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Date : 20210719


Dossier : IMM-2663-20

Référence : 2021 CF 761

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

DARLY SHAWN CRITES MARCELIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse est citoyenne de Haïti. Elle réside présentement aux États-Unis, où elle a fait des études en biologie de 2014 à 2018 et travaille dans le domaine des soins infirmiers depuis 2015. Elle bénéficie d’un statut temporaire protégé aux États-Unis depuis 2010 puisque son père travaille pour les Nations-Unies et a été en mesure d’envoyer ses enfants étudier aux États-Unis après les tremblements de terre en Haïti en 2010.

[2] Le 5 décembre 2019, la demanderesse est acceptée dans le programme de Baccalauréat spécialisé en sciences des aliments et de la nutrition à l’Université d’Ottawa. Elle présente une demande de permis d’études qui est refusée le 2 avril 2020.

[3] Par l’entremise d’une représentante en immigration, la demanderesse dépose le mois suivant une nouvelle demande de permis d’études. Celle-ci est refusée le 15 mai 2020. L’agent indique dans sa lettre de refus ne pas être convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour, considérant la raison de sa visite au Canada.

[4] Les notes consignées au Système mondial de gestion des cas [SMGC], qui font partie des motifs de la décision, mentionnent, entre autres, ce qui suit :

  • - La demanderesse a étudié en biologie de 2014 à 2018 et travaille dans le domaine des soins infirmiers aux États-Unis depuis 2015;

  • - Le plan d’études est vague et ne permet pas de déceler un plan de carrière précis pour lequel le programme d’études serait un atout;

  • - Il y a peu d’indications que ce programme est une progression logique des études antérieures de la demanderesse;

  • - La demanderesse pourrait poursuivre le même genre de programme aux États-Unis; et

  • - La lettre de motivation mentionne que la demanderesse a reçu une offre d’emploi informelle, mais elle n’a soumis aucune preuve pour supporter cette allégation.

[5] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de ce refus. Elle soutient que la décision de l’agent est déraisonnable et que l’agent a violé l’équité procédurale. Elle allègue avoir soumis suffisamment d’éléments de preuve pour que l’agent conclue que la raison de sa visite au Canada est une suite logique de ses études et emplois antérieurs. Elle rappelle avoir fait des études en biologie et estime que sa lettre de motivation et ses soumissions démontraient clairement pourquoi elle avait choisi cette formation universitaire et que son objectif était de devenir une diététicienne nutritionniste. Elle reproche également à l’agent de ne pas avoir motivé sa décision et d’avoir omis de tenir compte des autres éléments de preuve permettant de conclure qu’elle quitterait le Canada à la fin de ses études. Enfin, elle prétend que l’agent aurait dû lui permettre de répondre à ses préoccupations avant de rejeter sa demande, violant ainsi l’équité procédurale.

[6] La Cour ne peut souscrire aux arguments de la demanderesse.

[7] La norme de contrôle applicable lors de l’examen d’une demande de permis d’études par un agent des visas est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]; Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282 au para 5; Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472 au para 9). Contrairement à ce qui est allégué par la demanderesse, la suffisance des motifs ne relève pas de l’équité procédurale sauf s’il y a absence totale de motifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14-16 [Newfoundland Nurses]).

[8] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

[9] Dans le contexte des décisions rendues par les agents de visas, il importe de rappeler qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des motifs exhaustifs pour que la décision soit raisonnable (Vavilov aux para 91, 128; Hajiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 71 au para 6).

[10] Quant à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, le rôle de cette Cour est de déterminer si le processus suivi par le décideur était équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-56; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[11] La Cour est d’accord avec la demanderesse que le programme universitaire en sciences des aliments et de la nutrition peut constituer une suite logique pour un étudiant qui a étudié antérieurement en sciences biologiques dans la mesure où les deux (2) programmes sont liés au domaine de la santé. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas. Les sciences biologiques comportent plusieurs autres facettes telles que les plantes et les animaux.

[12] En l’espèce, la demanderesse n’articule pas cette suite logique dans sa lettre de motivation ou dans ses soumissions à l’agent. Elle indique seulement avoir obtenu un diplôme en biologie et vouloir poursuivre ses études dans le programme de Baccalauréat spécialisé en sciences des aliments et de la nutrition. La demanderesse ne fournit aucun détail sur les deux (2) programmes et n’indique pas qu’il s’agit en effet d’une progression naturelle de ses études. Elle ne mentionne pas non plus son travail dans le domaine des soins infirmiers. Elle affirme simplement vouloir étudier au Canada en raison de ses hauts standards académiques et de la réputation des professeurs de l’Université d’Ottawa dans ce domaine. Elle n’élabore pas sur cette réputation et n’indique pas si le programme convoité est offert aux États-Unis et comment il se compare à celui de l’Université d’Ottawa.

[13] Elle ajoute qu’après ses études, elle entend retourner en Haïti avec ses nouvelles connaissances dans le domaine des aliments et de la nutrition afin d’éduquer sa communauté sur l’importance de la nutrition. Elle ne précise pas comment et à quel titre. Elle indique ensuite avoir reçu une offre informelle d’emploi en Haïti et que les perspectives d’emploi dans ce domaine sont élevées en Haïti. Toutefois, elle ne fournit pas une preuve de l’offre d’emploi ou des perspectives d’emploi. Bien qu’une copie de cette lettre ait été produite comme pièce A-5 dans son dossier de demande devant cette Cour, la demanderesse a reconnu à l’audience que celle-ci n’était pas devant l’agent au moment de la prise de décision. Il en est de même pour les pièces A-3 et A-8. La demanderesse n’a pas démontré que les nouveaux documents joints à son affidavit tombaient dans l’une des exceptions énoncées dans Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22. Pour cette raison, la Cour ne peut en tenir compte.

[14] La Cour note de plus que la lettre de soumissions écrite par la représentante de la demanderesse fournit encore moins de détail sur les motivations de la demanderesse, son choix de programme d’études et ses objectifs de carrière à long terme. Elle indique uniquement que la formation choisie est en lien avec les offres que la demanderesse a reçues. Or, le dossier devant l’agent ne contenait aucune preuve à cet effet.

[15] Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il était tout à fait raisonnable pour l’agent de juger que le plan d’études soumis par la demanderesse était vague et ne permettait pas de déceler un plan de carrière précis pour lequel le programme d’études serait un atout ou constituait une progression logique des études et emplois antérieurs de la demanderesse. La Cour est également d’avis qu’il était loisible à l’agent de questionner pourquoi la demanderesse ne pouvait pas suivre le même programme aux États-Unis. Elle est aux États-Unis depuis plusieurs années et elle y a fait une partie de ses études secondaires et postsecondaires. Elle envisage de suivre le programme à l’Université d’Ottawa en anglais et elle n’a pas démontré qu’un tel programme n’était pas offert aux États-Unis.

[16] Pour ce qui est des arguments de la demanderesse concernant les autres éléments de preuve, qui selon elle, démontraient qu’elle retournerait en Haïti à la fin de son séjour, il importe de rappeler que l’agent est présumé avoir évalué et considéré tous les éléments de preuve qui lui sont présentés à moins de preuve contraire (Newfoundland Nurses au para 16 ; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1).

[17] La demanderesse n’a pas démontré que l’agent a omis de considérer certains éléments en l’espèce. Au contraire, selon les notes consignées au SMGC, il est clair de par la mention « Funds Ok » [traduction] « Fonds Ok. » que l’agent a tenu compte de la situation financière de la demanderesse et a conclu que celle-ci n’était pas problématique. Pour ce qui est de la déclaration du père de la demanderesse que celle-ci allait revenir en Haïti à la fin de ses études, cet élément n’est pas suffisant pour établir que la demanderesse quittera le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.

[18] Quant à l’argument soulevé par la demanderesse à l’audience selon lequel l’agent aurait dû lui permettre de répondre à ses préoccupations, cet argument est mal fondé. Cette obligation incombe seulement lorsque l’agent des visas soulève des doutes quant à la crédibilité, la véracité ou l’authenticité des renseignements présentés à l’appui d’une demande. En l’espèce, la décision de l’agent est fondée sur le caractère suffisant des éléments de preuve présentés par la demanderesse et son défaut de satisfaire les exigences législatives (Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 aux para 36-38). L’agent n’était pas tenu de fournir à la demanderesse l’occasion de présenter des preuves additionnelles ou de l’informer de ses préoccupations. La demanderesse n’a pas démontré de manière satisfaisante un manquement à l’équité procédurale.

[19] Pour conclure, il incombait à la demanderesse de prouver qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour. Considérant la documentation déposée par la demanderesse, l’agent pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau et rejeter sa demande de permis d’études. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec la conclusion de l’agent, il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser à nouveau la preuve pour en arriver à une conclusion différente (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59). Par ailleurs, la demanderesse n’a pas démontré une violation de l’équité procédurale.

[20] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-2663-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2663-20

INTITULÉ :

DARLY SHAWN CRITES MARCELIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUILLET 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JUILLET 2021

COMPARUTIONS :

Laurent Gryner

Pour LA DEMANDERESSE

Simone Truong

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Laurent Gryner

Montréal (Québec)

Pour LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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