou acre) de ces indices, puis à faire des rajustements pour tenir compte de certaines différences.

[119] Compte tenu de la valeur rajustée de propriétés ayant servi d’indices, il a été conclu dans le rapport Rayner de 2012 que la valeur marchande de terrains semblables aux terrains requis s’élevait à 4 000 $ l’hectare. Étant donné que les terrains requis ont une superficie de 0,259 hectare (0,64 acre), leur valeur marchande au moment de la prise a été établie à 1 000 $ dans le rapport Rayner de 2012.

[120] Il a également été conclu dans ce même rapport qu’il n’y avait pas de diminution de valeur — c.‐à‐d. « effet préjudiciable » — de ce qui restait au demandeur par suite de l’expropriation des terrains requis et de l’élargissement du corridor ferroviaire. Dans sa lettre du 22 juillet 2019, M. Rayner a expliqué que cette conclusion reposait sur l’hypothèse selon laquelle les niveaux sonores mesurés sur la propriété du demandeur avant l’élargissement demeureraient les mêmes après l’élargissement, au moyen de l’adoption de mesures d’atténuation du bruit au besoin. M. Rayner a affirmé en interrogatoire principal que le coût lié à la mise en place de ces mesures ne constituait pas un effet préjudiciable, parce que l’effet préjudiciable concernait les dommages permanents causés au reste de la propriété du demandeur, tandis qu’il était possible de remédier à la hausse du son engendrée par l’élargissement du corridor ferroviaire.

(2) Le rapport de GSI de 2019

[121] La preuve de M. Lanskin porte principalement sur le Retrospective Appraisal Report du 30 mai 2019 (le rapport de GSI de 2019) qu’il a préparé de concert avec GSI. Le rapport de GSI de 2019 est la seule évaluation couvrant l’ensemble du bien du demandeur, y compris ses améliorations. Il repose sur l’examen de trois scénarios selon lesquels la défenderesse doit au demandeur une indemnité supplémentaire pour l’expropriation des terrains requis.

a) Les scénarios A et B : le déplacement de la résidence

[122] Le « scénario A » et le « scénario B » reposent sur l’hypothèse formulée selon laquelle la résidence du demandeur n’est plus habitable en raison de l’augmentation des troubles de jouissance causée par l’élargissement du corridor ferroviaire.

[123] Le « scénario A » portait sur l’option de construire une nouvelle résidence sur la propriété du demandeur, plus au sud, laquelle serait éloignée du corridor ferroviaire. Dans le rapport de GSI de 2019, le coût de cette option a été évalué à 1 426 100 $.

[124] Le « scénario B » portait sur l’option de déplacer la résidence existante du demandeur, afin de l’éloigner du corridor ferroviaire. Selon le rapport de GSI de 2019, cette option coûterait 1 003 700 $. Cette estimation est fondée sur la preuve de M. McCulloch, qui a subséquemment été mise à jour dans le rapport McCulloch de 2021.

b) Le scénario C : l’effet préjudiciable

[125] La plus grande partie du rapport de GSI de 2019 portait sur le « scénario C », soit l’examen de l’effet préjudiciable causé à la propriété du demandeur par l’élargissement du corridor ferroviaire. En particulier, selon la conclusion énoncée dans le rapport de GSI de 2019, la valeur de la propriété du demandeur a diminué de 247 100 $, en raison de l’expropriation des terrains requis et de l’élargissement du corridor ferroviaire.

[126] À l’instar des deux scénarios précédents, le scénario C repose sur l’hypothèse formulée selon laquelle l’augmentation des troubles de jouissance causée par l’élargissement du corridor ferroviaire a rendu la résidence du demandeur inhabitable en tant que propriété occupée par son propriétaire. La valeur de la résidence du demandeur a donc été calculée comme s’il s’agissait d’une propriété occupée par un locataire (c.‐à‐d. en tant que bien locatif).

(i) L’effet préjudiciable

[127] Le rapport de GSI de 2019, semblable au rapport Rayner de 2012, s’appuie sur une méthode de comparaison directe pour estimer la valeur du terrain du demandeur immédiatement avant l’expropriation à l’état d’inoccupation (305 000 $) et à l’état amélioré (655 000 $). L’écart entre ces deux sommes correspond à la valeur des améliorations apportées à la propriété du demandeur (350 000 $).

[128] Pour estimer l’effet préjudiciable concernant la propriété du demandeur, le rapport de GSI de 2019 a soustrait la valeur de la propriété améliorée du demandeur après l’expropriation (407 900 $) de la valeur de la propriété améliorée du demandeur avant l’expropriation (655 000 $), ce qui représente une perte de 247 100 $.

[129] Pour estimer la valeur de la propriété améliorée du demandeur après l’expropriation, le rapport de GSI de 2019 a utilisé la valeur de la propriété du demandeur à l’état d’inoccupation (305 000 $), soustrait la valeur des terrains requis (2 100 $), ajouté la valeur de la résidence du demandeur si elle était occupée par un locataire (60 000 $), puis ajouté la valeur des structures auxiliaires (45 000 $), ce qui totalise 407 900 $.

(ii) La valeur des terrains requis

[130] Le rapport de GSI de 2019 a établi à 3 200 $ la valeur par acre de la propriété du demandeur à l’état d’inoccupation au moment de la prise de possession. Comme les terrains requis représentent 0,64 acre, le rapport de GSI de 2019 a établi la valeur des terrains requis à 2 100 $ à ce moment‐là.

(iii) La valeur de la résidence du demandeur

[131] Selon le rapport de GSI de 2019, la valeur de la résidence du demandeur était de 305 000 $ au moment de la prise. Cette conclusion résulte de la soustraction de la valeur estimée des améliorations auxiliaires apportées par le demandeur (45 000 $), comme la grange et le poulailler, de la valeur de toutes les améliorations apportées à la propriété du demandeur (350 000 $).

c) Les critiques de M. Rayner

[132] M. Rayner a souligné plusieurs failles dans le rapport de GSI de 2019. Certaines de ses critiques m’ont paru plus convaincantes que d’autres. En fin de compte, je conclus qu’elles ne minent pas complètement l’évaluation de la valeur de la propriété du demandeur établie par M. Lansink à l’état amélioré et à l’état d’inoccupation au moment de la prise.

(i) La détermination des obstacles à la valeur

[133] M. Rayner soutient que le rapport de GSI de 2019 ne s’appuie pas sur une méthode appropriée de comparaison directe, car il ne tient pas compte de propriétés semblables à celle du demandeur présentant un obstacle à la valeur dû au corridor ferroviaire. Bien que le rapport de GSI de 2019 rajuste à la baisse la valeur pour tenir compte du corridor ferroviaire, M. Rayner affirme que ce rajustement est une simple spéculation qui ne tient pas compte des propriétés présentant un obstacle similaire à la valeur pour estimer à quel point le corridor ferroviaire diminue la valeur de la propriété du demandeur. Dans sa lettre du 22 juillet 2019, M. Rayner déclare ce qui suit :

[traduction]

[...] il faut de la preuve étayée par le marché pour apprécier l’incidence du corridor ferroviaire sur les prix de vente dans l’estimation de la valeur antérieure. Il ne suffit pas, à notre avis, de simplement affirmer qu’il faut rajuster à la baisse la valeur des comparables pour tenir compte de ce facteur, car cela a une grande importance dans le processus global d’évaluation de cette propriété.

[134] L’argument de M. Rayner me convainc, mais je ne puis conclure qu’il mine complètement les conclusions de M. Lansink. Il aurait été préférable de s’appuyer sur des propriétés présentant des obstacles semblables à la valeur, mais je ne puis conclure qu’il était impossible, pour M. Lansink, d’effectuer des rajustements, au regard de ces considérations. Comme l’a affirmé M. Rayner, les rajustements sont discrétionnaires et fondés sur le jugement. En outre, M. Lansink a dû trouver des propriétés dont l’emplacement, la date de la vente et l’état se comparaient à ceux de la résidence du demandeur. M. Rayner, en revanche, n’a pas fourni une autre évaluation pour écarter les conclusions de M. Lansink.

(ii) La détermination de la valeur locative

[135] M. Rayner soutient, en outre, que le rapport de GSI de 2019 n’a pas suffisamment étayé sa conclusion selon laquelle la valeur de la résidence du demandeur en tant que bien locatif était de 60 000 $. Selon le rapport de GSI de 2019, ce calcul s’appuie sur la conclusion selon laquelle la valeur locative de la résidence du demandeur est de 600 $ par mois, une somme que M. Rayner décrit avec justesse comme [traduction] « insultante », compte tenu de l’état rénové de la résidence du demandeur. En particulier, M. Rayner affirme que le rapport de GSI de 2019 est erroné pour les motifs suivants :

  • a)il ne donne pas la superficie des comparables et ne décrit pas la méthode employée pour établir la valeur moyenne du loyer;

  • b)il n’utilise pas de loyers comparables précis ou ne fournit pas les détails des comparables utilisés;

  • c)il tient compte d’un taux d’inoccupation de deux mois, sans étayer ce rajustement par une preuve;

  • d)il utilise un taux de capitalisation de 10 %, sans étayer ce rajustement par une preuve;

  • e)la réduction de 50 % de la valeur locative de la résidence justifiée par le fait qu’il s’agit d’une [traduction] « maison rurale » plutôt que d’une [traduction] « maison urbaine » n’est étayée par aucune preuve.

[136] Les remarques critiques de M. Rayner m’ont convaincu, et j’accorde donc peu de poids à la détermination de la valeur locative de la résidence du demandeur établie par M. Lansink. La méthode employée par M. Lansink repose sur de nombreuses hypothèses qui ne sont pas étayées par la preuve. En outre, le calcul de la valeur locative effectué par M. Lansink n’est pas aussi détaillé que son calcul de la valeur du bien inoccupé et amélioré.

(iii) L’établissement de la superficie des indices

[137] M. Rayner relève plusieurs erreurs dans les indices utilisés dans le rapport de GSI de 2019 pour estimer la valeur de la propriété du demandeur.

[138] Le rapport de GSI de 2019 a pris en compte quatre indices de ventes immobilières pour estimer la valeur de la propriété du demandeur à l’état d’inoccupation. M. Lansink a mal calculé la superficie de la propriété vendue dans le cas de deux de ces indices : le 341, chemin Casey, Belleville, et le 843, chemin Mapleview, Quinte West.

[139] En ce qui concerne le 341, chemin Casey, le prix de vente de 275 000 $ comprenait deux lots, l’un d’environ 200 acres et l’autre d’environ 65 acres. Le rapport de GSI de 2019 n’a toutefois pas tenu compte du lot de 200 acres dans la vente, ce qui a vraisemblablement donné lieu à une estimation gonflée de la valeur par acre de la propriété.

[140] Dans le rapport de GSI de 2019, on trouve une erreur similaire pour le 843, chemin Mapleview. Le prix de vente de 600 000 $ pour cette propriété comprenait également deux lots, l’un d’environ 280 acres et l’autre d’environ 90 acres. Le rapport de GSI de 2019 n’a toutefois pas tenu compte du lot de 90 acres dans la vente, ce qui a vraisemblablement donné lieu à une estimation gonflée de la valeur par acre de la propriété.

[141] Le rapport de GSI de 2019 a pris en compte trois indices de ventes immobilières pour estimer la valeur de la propriété du demandeur à l’état amélioré. Encore une fois, M. Lansink a mal calculé la superficie de la propriété vendue dans le cas de deux de ces indices : le 1209, chemin Aikins, Quinte West, et le 961, chemin Tuftsville, Stirling.

[142] En ce qui concerne le 1209, chemin Aikins, le prix de vente de 600 000 $ comprenait deux lots, l’un d’environ 160 acres et l’autre d’environ 45 acres. Le rapport de GSI de 2019 ne tient cependant pas compte du lot de 45 acres dans la vente. Bien que M. Lansink conteste avoir manqué à son devoir de diligence raisonnable dans l’évaluation de cette propriété, il convient que le fait de ne pas tenir compte du deuxième lot a probablement influé sur la valeur de vente estimée des biens améliorés. M. Lansink a fait remarquer dans le rapport de GSI de 2019 que la vente du 1209, chemin Aikins, était l’un des indices les plus comparables à la propriété du demandeur.

[143] En ce qui concerne le 961, chemin Tuftsville, le prix de vente de 420 000 $ comprenait deux lots, l’un d’environ 90 acres et l’autre d’environ 60 acres. Le rapport de GSI de 2019 n’a toutefois pas tenu compte du lot de 60 acres dans la vente, ce qui a vraisemblablement donné lieu à une estimation gonflée de la valeur par acre de la propriété.

[144] À mon avis, les erreurs de M. Lansink dans le calcul de la superficie de ses indices sont importantes, c’est pourquoi j’accorde moins de poids aux conclusions de M. Lansink. Cependant, je ne puis conclure que ces erreurs minent complètement la détermination globale, établie par M. Lansink, de la valeur du bien à l’état d’inoccupation et à l’état amélioré.

[145] M. Lansink a fourni une analyse détaillée et transparente de la façon dont ses comparables étaient similaires à la propriété du demandeur et de ses rajustements tenant compte des différences. L’évaluation de la superficie d’environ la moitié des indices sur lesquels M. Lansink s’est appuyé n’était pas erronée. En outre, M. Rayner n’a pas établi dans quelle mesure ces erreurs avaient influencé les calculs de M. Lansink, se servant plutôt des erreurs comme une solution miracle pour miner l’ensemble des conclusions de M. Lansink. Dans son approche, la défenderesse semblait vouloir lapider la preuve du demandeur; elle a entamé sa fiabilité, mais a produit peu d’éléments de preuve pour contredire les conclusions du rapport.

d) La propriété du 166, chemin Roblin, Belleville

[146] Le 166, chemin Roblin, une des propriétés que M. Lansink a utilisées comme comparables pour calculer la valeur du terrain vacant, comportait des améliorations qui, d’après les photographies produites en preuve, étaient vraisemblablement délabrées au moment de la vente. Le 160, chemin Roblin se trouve directement à l’est de celle du 166, chemin Roblin. La première comporte des améliorations qui, d’après les photographies produites en preuve, étaient vraisemblablement fonctionnelles à cette époque.

[147] Lorsqu’elles l’ont contre‐interrogé, les avocates de la défenderesse ont montré à M. Lansink les données de la recherche faite dans le registre à l’égard du 166, chemin Roblin, y compris des photographies des améliorations se trouvant sur la propriété du 160, chemin Roblin. Les avocates de la défenderesse ont affirmé que M. Lansink n’avait pas tenu compte des améliorations se trouvant sur la propriété du 166, chemin Roblin, pour conclure que la propriété était un terrain vacant et qu’il avait été [traduction] « amené, par [la fiche d’inscription du] système MLS, à croire erronément que [le 166, chemin Roblin] était un terrain vacant ».

[148] M. Lansink a affirmé qu’il n’avait pas commis d’erreur lorsqu’il avait conclu que le 166, chemin Roblin, était un terrain vacant en se fondant sur la fiche d’inscription, dans laquelle la propriété était annoncée comme terre agricole [traduction] « pouvant convenir pour une nouvelle construction ». En se fondant sur ce renseignement, M. Lansink a prétendu qu’il était raisonnable de sa part de conclure qu’aucune amélioration se trouvant sur la propriété du 166, chemin Roblin n’avait été prise en compte dans la détermination du prix de vente.

[149] Les avocats du demandeur ont prétendu que M. Rayner, qui avait préparé la recherche dans le registre pour le 166, chemin Roblin, avait induit M. Lansink et la Cour en erreur en laissant entendre que les améliorations fonctionnelles dépeintes dans les données de la recherche se trouvaient au 166, chemin Roblin, alors qu’en réalité, elles étaient situées au numéro 160 du même chemin. Les avocats du demandeur ont affirmé que, si la défenderesse voulait proposer à M. Lansink que la propriété du 166, chemin Roblin, était vacante en se fondant sur la recherche dans le registre préparée par M. Rayner, celui‐ci devait s’enquérir de l’état des améliorations que comportait le 166, chemin Roblin et s’assurer que cette proposition était étayée par la preuve. Cependant, comme l’ont souligné les avocats, M. Rayner n’a pas déterminé l’état des améliorations se trouvant au 166, chemin Roblin, avant que la défenderesse ne laisse entendre à M. Lansink que celui‐ci avait commis une erreur en concluant que la propriété était vacante.

[150] Je suis convaincu par l’argument du demandeur selon lequel il était problématique de la part de la défenderesse, et en particulier de M. Rayner, de se fonder sur la recherche faite dans le registre à l’égard de du 166, chemin Roblin, pour laisser entendre que M. Lansink avait été induit en erreur par la fiche d’inscription de cette propriété. Bien que je convienne avec la défenderesse que M. Lansink a omis de prendre la [traduction] « mesure élémentaire » consistant à déterminer l’état des améliorations que comportait la propriété du 166, chemin Roblin, avant de conclure que la propriété était vacante, je conclus que M. Rayner ne l’a pas fait non plus. En prétendant que M. Lansink a été induit en erreur par la fiche d’inscription du 166, chemin Roblin, la défenderesse a laissé entendre, sans fondement, que les améliorations se trouvant sur la propriété avaient une certaine valeur. La preuve révèle qu’il n’y avait aucune amélioration fonctionnelle sur la propriété du 166, chemin Roblin, au moment de la vente, de sorte que M. Lansink n’a pas commis d’erreur en considérant cette propriété comme à l’état d’inoccupation.

[151] À mon avis, M. Lansink n’a pas fait preuve de diligence raisonnable en ne tenant pas compte des améliorations que comportait le 166, chemin Roblin, dans son analyse, malgré le fait que ces améliorations ne modifieraient pas la conclusion selon laquelle la propriété était vacante. Cependant, M. Rayner et la défenderesse sont allés encore plus loin en proposant que la conclusion de M. Lanskin était erronée, sans d’abord d’assurer que cette proposition était étayée par la preuve.

[152] À la lumière de ce qui précède, je conclus que le fait, pour la défenderesse, de s’appuyer sur la recherche faite dans le registre pour le 166, chemin Roblin, qui a été préparée par M. Rayner, mine la crédibilité de celui‐ci.

(3) Conclusion

[153] J’accepte les conclusions du rapport de GSI de 2019 en ce qui a trait à la valeur de la propriété du demandeur, tant à l’état amélioré qu’à l’état d’inoccupation, mais je n’accepte pas le calcul de l’effet préjudiciable qui figure dans le rapport.

a) La valeur de la propriété du demandeur à l’état amélioré

[154] J’accepte la conclusion du rapport de GSI de 2019 selon laquelle la valeur de la propriété du demandeur à l’état amélioré immédiatement avant l’expropriation s’élevait à 655 000 $. La preuve de M. Lanskin à ce sujet n’a pas été contredite, et M. Lansink est le seul expert qui a évalué la totalité de la propriété du demandeur, y compris les améliorations de celle‐ci.

b) La valeur de la propriété du demandeur à l’état d’inoccupation

[155] J’accepte en outre la conclusion du rapport de GSI de 2019 selon laquelle la valeur par acre de la propriété du demandeur à l’état d’inoccupation était de 3 200 $ au moment de la prise, et la valeur des terrains requis était donc de 2 100 $ à ce moment‐là. À mon avis, la preuve de M. Lansink sur cette question est préférable à celle de M. Rayner, malgré les erreurs de M. Lansink dans le calcul de la superficie des propriétés comparables. Le rapport Rayner de 2012 se lit à bien des égards comme un sommaire, qui énonce des conclusions sans fournir de raisonnement sous‐jacent. M. Rayner fait souvent des calculs de rajustement pour les propriétés comparables sans expliquer son raisonnement en détail. Prenons l’exemple de l’indice suivant, tiré de son rapport :

[traduction]

L’indice 4 (valeur résiduelle du terrain de 225 000 $/16 779 $ par hectare – 65 000 $/4 847 $ par hectare) correspond à la vente d’un plus petit terrain situé sur le côté nord de la promenade de l’Aéroport Est, directement en face de la propriété concernée. Les emplacements situés du côté nord de la promenade de l’Aéroport sont considérés comme étant nettement avantageux par rapport à ceux situés du côté sud, étant donné le risque inhérent lié à la traversée de la voie principale du CN. Les améliorations sur les lieux consistent en une maison ancienne (179 m2) et trois granges ayant des superficies respectives de 313 m2, 28 m2 et 19 m2.

La valeur contributive des améliorations a été calculée afin d’estimer la valeur foncière résiduelle par hectare de cet indice. Ces valeurs ont été établies à 135 000 $ et à 25 000 $ respectivement pour la maison de ferme et les bâtiments secondaires. La valeur résiduelle du terrain est donc de 65 000 $, ou 4 847 $ par hectare. Cela impose un rajustement à la baisse vu l’emplacement plus avantageux.

[Non souligné dans l’original.]

[156] M. Rayner a apporté des rajustements à ses indices en fonction de plusieurs critères, comme le temps, l’emplacement, la superficie, les améliorations, etc. Cependant, la justification de ces rajustements se résume essentiellement à de brèves conclusions, telles que [traduction] l’« indice 6 doit être rajusté à la hausse en raison du temps »; les « indices 1 et 3, situés au nord de Belleville, ont été rajustés à la hausse »; les « indices 5 et 6, qui sont des emplacements de plus grande superficie, ont été rajustés à la hausse ».

[157] M. Lansink, en revanche, a fourni des raisons beaucoup plus détaillées pour justifier ses rajustements. Son processus de rajustement pour chaque indice occupe environ une demi‐page et fournit des détails tels que la superficie précise de terres exploitables et l’état des améliorations.

[158] De plus, M. Rayner manquait de crédibilité, en raison des réponses évasives qu’il a données en contre‐interrogatoire et de sa préparation relative à la recherche dans le registre pour le 166, chemin Roblin. Après avoir apprécié les calculs opaques de rajustement que M. Rayner a faits dans son analyse des comparables, à la lumière de son manque de crédibilité, je conclus que la balance penche du côté de M. Lanskin.

c) L’effet préjudiciable

[159] J’accorde peu de poids au calcul de l’effet préjudiciable présenté dans le rapport de GSI.

[160] J’ai été convaincu par les critiques formulées par M. Rayner au sujet du calcul que M. Lanskin avait fait relativement à la valeur locative de la résidence du demandeur, que je commente à partir du paragraphe 135 du présent jugement.

[161] Plus important encore, l’hypothèse que M. Lanskin a formulée pour calculer l’effet préjudiciable selon laquelle la résidence du demandeur n’était habitable que comme résidence occupée par un locataire en raison de l’élargissement du corridor ferroviaire n’a pas été établie par la preuve.

[162] Le changement apporté à l’usage de la résidence du demandeur a eu pour effet de diminuer de 245 000 $ la valeur de sa propriété. Ce chiffre représente l’ensemble des pertes pour effet préjudiciable (sans tenir compte de la perte de 2 100 $ découlant de la prise des terrains requis).

[163] M. Lansink a analysé huit [traduction] « répercussions » entraînées par l’élargissement du corridor ferroviaire qui, à son avis, ont fait passer l’usage de la résidence du demandeur d’une occupation par le propriétaire à une occupation par un locataire. Cependant, pour l’essentiel, ces répercussions se résument à une hausse des niveaux sonores post‐élargissement. En l’absence de cette hausse, la raison pour laquelle l’usage de la résidence du demandeur changerait n’est pas claire.

[164] Ainsi qu’il est expliqué à partir du paragraphe 92 du présent jugement, l’élargissement du corridor ferroviaire n’a pas engendré un changement perceptible des niveaux sonores à la résidence du demandeur. Par conséquent, je n’accorde aucun poids au calcul de l’effet préjudiciable présenté par M. Lanskin, puisque le demandeur n’a pas établi les faits sur lesquels le calcul repose.

IV. La question en litige

[165] La seule question en litige dans la présente action est de savoir si le demandeur a droit à une indemnité supplémentaire au titre de la Loi.

V. Analyse

[166] Le demandeur sollicite une somme de 967 534 $ à titre de dommages‐intérêts pour troubles de jouissance, notamment pour le déplacement de sa résidence, de façon à l’éloigner du corridor ferroviaire, au titre de l’alinéa 25(1)a) de la Loi. Subsidiairement, le demandeur sollicite une somme de 247 100 $ à titre de dommages‐intérêts pour effet préjudiciable en raison de la diminution de valeur de ce qui lui reste, au titre de l’alinéa 25(1)b) de la Loi. Le demandeur sollicite également une somme additionnelle de 1 100 $ à l’égard des terrains requis.

[167] Le paragraphe 25(1) de la Loi énonce le droit à l’indemnité que réclame le demandeur :

Droit à l’indemnité

25 (1) Une indemnité est payée par la Couronne à chaque personne qui, immédiatement avant l’enregistrement d’un avis de confirmation, était le titulaire ou détenteur d’un droit, d’un domaine ou d’un intérêt sur le bien‐fonds visé par l’avis, jusqu’à concurrence de son droit ou intérêt exproprié; le montant de cette indemnité est égal à l’ensemble des sommes suivantes :

Right to compensation

25 (1) Compensation is to be paid by the Crown to each person who, immediately before the registration of a notice of confirmation, was the owner or holder of an estate, interest or right in the land to which the notice relates, to the extent of their expropriated interest or right, the amount of which compensation is equal to the aggregate of

a) la valeur du droit ou intérêt exproprié à la date à laquelle la Couronne l’a pris;

(a) the value of the expropriated interest or right at the time of its taking, and

b) le montant de la diminution de valeur de ce qui reste au titulaire ou détenteur, déterminé conformément à l’article 27.

(b) the amount of any decrease in value of the remaining property of the owner or holder, as determined under section 27.

[168] La Loi est une loi réparatrice qui doit recevoir une interprétation large, libérale et compatible avec son objet, qui consiste à indemniser pleinement le propriétaire foncier dont le bien a été exproprié. Bien que la loi qu’elle ait interprétée était la Loi sur l’expropriation de l’Ontario, LRO 1990, c E26 (la Loi de l’Ontario), la Cour suprême du Canada a confirmé ce principe dans l’arrêt Régie des transports en commun de la région de Toronto c Dell Holdings Ltd, [1997] 1 RCS 32 (Dell Holdings) :

[20] L’expropriation d’un bien est l’un des pouvoirs gouvernementaux qui n’est exercé qu’en dernier ressort. L’expropriation totale ou partielle d’un bien appartenant à une personne constitue une grave perte ainsi qu’une atteinte très importante aux droits privés de propriété des citoyens. Il s’ensuit que le pouvoir d’une autorité expropriante devrait être interprété de façon stricte en faveur des personnes dont les droits sont touchés. [...]

[21] De plus, comme l’Expropriations Act est une loi réparatrice, elle doit recevoir une interprétation large, libérale et compatible avec son objet. Le facteur dominant est le fond, non la forme. [...]

[23] Il s’ensuit que l’Expropriations Act devrait recevoir une interprétation large et compatible avec son objet, qui consiste à indemniser pleinement le propriétaire foncier dont le bien a été exproprié.

A. Les dommages‐intérêts pour troubles de jouissance

(1) Le cadre légal

[169] L’article 26 de la Loi énonce la façon dont la valeur d’un droit ou intérêt exproprié est déterminée au titre de l’alinéa 25(1)a). Dans la présente affaire, le demandeur a droit à des dommages‐intérêts pour troubles de jouissance aux termes du sous‐alinéa 26(3)b)(ii) de la Loi relativement aux « frais, dépenses et pertes attribuables ou connexes » au trouble de jouissance découlant de l’expropriation des terrains requis :

Règles de la détermination de la valeur

Rules for determining value

26 (1) Les règles qu’énonce le présent article s’appliquent à la détermination de la valeur d’un droit ou intérêt exproprié.

26 (1) The rules set out in this section shall be applied in determining the value of an expropriated interest or right.

Valeur marchande

Market value defined

(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la valeur d’un droit ou intérêt exproprié est la valeur marchande de ce droit ou intérêt, c’est‐à‐dire le montant qui aurait été payé pour celui‐ci si, à la date à laquelle la Couronne l’a pris, il avait été vendu sur le marché libre par un vendeur consentant à un acheteur consentant.

(2) Subject to this section, the value of an expropriated interest or right is its market value, being the amount that would have been paid for the interest or right if, at the time of its taking, it had been sold in the open market by a willing seller to a willing buyer.

Lorsque le titulaire ou détenteur est requis de renoncer à l’occupation

If owner or holder required to give up occupation

(3) Lorsque le titulaire ou détenteur d’un droit ou intérêt exproprié occupait le bien‐fonds à la date d’enregistrement de l’avis de confirmation et, qu’à la suite de l’expropriation, il lui a fallu renoncer à l’occupation du bien‐fonds, la valeur du droit ou intérêt exproprié est le plus élevé des deux montants suivants :

26 (3) If the owner or holder of an expropriated interest or right was in occupation of any land at the time the notice of confirmation was registered and, as a result of the expropriation, it has been necessary for them to give up occupation of the land, the value of the expropriated interest or right is the greater of

a) la valeur marchande de ce droit ou intérêt, déterminée conformément au paragraphe (2);

(a) the market value of that interest or right determined as set out in subsection (2), and

b) l’ensemble des sommes suivantes :

(b) the aggregate of

(i) la valeur marchande de ce droit ou intérêt déterminée d’après l’usage qui en était fait à la date à laquelle la Couronne l’a pris, considéré comme s’il était le plus rémunérateur et le plus rationnel,

(i) the market value of that interest or right determined on the basis that the use to which the expropriated interest or right was being put at the time of its taking was its highest and best use, and

(ii) les frais, dépenses et pertes attribuables ou connexes au trouble de jouissance éprouvé par le titulaire ou détenteur, y compris son déménagement dans d’autres lieux [...]

(ii) the costs, expenses and losses arising out of or incidental to the owner’s or holder’s disturbance, including moving to other premises [...]

[Non souligné dans l’original.]

[emphasis added]

[170] Dans l’arrêt Dell Holdings, la Cour suprême du Canada devait décider si le propriétaire d’un bien‐fonds exproprié avait le droit de demander une indemnité au titre des pertes subies avant l’expropriation même, en raison du retard dans l’aménagement de la partie restante du bien‐fonds qui avait été occasionné par l’expropriation imminente (Dell Holdings, aux para 2‐4). La demande était fondée sur les dispositions de la Loi de l’Ontario concernant les dommages imputables à des troubles de jouissance :

Indemnité

13 (1) Lorsqu’un bien‐fonds est exproprié, l’autorité expropriante verse au propriétaire l’indemnité fixée conformément à la présente loi.

Compensation

13 (1) Where land is expropriated, the expropriating authority shall pay the owner such compensation as is determined in accordance with this Act.

Idem

(2) Lorsque le bien‐fonds d’un propriétaire est exproprié, le montant de l’indemnité à verser au propriétaire se fonde sur :

Idem

(2) Where the land of an owner is expropriated, the compensation payable to the owner shall be based upon,

[...]

b) les dommages imputables à des troubles de jouissance;

[...]

[...]

(b) the damages attributable to disturbance;

[...]

Allocation pour troubles de jouissance

Allowance for disturbance

Propriétaire autre qu’un locataire

Owner other than tenant

18 (1) L’autorité expropriante rembourse au propriétaire autre qu’un locataire, à l’égard de troubles de jouissance, les frais raisonnables qui sont les résultats normaux de l’expropriation [...]

18 (1) The expropriating authority shall pay to an owner other than a tenant, in respect of disturbance, such reasonable costs as are the natural and reasonable consequences of the expropriation [...]

[Non souligné dans l’original.]

[emphasis added]

[171] Appliquant une interprétation large et compatible avec l’objet de la Loi de l’Ontario, la Cour suprême a rejeté, dans l’arrêt Dell Holdings, l’argument selon lequel les dommages imputables aux troubles de jouissance ne peuvent être indemnisés que s’ils touchent le bien‐fonds exproprié lui‐même, et a confirmé que les dommages en question peuvent faire l’objet d’une indemnité, pourvu qu’ils n’aient pas un caractère trop indirect :

[29] La Régie a prétendu que des dommages imputables aux troubles de jouissance ne peuvent être indemnisés que s’ils touchent le bien‐fonds exproprié lui‐même et non quelque terrain adjacent que le propriétaire conserve après l’expropriation. Je ne peux accepter cette position. Rien dans le texte de l’article n’indique qu’une telle restriction s’applique aux dommages imputables aux troubles de jouissance qui peuvent à juste titre être qualifiés de résultats normaux d’une expropriation. Si l’expropriation a comme résultat normal que le propriétaire subit des pertes relativement à la partie restante d’un bien‐fonds, alors ces pertes, tout autant que celles touchant le bien‐fonds exproprié, sont visées par la définition de dommages imputables aux troubles de jouissance. Si elle avait voulu le faire, la législature aurait pu limiter les dommages imputables aux troubles de jouissance à ceux touchant le bien‐fonds exproprié. Cependant, elle a choisi d’édicter une définition non limitative et souple. Un tel choix était approprié dans une loi dont l’objet est de pourvoir au paiement d’une indemnité raisonnable pour les pertes découlant de l’acte d’expropriation. [...]

[Non souligné dans l’orignal.]

[172] L’étendue des dommages imputables aux troubles de jouissance au titre de la Loi est semblable à celle de la Loi de l’Ontario, dans la mesure où aucune des deux lois ne prévoit de restrictions, sauf en ce qui concerne la causalité. Le législateur n’a pas limité la portée du sous‐alinéa 26(3)b)(ii) de la Loi au bien‐fonds exproprié, mais a plutôt édicté une définition non limitative et souple. Par conséquent, je conclus que les énoncés précités de l’arrêt Dell Holdings s’appliquent également à la Loi : les dommages attribuables aux troubles de jouissance causés par une expropriation peuvent faire l’objet d’une indemnité au titre de la Loi, pourvu qu’ils n’aient pas un caractère trop indirect, indépendamment de la question de savoir s’ils touchent le bien‐fonds exproprié lui‐même ou le terrain adjacent que le propriétaire a conservé après l’expropriation.

[173] Cette interprétation est conforme à la jurisprudence concernant une version antérieure de la Loi. Dans l’arrêt Irving Oil Co Ltd v The King, [1946] RCS 551 aux para 28‐29, la Cour suprême du Canada a confirmé le droit de l’exproprié [traduction] « à une réparation intégrale du préjudice financier », soit des dommages‐intérêts qui couvrent [traduction] « non seulement la valeur de l’immeuble lui‐même, mais bien tout le préjudice financier qui se rattache à l’immeuble exproprié par une relation de cause à effet ».

[174] Enfin, je ne suis pas convaincu du bien‐fondé de l’argument de la défenderesse selon lequel le demandeur n’a pas droit à une indemnité au titre du sous‐alinéa 26(3)b)(ii) de la Loi, parce qu’il n’« occupait » pas les terrains requis. En particulier, la défenderesse affirme que l’occupation nécessite davantage que la simple propriété et plutôt la réelle occupation physique du bien‐fonds exproprié.

[175] À mon avis, le demandeur occupait les terrains requis à la date de l’expropriation. Ils correspondaient à la cour et à la voie d’accès de la résidence du demandeur avant l’expropriation, et ils sont contigus à la résidence où il habite à temps plein avec sa famille.

[176] La situation du demandeur est donc différente de celles qui ont été examinées dans les affaires que la défenderesse a invoquées. Dans l’affaire Bytown Lumber Co c Commission de la Capitale nationale, [1976] ACF no 602 (CF 1re inst) au para 18, il n’y avait « pas eu d’occupation physique » des terrains requis pour le compte des demanderesses. Dans le même ordre d’idées, dans l’affaire Villarboit Holdings Ltd c Canada, [1977] ACF no 1009 (CF 1re inst) au para 33, conf par [1981] ACF no 546, il a été conclu que la société demanderesse n’occupait pas son bien‐fonds qui avait été exproprié, car celui‐ci était occupé par le principal actionnaire de la demanderesse, qui était une entité juridique distincte.

(2) La demande du demandeur

[177] Le demandeur sollicite des dommages‐intérêts pour troubles de jouissance à l’égard des pertes suivantes :

  • a)le coût du déplacement de sa résidence et les frais de déménagement connexes;

  • b)le coût relatif à la réinstallation de la famille du demandeur pendant une période de 13 mois, à compter de la fin de 2012, et les frais supplémentaires relatifs à l’exploitation de la ferme pendant cette période;

  • c)le coût supplémentaire de l’exploitation de la ferme une fois que la nouvelle résidence sera construite à un emplacement plus éloigné du corridor ferroviaire et des améliorations agricoles;

  • d)le coût de la construction d’une barrière antibruit temporaire.

[178] Le demandeur affirme que le déplacement de sa résidence constitue un résultat normal de l’expropriation, parce que l’élargissement du corridor ferroviaire a engendré [traduction] « une transformation fondamentale de la nature et du caractère » de celle‐ci. En particulier, le demandeur souligne que l’élargissement a donné lieu aux changements suivants : le corridor et le trafic ferroviaires sont désormais plus proches de sa résidence; une grande partie de la protection contre le bruit, les vibrations, la lumière et les gaz d’échappement a maintenant disparu, et l’intensité sonore causée par le corridor ferroviaire à sa résidence est désormais excessive, comme le démontre l’obligation d’envisager des mesures d’atténuation aux termes des directives de Santé Canada et de la FTA.

[179] À mon avis, le demandeur n’a pas établi qu’il avait été « expulsé » de sa résidence en raison d’une hausse de l’intensité sonore causée par l’élargissement du corridor ferroviaire. Le demandeur n’a pas établi non plus que le talus au nord de sa résidence, qui permettait apparemment d’atténuer le bruit, existait au moment de la prise, du moins de la façon décrite dans le rapport ARCADIS de 2015 (voir l’analyse débutant au paragraphe 81 du présent jugement). L’idée selon laquelle la prise des terrains requis a entraîné le retrait du talus et, par conséquent, une hausse perceptible de l’intensité sonore n’est pas établie. Donc, la nécessité de déplacer la résidence du demandeur loin du corridor ferroviaire, en raison d’une hausse de l’intensité sonore, n’est pas un résultat normal de l’expropriation envisagé par le paragraphe 18(1) de la Loi.

[180] J’accepte le fait que la propriété du demandeur a été modifiée par l’expropriation même en l’absence d’une hausse perceptible du son. Cependant, le demandeur n’a pas établi comment ces changements l’avaient expulsé de sa résidence, ce qui lui donnerait droit aux dommages‐intérêts qu’il sollicite pour troubles de jouissance.

[181] Au cours de son interrogatoire principal, le demandeur a expliqué les effets néfastes de la hausse de pollution et de lumière causée par l’élargissement du corridor ferroviaire. Cependant, il n’a présenté aucune preuve d’expert visant à établir que ces effets avaient modifié fondamentalement la nature et le caractère de sa résidence, au point d’en nécessiter le déplacement.

[182] De même, le demandeur n’a présenté aucune preuve d’expert démontrant que sa résidence devrait être déplacée pour des raisons de sécurité, comme un possible déraillement de train, du fait qu’elle se trouve maintenant plus près du corridor ferroviaire. Le demandeur fait remarquer que l’Association des chemins de fer du Canada et la Fédération canadienne des municipalités, dans leurs Lignes directrices et pratiques exemplaires sur les questions de voisinage datées d’août 2007 (les lignes directrices de la FCM), recommandent une marge de recul de 30 mètres entre une résidence et une ligne principale de corridor ferroviaire ainsi qu’un talus de 2,5 mètres. Aucune de ces recommandations n’a été mise de l’avant dans le cas de la résidence du demandeur avant l’élargissement, ce qui signifie qu’aucun changement majeur n’a été apporté à la résidence du demandeur. En outre, il n’y avait aucune preuve pour démontrer que le fait de ne pas suivre à la lettre les recommandations contenues dans les lignes directrices de la FCM entraînerait un éventuel risque pour la sécurité nécessitant le déplacement de la résidence du demandeur.

[183] Les faits des décisions invoquées par le demandeur peuvent donc être distingués d’avec ceux de la présente affaire. Ces décisions concernent des cas dans lesquels l’expropriation a modifié en profondeur le reste de la propriété, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[184] Invoquant l’arrêt Patterson v British Columbia (Ministry of Transportation & Highways), [1997] BCJ No 1642, 41 BCLR (3d) 117 (CA C‐B) aux para 35‐36, le demandeur affirme que le coût du déplacement de sa résidence devrait fait l’objet d’une indemnité au titre de la Loi, parce que le bruit provenant du corridor ferroviaire est désormais [traduction] « excessif », ce qui, dans les faits, l’expulse de sa résidence.

[185] Je ne suis pas convaincu du bien‐fondé de l’argument du demandeur. Avant l’élargissement, la résidence du demandeur était une habitation rurale sur une terre agricole située à proximité d’un corridor ferroviaire occupé; après l’élargissement, la résidence du demandeur est essentiellement la même; le corridor n’est qu’un peu plus occupé et le trafic, un peu plus proche. Le demandeur n’a pas établi que ces changements nécessitaient le déplacement de sa résidence, étant donné qu’il n’a pas prouvé que le bruit provenant du corridor ferroviaire avait augmenté sensiblement après l’élargissement.

[186] Le demandeur invoque également la décision Simpson et al v Ontario Hydro, [1977] 13 LCR 376 (Simpson) au para 23, conf par [1979] 17 LCR 321, où l’autorité expropriante a pris une bande de terre située le long de la limite du bien des propriétaires et a construit une tour de transmission d’une hauteur de 140 pieds à environ 150 pieds de la demeure des propriétaires. Afin de remédier à la nuisance causée par la nouvelle tour, l’Office d’indemnisation foncière de l’Ontario a ordonné à l’autorité expropriante de dédommager le propriétaire du coût de déplacement de la résidence (Simpson, au para 37).

[187] Contrairement à la situation examinée dans la décision Simpson, le corridor ferroviaire n’a pas été aménagé sur un terrain qui était vacant avant l’expropriation, de façon à entraver l’utilisation par le demandeur d’un [traduction] « terrain boisé de rêve » (Simpson, au para 34). La résidence du demandeur était plutôt située directement à côté d’un corridor ferroviaire déjà occupé. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que l’élargissement du corridor ferroviaire a changé la nature de la résidence du demandeur d’une manière analogue à la situation dans la décision Simpson.

[188] Le même problème se pose en ce qui concerne la décision Barrick v Muskoka (District Municipality), [1991] 46 LCR 222 (Barrick), que le demandeur invoque. Dans cette affaire, la propriété en cause avait été divisée en deux parcelles par suite d’une expropriation. La propriété comportait plusieurs améliorations, que le propriétaire a démolies ou déplacées après l’expropriation (Barrick, aux para 2‐8). La Commission des affaires municipales de l’Ontario a accepté la preuve indiquant qu’il n’y avait [traduction] « aucune autre solution », sinon de déplacer la résidence en raison de la construction de la route (Barrick, aux para 22, 29). Dans la présente affaire, le demandeur n’a pas établi que l’élargissement du corridor ferroviaire nécessitait le déplacement de sa résidence.

[189] Le demandeur invoque également la décision Gustafson v Alberta, [1987] 37 LCR 45 (Gustafson). Dans cette affaire, la propriété des propriétaires comportait de nombreux projets agricoles, dont une ferme forestière et un enclos dans lequel ils élevaient des zèbres (Gustafson, au para 8). Une partie de leur propriété avait été expropriée pour permettre l’élargissement d’une autoroute adjacente (Gustafson, au para 4). Dans cette affaire, les propriétaires fonciers ont obtenu une indemnité à l’égard du coût de construction d’un enclos de remplacement ailleurs sur la propriété, parce que, si l’enclos n’était pas déplacé, il serait nécessaire d’abattre un bosquet d’arbres qui atténuaient le bruit provenant de l’autoroute :

[traduction]

[34] [...] Le seul accès à la portion de la ferme forestière qui se trouve immédiatement à l’est de l’enclos est situé vers l’extrémité nord de celui‐ci. Cet accès serait fermé par suite de la prise, de sorte qu’une autre voie d’accès doit être aménagée. À moins que l’enclos des zèbres ne soit déplacé, il sera nécessaire d’éliminer le bosquet d’arbres mentionné plus haut pour permettre cet accès.

[35] Après avoir soupesé attentivement l’ensemble de la preuve, la commission conclut que la seule solution pratique et satisfaisante pour résoudre ce problème découlant de la prise consiste à déplacer l’enclos des zèbres.

[190] À mon avis, la présente affaire est différente de la situation examinée dans la décision Gustafson. Notre Cour n’a pas pour tâche de choisir entre le déplacement de la résidence du demandeur et une autre solution qui aurait des conséquences néfastes. Si la résidence du demandeur n’est pas déplacée, la seule conséquence sera le maintien de l’intensité sonore post‐élargissement à un niveau sensiblement identique à celui qui existait avant l’élargissement. Je conclus donc que les facteurs dont la commission a tenu compte pour le déplacement de l’enclos dans la décision Gustafson ne sont pas analogues à ceux de la présente affaire.

[191] À la lumière de ce qui précède, je conclus que le demandeur n’a pas établi que l’expropriation des terrains requis et l’élargissement du corridor ferroviaire avaient modifié fondamentalement la nature et le caractère de sa propriété, au point de nécessiter le déplacement de sa résidence. Par conséquent, je rejetterai la demande du demandeur visant à obtenir des dommages‐intérêts pour troubles de jouissance.

B. L’effet préjudiciable

[192] Le demandeur prétend que l’expropriation des terrains requis et l’élargissement du corridor ferroviaire ont eu pour effet de diminuer la valeur de ce qui lui reste, et qu’il a donc droit à une indemnité pour effet préjudiciable au titre de l’alinéa 25(1)b) de la Loi.

(1) Le cadre légal

[193] L’article 27 de la Loi précise comment une diminution de valeur est calculée aux termes de l’alinéa 25(1)b) :

Diminution de la valeur de ce qui reste au titulaire ou détenteur après séparation

Decrease in value of remaining property where severance

27 (1) Le montant de la diminution de valeur, le cas échéant, de ce qui reste au titulaire ou détenteur est le montant obtenu en retranchant de la valeur de tous les droits réels immobiliers ou intérêts fonciers qu’il avait immédiatement avant la prise du droit ou intérêt exproprié, calculée conformément à l’article 26, la somme obtenue en additionnant les sommes suivantes :

27 (1) The amount of the decrease in value, if any, of the remaining property of an owner or holder is the value of all of their interests in land or immovable real rights immediately before the time of the taking of the expropriated interest or right, determined as provided in section 26, minus the aggregate of

a) la valeur du droit ou intérêt exproprié;

(a) the value of the expropriated interest or right, and

b) la valeur de tout ce qui reste de ses droits réels immobiliers ou intérêts fonciers immédiatement après le moment de la prise du droit ou intérêt exproprié.

(b) the value of all their remaining interests in land or immovable real rights immediately after the time of the taking of the expropriated interest or right.

Facteurs à considérer dans la détermination de la valeur du reste des droits ou intérêts

Factors to consider in determining change in value of remaining property

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)b), la valeur de ce qui reste des droits réels immobiliers ou intérêts fonciers du titulaire ou détenteur immédiatement après la prise du droit ou intérêt exproprié est déterminée conformément à l’article 26, sauf qu’il doit être tenu compte, dans la détermination de cette valeur, de tout accroissement ou de toute diminution de la valeur de ce qui reste des droits réels immobiliers ou intérêts fonciers détenus par le titulaire ou détenteur avec le droit ou intérêt exproprié immédiatement avant l’enregistrement de l’avis de confirmation, par suite de la construction ou de l’usage ou de la construction ou de l’usage prévus d’un ouvrage public sur le bien‐fonds visé par l’avis ou de l’usage ou de l’usage prévu de ce bien‐fonds à une fin d’intérêt public.

[Non souligné dans l’original.]

(2) For the purpose of paragraph (1)(b), the value of the owner’s or holder’s remaining interests in land or immovable real rights immediately after the time of the taking of the expropriated interest or right is to be determined as provided in section 26, except that, in determining that value, account is to be taken of any increase or decrease in the value of any remaining interests in land or immovable real rights that immediately before the registration of the notice of confirmation were held by the owner or holder together with the expropriated interest or right, resulting from the construction or use or anticipated construction or use of any public work on the land to which the notice relates or from the use or anticipated use of that land for any public purpose.

[emphasis added]

[194] Je ne suis pas convaincu du bien‐fondé de l’argument de la défenderesse selon lequel, étant donné que la troisième voie ferrée n’a pas été construite ou mise en service immédiatement après la prise des terrains requis, les effets de l’élargissement du corridor ferroviaire ne peuvent faire l’objet d’une indemnité au titre de l’article 27 de la Loi. Un acheteur consentant examinerait plutôt la propriété du demandeur immédiatement après le 24 janvier 2012 et, aux termes du paragraphe 27(2), serait au courant de la construction et de l’utilisation prévues de la troisième voie ferroviaire à venir plus tard cette année‐là. L’acheteur consentant tiendrait alors compte de ce changement pour déterminer combien il paierait pour la propriété du demandeur.

(2) La demande du demandeur

[195] Même en présumant qu’un acheteur consentant aurait été au courant de l’élargissement prévu du corridor ferroviaire, je conclus que le demandeur n’a pas établi que l’expropriation des terrains requis avait eu pour effet de diminuer la valeur de sa propriété.

[196] La demande du demandeur pour effet préjudiciable est fondée sur la conclusion relative au « scénario C » du rapport de GSI de 2019 déposé par M. Lanskin et examiné au paragraphe 125 du présent jugement. L’analyse relative à l’effet préjudiciable faite par M. Lanskin repose sur l’hypothèse formulée selon laquelle la résidence du demandeur ne peut convenir qu’à des fins de location, en raison principalement de la hausse du son causée par l’élargissement du corridor ferroviaire. Cependant, le demandeur n’a pas réussi à établir que l’intensité sonore à sa résidence avait augmenté sensiblement après l’élargissement, cela ayant eu pour effet de miner l’hypothèse que M. Lanskin a invoquée dans son analyse de l’effet préjudiciable.

[197] M. Rayner a également relevé plusieurs problèmes quant à la façon dont M. Lanskin avait déterminé la valeur locative (voir le paragraphe 135 du présent jugement), lesquels m’apparaissent convaincants. Eu égard à ces problèmes, j’accorde moins de poids à l’analyse de l’effet préjudiciable faite par M. Lanskin, laquelle repose en partie sur sa détermination de la valeur locative.

[198] Enfin, je conclus que l’hypothèse formulée par M. Lanskin selon laquelle la résidence du demandeur ne peut convenir qu’à des fins de location n’est pas solide sur le plan de la logique. Le demandeur n’a pas établi les raisons pour lesquelles il était incapable de vivre dans la résidence comme propriétaire, alors qu’une personne dont on peut supposer qu’elle a la même capacité auditive ainsi qu’une sensibilité égale à la lumière et à la pollution serait capable d’y vivre en qualité de locataire.

(3) Le nouveau moyen de défense

[199] La défenderesse a soulevé un nouveau moyen de défense dans ses observations préliminaires : elle a prétendu que les répercussions de l’élargissement du corridor ferroviaire à la résidence du demandeur ne pouvaient faire l’objet d’une indemnité au titre du paragraphe 27(2) de la Loi, parce que la troisième voie a été construite à l’intérieur du droit de passage existant du CN, et non à l’intérieur des terrains requis. L’argument de la défenderesse est fondé sur la « règle d’Edwards », principe qui découle de l’arrêt Edwards v Minister of Transport, [1964] 2 QB 134, de la Cour d’appel de l’Angleterre, et qui serait, de l’avis de la défenderesse, incorporé dans le paragraphe 27(2) de la Loi. Selon la règle d’Edwards, le propriétaire d’un bien‐fonds exproprié ne peut obtenir d’indemnité à l’égard des effets préjudiciables découlant de l’utilisation d’un bien‐fonds acquis d’autres propriétaires ou qui appartenait déjà à l’autorité publique (E. Todd, The Law of Expropriation and Compensation in Canada, 2e ed. (Scarborough (Ont) : Carswell, 1992) à la p 338).

[200] La défenderesse n’a pas invoqué son argument concernant la règle d’Edwards dans sa défense et, par conséquent, je refuse de l’examiner. Selon le paragraphe 181(1) des Règles, les actes de procédure doivent contenir des précisions sur chaque allégation. Il est bien reconnu en droit que les actes de procédure doivent énoncer tout argument qu’une partie a l’intention d’invoquer afin d’éviter des pièges pendant le procès (Midland Resources Holding Limited v Shtaif, 2017 ONCA 320 au para 110). Dans la présente affaire, la défenderesse a soulevé son argument concernant la règle d’Edwards à l’aube de l’instruction, ce qui a empêché le demandeur de savoir à quoi il devait répondre et de structurer sa cause en conséquence.

C. La valeur restante des terrains requis

[201] Le demandeur prétend qu’il a droit à une somme de 1 100 $ à titre d’indemnité supplémentaire pour les terrains requis au titre de l’alinéa 25(1)a) de la Loi. Se fondant sur l’évaluation présentée dans le rapport de Rayner de 2012, la défenderesse a versé au demandeur une indemnité de 1 000 $ pour les terrains requis. Le demandeur affirme que la valeur des terrains requis au moment de leur prise s’élevait en réalité à 2 100 $, invoquant à cet égard l’évaluation présentée dans le rapport de GSI de 2019.

[202] Pour les raisons exposées à partir du paragraphe 155 du présent jugement, j’accepte l’évaluation des terrains requis faite par M. Lanskin, plutôt que celle de M. Rayner. Par conséquent, je conclus que le demandeur a droit à une indemnité supplémentaire de 1 100 $ pour les terrains requis.

VI. Conclusion

[203] Le demandeur n’a pas établi que l’élargissement du corridor ferroviaire avait donné lieu à une hausse perceptible du bruit à sa résidence. Par conséquent, je conclus que sa demande d’indemnité pour troubles de jouissance et effet préjudiciable doit être rejetée. Cependant, j’accepte le fait que les terrains requis valaient 2 100 $ au moment de la prise. Par conséquent, je conclus que le demandeur a droit à une somme de 1 100 $ à titre d’indemnité supplémentaire pour les terrains requis.

VII. Les dépens

[204] Les parties ont demandé la possibilité de présenter des observations sur les dépens. Je les encourage à en arriver à une entente à ce sujet. Si elles ne peuvent y parvenir, elles pourront présenter des observations écrites en respectant le calendrier suivant :

  • a)dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, le demandeur pourra déposer des observations dans une lettre ne dépassant pas cinq pages, à laquelle il pourra joindre en annexe un mémoire de dépens;

  • b)dans les 10 jours suivant la réception des observations du demandeur, la défenderesse pourra déposer des observations dans une lettre ne dépassant pas cinq pages, à laquelle elle pourra joindre en annexe un mémoire de dépens et/ou un document, d’au plus deux pages, portant sur des articles précis du mémoire de dépens du demandeur (s’il en a déposé un);

  • c)dans les cinq jours suivant la réception des observations de la défenderesse, le demandeur pourra déposer des observations en réplique dans une lettre ne dépassant pas deux pages, à laquelle il pourra joindre en annexe un document, d’au plus deux pages, portant sur des articles précis du mémoire de dépens de la défenderesse (si elle en a déposé un).


JUGEMENT dans le dossier T‐967‐16

LA COUR STATUE :

  1. Le demandeur n’a droit qu’à une somme de 1 100 $ à titre d’indemnité supplémentaire.

  2. Les parties peuvent présenter des observations sur les dépens en respectant le calendrier exposé dans les motifs du jugement.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‐traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐967‐16

 

INTITULÉ :

SHAWN SOMERVILLE MILNE c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 22, 23, 24, 25, 29, 30 ET 31 MARS 2021, AINSI QUE les 1ER ET 27 AVRIL 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge AHMED

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Ian Mathany

Sean Gosnell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jacqueline Dais‐Visca

Wendy Wright

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M&H LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

[traduction]

Annexe A : Exposé conjoint des faits

[1] Depuis le milieu des années 1800, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) exploite une ligne principale double entre Montréal et Toronto, le long du côté sud de la promenade de l’Aéroport, entre Belleville et Napanee (ligne connue comme le corridor de Marysville).

[2] La « propriété en cause » est une terre de 95 acres dont l’adresse municipale est le 464, chemin Mitchell, à Belleville, en Ontario, et qui est adjacente au côté sud du corridor de Marysville, dans la région de Belleville. La propriété en cause est située entre les points miliaires 216,01 et 216,23, dans la subdivision de Kingston.

[3] Avant l’expropriation et la construction du « projet » :

  • a)la résidence était située à environ 112 pieds (34,14 mètres) de la voie ferrée la plus au sud;

  • b)la résidence était située à environ 83 pieds (25,3 mètres) du corridor ferroviaire/droit de passage;

  • c)le côté nord de la propriété en cause était délimité notamment par un talus de terre et de la végétation qui servaient d’écran visuel pour la résidence par rapport au corridor ferroviaire/droit de passage.

Le projet

[4] Le 16 juillet 2009, le gouvernement du Canada et VIA ont lancé le plan d’amélioration des corridors (le projet), le plus important programme fédéral d’amélioration du rail voyageurs entrepris dans le triangle Montréal‐Ottawa‐Toronto. Le projet comprenait la construction d’une troisième voie ferrée le long des voies ferrées doubles existantes du CN à plusieurs endroits, y compris le corridor de Marysville. Afin de permettre la construction du projet, certains terrains adjacents au corridor ferroviaire existant étaient requis, notamment des terrains faisant partie de la propriété en cause.

[5] Plus précisément, une bande de terre de 0,64 acre longeant le côté sud du corridor ferroviaire existant (bande le long du côté nord de la propriété en cause) a été désignée comme étant requise pour le projet (les terrains requis).

[6] La résidence n’était/n’est pas située sur les terrains requis.

[7] Conformément à l’avis de confirmation de l’intention d’exproprier, enregistré sous le numéro HT117933, les terrains requis ont été expropriés pour les besoins du chemin de fer.

[8] Une partie des terrains requis (0,587 acre) était grevée d’une servitude hydroélectrique enregistrée sur la partie 2 du plan 21R‐23352. Selon le document THD8282, la servitude a été enregistrée sur le titre de la propriété en cause le ou vers le 17 mai 1933. La servitude visait à permettre l’installation et l’entretien de trois poteaux sur les terrains qu’elle grevait. À la date de l’expropriation, la servitude n’était pas utilisée, et il n’y avait aucun poteau électrique sur les terrains qu’elle grevait.

Les négociations précédant l’expropriation

[9] Vers le mois de juillet de 2009, le CN a approché M. Milne au sujet de l’achat des terrains requis pour les besoins du projet.

[10] Le 4 décembre 2009, comme le montre le compte rendu de la réunion préparé par M. Milne, celui‐ci a rencontré des représentants du CN et leur a fait part de ses préoccupations au sujet du projet, notamment la hausse du bruit, le risque que les vibrations n’endommagent sa maison, la marge de recul et la sécurité, la concentration de créosote, la pollution, l’utilisation de l’éclairage à pleine intensité, ainsi que le caractère adéquat de l’examen environnemental préalable fait à l’égard du projet.

[11] Les négociations en vue de l’achat des terrains requis se sont poursuivies entre juillet 2009 et septembre 2010 environ. Dans le cadre de ces négociations, les parties se sont échangé des offres afin d’établir les modalités relatives à l’achat des terrains requis.

L’expropriation

[12] Le 10 septembre 2010, VIA a écrit au ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et au ministre d’État (Transports) afin de demander l’expropriation des terrains requis (la demande d’expropriation), soit les parties 1, 2 et 3 sur le plan 21R‐23352, sauf en ce qui a trait à une servitude grevant la partie 2 sur le même plan.

[13] Le 24 novembre 2010, Transports Canada a informé M. Milne de la demande d’expropriation de VIA et a joint à sa lettre la demande du 10 septembre de VIA adressée aux ministres Chuck Strahl et Rob Merrifield.

[14] Le 2 décembre 2010, le CN a écrit à M. Milne, conformément au paragraphe 8(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire (Avis de travaux ferroviaires), afin de l’informer de son intention de construire une troisième voie ferrée entre les points miliaires 216,01 et 216,23 à Belleville.

[15] Dans un document intitulé [traduction] « Avis d’approbation du ministre des Transports au titre du paragraphe 10(3) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, LRC 1985, c 32 (4e suppl) », qui porte la date du 8 juillet 2011, le ministre des Transports a approuvé le projet à la condition que le CN adhère à certaines modalités. Aucune allégation n’a été formulée dans la présente action ou à l’instruction au sujet des modalités énoncées dans l’avis d’approbation.

[16] Le 21 septembre 2011, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics), aujourd’hui appelé Services publics et Approvisionnement Canada, a enregistré [traduction] l’« avis d’intention d’exproprier de la Couronne » sur le titre de la propriété en cause.

[17] Le 28 septembre 2011, l’avis d’intention d’exproprier a été signifié à M. Milne.

[18] M. Milne a signifié par écrit au ministre des Transports son opposition à l’expropriation envisagée, conformément à l’article 9 de la Loi sur l’expropriation, et l’audience publique prévue à l’article 10 de cette loi a eu lieu le 13 décembre 2011 à Belleville, en Ontario.

[19] Le 20 décembre 2011, l’enquêteur a communiqué son [traduction] « rapport de l’enquêteur » concernant l’opposition de M. Milne à l’expropriation des terrains requis.

[20] Le 23 janvier 2012, après avoir examiné le rapport de l’enquêteur, le ministre des Travaux publics a signé l’avis de confirmation de l’intention d’exproprier.

[21] Le 24 janvier 2012, le Canada a enregistré son avis de confirmation de l’intention d’exproprier sur le titre des terrains requis, dans un document portant le numéro HT117933, devenant ainsi le propriétaire légal des terrains en question (l’expropriation).

[22] Le ou vers le 24 janvier 2012, le Canada a présenté à M. Milne une offre d’indemnité, prévue par l’article 16 de la Loi sur l’expropriation, soit une somme de 1 000 $ pour les terrains requis, offre fondée sur le rapport d’évaluation indépendante fourni par S. Rayner & Associates. M. Milne a accepté l’offre d’indemnité prévue par la loi dans une lettre datée du 13 juin 2016, et la Couronne a effectué le paiement à M. Milne, au moyen d’un chèque portant la date du 25 juillet 2018.

[23] Le 25 janvier 2012, Travaux publics a signifié à M. Milne, comme le prévoit la loi, l’avis de confirmation de l’intention d’exproprier, le rapport de l’enquêteur et l’exposé des motifs de la décision du ministre de ne pas donner suite aux objections.

La construction du projet

[24] La troisième voie ferrée a été construite sur le côté sud du corridor ferroviaire existant et à l’intérieur du droit de passage existant du côté nord de la propriété en cause.

[25] Par suite de l’expropriation et de la construction du projet :

  • a)la résidence est désormais située à environ 98 pieds (29,87 mètres) au sud de la nouvelle troisième ligne principale après la construction de celle‐ci;

  • b)la maison résidentielle est désormais située à environ 48 pieds (14,6 mètres) au sud du corridor ferroviaire;

  • c)le talus de terre et la végétation qui se trouvaient sur les terrains requis ont été retirés.

[26] La construction du projet a débuté le ou vers le 24 avril 2012.

[27] La troisième voie a été mise en service le 24 novembre 2012.


Annexe B : Glossaire

Ldn

Mesure des niveaux sonores au cours d’une seule journée. On la calcule en combinant le niveau sonore diurne (Ld) pendant la période de 15 heures comprise entre 7 h et 22 h et le niveau sonore nocturne (Ln) pendant la période de neuf heures comprise entre 22 h et 7 h, de manière à obtenir une moyenne logarithmique pondérée ou le Ldn.

% HA

Le pourcentage de personnes pour lesquelles les données d’enquêtes prédisent qu’elles devraient être très gênées par l’intensité sonore à un niveau donné.

Terrains requis

Le bien‐fonds exproprié de la propriété du demandeur par la défenderesse.

Le CN

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

Pré‐élargissement/post‐élargissement

Avant/après l’élargissement du corridor ferroviaire.

Corridor de Marysville

Le tronçon du corridor ferroviaire qui est adjacent à la propriété du demandeur.

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