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Date : 20021003

Dossier : IMM-2914-01

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                             WANNAKU RALALAGE AJITH LAKWIJAYA JINADASA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle une agente d'immigration, Brenda Lloyd, a rejeté, en date du 1er juin 2001, la demande qui avait été présentée par M. Jinadasa, en vertu du paragraphe 114(2), afin d'être autorisé à demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire;

APRÈS avoir lu les documents déposés et avoir entendu les prétentions des parties;


ET pour les motifs de l'ordonnance prononcée aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE QUE

la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l'agente d'immigration soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent d'immigration et à un autre agent de révision des revendications refusées pour qu'une évaluation du risque indépendante et plus à jour soit effectuée. Aucun avocat n'a recommandé une question certifiée en vue d'un appel. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                                     « Michael A. Kelen »          

                                                                                                                                                                 Juge                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20021003

Dossier : IMM-2914-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1038

ENTRE :

                             WANNAKU RALALAGE AJITH LAKWIJAYA JINADASA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle une agente d'immigration, Brenda Lloyd, a rejeté, en date du 1er juin 2001, la demande qui avait été présentée par M. Jinadasa, en vertu du paragraphe 114(2), afin d'être autorisé à demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur, un citoyen cinghalais du Sri Lanka, a revendiqué le statut de réfugié en mai 1996. Ce statut ne lui a pas été reconnu et une demande de contrôle judiciaire a ensuite été rejetée par la Cour.

[3]                 Le 12 février 1999, le demandeur a présenté une demande afin d'être dispensé, pour des raisons d'ordre humanitaire, de l'obligation de se conformer au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). Il invoquait au soutien de sa demande son établissement au Canada, les difficultés qui pourraient lui être causées s'il retournait au Sri Lanka et la présence de son unique frère au Canada. L'agente d'immigration Lloyd a rencontré le demandeur lors d'une entrevue le 14 septembre 1999. Le dossier du demandeur a ensuite été transféré à un agent de révision des revendications refusées (ARRR) afin que celui-ci détermine si le demandeur serait en danger s'il retournait au Sri Lanka.

[4]                 L'ARRR a fait connaître son opinion le 21 novembre 2000. Selon lui, le demandeur ne serait pas en danger s'il retournait au Sri Lanka. Il a donné au demandeur la possibilité de présenter des observations sur les erreurs et les omissions concernant son opinion défavorable sur le risque. Le conseil du demandeur a présenté des observations ainsi que des documents à l'appui tirés de journaux très récents indiquant une augmentation spectaculaire de la violence et de la terreur envers les opposants au gouvernement. Après avoir examiné ces observations, l'ARRR a refusé de modifier son opinion et l'a transmise, avec les réponses du demandeur, à l'agente d'immigration.


[5]                 Le demandeur a appris le 4 juin 2001 que sa demande avait été rejetée. Il cherche maintenant à faire annuler cette décision au moyen du présent contrôle judiciaire.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]                 L'avocate du demandeur soulève les sept questions suivantes :

(i)         L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision déraisonnable portant qu'il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes?

(ii)        L'agente d'immigration a-t-elle tenu compte de considérations non pertinentes pour prendre sa décision?

(iii)       L'agente d'immigration a-t-elle rendu une décision déraisonnable en se fondant uniquement sur l'opinion sur le risque préparée par l'ARRR?

(iv)        L'agente d'immigration a-t-elle eu tort d'appliquer une norme relative au caractère raisonnable à l'opinion de l'ARRR?

(v)        L'agente d'immigration a-t-elle eu tort de décider que le demandeur ne serait pas en danger s'il retournait au Sri Lanka?

(vi)        L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en manquant à son obligation d'agir équitablement du fait qu'elle a retardé indûment l'examen de la présente demande?

(vii)       L'agente d'immigration a-t-elle entravé à tort l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en interprétant de manière restrictive les raisons d'ordre humanitaire?

Seule la cinquième question doit recevoir une réponse favorable.


DISPOSITION LÉGISLATIVE PERTINENTE

[7]                 Le paragraphe 114(2) de la Loi est la disposition qui s'applique au regard des décisions fondées sur des raisons d'ordre humanitaire :


114(2) Idem

(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114(2) Exemption from regulations

(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.


NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[8]                 La Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux pages 857 et 858, que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision rendue par un agent d'immigration relativement à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter. Ainsi, la Cour n'annulera une décision discrétionnaire d'un agent d'immigration et n'y substituera sa propre décision que si la décision de l'agent est déraisonnable ou clairement erronée.


ANALYSE

Question no 1

L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision déraisonnable portant qu'il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes?

[9]                 Le demandeur soutient que l'agente d'immigration a commis une erreur parce qu'elle a effectué une [traduction] « analyse disjonctive » et a examiné chaque facteur appuyant la demande sans tenir compte des autres. La Cour estime que cette prétention n'est pas fondée. En fait, l'agente a examiné les éléments de preuve pertinents qui lui avaient été présentés et a entrepris de les soupeser. Elle a énuméré les facteurs qui étaient favorables à la demande et ceux qui justifiaient le rejet de celle-ci, et elle a conclu :

[traduction] J'ai examiné tous les renseignements et tous les documents qui m'ont été présentés, et je ne suis pas convaincue que la situation personnelle de M. Jinadasa est telle que ce dernier subirait des difficultés inhabituelles, injustes ou indues s'il devait suivre la procédure normale et obtenir un visa d'immigrant de l'extérieur du Canada.

Je ne suis pas convaincue non plus qu'il existe des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense de l'application des lois canadiennes en matière d'immigration. Par conséquent, la demande présentée par M. Jinadasa dans le but d'être dispensé de l'obligation de se conformer au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration est rejetée.

[10]            Ainsi, il n'y a pas de raison de modifier la conclusion de l'agente selon laquelle il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes.


Question no 2

L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en tenant compte de considérations non pertinentes pour prendre sa décision?

[11]            Dans les observations qu'il a présentées à l'agente d'immigration, le demandeur soutenait que la présence de son frère au Canada était un facteur favorable à sa demande. L'agente d'immigration a écrit à ce sujet :

[traduction] J'ai examiné les liens de M. Jinadasa avec le Canada et je suis convaincue que son frère habite ici et qu'ils sont très proches. Toutefois, j'accorde une grande importance au fait que M. Jinadasa a des liens solides avec le Sri Lanka puisque sa conjointe, son enfant, son père et sa mère vivent dans ce pays.

[12]            Le demandeur soutient que ses liens avec des membres de sa famille vivant au Sri Lanka ne sont pas pertinents. Il rappelle la décision rendue par la Cour dans Mohamed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 90. Dans cette affaire, la demanderesse voulait que sa mère soit admise au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Au soutien de sa demande, elle invoquait l'un des objectifs visés par la Loi, soit la réunion des familles. En rejetant la demande, l'agent d'immigration a indiqué que le fait de l'accueillir n'aurait pas permis de réunir la famille puisque le frère de la demanderesse était demeuré en Inde. La Cour a statué que l'agent d'immigration avait commis une erreur en fondant sa décision sur une considération non pertinente.


[13]            La décision Mohamed ne signifie pas que la présence de membres de la famille dans le pays d'origine d'une personne est une considération non pertinente dans toutes les affaires relatives à des raisons d'ordre humanitaire. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs dit dans l'arrêt Baker, précité, à la page 862, paragraphe 72 :

... les agents d'immigration sont censés rendre la décision qu'une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d'une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n'ont plus d'attaches.

La présence de membres de la famille dans le pays d'origine d'un demandeur est un facteur pertinent dont il faut tenir compte pour décider si le renvoi d'un demandeur à un endroit où il n'a plus d'attaches lui causerait un préjudice. Les commentaires de l'agente concernant les liens du demandeur avec des membres de sa famille vivant au Sri Lanka sont donc corrects à la lumière de cet arrêt. Par conséquent, l'agente d'immigration n'a pas eu tort de tenir compte de la présence de membres de la famille du demandeur au Sri Lanka.

Question no 3

L'agente d'immigration a-t-elle rendu une décision déraisonnable en se fondant uniquement sur l'opinion sur le risque préparée par l'ARRR?

[14]            Le demandeur soutient que l'agente a commis une erreur en renvoyant ses commentaires et ses prétentions relatives à l'opinion sur le risque au même ARRR au lieu de les évaluer elle-même.


[15]            Dans l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407, [2000] A.C.F. no 854 (QL), la Cour d'appel fédérale a statué que l'agente d'immigration avait renoncé sans droit à son pouvoir discrétionnaire parce qu'elle n'avait fait qu'approuver automatiquement le rapport d'évaluation des risques de l'ARRR. La Cour a déclaré, au paragraphe 36, qu'un demandeur doit être en mesure de répondre à l'agent d'immigration parce que :

... le poids déterminant que les agents d'immigration donneront vraisemblablement souvent aux rapports d'évaluation des risques des agents de révision constitue une raison pour « uniformiser les règles du jeu » en permettant à ceux qui présentent une demande aux termes du paragraphe 114(2) de répondre à ces rapports. Autrement, l'influence sur le décideur des arguments présentés à l'appui d'une demande sera vraisemblablement grandement diminuée par le rapport.

[16]            Même s'il n'a pas envoyé sa réponse directement à l'agente d'immigration, le demandeur a eu la possibilité d'attirer son attention sur les erreurs ou les omissions contenues dans le rapport de l'ARRR. Après avoir reçu et examiné la réponse du demandeur à sa première opinion défavorable sur le risque, l'ARRR a transmis cette opinion et la réfutation du demandeur à l'agente pour que celle-ci les examine et prenne sa décision. C'est ce que Mme Lloyd a déclaré dans son affidavit, et cela est confirmé par la note du 7 décembre 2000 que lui a adressée l'ARRR. L'avocate du demandeur a reconnu que l'agente d'immigration avait reçu la réfutation du demandeur dans une lettre qu'elle lui a envoyée le 2 mars 2001 :

[traduction] Vous avez maintenant la décision de M. Allen [l'ARRR] et la réfutation concernant le risque. Vous n'êtes liée d'aucune façon par la décision de M. Allen. Vous pouvez donc soupeser les deux points de vue opposés.


[17]            Le demandeur a prétendu que l'agente n'était pas intéressée à recevoir sa réponse, comme le montre, selon lui, les déclarations suivantes qu'elle a faites dans une lettre datée du 8 janvier 2001 : [traduction] « J'ai reçu et examiné l'opinion sur le risque et je n'ai pas besoin d'autres renseignements à ce sujet; vous avez eu la possibilité de réfuter cette opinion. » La Cour n'est pas d'accord avec le demandeur. L'agente d'immigration avait rempli son obligation de permettre au demandeur de répondre à l'évaluation du risque effectuée par l'ARRR. Elle n'était pas tenue de donner au demandeur la possibilité d'exposer de nouveau ses arguments (voir Haghighi, au paragraphe 37), et elle n'a pas commis une erreur en l'indiquant dans sa lettre.

Question no 4

L'agente d'immigration a-t-elle eu tort d'appliquer une norme relative au caractère raisonnable à l'opinion de l'ARRR?

[18]            Le demandeur prétend que l'agente d'immigration a commis une erreur en déclarant qu'elle était convaincue que l'opinion sur le risque de l'ARRR était [traduction] « raisonnable » . Selon lui, cela indique que l'agente a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire puisque le [traduction] « caractère raisonnable » n'était pas la norme appropriée.

[19]            La prétention du demandeur sur cette question a un caractère trop juridique. Il est indéniable que l'agente a qualifié le rapport de l'ARRR de [traduction] « raisonnable » , mais il est évident qu'en employant ce qualificatif elle voulait simplement dire qu'elle souscrivait à la conclusion de l'ARRR. Je ne pense pas que l'agente avait l'intention de donner au terme [traduction] « raisonnable » le sens qui lui est attribué en droit administratif.

Question no 5

L'agente d'immigration a-t-elle eu tort de décider que le demandeur ne serait pas en danger s'il retournait au Sri Lanka?


[20]            Le demandeur soutient que l'ARRR n'aurait pas dû adopter simplement le raisonnement suivi par la Section du statut de réfugié (la SSR) dans sa décision relative à sa revendication du statut de réfugié. Selon lui, en agissant ainsi, l'ARRR n'a pas véritablement réévalué le risque qu'il courrait s'il retournait au Sri Lanka, de sorte que le but visé par une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire n'a pas été atteint.

[21]            La Cour d'appel fédérale a statué, dans l'arrêt Longia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 288, que la situation peut changer ou que des événements politiques peuvent survenir pouvant porter à croire qu'une crainte qui, aux yeux de la SSR, n'était pas fondée est devenue raisonnable. Dans un tel cas, le recours approprié n'est pas une nouvelle audience devant la SSR, mais une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire présentée en vertu de la Loi. C'est cette situation qui existe en l'espèce.

[22]            Les évaluations du risque datées du 21 novembre 2000 et du 7 décembre 2000 sur lesquelles l'agente d'immigration s'est fondée reprenaient essentiellement les conclusions tirées par la SSR dans sa décision du 10 octobre 1997. Il n'y est pas question des nouveaux documents produits en preuve par le demandeur.

[23]            Parmi les nouveaux documents produits en preuve, il y avait des articles de journaux faisant état de l'escalade spectaculaire de la violence et de la terreur visant les opposants au gouvernement du Sri Lanka. Il est notamment question dans ces articles :

(i)         du rédacteur en chef d'un journal qui a été assassiné chez lui;


(ii)        d'une nouvelle campagne de terreur visant des activistes des partis politiques de l'opposition, des artistes, des personnalités des médias et des intellectuels;

(iii)       de l'assassinat, le 4 janvier 2000, d'un politicien tamoul bien en vue qui était aussi un avocat oeuvrant dans le domaine des droits de la personne;

(iv)       des menaces de mort proférées contre un Sri-Lankais bien connu, qui avait migré à Londres après avoir été accusé d'avoir des liens avec les Tigres tamouls, mais qui était retourné au Sri Lanka en 1999.

[24]            Dans sa décision, la SSR a reconnu que le demandeur était un Sri-Lankais bien en vue, connu pour son opposition au gouvernement et son soutien aux Tigres tamouls. Les nouveaux documents qu'il avait présentés en preuve étaient donc importants aux fins de la détermination du statut de réfugié. Comme cette preuve n'a pas été mentionnée ni analysée dans les rapports sur l'évaluation du risque ou dans la décision de l'agente d'immigration, la Cour peut conclure que celle-ci a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments [dont elle disposait] » . M. le juge Evans a dit, dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 17 :

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » [...]. Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.


Même si elle n'était pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve dans sa décision, comme la Cour l'a statué dans l'arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 946 (QL), l'agente d'immigration aurait dû traiter des nouveaux documents produits en preuve par le demandeur qui contredisaient maintenant la décision rendue par la SSR en 1997.

[25]            Dans la décision Buri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1358, j'ai statué, au paragraphe 22, que le décideur a l'obligation d'expliquer pourquoi il a écarté des éléments de preuve contradictoires fondamentaux produits par un demandeur. Voir aussi Iqbal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 568 (1re inst.) (QL); Orgona c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 346; Vaithilingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 401; Piel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 562; Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 626. Le raisonnement adopté dans ces affaires est applicable en l'espèce.

[26]            L'agente d'immigration a tiré une conclusion de fait erronée parce qu'elle n'a pas pris en compte ou qu'elle a écarté des éléments de preuve pertinents - des articles de journaux très récents - lorsqu'elle a évalué le risque que courrait le demandeur s'il retournait au Sri Lanka. Elle a aussi commis une erreur en adoptant l'évaluation du risque effectuée par la SSR quatre ans auparavant et en n'effectuant pas elle-même une évaluation du risque plus à jour.


Question no 6

L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en manquant à son obligation d'agir équitablement du fait qu'elle a retardé indûment l'examen de la présente demande?

[27]            Le demandeur prétend que l'agente d'immigration a manqué à son obligation d'agir équitablement en retardant indûment l'examen de sa demande. Le défendeur fait valoir de son côté que le demandeur aurait pu remédier au prétendu retard en demandant une ordonnance de mandamus.

[28]            Je suis d'accord avec le défendeur. La question du retard dans un cas où le demandeur cherche à obtenir un avantage a été examinée dans l'affaire Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1984] 2 C.F. 1025 (C.A.), où M. le juge Hugessen a dit, aux pages 1028 et 1029 :

Il se peut que l'obligation d'agir équitablement récemment dégagée, et imposée maintenant à l'administration, comporte celle de ne pas tarder déraisonnablement; ou, vu sous un angle plus positif, il se peut que l'obligation procédurale d'agir équitablement comporte celle d'agir dans un délai raisonnable. Il ne s'ensuit nullement toutefois que l'inexécution de cette obligation justifie l'annulation de l'acte tardif lorsqu'enfin il a lieu. Sûrement le recours approprié doit consister à obliger à agir avec diligence plutôt qu'à annuler l'acte qui, bien que tardif, peut néanmoins être fondé.

[29]            De plus, la prétention du demandeur doit être accompagnée d'éléments de preuve démontrant qu'il a subi un préjudice ou une injustice en raison du retard (voir Akthar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 32 (C.A.)). Comme aucun élément semblable n'a été présenté à la Cour, je donne raison au défendeur sur cette question.


Question no 7

L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit en entravant l'exercice de son pouvoir discrétionnaire du fait qu'elle a interprété de manière restrictive les raisons d'ordre humanitaire?

[30]            Le demandeur soutient que l'agente d'immigration a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en considérant que l'absence de difficultés inhabituelles, injustes ou indues était déterminante.

[31]            À la lumière de la décision de l'agente d'immigration et de son contre-interrogatoire, la Cour constate que l'agente d'immigration a considéré que l'existence de difficultés inhabituelles, injustes ou indues était un facteur déterminant l'obligeant à rendre une décision favorable pour des raisons d'ordre humanitaire. Il ressort des réponses qu'elle a données lors du contre-interrogatoire qu'elle n'a pas considéré toutefois que l'absence de telles difficultés entraînait automatiquement une décision défavorable. Ainsi, elle a tenu compte d'autres facteurs pour prendre sa décision, notamment du degré d'établissement du demandeur et de la présence de son frère au Canada, en dépit du fait qu'elle a conclu que le demandeur n'aurait pas à faire face à des difficultés inhabituelles, injustes ou indues s'il retournait au Sri Lanka. Par conséquent, l'agente n'a pas donné au paragraphe 114(2) une interprétation trop restrictive.

DISPOSITIF


[32]            Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agente d'immigration est annulée et la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de M. Jinadasa est renvoyée à un autre agent d'immigration et à un autre agent de révision des revendications refusées pour qu'une évaluation du risque indépendante et plus à jour soit effectuée.

                                                                                                                                     « Michael A. Kelen »          

                                                                                                                                                                 Juge                     

OTTAWA (ONTARIO)

Le 3 octobre 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                IMM-2914-01

INTITULÉ :                                               WANNAKU RALALAGE AJITH

LAKWIJAYA JINADASA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le mardi 24 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      Monsieur le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                           Le jeudi 3 octobre 2002

COMPARUTIONS :             

Barbara Jackman                                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman                                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Avocate

596, St. Clair ouest, bureau 3

Toronto (Ontario)

M6C 1A6

Morris Rosenberg                                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20021003

                                   Dossier : IMM-2914-01

ENTRE :

WANNAKU RALALAGE AJITH LAKWIJAYA JINADASA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                          défendeur

                                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                     

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