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Date : 20210510


Dossier : IMM-7295-19

Référence : 2021 CF 420

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

YAN YANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 8 novembre 2019 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAI] a rejeté l’appel de la demanderesse contre une décision de refuser la demande de résidence permanente de son époux dans la catégorie du regroupement familial [la décision de la SAI].

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci-après, la présente demande est rejetée, car j’ai pris en considération les arguments de la demanderesse et je n’ai rien trouvé de déraisonnable dans la décision de la SAI.

II. Le contexte

[3] La demanderesse, Yan Yang, est née en Chine. Elle a marié son premier époux en janvier 1998, et ils ont eu un fils, né en avril 1999. La demanderesse et son premier époux ont divorcé en décembre 2004. En septembre 2005, elle a marié son second époux. Ce dernier l’a parrainée pour qu’elle devienne résidente permanente au Canada, et elle est arrivée au pays en juillet 2006. Ils se sont séparés vers le mois de février 2007 et ils ont divorcé en novembre 2008. La demanderesse est restée au Canada après son second divorce.

[4] La demanderesse a ensuite rencontré son premier époux et leur fils pour des vacances à Hong Kong en janvier 2008. En février 2009, la demanderesse et son premier époux ont acheté ensemble une maison dans la ville de Heshan, au Guangdon. D’après elle, c’est à peu près à ce moment-là qu’ils ont repris leur relation intime. Elle a parrainé son fils pour qu’il obtienne la résidence permanente au Canada en 2012. La demanderesse et son premier époux se sont remariés en janvier 2017.

[5] En juin 2017, la demanderesse a présenté une demande de parrainage de son premier époux afin qu’il obtienne la résidence permanente. Cette demande a été rejetée parce qu’un agent des visas a établi que leur relation tombait sous le coup de l’article 4.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], pris en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le libellé de cette disposition est le suivant :

Reprise de la relation

New relationship

4.1 Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il s’est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle-ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

4.1 For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the foreign national has begun a new conjugal relationship with that person after a previous marriage, common-law partnership or conjugal partnership with that person was dissolved primarily so that the foreign national, another foreign national or the sponsor could acquire any status or privilege under the Act.

[6] La demanderesse a porté ce refus en appel devant la SAI, mais son appel a été rejeté le 8 novembre 2019, dans le cadre de la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III. La décision de la SAI

[7] La SAI a tenu une nouvelle audience, à laquelle ont témoigné la demanderesse et son premier époux. Elle a tout d’abord pris en compte les éléments de preuve entourant la rupture du premier mariage. Elle a conclu que des incohérences dans le témoignage de la demanderesse et de son premier époux quant au moment où ils avaient commencé à vivre séparément, et une preuve que la demanderesse était inscrite comme vivant à la même adresse que lui dans la ville de Heshan, au Guangdon, en date du 24 août 2012, minaient la crédibilité de l’allégation de la demanderesse selon laquelle le premier mariage avait vraiment pris fin et qu’une séparation avait bel et bien eu lieu.

[8] La SAI a également conclu que, selon toute vraisemblance, le mariage de la demanderesse avec son second époux était un mariage de convenance, principalement conclu en vue d’obtenir un statut au Canada et, peut-être, de donner à son enfant la possibilité de faire des études au Canada. La SAI a fondé cette conclusion sur la preuve selon laquelle la relation entre la demanderesse et son second époux, dont les antécédents culturels et linguistiques étaient différents, s’était rapidement orientée vers un mariage pour ensuite prendre fin très rapidement. De plus, elle a conclu que la preuve que la demanderesse était restée au Canada après la fin de son second mariage, et ce, même si elle était séparée de son fils âgé de sept ans et qu’elle avait tout juste de quoi subsister, dénotait qu’il s’agissait d’un mariage de convenance.

[9] La SAI a pris acte du fait que la demanderesse et son premier époux ne s’étaient pas remariés avant 2017, mais elle a conclu qu’il y avait de solides indices qu’ils avaient repris une relation conjugale avant que la demanderesse divorce de son second époux.

[10] En résumé, la SAI a conclu qu’il était plus probable que le contraire que le premier mariage de la demanderesse s’était principalement dissous afin de lui permettre d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la LIPR grâce à son mariage avec son second époux, un mariage qui avait pris fin très rapidement. Même s’ils avaient tardé à se remarier, la demanderesse et son premier époux avaient repris leur relation conjugale avant la fin du second mariage. La SAI a conclu que ces circonstances faisaient en sorte que la demanderesse tombait sous le coup de l’article 4.1 du Règlement, de sorte que son premier époux ne pouvait pas être considéré comme un époux, un conjoint de fait ou un partenaire conjugal de la demanderesse et que celle-ci ne pouvait pas le parrainer au Canada.

IV. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[11] Aux dires de la demanderesse, la seule question que doit examiner la Cour est le caractère raisonnable de la décision de la SAI. Un aspect inhérent à cette manière de formuler la question en litige est que la norme de contrôle qui s’applique aux arguments qu’invoque la demanderesse pour contester la décision de la SAI est celle de la décision raisonnable.

V. Analyse

[12] Premièrement, la demanderesse fait valoir que la décision de la SAI est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de faits importants qui contredisent le résultat auquel la SAI est arrivée. Plus précisément, selon la demanderesse, la SAI a fait abstraction du long délai qui s’est écoulé entre la rupture de son second mariage et le moment où elle a ensuite parrainé son fils et son premier époux. Elle s’est séparée de son second époux en février 2007, mais elle n’a parrainé son fils que cinq ans plus tard, en 2012, et a attendu encore cinq autres années avant de tenter de parrainer son premier époux, en 2017. Ces délais, allègue-t-elle, mettent en doute les conclusions de la SAI selon lesquelles le divorce de la demanderesse d’avec son premier époux et, ensuite, son mariage avec son second époux, suivi d’un autre divorce, avaient pour principal motif l’acquisition d’un statut d’immigrant.

[13] La demanderesse signale également ce qui a été déclaré à l’audience devant la SAI, à savoir qu’à l’époque où elle et son premier époux avaient repris leur relation, ce dernier n’était pas intéressé à immigrer au Canada. Dans le même ordre d’idées, elle souligne la preuve montrant que le temps qu’elle a pris pour parrainer son fils était dû à la réticence initiale de son premier époux à consentir à ce que leur fils déménage au Canada. Elle ajoute que les conclusions de la SAI au sujet de ses transitions matrimoniales ne concordent pas avec cette preuve.

[14] La demanderesse conteste en particulier la conclusion de la SAI selon laquelle elle était motivée par le fait de vouloir que son fils fasse des études au Canada. Elle soutient que cette conclusion ne concorde pas avec, d’une part, la preuve selon laquelle son premier époux était initialement réticent à l’idée que son fils immigre au Canada et, d’autre part, le temps qui s’était écoulé avant qu’elle le parraine.

[15] Comme le soutient le défendeur, la difficulté que posent les arguments de la demanderesse est qu’il ressort clairement de la décision de la SAI que celle-ci a bel et bien tenu compte de la preuve et des faits sur lesquels ces arguments reposent. En ce qui concerne le parrainage, par la demanderesse, de son premier époux, la SAI signale expressément que les deux ont pris leur temps pour se remarier et présenter, pour l’époux, une demande de parrainage. La SAI admet que l’obtention d’un statut au Canada pour le premier époux n’était pas une priorité immédiate. Cependant, sa conclusion, à savoir que l’article 4.1 du Règlement s’appliquait, reposait sur la motivation qu’avait la demanderesse d’obtenir le statut d’immigrant pour elle-même et non pour son époux. La SAI n’a pas fait abstraction du délai écoulé avant que la demanderesse parraine son époux et ce délai même ne mine pas la logique du raisonnement de la SAI selon lequel le premier mariage a été principalement dissous pour que la demanderesse puisse se remarier et acquérir un statut sous le régime de la LIPR.

[16] Quant au parrainage, par la demanderesse, de son fils, la SAI indique là aussi dans la décision que ce fait n’a pas eu lieu avant 2012. Je signale également que l’analyse de la SAI ne repose pas sur la conclusion que la principale motivation de la demanderesse était que son fils fasse des études au Canada. L’argument de la demanderesse est fondé sur une ligne dans la décision où la SAI a conclu que son témoignage dénotait qu’elle souhaitait vraiment que son fils puisse étudier au Canada. Toutefois, au paragraphe suivant la SAI fait état de sa conclusion selon laquelle « […] il est plus probable que le contraire que son mariage avec [son second époux] était un mariage de convenance, qui visait principalement à lui permettre d’acquérir un statut au Canada et peut-être de fournir à son enfant la possibilité d’étudier au Canada » [non souligné dans l’original.] Dans la conclusion de sa décision, la SAI dit estimer qu’il est « […] plus probable que le contraire que le premier mariage de [la demanderesse] s’est dissous principalement afin de permettre à [celle-ci] d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi […] ». Dans ce contexte, l’analyse et la conclusion qui sous-tendent l’issue de la décision de la SAI sont axées sur le statut de la demanderesse, et non sur celui de son fils.

[17] De plus, comme le soutient le défendeur, la preuve soumise à la SAI concorde avec son affirmation selon laquelle la demanderesse était peut-être motivée par l’idée de permettre à son fils de faire des études au Canada. La demanderesse a témoigné que, quand elle avait marié son second époux, elle pensait que son fils immigrerait au Canada avec elle. Ce n’est que lorsque son premier époux avait appris que son second mariage serait à l’étranger qu’il s’était opposé à ce qu’elle emmène leur enfant hors du pays. Ce témoignage explique le temps qu’elle a mis pour parrainer son fils.

[18] J’ai aussi pris en compte le témoignage souligné par la demanderesse, à savoir que, après avoir appris que son fils ne pourrait pas se joindre à elle, elle avait décidé d’immigrer de toute façon au Canada parce qu’elle aimait son second époux et pensait que son fils pourrait un jour la rejoindre. Cependant, je ne vois rien de déraisonnable dans le fait que la SAI ait conclu, en se tenant compte de la totalité des éléments de preuve susmentionnés, que les motivations de la demanderesse incluaient peut-être la possibilité que son fils puisse étudier au Canada mais que la motivation première était d’acquérir pour elle-même le statut d’immigrant.

[19] Ensuite, la demanderesse fait valoir que la décision de la SAI n’est pas intrinsèquement logique. Ce volet de l’argumentation est axé sur la conclusion de la SAI selon laquelle le second mariage était un mariage de convenance. La SAI s’est fondée sur la conclusion et la rupture très rapides de ce mariage, sur les différences culturelles et linguistiques marquées entre les deux membres du couple, ainsi que sur le fait qu’elle avait décidé de rester au Canada après la dissolution du mariage même si ses conditions de vie étaient difficiles. Elle soutient que la SAI a commis une erreur en ne souscrivant pas à ses explications concernant la rupture de son mariage, c’est-à-dire qu’elle était contrainte d’avoir des enfants et de rester à plein temps à la maison contre sa volonté, et que la vie avec le fils de son second époux présentait des difficultés. Elle a aussi expliqué qu’elle n’était pas retournée en Chine à la rupture de son mariage parce qu’elle avait honte du fait d’avoir vécu deux échecs matrimoniaux et que l’idée d’avoir de la difficulté à trouver un emploi l’inquiétait.

[20] La demanderesse fait valoir qu’étant donné que la SAI n’a pas expressément trouvé que ses explications sont dignes de foi, son témoignage doit être tenu pour avéré. C’est là un argument qui m’apparaît peu fondé. Il ressort de la décision de la SAI que celle-ci a pris en compte les explications de la demanderesse et qu’elle les a rejetées. Ce faisant, elle a reconnu qu’il se pouvait que la demanderesse ait pu ressentir une certaine honte, mais, a-t-elle conclu, il était difficile de croire que le risque d’être embarrassée serait un obstacle insurmontable à son retour en Chine, dans un contexte où la demanderesse vivait dans un sous-sol et travaillait comme plongeuse dans un pays qu’elle connaissait peu, alors qu’elle avait en Chine un fils de sept ans et d’autres membres de sa famille. La SAI a aussi conclu qu’il était difficile de croire que la demanderesse ne pourrait pas trouver d’emploi à 36 ans, vu sa vaste expérience en éducation de la petite enfance. La SAI a clairement et expressément rejeté la crédibilité des explications de la demanderesse.

[21] Subsidiairement, la demanderesse fait valoir que les raisons pour lesquelles la SAI a rejeté ses explications constituent une analyse déraisonnable des invraisemblances. Selon la jurisprudence, une preuve ne peut être rejetée pour cause d’invraisemblance que dans les cas les plus évidents (voir Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131, au para 9 (CF 1re inst)). Cependant, dans la présente affaire, l’analyse de la SAI ne repose pas seulement sur sa conclusion selon laquelle le sentiment de honte ressenti par la demanderesse ne l’emporterait pas sur les autres facteurs mentionnés. La SAI signale également que la demanderesse, quand on lui a demandé ce qu’elle pensait du fait que son second époux parlait de mariage, a déclaré que son fils était âgé de six ans et qu’il était préférable d’entreprendre des études au Canada le plus tôt possible. Je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse et les conclusions de la SAI sur cette question.

[22] Enfin, la demanderesse n’est pas d’accord que la SAI se soit fondée sur le fait que son certificat de résidence (ou hukuo) en Chine montrait encore que, en date du 24 août 2012, son premier époux et elle résidaient à la même adresse dans la ville de Heshan. Elle fait remarquer que le registre signalait que la demanderesse était une « personne non apparentée » et elle allègue qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de se fonder sur cette preuve pour douter de la véritable rupture de son premier mariage et, ainsi, de la prétendue séparation entre son premier époux et elle.

[23] Toutefois, la SAI signale expressément que le hukuo qualifiait la demanderesse de personne non apparentée et indiquait qu’elle avait immigré au Canada en 2014. La SAI ne s’est pas fondée exclusivement sur le fait que la demanderesse était toujours inscrite dans le hukuo comme raison pour mettre en doute la séparation. Elle a aussi tiré une inférence défavorable de l’incapacité de la demanderesse et de son époux de fournir une preuve cohérente au sujet du moment où ils avaient commencé à vivre séparément, tant sous le même toit qu’à des endroits différents. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans cette partie de l’analyse de la SAI.

[24] Après avoir tenu compte des arguments de la demanderesse, je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de la SAI. Il y a donc lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question à certifier aux fins d’un appel, et aucune n’est formulée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7295-19

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7295-19

INTITULÉ :

YAN YANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À Toronto

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AVRIL 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 10 MAI 2021

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

POUR La demanderesse

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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