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Date : 20210630


Dossier : IMM‑996‑20

(IMM‑1425‑20)

Référence : 2021 CF 600

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2021

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

NIZAM SAIDA

AMAL KOUSA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demandeurs, M. Nizam Saida et Mme Amal Kousa, ont déposé deux demandes de contrôle judiciaire [les demandes], chacune d’elles contestant une décision rendue par un agent des migrations internationales de la Section des migrations internationales de l’ambassade du Canada au Liban.

[2] Plus particulièrement, le 10 février 2020, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 13 décembre 2019 par un agent des migrations internationales [l’agent d’examen]. L’agent d’examen a alors informé les demandeurs qu’il avait terminé l’examen de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27 [la Loi]). Après analyse de la demande et des pièces justificatives y annexées, l’agent d’examen a conclu à l’absence de considérations d’ordre humanitaire pouvant justifier la levée des critères et obligations applicables.

[3] Le 27 février 2020, les demandeurs ont déposé une deuxième demande de contrôle judiciaire contestant la décision de l’agent d’examen datée du 26 février 2020. L’agent d’examen les a alors informés qu’il avait étudié les raisons additionnelles présentées à l’appui de la demande de réexamen et a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire, que ce soit par réouverture du dossier ou par levée de critères ou obligations applicables selon ce que prévoit l’article 25 de la Loi.

[4] Le 9 mars 2020, la protonotaire Tabib a ordonné que les demandes soient réunies et que toutes les instances futures soient introduites sous le seul numéro de dossier IMM‑996‑20.

[5] Pour les motifs exposés ci‑après, les demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

II. Contexte

[6] M. Nizam Saida, le demandeur principal [le DP], et Mme Amal Kousa, la personne à charge qui l’accompagne, sont mariés. Ils sont de nationalité syrienne, ils résident en Syrie et sont tous deux retraités. Leurs trois enfants vivent maintenant au Canada comme résidents permanents avec leurs propres enfants, qui sont les petits‑enfants des demandeurs.

[7] En 2016, les demandeurs ont sollicité le statut de résidents permanents au Canada au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières, ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[8] L’article 145 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227 [le Règlement]) définit l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières. Est donc un réfugié au sens de la Convention outre‑frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette Convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

[9] La définition de réfugié est donnée, quant à elle, dans l’article 96 de la Loi :

A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

[10] L’appartenance à la catégorie de personnes de pays d’accueil est définie à l’article 147 du Règlement :

Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

[11] Le 27 octobre 2016, un employé du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion du Québec a confirmé l’approbation de la demande de parrainage collectif déposée en faveur des demandeurs par l’Église Évangélique Baptiste Arabe de Montréal. Le 7 novembre 2016, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a accusé réception de l’approbation de parrainage.

[12] Le même jour, CIC recevait aussi les demandes des demandeurs au titre de l’Annexe 2 – Réfugiés hors Canada –, que les demandeurs avaient signées le 15 août 2016. Les demandeurs y expliquaient qu’ils couraient le risque d’être tués ou blessés en Syrie en raison de la chute de bombes et de roquettes et qu’ils espéraient être acceptés comme réfugiés au Canada. Ils y confirmaient avoir quitté la Syrie pour Beyrouth le 3 décembre 2015, tout en précisant qu’ils devaient revenir à la même situation critique en Syrie à cause de leur statut de résidents temporaires au Liban, statut qui pouvait être annulé ou suspendu à tout moment.

[13] D’après les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], et versées au dossier certifié du tribunal [le DCT], les demandeurs ont été priés le 26 mars 2018 de se présenter pour une entrevue qui devait avoir lieu le 23 avril 2018.

[14] Le 23 avril 2018, les demandeurs ont été reçus en entrevue à Beyrouth par un agent de l’Office des migrations internationales, avec l’aide d’un interprète. Durant l’entrevue, ils ont confirmé qu’ils vivaient en Syrie et qu’ils venaient d’arriver au Liban, où ils ne pouvaient demeurer. Ils ont déclaré avoir été déplacés à l’intérieur de la Syrie plus de dix fois. Ils ont dit avoir rempli la demande à titre de réfugiés parce qu’ils sont émotionnellement épuisés et qu’ils ont peur des missiles. Ils ont ajouté que la population est à l’agonie et que, n’ayant plus aucun proche en Syrie, ils ont besoin de leurs enfants. Ils ont confirmé être dans l’impossibilité de vivre au Liban parce qu’ils ont besoin de soins médicaux, que le pays est trop cher et que les autorités libanaises ne leur donneraient qu’une semaine ou cinq jours (vraisemblablement comme durée de visa), ajoutant qu’ils ne souhaitent pas vivre dans ce pays illégalement.

[15] L’agent leur a fait savoir qu’ils n’appartenaient pas à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni à la catégorie de personnes de pays d’accueil aux termes de la Loi. Il leur a dit aussi qu’il avait des motifs raisonnables de croire qu’ils n’avaient pas l’intention de se trouver hors du pays où ils craignaient la persécution, même si ce jour‑là ils ne s’y trouvaient pas, puisqu’ils avaient déclaré avoir l’intention de retourner en Syrie au cours des jours suivants. L’agent a aussi affirmé que, hormis l’examen médical, le dépôt de formulaires et l’entrevue, outre quelques visites pendant que leur fille se trouvait encore au Liban, les demandeurs n’avaient présenté aucune preuve qu’ils auraient quitté le pays où ils craignaient la persécution. Il a ajouté que les demandeurs avaient affirmé vivre actuellement en Syrie, et qu’ils n’avaient pas suffisamment montré l’existence de motifs raisonnables de croire qu’ils avaient une crainte fondée de persécution ou que le conflit armé en Syrie avait eu, et continuait d’avoir, des conséquences graves et personnelles pour eux.

[16] L’agent a affirmé avoir donné aux demandeurs l’occasion de dissiper ses doutes et, finalement, il les a informés que la demande était refusée.

[17] Le 27 avril 2018, l’agent a informé les demandeurs que leur demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou au titre de la catégorie de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières (la catégorie de personnes de pays d’accueil) était refusée. Il a ajouté que, selon lui, le DP ne répondait pas aux conditions de l’immigration au Canada.

[18] Plus précisément, l’agent n’était pas persuadé que le DP appartenait à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières (article 145 du Règlement), puisque : (1) il vivait dans le pays dont il recherchait la protection, tandis que l’article 96 de la Loi requiert d’un réfugié au sens de la Convention qu’il se trouve hors du pays dont il a la nationalité; (2) l’agent, se fondant sur l’ensemble de la preuve, n’était pas persuadé de l’existence d’un risque raisonnable ou de motifs probables que le DP avait une crainte fondée de persécution.

[19] L’agent n’était pas non plus persuadé que le DP appartenait à la catégorie de personnes de pays d’accueil, définie à l’article 147 du Règlement, et cela parce que : (1) le DP continuait de vivre dans le pays où il avait sa résidence habituelle (alinéa 147a) du Règlement); et (2) il n’existait pas de risque raisonnable ou de motifs probables que le conflit armé en Syrie continuait d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui, étant donné qu’il se trouvait dans le pays où il avait sa résidence habituelle (alinéa 147b) du Règlement).

[20] L’agent, se référant au paragraphe 139(1) du Règlement et aux paragraphes 11(1) et 2(2) de la Loi, a conclu que le DP ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi et du Règlement.

[21] Le 29 juin 2018, le nouveau conseil des demandeurs a envoyé une « demande de réexamen » à l’Office des migrations internationales de l’ambassade du Canada à Beyrouth, priant l’Office de réexaminer leur demande de résidence permanente aux termes de l’article 25 de la Loi. Quelque 345 pages de nouvelles preuves étaient jointes à la demande.

[22] La demande de réexamen indiquait que, manifestement, l’objet principal de l’entrevue était la question de savoir si les demandeurs vivaient ou non en Syrie, et l’incidence que cela avait sur l’obligation pour les demandeurs de se trouver « hors » du pays dont ils ont la nationalité.

[23] Les demandeurs faisaient donc valoir que, à l’évidence, il était opportun de solliciter un réexamen, puisqu’il leur était impossible de formuler une demande de dispense pour raisons humanitaires, quand bien même tenteraient‑ils de faire comprendre au décideur que, s’ils vivaient en Syrie, ce n’était pas par choix, mais parce que vivre au Liban n’était pas une option. Ils affirmaient que le fait de vivre en Syrie continuait de les exposer à des risques.

[24] Selon les demandeurs, les tribunaux ont toujours reconnu que les organismes administratifs ont toute liberté de réexaminer une décision définitive, en particulier compte tenu de la nature souple et moins formaliste des décisions administratives. Ils citent l’arrêt Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848; la décision Nouranidoust c Canada (Citoyenneté et Immigration) [2000] 1 CF 123; et la décision Kurrukal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 695 (confirmée en appel : 2010 CAF 230).

[25] Dans leur demande de réexamen, les demandeurs reconnaissaient vivre en Syrie, mais affirmaient continuer de craindre avec raison la persécution, ajoutant que le conflit armé en Syrie avait encore des conséquences graves et personnelles pour eux. Au demeurant, même s’ils retournaient en Syrie depuis le Liban, ils affirmaient ne pas véritablement entrevoir une solution durable dans un pays autre que le Canada. Selon eux, c’étaient donc des facteurs impérieux qui les avaient contraints de retourner en Syrie depuis le Liban, en dépit des graves dangers et des périls qui les menaçaient.

[26] Voilà pourquoi les demandeurs souhaitaient être libérés des exigences conditionnant l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et à la catégorie de personnes de pays d’accueil, y compris de l’obligation de se trouver hors du pays dont ils ont la nationalité. Ils précisaient que leur demande était présentée en application de l’article 25 de la Loi et qu’elle était fondée sur des raisons d’ordre humanitaire tout à fait impérieuses, dont l’intérêt supérieur de l’enfant. L’article 25 dispose :

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. [Non souligné dans l’original.]

[27] Selon les demandeurs, trois facteurs justifiaient, pour des raisons d’ordre humanitaire, une levée des critères et obligations applicables.

[28] D’abord, ils ont invoqué les raisons qui les empêchaient de vivre au Liban et qui devraient militer en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’article 25 de la Loi, c’est‑à‑dire une levée de l’obligation pour eux de se trouver « hors » de leur pays d’origine.

[29] Deuxièmement, ils ont souligné la situation des droits de la personne en Syrie, laquelle selon eux permettait d’affirmer que leur vie et leur sécurité étaient exposées à d’importants risques objectifs, à la fois en raison d’une guerre civile qui s’éternisait et de leur foi chrétienne, qui, disaient‑ils, jouait fortement en faveur d’une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire.

[30] Troisièmement, ils ont mentionné leurs liens solides avec le Canada, puisque leurs trois enfants et leurs sept petits‑enfants vivent au Canada. Une dispense serait dans l’intérêt de nombreux résidents permanents directement concernés par cette décision, y compris des enfants. Ils affirmaient que ce facteur jouait donc fortement en faveur d’une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire.

[31] Dans leur demande de réexamen, les demandeurs précisaient que la preuve avait été fournie à cet égard. Cette preuve comprenait quatre annexes : l’annexe A : déclarations écrites des demandeurs, preuves de permis d’entrer au Liban, lettres d’un médecin énonçant les besoins médicaux des demandeurs, preuve attestant que les demandeurs sont de confession chrétienne, photos des demandeurs et des membres de leur famille vivant au Canada; annexe B : lettres des enfants des demandeurs au Canada; et annexes C et D : Rapports sur les conditions de vie au Liban.

[32] Comme nous le verrons ci‑après, les documents de l’annexe A, qui contiennent quelque 27 pages, ne figuraient pas dans le cartable de la demande de réexamen envoyé à l’Office des migrations internationales.

[33] Le 11 décembre 2019, un agent d’examen a parcouru la demande de réexamen et consigné des notes dans le système. L’agent d’examen écrivait notamment :

[traduction]

·« Il semblerait que le conseil ne met pas en cause la décision elle‑même [...] il voudrait maintenant que le dossier soit rouvert et soit réexaminé en application de l’article 25, qui concerne les raisons d’ordre humanitaire, notamment l’intérêt supérieur de l’enfant ».

·« Le conseil a présenté 345 pages à l’appui de la demande CH […] [mais certains documents sont manquants (annexe A)]. C’est au demandeur ou à son représentant qu’il appartient de présenter tous les documents dont ils souhaitent l’examen. En raison du retard pris dans l’examen de ce mémoire, le conseil a demandé plusieurs fois qu’on lui indique où en était la demande de réexamen, mais n’a pas fourni de preuves additionnelles ».

·« Bien qu’ayant demandé une levée des critères et obligations énoncés dans l’article 96 de la Loi ou dans l’article 147 du Règlement, le conseil a aussi déclaré que “[…] nous affirmons que les demandeurs continuent d’avoir une crainte fondée de persécution et que le conflit armé en Syrie continue d’avoir des conséquences graves et personnelles pour eux”. J’ai donc dû faire porter mon attention sur ces faits ».

·L’agent d’examen s’est dit persuadé que l’agent s’était conformé aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale et qu’il ne semblait y avoir aucune erreur de fait ou de droit.

·Il y avait absence totale de preuve indiquant en quoi les demandeurs craignaient avec raison d’être persécutés ou en quoi le conflit armé avait des conséquences graves et personnelles pour eux. Ils se sont réinstallés au niveau interne, n’ont jamais fui la Syrie, n’ont eu aucun démêlé avec le gouvernement depuis qu’ils ont pris leur retraite, et ont traversé la frontière pour visiter leurs enfants au Liban.

[34] L’agent d’examen a donc refusé d’user de son pouvoir discrétionnaire pour réexaminer à cet égard la décision du premier agent.

[35] Cependant, l’agent d’examen a effectivement rouvert le dossier pour examiner les considérations d’ordre humanitaire dont il est question au paragraphe 25(1) de la Loi. Il s’est exprimé ainsi :

[traduction]

·Pour ce qui est de l’argument selon lequel les demandeurs ne peuvent vivre au Liban, l’agent d’examen a relevé que : (1) il n’y a aucune obligation de vivre au Liban : le critère est qu’ils se trouvent hors du pays dont ils ont la nationalité; (2) malgré le coût de la vie et les questions liées au statut de résident, plus de 918 000 réfugiés syriens sont enregistrés au Liban, et 74 % d’entre eux n’y résident pas légalement; (3) les demandeurs ont visité le Liban, mais il n’est pas établi qu’ils ont sollicité l’aide ou le soutien du HCR; (4) il n’est pas établi qu’ils ont tenté de fuir vers un autre pays, mais en auraient été empêchés; (5) on ne sait rien de l’état de santé des demandeurs, mais leurs profils médicaux se situaient à M3 et faisaient état de niveaux de diabète et d’hypertension, lesquels sont stables; (6) il n’a pas été établi qu’un traitement ne pourrait pas être obtenu au Liban, en Arabie saoudite ou dans un autre pays. La preuve présentée n’était pas suffisante pour justifier une dispense de l’obligation pour eux de se trouver hors de leur pays comme le requièrent l’article 96 de la Loi et l’article 147 du Règlement. Par ailleurs, l’agent d’examen n’a pas trouvé acceptable que des difficultés économiques puissent prendre le pas sur des craintes fondées de persécution ou sur des périls graves et personnels.

·Pour ce qui est du danger qui règne en Syrie du point de vue des droits de la personne, l’agent d’examen a relevé que les demandeurs ont produit plusieurs rapports et articles, mais n’ont pas expliqué en quoi ils les concernaient directement. Il a estimé que la preuve produite ne justifiait pas une dispense de l’obligation pour les demandeurs de se trouver hors du pays dont ils ont la nationalité. Selon lui, il était inconcevable que les demandeurs demeurent à un endroit où ils craignaient des violations des droits de la personne plutôt que d’affronter des difficultés économiques.

·Finalement, en ce qui concerne l’étroitesse des liens des demandeurs avec le Canada, l’agent d’examen a relevé que : (1) leurs enfants avaient tous quitté la Syrie en 2010, 2012 et 2016, laissant leurs parents derrière eux en Syrie, de sorte que la situation n’était pas nouvelle; (2) leur conseil avait limité l’information sur l’intérêt supérieur des enfants au fait que les demandeurs ont sept petits‑enfants qui vivent auprès de leurs enfants au Canada; (3) il existe d’autres programmes, à savoir parrainage et super visas, et voyages vers des pays tiers.

[36] Tout bien considéré, l’agent d’examen a estimé que la preuve produite n’était pas suffisante pour le convaincre qu’une levée des critères et obligations applicables se justifiait selon l’article 25 de la Loi.

[37] Le 13 décembre 2019, l’Office des migrations internationales a informé les demandeurs que leur demande aux termes de l’article 25 de la Loi était refusée. L’agent d’examen a refusé la demande parce que : (1) le DP se trouvait hors du pays dont il a la nationalité, ou du pays où il a sa résidence habituelle et, globalement, n’avait pas apporté une preuve pouvant le convaincre qu’une dispense d’application de cette exigence se justifiait; (2) le DP n’avait pas apporté d’éléments pouvant justifier une levée des conditions à une réinstallation, selon l’article 96 de la Loi et l’article 147 du Règlement, pour des raisons d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant.

[38] Le 6 février 2020, le conseil des demandeurs a écrit à l’ambassade (Beyrouth (Migrations) courriel) et, comme il avait omis de joindre à sa demande initiale de réexamen de juin 2018 les documents contenus dans l’Annexe A, il a inclus les documents dans son message, en priant l’agent d’examen de revoir sa décision à la lumière de ces documents.

[39] La preuve additionnelle, c’est‑à‑dire l’Annexe A, qui au départ avait été omise, contient 27 pages, dont quelque 25 photos.

[40] Le 26 février 2020, l’agent d’examen a consigné des notes dans le SMGC. Il confirmait avoir examiné les renseignements additionnels. Il confirmait aussi avoir refusé d’user de son pouvoir discrétionnaire pour rouvrir le dossier, et ne pas vouloir user de son pouvoir délégué pour déroger aux exigences de la Loi ou du Règlement en application de l’article 25 de la Loi.

[41] L’agent d’examen a relevé de nouveau que les demandeurs vivaient en Syrie et avaient quitté ce pays pour y retourner plusieurs fois. Il a aussi noté que cela ne s’accordait pas avec la crainte de persécution que les demandeurs affirmaient ressentir. Il a par ailleurs constaté que leurs affirmations touchant les conditions de vie au Liban se rapportaient pour l’essentiel à des difficultés économiques, lesquelles ne pouvaient raisonnablement avoir préséance sur leur crainte de persécution.

[42] Au sujet de l’état de santé des demandeurs, l’agent d’examen a souligné qu’ils n’avaient pas apporté la preuve qu’il leur serait impossible d’obtenir des traitements adéquats au Liban, en Arabie saoudite ou dans un autre pays, ou que le fait de recevoir des soins les empêchait de quitter la Syrie, et il a relevé qu’ils n’avaient pas besoin de voir le médecin.

[43] Pour ce qui est des photos pour étayer les liens des demandeurs avec leur famille au Canada, l’agent d’examen a relevé que les demandeurs n’avaient pas apporté d’éléments additionnels concernant l’intérêt supérieur des enfants. Il a aussi constaté que les demandeurs pouvaient, comme ils l’avaient déjà fait, obtenir un statut, du fait de ces liens familiaux, en recourant à d’autres programmes (parrainage et super visas) ou en se rendant dans des pays tiers.

[44] Après examen des documents à la lumière des arguments avancés dans la demande de réexamen de juin 2018, l’agent d’examen s’est exprimé ainsi : [traduction] « En résumé, comme pour la première demande, il y a absence totale de preuve indiquant en quoi les demandeurs craignent avec raison d’être persécutés ou en quoi le conflit armé a des conséquences graves et personnelles pour eux, et ils n’ont pas non plus apporté une preuve pouvant me convaincre qu’une dispense aux termes de l’article 25 de la Loi serait justifiée ».

[45] Le même jour, l’agent d’examen a envoyé au conseil des demandeurs un courriel l’informant de sa décision.

[46] Le 27 février 2020, les demandeurs ont déposé une deuxième demande de contrôle judiciaire (no de dossier IMM‑1425‑20), visant à faire annuler la décision du 26 février 2020 (qui concerne leur deuxième demande de réexamen).

III. Arguments soulevés par les demandeurs

[47] Les demandeurs affirment ne pas contester la décision qui leur a refusé la résidence permanente au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou au titre de la catégorie de personnes de pays d’accueil, ni la décision de ne pas rouvrir cet aspect de leur dossier.

[48] Les demandeurs contestent la décision de l’agent d’examen de ne pas les soustraire, en vertu de l’article 25 de la Loi, à l’obligation qui s’attache aux catégories susmentionnées. Partant, devant la Cour, les demandeurs font valoir que l’agent d’examen :

[traduction]

1) a sous‑estimé les difficultés auxquelles sont exposés les réfugiés syriens au Liban, montrant ainsi son incapacité à comprendre pourquoi les demandeurs demeurent en Syrie;

2) s’est abstenu de prendre en compte les risques et difficultés auxquels les demandeurs étaient exposés en Syrie;

3) a minimisé l’épreuve que représente pour les demandeurs le fait d’être séparés de leurs enfants et petits‑enfants, vu les faibles chances d’une réunification.

IV. Article 25 : Considérations d’ordre humanitaire

[49] Comme indiqué plus haut, l’article 25 de la Loi permet au ministre de lever tout ou partie des critères et obligations applicables selon la Loi ou le Règlement, qui peuvent empêcher un demandeur d’obtenir le statut de résident permanent au Canada.

[50] Comme l’écrivait le juge Walker dans la décision Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 391 (au para 12) : « Le point de départ est le paragraphe 25(1) de la LIPR, qui permet au ministre de prendre, par rapport aux exigences de la LIPR, des mesures exceptionnelles et discrétionnaires pour des motifs d’ordre humanitaire à l’égard d’un demandeur qui présente une demande de résidence permanente. Si la demande de mesures spéciales est présentée depuis l’étranger, elle doit être accompagnée d’une demande de visa de résident permanent, conformément à l’article 66 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR). Quant à l’alinéa 10(2)c) du RIPR, il exige que la catégorie réglementaire au titre de laquelle la demande est faite soit indiquée sur la demande. Les catégories réglementaires sont les suivantes : le regroupement familial; l’immigration économique; et les réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et les personnes de pays d’accueil (paragraphe 70(2) du RIPR) ».

[51] Le juge Little s’exprimait ainsi récemment : « Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’exempter les ressortissants étrangers des exigences habituelles de la loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire justifient une telle dispense. Ces considérations englobent l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit le paragraphe 25(1) se veut donc une exception souple et sensible à l’application habituelle de la LIPR et du RIPR permettant de mitiger la sévérité de la loi selon le cas : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy] (la juge Abella) au para 19 » (Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2021 CF 321 [Diaz] au para 42).

[52] Le juge Little poursuit en ces termes :

[45] Le pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 25(1) doit être exercé de manière raisonnable. L’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner et soupeser tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (la juge L’Heureux‑Dubé) aux para 74 et 75; Kanthasamy, aux para 25 et 33.

[46] Pour ce qui est de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché aux termes au paragraphe 25(1), un agent doit toujours être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant : Baker, au para 75; Kanthasamy, au para 38; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 au para 10. Un agent doit également suivre la mise en garde éclairante selon laquelle les enfants méritent rarement, voire jamais, d’être exposés à des difficultés : Kanthasamy, au para 59.

[47] Le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360 [Kisana] (le juge Nadon) aux para 35, 45 et 61. (Diaz [souligné dans l’original.])

V. Observations des parties et analyse

A. Norme de contrôle

[53] Je reconnais avec les parties que la norme de contrôle applicable en l’espèce est présumée être celle de la décision raisonnable, et la présomption n’est pas réfutée en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). L’évaluation, par un agent, des motifs d’ordre humanitaire présentés lors d’une demande comporte des questions mixtes de fait et de droit et peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44 [Kanthasamy].

[54] Lorsque la norme de contrôle qui est applicable est celle de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100). La Cour doit « s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [si elle] est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il n’appartient pas à la Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Vavilov, au para 99).

[55] Concernant la norme de contrôle, les demandeurs ajoutent que les motifs du décideur administratif doivent montrer que celui‑ci a tenu compte de la preuve versée au dossier et qu’il ne s’est pas mépris sur la preuve (Vavilov, au para 47). D’après eux, la décision de l’agent d’examen ne cadre pas avec le dossier et passe outre à des points clés qu’ils ont soulevés. Ils citent la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53 au paragraphe 17 (« plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée » sans tenir compte des éléments dont il [disposait] »).

B. L’agent d’examen a‑t‑il sous‑estimé les difficultés auxquelles sont exposés les réfugiés syriens au Liban, montrant ainsi son incapacité à comprendre pourquoi les demandeurs demeurent en Syrie?

(1) Observations des parties

[56] Les demandeurs affirment d’une manière générale que l’agent d’examen a largement fait l’impasse sur la preuve décrivant la situation qui prévaut au Liban, tout comme leur situation personnelle, se privant ainsi de la capacité de bien mesurer la raison pour laquelle ils demeurent en Syrie.

[57] Ils affirment en particulier que les erreurs de l’agent d’examen sont de trois ordres, puisqu’elles concernent : a) les difficultés que connaissent les réfugiés syriens au Liban, et qui dépassent la détresse économique; b) la difficulté à obtenir des soins médicaux au Liban; c) la difficulté à se loger au Liban.

[58] Concernant les difficultés rencontrées par les réfugiés syriens au Liban, les demandeurs affirment que l’expression « difficultés économiques » est condescendante et témoigne d’une incompréhension de ce que décrit réellement le dossier, et, selon eux, cela constitue une erreur. Ils appellent l’attention sur la preuve produite, qui témoigne des considérables difficultés économiques, juridiques et sociales que connaissent les Syriens au Liban, ajoutant que la plupart des Syriens vivent en deçà du seuil de pauvreté. Ils font observer que cette situation a poussé bon nombre de Syriens à retourner en Syrie malgré la guerre civile qui y sévit. Outre un dossier d’information sur le pays, les demandeurs disent que leurs affirmations sont étayées par des preuves personnelles montrant qu’ils prennent des médicaments chaque jour, qu’ils ont besoin d’examens médicaux tous les trois mois et qu’ils se voyaient accorder uniquement des autorisations de séjour de courte durée pour entrer au Liban. D’après eux, ces points ont pour l’essentiel été laissés de côté par l’agent d’examen.

[59] Quant à la difficulté à obtenir des soins médicaux au Liban, les demandeurs affirment que l’agent d’examen n’a pas fait cas des difficultés que les réfugiés syriens doivent affronter pour obtenir des soins au Liban, ajoutant que, au vu de la preuve, les conclusions de l’agent sont déraisonnables. L’agent d’examen a affirmé qu’il n’était pas établi que les demandeurs ne pouvaient pas obtenir des traitements au Liban ou qu’ils avaient besoin de traitements qui les empêchaient de quitter la Syrie. Les demandeurs font observer que ce point était traité par la preuve susmentionnée qui fait état des sombres perspectives d’emploi et de la difficulté des réfugiés syriens au Liban à obtenir des soins.

[60] Quant à la conclusion de l’agent d’examen sur la difficulté à se loger au Liban, les demandeurs affirment qu’elle aussi témoigne d’une navrante méconnaissance de la preuve. Ils ajoutent que l’agent a interprété faussement la preuve en la réduisant à des considérations de « commodités » et qu’il a passé outre à la preuve qui contredisait ses constatations.

[61] Le ministre rétorque que la décision est raisonnable et que les demandeurs n’ont pas établi qu’elle est entachée d’une erreur fondamentale.

[62] Le ministre ajoute que c’est aux demandeurs qu’il appartient d’établir les faits pouvant donner ouverture à l’analyse de considérations d’ordre humanitaire (il cite notamment la décision Shahbazian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 680). Il affirme aussi que l’agent d’examen a fait état de l’article 25 de la Loi; qu’il a évoqué et décrit la preuve, la charge de la preuve et les observations des demandeurs; qu’il a noté que la preuve consistait pour l’essentiel en des articles et rapports de nature générale, tandis qu’elle était lacunaire à propos de la crainte de persécution ressentie par les demandeurs et à propos des conséquences du conflit armé pour eux; et qu’il a mentionné les multiples allers‑retours des demandeurs depuis et vers la Syrie.

[63] Concernant la situation qui prévaut au Liban, le ministre rétorque que l’agent d’examen a tenu compte de l’argument des demandeurs selon lequel ils ne pouvaient pas vivre au Liban, ainsi que les difficultés que connaîtraient les demandeurs en Syrie.

(2) Décision

[64] Les demandeurs ne m’ont pas persuadée que l’agent d’examen a fatalement sous‑évalué les difficultés auxquelles sont exposés les réfugiés syriens au Liban et qu’il a de ce fait mésestimé la raison pour laquelle les demandeurs restaient en Syrie. Comme l’indique le ministre, l’agent d’examen a examiné et cité les dispositions juridiques pertinentes, ainsi que la preuve, et il a relevé que, selon la Loi et le Règlement, l’obligation n’était pas de se trouver au Liban, mais de se trouver hors du pays dont ils ont la nationalité, donc hors de la Syrie.

[65] L’agent d’examen a relevé que les demandeurs jouissaient d’une liberté de circulation de part et d’autre de la frontière syrienne, qu’ils s’étaient rendus au Liban et en Arabie saoudite sans rechercher le statut de réfugié, et qu’ils n’avaient pas apporté la preuve qu’ils souhaitaient fuir vers un autre pays ou qu’il leur était impossible de le faire. Il a aussi relevé que plus de 900 000 réfugiés syriens se trouvent au Liban, la plupart sans statut légal.

[66] Je ne puis conclure que l’agent d’examen a mal compris ou refusé de prendre en considération les éléments de preuve. Sans doute les demandeurs peuvent‑ils être en désaccord avec ses conclusions, et sans doute un autre décideur pourrait‑il arriver à des conclusions autres, mais les conclusions de l’agent d’examen sont raisonnables compte tenu de la preuve dont il disposait.

[67] Selon les demandeurs, les difficultés qu’ils rencontreraient au Liban sont en effet de nature essentiellement économique. De plus, les demandeurs n’ont pas expliqué en quoi des difficultés économiques, si graves soient‑elles, peuvent l’emporter sur une crainte pour leur propre vie et constituer la raison pour laquelle ils restaient en Syrie. Au reste, les demandeurs ne sont pas tenus de vivre au Liban, et ce qui a fait au départ hésiter l’agent d’examen, au regard des exigences fixées par le Règlement, était qu’ils ne se trouvaient pas hors du pays dont ils ont la nationalité. Les demandeurs n’ont pas abordé ce point dans leur demande initiale de résidence permanente, ni dans leurs observations en vue d’obtenir un réexamen en vertu de l’article 25 de la Loi.

[68] Les demandeurs ne m’ont pas persuadée que l’agent d’examen n’a pas saisi la raison pour laquelle ils restaient en Syrie. Leurs observations portaient exclusivement sur les difficultés qu’ils connaissaient au Liban et n’expliquaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas vivre ailleurs.

C. L’agent d’examen s’est‑il abstenu de prendre en compte les éléments de preuve sur les risques et difficultés auxquels étaient exposés les demandeurs en Syrie?

(1) Observations des parties

[69] Selon les demandeurs, l’agent d’examen n’a pas suffisamment étudié les facteurs de risque mentionnés par eux concernant la Syrie, plus précisément la preuve se rapportant aux risques et aux menaces qui guettaient les chrétiens en Syrie (tant généralement que dans le quartier où ils habitaient). Ils soulignent que l’agent d’examen a laissé de côté la preuve concernant la guerre civile en cours, qui rend la vie insupportable, surtout à cause des bombardements aériens et de l’état de siège. La preuve, à la fois testimoniale et documentaire, faisait aussi état d’attaques à proximité de leur quartier. Ils ajoutent que le risque est établi par référence au traitement de personnes se trouvant dans la même situation : il n’est pas nécessaire qu’elles aient été personnellement persécutées pour que ce risque soit établi (Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125 au para 14).

[70] Tel que mentionné plus haut, le ministre rétorque que l’agent d’examen a cité l’article 25 de la Loi et qu’il a évoqué et décrit les 345 pages de preuve, la charge de la preuve et les observations des demandeurs. Il a aussi pris note des lacunes de la preuve portant sur la crainte de persécution ressentie par les demandeurs et sur les conséquences du conflit armé pour eux. Puis il a souligné les multiples déplacements des demandeurs vers et depuis la Syrie. Le ministre note que l’agent d’examen a pris acte de la preuve produite par les demandeurs, mais a estimé qu’ils avaient choisi de rester en Syrie et que la preuve concernait d’autres régions du pays. L’agent d’examen a reconnu que la Syrie reste en proie à l’insécurité, mais a estimé que les demandeurs n’avaient pas établi les risques auxquels ils seraient exposés dans ce pays. Il a également cité les dispositions juridiques pertinentes.

(2) Décision

[71] Les demandeurs ne m’ont pas persuadée que l’agent d’examen s’est abstenu de tenir compte des éléments de preuve relatifs aux risques et aux difficultés auxquels étaient exposés les demandeurs en Syrie. Il a bien examiné la situation qui existe en Syrie et a reconnu que ce pays reste en proie à l’insécurité, mais il a noté l’absence de preuve d’un risque personnalisé et il a évalué le risque en tenant compte du fait que les demandeurs restaient en Syrie.

[72] Comme l’a indiqué le ministre dans son mémoire, l’agent d’examen a constaté que, selon la preuve, des attaques continuent de se produire près de Damas, ce qui expose les habitants à un risque, et que [traduction] « la situation des chrétiens en Syrie demeure très périlleuse ». Sur ce point particulier, l’agent d’examen a noté plusieurs éléments, mais n’a pu constater l’existence d’un risque personnalisé. Selon lui, il était inconcevable que les demandeurs demeurent à un endroit où ils craignaient des violations des droits de la personne plutôt que d’affronter des difficultés économiques.

[73] Un autre décideur aurait peut‑être apprécié la preuve différemment, mais, bien que les demandeurs soient en désaccord avec les conclusions de l’agent d’examen, la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont il disposait, ou de la réexaminer (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 64; voir aussi Dr Q c College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19 aux para 41‑42, cité dans Vavilov, au para 125; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 61; Aghazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 211).

[74] Il appartenait aux demandeurs d’établir qu’une dispense fondée sur des considérations humanitaires était justifiée, et l’agent d’examen pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas réussi à le faire.

D. L’agent d’examen a‑t‑il minimisé l’épreuve que représente pour les demandeurs le fait d’être séparés de leurs enfants et petits‑enfants, vu les faibles chances d’une réunification?

(1) Observations des parties

[75] Selon les demandeurs, l’agent d’examen a minimisé de façon déraisonnable l’épreuve que constitue une séparation de la famille, en affirmant que la famille : (1) avait l’habitude d’être séparée et (2) pouvait être réunie grâce à d’autres programmes canadiens d’immigration ou par des retrouvailles dans un tiers pays. D’abord, les demandeurs affirment que l’obtention d’un statut de résident temporaire au Canada serait improbable, puisqu’il leur faudrait démontrer qu’ils quitteront le Canada à la fin de la période de séjour autorisée (Kindie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 850 [Kindie]). Deuxièmement, selon les demandeurs, de récents quotas restreignent l’accès aux programmes applicables (absence de référence). Troisièmement, ils affirment que la perspective d’une réunification dans un tiers pays n’est qu’une hypothèse, ce qui constitue une erreur susceptible de contrôle (ils citent la décision Armstrong c Canada (Procureur général), 2010 CF 91 au para 39 [Armstrong]).

[76] Le ministre rétorque que l’agent d’examen a pris acte des liens des demandeurs avec le Canada. L’agent a noté les faits pertinents se rapportant à la famille, mais a estimé que d’autres programmes étaient accessibles et que les demandeurs pouvaient aussi se rendre dans des pays tiers, comme ils l’ont déjà fait.

[77] Le ministre note que le poids accordé à la preuve est une décision hautement discrétionnaire et que la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve. Il ajoute que la décision d’un agent de ne pas rouvrir un dossier commande une retenue élevée (il cite notamment la décision Hussein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 44 [Hussein]). L’agent d’examen n’est tenu de tenir compte des preuves additionnelles que dans des circonstances exceptionnelles de mauvaise foi (Hussein, aux para 55, 57). La raison donnée par l’agent d’examen pour justifier sa décision de ne pas rouvrir le dossier respecte, voire dépasse, les exigences de la jurisprudence et les lignes directrices fixées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (Évaluation des considérations d’ordre humanitaire : réexamen d’une décision défavorable (Ottawa : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, 2014), en ligne : <https://www.canada.ca/fr/immigration‑refugies‑citoyennete/organisation/publications‑guides/bulletins‑guides‑operationnels/residence‑permanente/circonstances‑ordre‑humanitaire/traitement/evaluation‑reexamen‑decision‑defavorable.html>.

(2) Décision

[78] Je réitère que les demandeurs voudraient en réalité que la Cour apprécie à nouveau les facteurs et la preuve, ce qu’il ne lui est pas loisible de faire lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire. L’agent d’examen a pour l’essentiel examiné et apprécié tous les faits et facteurs pertinents portés à sa connaissance.

[79] Je ne suis d’ailleurs pas certaine que la décision Kindie énonce une conclusion applicable en toute circonstance. Je ne crois donc pas que l’agent d’examen aurait dû arriver à la conclusion que les demandeurs ne pouvaient pas tenter d’obtenir un statut au Canada par l’entremise d’autres programmes d’immigration (ou que ces programmes sont restreints par de nouveaux quotas). Sa conclusion selon laquelle les demandeurs pouvaient rencontrer leur famille dans des pays tiers n’est pas une hypothèse, puisque : (1) ils se sont rendus dans des pays tiers auparavant, et (2) ils ont, à plusieurs reprises, fait des allers‑retours entre la Syrie et le Liban. La référence à la décision Armstrong n’est pas pertinente puisque le paragraphe cité se limite à définir une hypothèse.

VI. Conclusion

[80] Les demandeurs ne m’ont pas persuadée que l’agent d’examen a mal compris ou refusé de prendre en considération le dossier de preuve quand il a évalué la demande de dispense présentée en vertu de l’article 25 de la Loi, ni que ses décisions sont déraisonnables selon le cadre exposé dans l’arrêt Vavilov. Il a examiné et apprécié la preuve versée au dossier, le point déterminant étant que les demandeurs sont restés en Syrie, et il a examiné les raisons qu’ils avaient d’y rester, et qui reposaient uniquement sur les conditions de vie au Liban. Il a justifié, amplement et intelligiblement, les conclusions tirées, et ses décisions sont « fondée[s] sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles il était assujetti (Vavilov, au para 85).

[81] Les arguments des demandeurs ne m’ont pas convaincue que les décisions de l’agent d’examen sont déraisonnables, au motif qu’elles ne posséderaient pas les caractéristiques d’une décision raisonnable – justification, transparence et intelligibilité – ou qu’elles ne seraient pas justifiées au regard des contraintes factuelles et juridiques applicables.

[82] Je dois par conséquent rejeter les demandes de contrôle judiciaire.


JUGEMENT rendu dans le dossier IMM‑996‑20 (IMM‑1425‑20)

LA COUR STATUE :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑996‑20 (IMM‑1425‑20)

 

INTITULÉ :

NIZAM SAIDA, AMAL KOUSA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec) – par viDÉOConférence zoom

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 mai 2021

JUGeMENT et motifs :

la juge ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

MPeter Shams

POUR Les demandeurs

MLynne Lazaroff

PoUr LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hadekel Shamps s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR Les demandeurs

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE défendeur

 

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