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Date : 20210716


Dossier : IMM-5160-20

Référence : 2021 CF 753

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2021

En présence de l'honorable monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

OSAREWINDA CHARLES UKONIWE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ

PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Osarewinda Charles Ukoniwe présente sa demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Le 23 septembre 2020, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SI] a rejeté sa demande d’asile en déterminant que M. Ukoniwe était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 35(1)(a) de la LIPR pour sa complicité dans la commission de crimes contre l’humanité lorsqu’il était un policier au Nigéria. Il soumet que la décision de la SI est déraisonnable.

[3] Après avoir examiné attentivement le dossier et les observations des deux parties, je conclus que la présente demande doit être rejetée. Pour les raisons qui suivent, je suis satisfait que le SI a soupesé de façon raisonnable les facteurs pertinents pour déterminer que M. Ukoniwe avait apporté une contribution consciente et significative aux crimes commis par la force policière nigériane [FPN].

II. Contexte de l’affaire

[4] M. Ukoniwe est un ancien policier nigérien. Il est devenu membre de la FPN en 2001 et est devenu membre d’une force spéciale, la 25e Force mobile de police [FMP], en 2005. La PMF est une unité anti-émeute qui est spécialement formée.

[5] M. Ukoniwe a été formé au combat avec le 25e escadron de la FMP, avec lequel il est resté jusqu’en 2010 alors qu’il amorce une période de formation en préparation pour son déploiement avec les Nations Unies prévu en 2011. Après son déploiement et son retour au Nigéria en 2012, il est retourné à la PMF, cette fois avec le 31e escadron. Il a été promu au grade de sergent en 2014. Comme sergent, il était chargé de surveiller de sept à onze policiers.

[6] M. Ukoniwe rapporte qu'en 2016, il a mené des enquêtes sur les homicides de personnes tuées par des membres de sectes. À partir de ce moment, il affirme que sa vie était en danger. Il a reçu plusieurs appels anonymes et sa maison a été incendiée en 2017.

[7] M. Ukoniwe est parti du Nigéria pour les États-Unis le 5 mars 2018. Il est venu au Canada le 6 juin 2018, moment auquel il a déposé sa demande d'asile.

[8] M. Ukoniwe a ensuite été interrogé au sujet de son service au sein de la FPN. En septembre 2018, un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR a été produit, l’officier notant que la preuve documentaire démontrait que la FPN commettait des crimes contre l’humanité tels que les exécutions extrajudiciaires et la torture. La preuve documentaire indique que la PMF est une des unités de la FPN qui commettait fréquemment des exécutions extrajudiciaires.

[9] La SI a correctement reconnu que pour déterminer sa complicité dans la commission des crimes contre l’humanité, il n’est pas nécessaire de prouver que M. Ukoniwe a personnellement participé à commettre ces crimes. Sa contribution aux crimes de l’organisation doit plutôt être évaluée selon les critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola] pour déterminer s’il y a eu une contribution volontaire et significative à la commission des crimes.

[10] Après avoir considéré les critères dans Ezokola, la SI a conclu que: (1) M. Ukoniwe s’était joint volontairement à la FPN; (2) qu’il avait passé plus de la moitié de sa carrière avec la PMF; (3) que la preuve documentaire démontre de manière accablante que la FPN et la PMF ont commis des violations des droits de l'homme pendant le service de M. Ukoniwe; et (4) qu'il était improbable qu'il n'ait pas eu connaissance de ces violations généralisées malgré les éléments de preuve voulant que sa connaissance des activités criminelles et des violations des droits de l'homme était limitée à la corruption de bas niveau au sein des FPN.

[11] La SI a conclu que les preuves établissent l'engagement de la FPN dans des violations généralisées et systématiques des droits de l'homme depuis au moins 1999, impliquant des mauvais traitements, des exécutions sommaires et des actes de torture, et que M. Ukoniwe avait contribué de manière significative, volontaire et consciente à l'objectif criminel de la FPN.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[12] La demande soulève une seule question : est-ce que la SI a raisonnablement déterminé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était complice dans la commission de crimes contre l’humanité?

[13] Il n’y a aucun conflit par rapport à la norme de contrôle. L’arrêt Popoola c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 305 confirme que les décisions d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)(a) de la LIPR sont évaluées par rapport à la norme de la décision raisonnable. La décision sera raisonnable si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]).

IV. Analyse

[14] M. Ukoniwe soumet que la décision de la SI est déraisonnable car elle a mal appliqué le test de complicité défini dans Ezokola. Il soumet qu’une application correcte du test démontre qu’il n’était pas complice aux crimes contre l’humanité commis par le FPN.

[15] Je ne suis pas convaincu par les observations de M. Ukoniwe. La SI a examiné en détail chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola, a reconnu le témoignage de M. Ukoniwe et a examiné les divergences dans les éléments de preuve. En effectuant cette analyse, la SI a déterminé que les preuves documentaires de violations des droits de l'homme à grande échelle au sein de la FPN étaient accablantes. Cette conclusion n'était pas déraisonnable et n'est pas contestée par M. Ukoniwe. Face à ces éléments de preuve et à la lumière des antécédents de service incontestés de M. Ukoniwe au sein de la FPN, y compris le FMP, il était raisonnablement possible pour la SI de conclure, comme elle l'a fait, qu'il était [Traduction] « très peu probable que M. Ukoniwe n’ait pas une connaissance plus complète des violations régulières et généralisées des droits de l’homme du FPN, des mauvais traitements infligés aux suspects en détention, des exécutions sommaires de suspects et de la torture au cours des enquêtes et des interrogatoires ». Il n'était pas déraisonnable pour la SI de préférer des preuves documentaires perturbantes et de parvenir à une conclusion sur la base de ces preuves sans conclure que M. Ukoniwe n'était pas généralement crédible. La SI indique clairement pourquoi elle a préféré les preuves documentaires comme elle était en droit de le faire.

[16] En concluant raisonnablement qu'il était improbable que M. Ukoniwe ignorait les crimes graves et répandus commis par la FPN, la SI n'a pas commis d'erreur en tenant compte des preuves documentaires relatives à l'étendue des crimes de la FPN qui englobaient quelques régions géographiques là où M. Ukoniwe n’avait pas travaillé. La complicité n'exige ni une présence physique pendant, ni une participation active aux crimes réels (Ezokola au para 77).

[17] En l’espèce, M. Ukoniwe demande simplement à la Cour d’accorder plus de poids aux facteurs qui lui sont favorables et de préférer son témoignage à la preuve documentaire. Il n'appartient pas au rôle de la Cour de se demander comment elle aurait résolu une question. La Cour doit plutôt se concentrer sur la question de savoir si un requérant a démontré que la décision en question est déraisonnable (Vavilov au para 75).

V. Conclusion

[18] La demande de contrôle judiciaire est rejetée .

[19] Il n’y a pas de question d’importance générale pour la certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5160-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5160-20

 

INTITULÉ :

OSAREWINDA CHARLES UKONIWE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 mai 2021

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

 

Pour le demandeur

 

Me Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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