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Date : 20210702


Dossier : IMM‑6389‑19

Référence : 2021 CF 699

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 2 juillet 2021

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

KENGESWARAN THANAPALASINGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Monsieur Kengeswaran Thanapalasingam (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent sur sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée au titre de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). L’agent a rejeté la demande.

[2] Le demandeur est citoyen du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en août 2010 à bord du navire « Sea Sun ». Il a demandé l’asile au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention, sous le régime de la Loi, au motif que, comme jeune homme tamoul, l’armée, la police, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et les militants en faveur du gouvernement représentaient un danger pour lui s’il était renvoyé dans son pays.

[3] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié a rejeté la demande de protection faite par le demandeur. La demande de contrôle judiciaire de cette décision a ensuite été rejetée par notre Cour.

[4] Dans la décision ici en cause, l’agent a cité de larges pans de la décision de la SPR. Il a conclu que le demandeur n’avait pas soulevé de nouveaux risques qui seraient apparus depuis la décision de la SPR, qu’il n’avait pas produit d’éléments de preuve afin de réfuter les conclusions de la décision et qu’il allègue les mêmes risques que ceux soulevés devant la SPR.

[5] Le demandeur était représenté par avocat lorsqu’il a déposé sa demande d’ERAR. Ce dernier a produit une décision récente de notre Cour concernant une personne placée dans des circonstances similaires à celles du demandeur. L’agent a considéré que la décision n’était pas pertinente parce qu’elle ne permettait pas de prouver ni de réfuter un fait qui intéressait la demande du demandeur.

[6] L’avocat du demandeur allègue que la publication sur CanLII de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’encontre de la décision de la SPR, a eu pour effet de rendre publics des renseignements concernant celui‑ci.

[7] Le demandeur conteste la décision au motif qu’elle est déraisonnable et qu’elle a été rendue en violation de l’équité procédurale.

[8] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) avance que la décision de l’agent était raisonnable et qu’elle a été prise sans manquement à l’équité procédurale.

[9] Le fond d’une décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (C.S.C.). Toute question relative à l’équité procédurale est quant à elle susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 (C.S.C.).

[10] Bien que le demandeur soulève plusieurs difficultés dans son mémoire des faits et du droit, je n’ai pas besoin de m’arrêter à chacune d’entre elles. L’argument principal, qui scelle le sort de la demande, porte que la décision est déraisonnable parce que l’agent a apparemment repris le raisonnement de la SPR sans chercher à effectuer une appréciation indépendante des éléments de preuve et des observations présentés dans le cadre de la demande d’ERAR.

[11] La jurisprudence a clairement établi que le demandeur ne peut pas utiliser le processus d’ERAR pour tenter de faire modifier une décision défavorable de la SPR. Dans Figurado c Canada (Solliciteur général), [2005] 4 RCF 387 (C.F.), la Cour a formulé l’observation suivante au paragraphe 52 :

Il faut souligner que le processus ERAR n’est pas un appel contre la décision de la Commission; il s’agit plutôt d’une évaluation fondée sur des faits nouveaux ou une nouvelle preuve qui révèlent que la personne en cause est exposée au risque d’être persécutée, d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines ou traitements cruels et inusités. Bref, la demande ERAR n’a pas pour objet un nouvel examen des faits qui avaient été soumis à la Commission ou de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, à savoir contester les conclusions de la Commission. […]

[12] À mon avis, il s’ensuit que le défendeur ne peut pas rejeter une demande d’ERAR, par l’entremise de ses agents et de ses employés, en se contentant d’approuver tacitement la décision de la SPR et en faisant fi des pièces déposées dans le cadre de la demande d’ERAR.

[13] La décision de l’agent laisse transparaître une telle démarche, comme il appert de l’extrait suivant :

[traduction]

J’ai lu les observations et je considère que le demandeur n’a pas soulevé de nouveaux risques apparus depuis la décision de la SPR, qu’il n’a pas présenté d’éléments de preuve pour réfuter les nombreuses conclusions faites par la SPR et qu’il allègue les mêmes risques que ceux soulevés devant la SPR.

[14] Ces déclarations montrent que l’agent n’a pas examiné de lui‑même les éléments de preuve portés devant lui.

[15] Cette manière d’agir ne respecte pas la norme de la décision raisonnable décrite, comme suit, dans l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 126 :

Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle‑ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. […]

[16] La décision comporte d’autres problèmes, mais je n’ai pas à me prononcer là‑dessus.

[17] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6389‑19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6389‑19

 

INTITULÉ :

KENGESWARAN THANAPALASINGAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JUIN 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUILLET 2021

COMPARUTIONS :

Sarah L. Boyd

POUR LE DEMANDEUR

Samina Essajee

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sarah L. Boyd

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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