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Date : 20210719


Dossier : IMM‑1744‑20

Référence : 2021 CF 764

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ABEER QITA

demanderesse

et

CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Au plus fort de la crise des réfugiés syriens, alors que la planète entière était témoin d’une catastrophe humanitaire, Mme Abeer Qita, ancienne consultante en immigration, a vu une occasion économique à saisir.

[2] Mme Qita s’est engagée auprès d’environ 210 clients pendant l’assouplissement temporaire des critères d’admissibilité du programme de parrainage privé des réfugiés (le programme de parrainage), qui avaient été établis en réponse à la guerre civile et aux conflits connexes qui faisaient rage en Syrie. Ce faisant, elle a fait de fausses représentations sur les règles et exigences du programme de parrainage afin de convaincre les réfugiés de constituer leurs propres fonds d’établissement et de payer divers frais dont le paiement était interdit. La majorité des clients de Mme Qita ont été déboutés de leurs demandes, et Mme Qita a refusé de leur rembourser les sommes auxquelles ils avaient droit à moins qu’ils ne signent une déclaration l’exonérant de toute responsabilité. En raison notamment de ce comportement, le Comité de discipline (le Comité) du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada (le CRCIC) a conclu que Mme Qita avait contrevenu au Code d’éthique professionnelle (le Code) du CRCIC et a révoqué son permis d’exercice.

[3] Mme Qita sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision du Comité. Elle soutient notamment que celui‑ci a commis une erreur en ne justifiant pas sa décision au regard de la jurisprudence pertinente, en la tenant responsable d’actions dont elle n’était pas responsable et en lui infligeant une sanction disproportionnée.

[4] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que la décision du Comité est raisonnable. Le Comité a conclu que Mme Qita avait contrevenu au Code et a décidé de révoquer l’adhésion de celle‑ci au CRCIC d’une façon qui était intrinsèquement cohérente et justifiée au regard des faits et du droit pertinents. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits

A. Le CRCIC

[5] Ma collègue la juge Fuhrer a décrit correctement l’objet et les pouvoirs du CRCIC dans la décision Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada c Rahman, 2020 CF 832 (Rahman) :

[6] Le CRCIC est l’organisme de réglementation national que le gouvernement fédéral a désigné pour superviser dans l’intérêt public les professionnels en immigration agréés […] Il a pour mandat de protéger les clients des services d’immigration et de préserver l’intégrité du système canadien d’immigration et de citoyenneté grâce à une réglementation efficace des consultants en immigration. Il s’acquitte de ce mandat en faisant respecter parmi ses membres des normes professionnelles et éthiques. Le défendeur est un membre du CRCIC qui fournit des services de consultation en immigration.

[Renvois omis.]

B. Le programme de parrainage

[6] Dans le cadre du programme de parrainage, un ressortissant étranger à l’extérieur du Canada peut être parrainé par un particulier, un groupe ou une personne morale du Canada conformément au paragraphe 13(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) :

Parrainage de l’étranger

Sponsorship of foreign nationals

13 (1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations — peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

13 (1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law — or any combination of them — may sponsor a foreign national, subject to the regulations.

[7] Les règles régissant le programme de parrainage (les règles concernant le parrainage) ne sont pas codifiées en entier dans la LIPR ou dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR); il faut également consulter les divers programmes, politiques et guides adoptés par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

[8] Pour déterminer si Mme Qita avait contrevenu au Code, le Comité a accepté le témoignage d’experts en droit de l’immigration afin de comprendre la portée des règles concernant le parrainage. Ces experts ont affirmé que les principes suivants sont fondamentaux pour le programme de parrainage :

  • a) Le répondant doit fournir au réfugié un soutien financier sous la forme d’un « fonds d’établissement ».

  • b) Le réfugié n’est pas tenu de payer le répondant ou de verser une contribution au fonds d’établissement. Bien que le réfugié puisse assumer une partie ou la totalité de ses coûts d’établissement une fois qu’il est établi au Canada, ce paiement ne doit pas être versé directement au répondant.

  • c) Le répondant ne doit pas tirer un avantage du parrainage.

  • d) Le réfugié ne doit verser aucuns frais ni don directement au répondant, même si les frais sont autorisés.

[9] Le 19 septembre 2015, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a mis en place la Politique d’intérêt public temporaire visant à faciliter le parrainage des réfugiés syriens et iraquiens par les groupes de cinq et les répondants communautaires (la politique temporaire) pour faciliter le rétablissement de ressortissants de la Syrie et de l’Iraq voulant fuir la guerre dans leurs pays d’origine. La politique temporaire a été renouvelée le 20 septembre 2016 et à nouveau le 19 décembre 2016 pour une année supplémentaire (Ibid c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 359 (Ibid) au para 5).

[10] En vertu des pouvoirs conférés au ministre par l’article 25.2 de la LIPR, la politique temporaire exemptait les ressortissants étrangers syriens et iraquiens qui avaient fui leur pays de nationalité ou de résidence habituelle de l’obligation de se conformer à certaines exigences qui s’appliquent normalement selon les règles concernant le parrainage. Ces exemptions visaient notamment l’obligation pour ces ressortissants, aux termes de l’alinéa 153(1)b) du RIPR, d’avoir en leur possession un document émanant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou d’un État étranger leur reconnaissant le statut de réfugié, ainsi que l’obligation, aux termes de l’article 307 du RIPR, de payer des frais d’examen (Ibid, au para 7).

C. La demanderesse

[11] Mme Qita est devenue consultante en immigration agréée le 17 janvier 2012. Elle a exercé ses activités par l’entremise de l’entreprise Fast to Canada (FTC) jusqu’à la cessation de son emploi le 10 juin 2019. Mme Qita était la seule consultante en immigration agréée au sein de FTC avant que son ex‑époux et copropriétaire de FTC, M. Osama Ebid, devienne lui aussi consultant en immigration agréé en octobre 2018.

[12] Le 28 janvier 2016, FTC a travaillé en collaboration avec la Canada Newcomers and Immigration Association (la CNIAP) afin de parrainer des réfugiés dans le cadre du programme de parrainage. Par l’entremise de FTC, Mme Qita s’est ensuite engagée par contrat auprès d’environ 210 clients qui souhaitaient entrer au Canada conformément à la politique temporaire. Mme Qita a fait la promotion de ses services auprès de ressortissants syriens et iraqiens qui vivaient à l’extérieur de leur pays et qui disposaient de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins après leur arrivée au Canada.

[13] Le 19 avril 2016, le réseau anglais de la Société Radio-Canada (la SRC) a publié un article de presse selon lequel FTC exigeait des demandeurs d’asile qu’ils paient pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement, ce qui allait à l’encontre des règles concernant le parrainage.

[14] Après la publication de l’article de la SRC, le CRCIC a mené une enquête au sujet de Mme Qita et de ses manquements au Code. Le 11 avril 2017, le CRCIC a renvoyé le dossier au Comité de discipline pour qu’il rende une décision à ce sujet.

D. La décision faisant l’objet du contrôle

[15] Dans une décision de plus de 30 pages rendue le 20 janvier 2020, le Comité a conclu que Mme Qita avait commis de multiples contraventions au Code, notamment quant à ses obligations d’agir avec honnêteté et franchise, d’agir de bonne foi et de communiquer avec le client en temps opportun et efficacement. Le Comité a conclu que Mme Qita avait contrevenu au Code, notamment :

  • a) en exigeant de ses clients qu’ils paient pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement, alors qu’il était généralement reconnu au sein de l’industrie de l’immigration que cette pratique était interdite;

  • b) en prétendant que seuls les clients potentiels ayant la « capacité financière » voulue pouvaient présenter une demande au programme de parrainage. Selon les règles concernant le parrainage, la capacité financière n’est pas un facteur à prendre en compte lors de l’examen d’une demande d’asile;

  • c) en recueillant pour le compte de la CNIA des dons et des frais que certains clients croyaient être obligatoires. Les répondants ne devaient pas solliciter de dons des réfugiés selon les règles concernant le parrainage. Même si des frais administratifs « modestes » étaient autorisés, les réfugiés ne devaient pas payer les frais eux‑mêmes;

  • d) en obligeant les clients à payer des frais administratifs de 678 $ pour la constitution de leurs fonds d’établissement. Pour les quelque 175 clients dont la demande a été rejetée et qui n’ont donc pas reçu leurs fonds d’établissement, ces frais représentaient une somme de plus de 110 000 $ en honoraires non gagnés perçus par FTC pour le compte de la CNIA. Selon les règles concernant le parrainage, il était interdit aux répondants de tirer un avantage du programme;

  • e) en refusant de rembourser les paiements auxquels certains clients avaient droit à moins que ceux‑ci n’aient signé une déclaration exonérant Mme Qita de toute responsabilité;

  • f) en faisant de fausses déclarations au sujet de la politique temporaire, c’est-à-dire en informant les clients qu’il n’y avait aucune possibilité de rejet, à moins que le demandeur n’ait un problème médical ou un problème de sécurité important ou qu’il n’ait fourni de faux renseignements dans sa demande;

  • g) en omettant d’informer les clients des motifs pour lesquels leurs demandes étaient rejetées ou en présentant ces motifs de façon erronée.

[16] Dans sa décision du 17 avril 2020, le Comité a révoqué l’adhésion de Mme Qita au CRCIC en raison de la conduite inacceptable de celle‑ci et lui a notamment ordonné de verser une somme de 50 000 $. Mme Qita sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, y compris la décision sous‑jacente que le Comité a rendue le 20 janvier 2020.

III. Question préliminaire : admissibilité de l’affidavit de Mme Qita

[17] Le défendeur soutient que les affidavits de Mme Qita, souscrits le 23 juillet 2020 et le 31 mars 2021, ne sont pas admissibles, car ils visent à présenter en preuve des éléments qui n’étaient pas à la disposition du Comité lorsqu’il a rendu sa décision.

[18] Les éléments de preuve qui n’étaient pas à la disposition du décideur ne sont généralement pas admissibles en preuve lors du contrôle judiciaire (Brink’s Canada Limitée c Unifor, 2020 CAF 56 au para 13; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 (Delios) au para 42; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 (Access Copyright) au para 19). Selon la logique qui sous‑tend cette règle, le rôle des cours de révision consiste à réviser les décisions administratives et non à trancher à nouveau des questions qui n’avaient pas été soulevées devant le décideur ou dont celui‑ci n’avait pas été correctement saisi (Bernard c Canada (Agence du revenu du Canada), 2015 CAF 263 (Bernard) au para 17, citant Access Copyright, au para 19).

[19] Il existe trois exceptions reconnues à cette règle : (i) les éléments de preuve qui fournissent des renseignements généraux ne portant pas sur le fond de la décision; (ii) les éléments de preuve qui montrent une conclusion de fait non étayée; (iii) les éléments de preuve se rapportant à une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de but illégitime ou de fraude qui n’auraient pas pu être présentés au décideur (Bernard, aux para 20‑28; Access Copyright, au para 20).

[20] Je conviens avec le défendeur que de nombreuses affirmations dans les affidavits de Mme Qita et les pièces qui y sont jointes sont inadmissibles parce qu’elles n’ont pas été présentées au Comité. En conséquence, je ne tiendrai pas compte de la preuve de Mme Qita qui ne figure pas également dans le dossier certifié du tribunal et ne fournit pas de renseignements généraux.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[21] La seule question que soulève la demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision du Comité est raisonnable, plus précisément :

  1. La décision du Comité est-elle justifiée au regard de la décision Ibid?

  2. Le Comité a‑t‑il commis une erreur en concluant que Mme Qita était responsable de la conduite des mandataires de FTC?

  3. Le Comité a‑t‑il commis une erreur en concluant que Mme Qita a fait preuve d’inconduite en conservant des sommes destinées à la CNIA?

  4. La sanction imposée par le Comité est-elle proportionnée?

[22] Je conviens avec le défendeur que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique au contrôle de la décision du Comité (Rahman, aux para 9‑13, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov)).

[23] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, notamment son résultat et son raisonnement, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable est une décision qui est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[24] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne devrait pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci (Vavilov, au para 125).

V. Analyse

A. La décision du Comité est-elle justifiée au regard de la décision Ibid?

[25] L’affaire Ibid portait sur le rejet de 22 demandes présentées par des ressortissants de la Syrie dans le cadre du programme de parrainage, lesquelles avaient toutes été traitées par FTC (Ibid, aux para 1‑9). Ayant pris connaissance de l’article publié par la SRC le 17 avril 2016, selon lequel FTC exigeait que les clients paient pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement, l’agente du CRCIC a rejeté les demandes parce qu’elle n’était pas convaincue que le répondant des clients disposait des « ressources financières » nécessaires au sens de l’alinéa 154(1)a) du RIPR (Ibid, au para 28).

[26] Point particulièrement important pour le cas qui nous occupe, le juge Brown a conclu dans la décision Ibid qu’il n’était pas interdit aux demandeurs d’asile de payer pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement selon les « lignes directrices financières » du Guide de demande de parrainage privé de réfugiés (les lignes directrices financières), qui font partie des règles concernant le parrainage. Les lignes directrices financières ont été modifiées en 2019 afin d’interdire explicitement aux demandeurs d’asile de payer pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement, ce qui renforce la conclusion du juge Brown selon laquelle la version précédente de cette politique ne comportait pas d’interdiction de cette nature (Ibid, aux para 57‑61).

[27] Dans la présente affaire, le Comité n’a pas nié qu’il était interdit aux réfugiés de payer pour la constitution de leurs propres frais d’établissement aux termes des règles concernant le parrainage, ainsi qu’il en a été conclu dans la décision Ibid. Le Comité a plutôt conclu que Mme Qita avait contrevenu au Code en exigeant que ses clients paient pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement. Le Comité a donc décidé que l’« interprétation technique » que le juge Brown avait donnée aux règles concernant le parrainage n’était pas déterminante quant au comportement que devait avoir Mme Qita aux termes du Code :

La question dans la présente audience n’est pas de savoir si des lignes directrices, un règlement ou une loi en particulier ont été respectés ou non. La question que doit trancher le jury consiste à déterminer si on a contrevenu au Code applicable. Bien que ces deux questions se chevauchent, elles sont assujetties à des considérations distinctes. Comme le CRCIC l’a indiqué dans ses arguments, si le Code ne faisait que reproduire la loi, une seule disposition serait alors nécessaire – [traduction] « Obéissez à la loi ». Le Code établit une norme de conduite attendue différente, vraisemblablement plus élevée. Une considération pertinente dans l’application du Code est la compréhension généralement reconnue des règles concernant le parrainage ainsi que leur application au sein de la communauté des consultants en immigration.

[Non souligné dans l’original.]

[28] Le Comité a conclu qu’il est généralement reconnu au sein de la communauté des consultants en immigration que les répondants ne doivent pas accepter directement des réfugiés des sommes destinées à la constitution de leurs fonds d’établissement. Les deux experts qui ont témoigné à l’audience devant le Comité ont témoigné en ce sens, y compris le propre témoin de Mme Qita.

[29] Comme il a conclu que Mme Qita avait contrevenu aux normes reconnues dans l’industrie en exigeant des clients qu’ils paient pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement, le Comité a jugé qu’elle avait contrevenu au Code. De plus, le Comité a conclu que Mme Qita savait probablement que sa conduite allait à l’encontre de la pratique courante, puisqu’elle a demandé aux clients d’acheminer leurs paiements par l’entremise de tiers et a retenu les remboursements à remettre aux clients jusqu’à ce qu’elle obtienne d’eux une déclaration l’exonérant de toute responsabilité.

[30] Mme Qita fait valoir qu’il était déraisonnable de la part du Comité de conclure qu’elle avait contrevenu au Code, étant donné qu’il avait été conclu dans la décision Ibid que sa conduite n’était pas expressément interdite par les règles concernant le parrainage. Mme Qita se qualifie de [traduction] « pionnière » dans le contexte d’une « politique d’immigration en évolution » qui appliquait le principe reconnu dans la décision Ibid selon lequel les réfugiés peuvent payer pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement.

[31] Je ne suis pas d’accord. La possibilité d’agir est une chose, l’obligation en est une autre. Le Comité a conclu que la décision Ibid n’interdisait pas aux réfugiés de contribuer à leurs propres fonds d’établissement aux termes des lignes directrices financières des règles concernant le parrainage, mais cette décision ne permettait pas à Mme Qita d’obliger ses clients à faire ces paiements. Plus précisément, le Comité a affirmé ce qui suit :

La cour dans l’affaire Ibid n’a pas laissé entendre que les réfugiés pourraient être tenus de contribuer à la constitution de leur propre fonds d’établissement, simplement qu’il ne leur était pas interdit de le faire en vertu des lignes directrices sur l’aide financière antérieures. En l’espèce, FTC a fait des présentations multiples à propos de la politique [temporaire] qui auraient mené une personne raisonnable à conclure qu’un paiement préalable du fonds de règlement par le demandeur était un élément requis du programme.

[32] J’estime que la décision du Comité selon laquelle Mme Qita a fait preuve d’inconduite est intrinsèquement cohérente et justifiée au regard du Code (Vavilov, au para 85). Le Comité a affirmé en toutes lettres qu’il évaluerait la conduite de Mme Qita en fonction du Code et non de lois ou règlements connexes. Le Comité a souligné que Mme Qita était tenue aux termes du Code de s’acquitter de ses responsabilités de bonne foi. Il a conclu que Mme Qita ne s’était pas conformée à cette obligation en présentant de façon erronée des éléments importants des règles concernant le parrainage, notamment en structurant les ententes de parrainage et en sollicitant des paiements d’une manière qu’elle savait contraire aux normes reconnues dans l’industrie.

[33] Dans ses arguments contraires, Mme Qita tente de contourner les obligations qui lui incombent en qualité de consultante en se fondant sur l’interprétation technique que le juge Brown a donnée aux lignes directrices financières. Même s’il avait été conclu dans la décision Ibid que les actions de Mme Qita étaient permises (ce qui n’est pas le cas), cela ne change rien au fait que, selon le Comité, elle a agi d’une manière qu’elle savait contraire à la déontologie. Les experts qui ont témoigné devant le Comité ont conclu à l’unanimité que les réfugiés ne peuvent être contraints de payer pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement selon les normes de l’industrie; or, c’est précisément ce que Mme Qita a demandé à ses clients de faire, en plus de retenir ces sommes en échange de déclarations l’exonérant de toute responsabilité.

B. Le Comité a‑t‑il commis une erreur en concluant que Mme Qita était responsable de la conduite des mandataires de FTC?

[34] Mme Qita soutient que le Comité a commis une erreur en concluant qu’elle était responsable des actes et omissions des mandataires et employés de FTC, dont M. Ebid. Je souligne que M. Ebid était le demandeur dans l’affaire Ibid, même si le nom de famille de celui‑ci y est orthographié différemment.

[35] Mme Qita était la seule consultante en immigration agréée au sein de FTC jusqu’en octobre 2018, après l’expiration de la politique temporaire, et était donc la seule signataire autorisée de chaque contrat de service professionnel jusqu’à cette date. Plusieurs témoins ont affirmé qu’ils croyaient que M. Ebid était un consultant en immigration, car Mme Qita renvoyait ces personnes à M. Ebid pour qu’il réponde à leurs questions et leur donne des renseignements au sujet de leurs demandes. Mme Qita n’a pas témoigné devant le Comité pour contredire ces témoignages ou pour justifier ses fausses déclarations.

[36] À mon avis, le Comité a examiné le rôle que Mme Qita a joué à l’égard de FTC et a conclu, de manière justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, au para 99), que sa conduite allait à l’encontre du Code. Le Comité a conclu que le Code obligeait Mme Qita à assurer la conduite éthique de FTC et de ses employés, y compris M. Ebid. Le Comité a également conclu que permettre à M. Ebid d’agir en qualité de consultant en immigration sans permis d’exercice constituait un autre manquement au Code.

[37] Mme Qita fait valoir qu’elle n’est pas responsable des actions de M. Ebid. Cependant, la question qui intéressait le Comité n’était pas la relation entre un mandant et un mandataire dans le contexte de la responsabilité civile, mais bien la conduite de Mme Qita. Compte tenu des nombreux incidents d’inconduite survenus au sein de FTC sous la surveillance de Mme Qita, j’estime qu’il était raisonnable pour le Comité de conclure que celle‑ci a contrevenu au Code.

C. Le Comité a‑t‑il commis une erreur en concluant que Mme Qita a fait preuve d’inconduite en conservant des sommes destinées à la CNIA?

[38] Mme Qita soutient qu’il n’était pas raisonnable pour le Comité de conclure qu’elle a contrevenu au Code en recevant de ses clients des sommes destinées aux fonds d’établissement et des frais administratifs pour le compte de la CNIA, car elle n’a personnellement tiré aucun avantage de ces opérations.

[39] Je ne suis pas de cet avis. Le Comité n’a pas conclu que Mme Qita avait elle‑même tiré un avantage de l’argent que les clients ont versé à FTC; il a plutôt conclu que Mme Qita avait délibérément reçu ces sommes et facilité ces opérations non autorisées. Par exemple, lorsqu’il a examiné de quelle manière Mme Qita a pu contrevenir au Code en exigeant de ses clients qu’ils paient pour la constitution de leurs propres fonds d’établissement, le Comité a tiré la conclusion suivante :

Les deux puces suivantes dans cet article [du contrat de service professionnel utilisé par Mme Qita] se rapportent à leurs fonds d’établissement auprès de FTC et du dépôt de ces fonds d’établissement par FTC dans le compte bancaire de la CNIA. Le jury a entendu des éléments de preuve convaincants voulant qu’il fût généralement reconnu au sein de la communauté du droit de l’immigration que les réfugiés ne devaient pas verser de sommes d’argent à leur répondant pour la constitution de leur fonds d’établissement. En s’insérant dans l’opération en tant que mandataire de la CNIA pour la collecte et le dépôt de ces fonds, FTC, et par extension, Mme Qita, a contrevenu à cette compréhension commune au sein de l’industrie.

[Non souligné dans l’original.]

[40] Le Comité a conclu que le contrat de service professionnel de Mme Qita obligeait les clients à verser différents frais et dons à FTC pour le compte de la CNIA, mais n’indiquait pas clairement comment ces frais allaient être remboursés ni la raison d’être de ces frais (et n’indiquait donc pas si ces frais servaient à compenser les dépens ou étaient conservés comme profits). Le Comité a souligné que ces paiements allaient à l’encontre de l’entente généralement reconnue au sein de la profession des consultants en immigration voulant que les répondants ne doivent pas percevoir de frais des réfugiés, que ceux‑ci ne doivent pas contribuer à leurs propres fonds d’établissement et que les répondants ne doivent tirer aucun avantage du parrainage.

[41] Autrement dit, la conclusion du Comité selon laquelle Mme Qita a contrevenu au Code ne reposait pas sur la question de savoir si celle‑ci avait tiré un avantage des paiements mentionnés plus haut. Le Comité a plutôt conclu que Mme Qita avait fait preuve d’inconduite en facilitant des paiements qui allaient à l’encontre des normes reconnues dans l’industrie, en présentant ces paiements de façon erronée au besoin et en les utilisant comme moyen de négociation pour obtenir des déclarations l’exonérant de toute responsabilité. Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision du Comité.

D. La sanction infligée par le Comité est-elle proportionnée?

[42] Mme Qita soutient que la décision du Comité de révoquer son adhésion au CRCIC était disproportionnée par rapport à son inconduite. Selon elle, son inconduite n’était pas intentionnelle, mais découlait plutôt d’un manque de diligence, car elle a suivi accidentellement des procédures qui allaient à l’encontre des normes de l’industrie au moment où les affaires de FTC prenaient de l’expansion en raison de la politique temporaire en vigueur. Mme Qita ajoute que les sanctions qui lui ont été infligées sont déraisonnables, étant donné qu’elle n’avait jamais été déclarée coupable d’une infraction disciplinaire dans le passé.

[43] Le défendeur souligne que le Comité a déjà révoqué des adhésions au CRCIC dans le cas de consultants au passé disciplinaire peu chargé (CRCIC c Judge, 2019 CRCIC 1; CRCIC c Manhas, 2019 CRCIC 2).

[44] À mon avis, la décision du Comité de révoquer l’adhésion de Mme Qita au CRCIC appartient aux issues possibles et acceptables, compte tenu de la gravité de son inconduite (Vavilov, au para 86). Bien que Mme Qita affirme qu’elle voulait simplement aider les réfugiés et que son inconduite découlait d’erreurs commises de bonne foi, j’estime qu’il était raisonnable pour le Comité d’en décider autrement. Le Comité a conclu que Mme Qita savait que sa conduite allait à l’encontre des normes de l’industrie. En effet, elle demandait aux clients d’acheminer leurs paiements par l’entremise de tiers pour faire croire que ces clients ne payaient pas eux‑mêmes pour la constitution de leurs fonds d’établissement, et elle retenait les remboursements destinés aux clients pour les contraindre à signer des déclarations d’exonération de responsabilité.

[45] Le propre témoin expert de Mme Qita, M. Mooney, a également souligné que la conduite de celle‑ci était contraire à la déontologie. À l’audience devant le Comité, il a affirmé que la règle était claire : [traduction] « les réfugiés ne pouvaient contribuer à la constitution de leur propre fonds d’établissement la première année » et les consultants en immigration « devaient suivre les règles ». De plus, il a expliqué que les consultants étaient tenus d’informer les personnes qui voulaient s’établir au Canada dans le cadre de la politique temporaire qu’elles ne pouvaient payer pour la constitution de leur propre fonds d’établissement :

[traduction]

J’ai certainement dit, et nous nous sommes fait dire plusieurs fois par nos membres, que bon nombre de personnes des ÉAU offraient de verser leurs propres frais d’établissement et que nos membres leur répétaient constamment : « Vous ne pouvez pas. Vous savez, vous devez trouver quelqu’un au Canada. » Ces gens ne connaissaient personne, vous savez, et des membres me téléphonaient en me posant, si vous voulez, une question morale, par exemple : « Devrais‑je les laisser payer leurs propres frais d’établissement et simplement ne pas le déclarer? » Évidemment, la réponse à cette question était : « Non, vous ne pouvez pas faire ça. » Et au final, si cela se produisait, il y aurait de sérieux ennuis.

[46] Non seulement Mme Qita n’a pas écouté les conseils de son propre expert, mais elle l’a fait de manière à tirer un avantage des personnes mentionnées par M. Mooney et de leurs vulnérabilités. Par conséquent, je n’accepte pas l’argument de Mme Qita selon lequel la sanction infligée par le Comité n’est pas raisonnable parce qu’elle n’a jamais été déclarée coupable d’une infraction disciplinaire dans le passé. Le Comité a examiné tous les facteurs aggravants découlant de l’inconduite de Mme Qita, y compris le fait qu’elle savait sans doute que ses actions étaient interdites par la déontologie, et les a évalués au regard des facteurs atténuants, dont le fait qu’aucune mesure disciplinaire ne lui avait été infligée dans le passé. Notre Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve portée devant le Comité en l’absence d’une erreur susceptible de contrôle (Vavilov, au para 125).

VI. Conclusion

[47] Je souligne que Mme Qita n’était pas représentée par un avocat dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire. Je reconnais donc que ses observations ne comportent pas nécessairement le type d’analyse juridique que présente normalement un avocat, et j’ai fait de mon mieux pour l’accommoder à cet égard. Je remercie également les avocats du défendeur, qui ont fait preuve de patience et de respect pendant les plaidoiries.

[48] La présente affaire concerne la façon dont le Comité a interprété et appliqué le Code, notamment en ce qui a trait à l’obligation du consultant d’agir de bonne foi et avec honnêteté et franchise. Le Comité a conclu que Mme Qita avait manqué à chacune de ces obligations et l’a punie en conséquence, en exposant à cet égard des motifs transparents, intelligibles et justifiés. Le fait que Mme Qita agit pour son propre compte n’atténue pas la gravité de ces conclusions.

[49] Les obligations déontologiques énoncées dans le Code ne sont pas des dispositions vides de sens auxquelles on peut déroger sans conséquence. Elles constituent les responsabilités fondamentales des consultants, et des personnes vulnérables risquent d’en souffrir si ces obligations ne sont pas respectées. Dans la présente affaire, ces personnes vulnérables sont d’anciens clients de Mme Qita, dont certains ont probablement souffert. Certaines de ces personnes ont vu leur demande d’asile rejetée en raison de lacunes que comportait leur demande; pour d’autres, il était trop tard pour remplir à nouveau les exigences avec un autre répondant lorsqu’elles ont appris que leur demande était rejetée.

[50] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la décision détaillée du Comité est intrinsèquement cohérente et justifiée au regard des faits et du droit pertinents. En conséquence, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[51] Les parties ne proposent aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1744‑20

LA COUR DÉCLARE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1744‑20

 

INTITULÉ :

ABEER QITA c CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTtawa ET toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MAI 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JUILLET 2021

 

COMPARUTIONS :

Abeer Qita

(pour son propre compte)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jordan Glick

Jordan Stone

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GlickLaw

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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