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Date : 20050413

Dossier : IMM-1958-04

Référence : 2005 CF 482

Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                       SYEDA SAMRINA SHAH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                Le paragraphe 24(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (l'ancienne loi), prévoyait qu'emportait déchéance du statut de résident permanent le fait de quitter le Canada ou de demeurer à l'étranger avec l'intention de cesser de résider en permanence au Canada. Le paragraphe 24(2) de l'ancienne loi prévoyait qu'une personne était réputée avoir cessé de résider en permanence au Canada si elle séjournait à l'étranger plus de 183 jours au cours d'une période de douze mois et si elle ne convainquait pas un agent d'immigration ou un arbitre qu'elle n'avait pas cette intention.

[2]                La demanderesse, Mme Shah, est une résidente permanente du Canada qui, après dix-neuf mois d'absence, n'a pas réussi à convaincre un agent d'immigration, et plus tard un arbitre, qu'elle n'avait pas l'intention de cesser de résider en permanence au Canada. Il a donc été jugé qu'elle n'était plus une résidente permanente du Canada en vertu des paragraphes 24(1) et (2) de l'ancienne loi. Elle demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration (la SAI) a rejeté son appel de la décision concernant la perte de statut.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]                Mme Shah soulève quatre questions dans sa demande de contrôle judiciaire :

1.          La SAI a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que l'article 192 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (LIPR), est une exception à l'article 190 de ladite loi?


2.          La SAI a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que ce sont les dispositions de l'ancienne loi concernant la perte du statut de résident permanent au Canada qui s'appliquent en l'espèce et non les dispositions de la LIPR régissant la perte du statut de résident permanent au Canada, et en concluant que la demanderesse a perdu son statut de résidente permanente au Canada?

3.          L'article 192 de la LIPR contrevient-il à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), et la SAI a-t-elle commis une erreur de droit en n'accordant pas à la demanderesse l'application de l'article 28 de la LIPR?1

4.          La SAI a-t-elle commis une erreur de droit en tirant des conclusions abusives ou arbitraires au vu du dossier?

ANALYSE

[4]                J'estime qu'il est possible de trancher les questions soulevées par Mme Shah en examinant si la SAI a commis une erreur en concluant que l'appel devrait être entendu en vertu de l'ancienne loi (lequel examen comportera une analyse de la question soulevée en vertu de la Charte) et si elle a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que Mme Shah n'a produit aucune preuve établissant qu'elle n'avait pas cessé de résider au Canada.


(i) L'appel aurait-il dû être entendu en vertu de l'ancienne loi?

[5]                Pour déterminer si c'est l'ancienne loi ou la LIPR qui s'appliquait à l'appel, il faut interpréter les dispositions transitoires de la LIPR. Comme l'interprétation de la loi soulève une question de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[6]                Les faits pertinents sont que l'appel interjeté par Mme Shah devant la SAI a été déposé en décembre 2001 et que la LIPR est entrée en vigueur le 28 juin 2002. L'appel a été entendu le 4 juin 2003.

[7]                La disposition transitoire pertinente est prévue à l'article 192 de la LIPR :


192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

192. If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under the former Act by the Immigration Appeal Division of the Board.



[8]                J'estime qu'étant donné que l'avis d'appel de Mme Shah a été déposé avant l'entrée en vigueur de la LIPR, la SAI a conclu avec raison que l'appel devait être continué sous le régime de l'ancienne loi. Je m'appuie pour tirer cette conclusion sur le libellé clair de l'article 192 et sur l'arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48 (C.A.F.), où la Cour d'appel fédérale a fait remarquer, au paragraphe 50, que l'article 192 de la LIPR institue une exception à l'article 190 qui prévoit comme règle générale que la LIPR s'applique aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

[9]                Je considère comme non fondé l'argument de Mme Shah selon lequel l'article 192 de la LIPR ne fait que continuer les appels en instance sans déterminer si c'est l'ancienne loi ou la LIPR qui s'y applique.

[10]            Dans la mesure où Mme Shah invoque l'article 15 de la Charte, son argument se réduit à affirmer simplement que [traduction] « priver la demanderesse du bénéfice en vertu de la LIPR [de dispositions plus favorables] concernant la perte du statut de résident permanent constitue non seulement une décision erronée de la part du tribunal, mais aussi une violation de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit le droit au même bénéfice de la loi » .


[11]            Il est vrai que les obligations des résidents permanents que prévoit l'article 28 de la LIPR en matière de résidence sont plus souples en ce qui concerne leur absence du pays. Toutefois, le législateur est parfaitement libre de légiférer pour déterminer les exigences auxquelles doivent satisfaire les résidents permanents. Ce n'est pas parce que la nouvelle loi est plus favorable aux personnes qui interjettent appel après son entrée en vigueur qu'il y a violation du droit à l'égalité garanti par la Charte. Toutes les personnes qui ont formé un appel avant la promulgation de la LIPR sont traitées de la même façon, et il n'y a aucune discrimination entre les appelants en vertu des motifs énumérés à l'article 15 de la Charte ou de motifs analogues.

[12]            Autrement dit, nul n'a un droit acquis au maintien du droit tel qu'il existait auparavant. Voir Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 282; voir aussi Say c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 139 F.T.R. 165, au paragraphe 4.

(ii) La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Shah n'a pas réussi à réfuter l'hypothèse selon laquelle elle a cessé de résider au Canada?

[13]            Mme Shah a admis qu'elle s'était absentée du Canada plus de 183 jours au cours d'une période de douze mois. La présomption formulée au paragraphe 24(2) de l'ancienne loi était donc applicable.


[14]            La SAI a conclu que Mme Shah n'a pas réussi à démontrer qu'elle n'avait pas cessé de résider en permanence au Canada. Elle a également conclu qu'après avoir quitté le Canada, la demanderesse a décidé d'y revenir. Donc, lorsqu'elle est revenue au Canada, elle ne rentrait pas dans un pays qu'elle n'avait jamais eu l'intention de quitter. Il s'agit de la part de la SAI de conclusions factuelles qui sont susceptibles d'un contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Voir, par exemple, la jurisprudence examinée par le juge Martineau dans Gliga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1635, aux paragraphes 11 à 15.

[15]            Mme Shah fait valoir que, au moment où elle a obtenu le droit d'établissement au Canada, et pendant toute la période pertinente par la suite, elle était mariée avec un homme qu'on lui avait imposé et qui la contrôlait. Elle dit que c'est pourquoi elle n'était pas libre de déterminer elle-même où elle vivrait. Après son divorce, elle pouvait prendre elle-même ses décisions et elle a décidé sans hésitation de venir au Canada. Elle prétend que la SAI n'a pas tenu compte du fait qu'elle n'était pas libre avant son divorce de décider et que la SAI a donc tiré des conclusions abusives ou arbitraires.

[16]            Bien que l'on puisse comprendre la situation de Mme Shah, il semblerait, en toute logique, que son incapacité de prendre une décision concernant son lieu de résidence signifiait également qu'elle ne pouvait avoir eu l'intention de résider en permanence au Canada. Faute de cette intention, Mme Shah n'avait pas non plus la capacité de décider de ne pas cesser de résider en permanence au Canada.

[17]            La SAI a été saisie du témoignage qu'a fait Mme Shah devant l'arbitre :

[Traduction]

Q :            Si votre mari avait décidé de ne pas divorcer, seriez-vous restée avec lui et seriez-vous retournée aux États-Unis avec lui?

R :            Oui.

Q :            Et si vous et lui étiez toujours ensemble et qu'il avait décidé qu'il ne voulait plus vivre au Canada, seriez-vous venue vivre au Canada sans lui?

R :            Non.


Q :            Étant donné que votre mari divorçait, pourquoi avez-vous choisi de venir au Canada au lieu de rester au Pakistan avec votre famille?

R :            Je ne pouvais pas vivre au Pakistan.

Q :            Pourquoi pas...

[...]

R :            Parce que les femmes divorcées sont mal vues et que je n'aurais eu aucun avenir là-bas.

[...]

Q :            ...si, dans votre culture, on vous avait considérée autrement, seriez-vous restée au Pakistan avec votre famille?

R :            Oui. [non souligné dans l'original]

[18]            Devant la SAI, Mme Shah a confirmé sa déclaration antérieure voulant que si son mari n'avait pas divorcé, elle serait restée avec lui et serait retournée aux États-Unis et que, s'il avait décidé qu'il ne voulait plus vivre au Canada, elle aurait continué de vivre avec lui.

[19]            Compte tenu de ce témoignage, les conclusions factuelles de la SAI étaient étayées par la preuve et on ne peut pas considérer qu'elles sont abusives ou arbitraires.

[20]            La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[21]            L'avocat n'a pas demandé la certification d'une question et le dossier n'en soulève aucune.


                                                                ORDONNANCE

[22]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                         « Eleanor R. Dawson »                

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

1.          Au cours de sa plaidoirie, l'avocat de Mme Shah a retiré l'argument avancé dans ses observations écrites sur le fondement de l'article 7 de la Charte.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1958-04

INTITULÉ :                                                    SYEDA SAMRINA SHAH c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   MADAME LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 13 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Jegan N. Mohan                                                POUR LA DEMANDERESSE

Bernard Assan                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohan & Mohan

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


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