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              Date: 20010118

     Dossier: T-2022-89

CALGARY (Alberta), le jeudi 18 janvier 2001

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

LE CHEF VICTOR BUFFALO, agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la nation et de la bande indienne de Samson

et

LA NATION ET BANDE INDIENNE DE SAMSON,

DEMANDEURS

ET

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et LE MINISTRE DES FINANCES

DÉFENDEURS

ET

LE CHEF JEROME MORIN, agissant en son nom et au nom de tous les MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE D'ENOCH ET DES RÉSIDENTS DE LA RÉSERVE DE STONY PLAIN NO 135

INTERVENANTS

ET

EMILY STOYKA et SARA SCHUG

INTERVENANTES


ORDONNANCE

Pour les motifs énoncés dans les motifs de l'ordonnance, le rapport de James Youngblood Henderson, en date du 6 avril 2000, n'est pas admissible en preuve. Le rapport du professeur Douglas Sanders, en date du 25 juin 1997, est admissible en preuve sous réserve de la détermination des objections concernant certaines parties précises du rapport.

            « Max M.Teitelbaum »                 

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


              Date: 20010118

     Dossier: T-2022-89

ENTRE :

LE CHEF VICTOR BUFFALO, agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la nation et de la bande indienne de Samson

et

LA NATION ET BANDE INDIENNE DE SAMSON,

DEMANDEURS

ET

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et LE MINISTRE DES FINANCES

DÉFENDEURS

ET

LE CHEF JEROME MORIN, agissant en son nom et au nom de tous les MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE D'ENOCH ET DES RÉSIDENTS DE LA RÉSERVE DE STONY PLAIN NO 135

INTERVENANTS

ET

EMILY STOYKA et SARA SCHUG

INTERVENANTES


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

relative à la demande présentée oralement au sujet de l'admissibilité

des rapports des experts Henderson et Sanders

LE JUGE TEITELBAUM

[1]         La Couronne défenderesse a présenté une requête en vue de contester l'admissibilité des rapports d'experts de M. James Youngblood Henderson [ci-après le rapport Henderson] et du professeur Douglas Sanders [ci-après le rapport Sanders], qui ont été produits par les demandeurs Samson.

Le rapport Henderson

[2]         M. Henderson est un citoyen tribal de la nation Chickasaw, qui est située en Oklahoma, aux États-Unis. Il a obtenu un baccalauréat ès arts en histoire de la California State University, à Fullerton, en 1967 et un diplôme de droit du Harvard Law School, en 1974. À l'heure actuelle, il est directeur des recherches au Native Law Centre of Canada, à la Faculté de droit de l'Université de la Saskatchewan. Son rapport, en date du 6 avril 2000, est intitulé : « Report of the Royal Commission on Aboriginal Peoples on Treaties » .


[3]         Le rapport Henderson a 62 pages. La première moitié vise à situer le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones [ci-après le rapport de la CRPA] [TRADUCTION] « par rapport aux efforts qui ont été faits en vue de respecter les droits ancestraux et les droits issus de traités dans les traditions juridiques occidentales ou eurocentriques » . Pour faciliter la [TRADUCTION] « compréhension du contexte » du rapport de la CRPA, le rapport Henderson résume plusieurs études portant sur les droits des peuples autochtones, lesquelles ont été effectuées après la découverte du continent américain par les Européens. Les rapports juridiques, ou les rapports de commissions, qui sont examinés dans le rapport Henderson sont le De Indus et de Iivre Belli Relectiones, de Franciscus de Vitoria, qui était fondé sur une analyse des droits ancestraux dans le Nouveau Monde que le régent espagnol Charles Quint avait commandée en 1526 et qui avait été publiée en 1532; la Commission royale de 1664 établie par le roi Charles II à l'égard des colonies britanniques en Amérique du Nord; et enfin, le Report of the Select Committee of the House of Commons on Aborigines, 1837.

[4]         La seconde moitié du rapport Henderson renferme un sommaire, ou un aperçu, du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones [ci-après la CRPA], celle-ci ayant été établie par le gouvernement fédéral et dont le rapport, composé de cinq volumes, a été publié au mois de novembre 1996. Le rapport Henderson renferme des détails au sujet du mandat de la CRPA; l'on y donne un aperçu de certaines constatations et de recommandations.

[5]         La Couronne s'oppose à l'admission en preuve du rapport Henderson pour le motif qu'il n'est ni pertinent ni nécessaire. Dans ses observations orales, la Couronne a fait savoir que son argumentation se rapportait principalement à la question de la nécessité.


[6]         La Couronne a énoncé quatre objections générales. Premièrement, elle soutient que le rapport Henderson est entièrement composé d'arguments d'ordre juridique et politique. Deuxièmement, elle affirme que les arguments d'ordre politique figurant dans le rapport Henderson devraient être examinés dans une enceinte politique, plutôt que devant cette cour. Troisièmement, elle déclare que les arguments d'ordre juridique du rapport sont inutiles parce qu'ils relèvent de l'expertise de la Cour et qu'ils ont pour effet d'usurper la fonction du juge qui procède à l'instruction. Enfin, elle soutient qu'il n'y a, dans le rapport de la CRPA, rien d'unique ou de difficile sur le plan conceptuel qui exige des explications expertes.

[7]         Les demandeurs Samson soutiennent que le rapport Henderson aidera la Cour en fournissant des renseignements historiques et le contexte de l'évolution du processus d'élaboration des traités en Amérique du Nord en général, et en particulier du traité no 6, ainsi que le contexte des droits issus de traités, des droits ancestraux et des droits inhérents qui servent de fondement aux revendications et aux questions constitutionnelles à trancher dans cette action.


[8]         Les demandeurs Samson affirment que la première moitié du rapport Henderson est nécessaire puisqu'elle fournit à la Cour le contexte historique des commissions royales et de leur rôle dans l'évolution des relations existant entre les autochtones et la Couronne au fil des ans. Les demandeurs Samson soutiennent que ce type de preuve est nécessaire pour que la Cour comprenne pleinement les faits constitutionnels pertinents qui existent en l'espèce. Selon les demandeurs Samson, la seconde moitié du rapport de M. Henderson, qui traite de la CRPA et de son rapport final, aide la Cour; en effet, l'accent est mis sur des énoncés et conclusions techniques et complexes et une analyse et une synthèse du rapport de la CRPA et de la recherche sur laquelle cette dernière s'est fondée sont effectuées.

Le rapport Sanders

[9]         Le professeur Douglas Sanders a obtenu un baccalauréat en droit de l'Université de l'Alberta en 1961 et une maîtrise en droit de l'Université de la Californie, à Berkeley, en 1963. Depuis 1977, il est professeur de droit à l'Université de la Colombie-Britannique. Son rapport, en date du 25 juin 1997, est intitulé : « Historical Thinking and Practice on the Relationship Between Indian Tribes and the Crown in Canada » .

[10]       Le rapport Sanders est divisé en dix sections numérotées. Les sections visent à donner un aperçu du contexte juridique historique de la relation existant entre la Couronne et les tribus indiennes, puis à tracer son évolution et son développement sur le plan des politiques et pratiques.


[11]       La Couronne conteste l'admissibilité du rapport du professeur Sanders pour le motif qu'il n'est ni pertinent ni nécessaire. Elle soutient que bon nombre d'éléments historiques présentés dans le rapport ne sont pas pertinents; elle affirme en outre que l'historique du traité no 6 a déjà été effectué par des historiens, le professeur Arthur Ray et Bob Beal, qui ont comparu à titre de témoins experts pour les demandeurs Samson. La Couronne s'oppose également à ce que le professeur Sanders ait à ce point recours à la jurisprudence, à la législation, aux rapports parlementaires et aux articles d'auteurs portant sur des questions de droit. Elle affirme que les éléments de cette nature relèvent clairement des connaissances et de l'expertise des avocats et de la Cour et qu'il convient d'en traiter dans le cadre de l'argumentation juridique.

[12]       Les demandeurs Samon affirment que le rapport Sanders traite des thèmes suivants : protection, bienveillance, fiducie et aide; contrôle central des affaires autochtones; importance de la Loi sur les Indiens aux fins du développement des relations entre les autochtones et la Couronne et de l'élaboration des traités entre les autochtones et la Couronne. Les demandeurs Samson affirment que le rapport Sanders traite du contexte historique et de l'évolution des politiques coloniales et des politiques étatiques ainsi que de l'évolution des relations entre les autochtones et la Couronne et qu'il aidera la Cour à comprendre la relation établie entre les parties au moyen du traité no 6.

Principes de droit et analyse

[13]       Dans l'arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9 [ci-après Mohan], la Cour suprême du Canada a traité de la question de l'admissibilité de la preuve d'expert. Monsieur le juge Sopinka a énoncé, à la page 20, quatre critères aux fins de l'admission de la preuve d'expert : la pertinence, la nécessité d'aider le juge des faits, l'absence de toute règle d'exclusion et la qualification suffisante de l'expert.


[14]       L'arrêt Mohan a été rendu dans le contexte d'une affaire criminelle, mais la Cour fédérale a examiné et appliqué les principes qui y sont énoncés dans des litiges mettant en cause des autochtones.

[15]       Dans la décision Première nation de Fairford c. Canada (Procureur général) (1998), 145 F.T.R. 108 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Rothstein a rejeté la demande que la demanderesse avait présentée pour qu'un témoin soit admis à titre d'expert. La Cour a mentionné les critères énoncés dans l'arrêt Mohan et a statué qu'elle n'avait pas besoin de la preuve d'expert que l'on se proposait de soumettre pour connaître les questions litigieuses en cause à l'instruction de cette action. Le juge Rothstein a fait remarquer que la preuve aurait pu être utile en ce sens qu'elle résumait et organisait une bonne partie du témoignage factuel; toutefois, il a ajouté que c'était là une fonction incombant à l'avocat au moment de la présentation des plaidoiries.

[16]       Dans la décision Mathias et autres c. Canada (1998), 144 F.T.R. 106 (C.F. 1re inst.) [ci-après Mathias], la Couronne défenderesse a présenté une requête en vue de contester l'admissibilité de deux rapports d'experts. Dans la décision par laquelle elle a retenu l'objection de la Couronne, Madame le juge Simpson a mentionné les critères énoncés dans l'arrêt Mohan ainsi que le fait qu'il était interdit de présenter des arguments juridiques par l'entremise d'un témoin expert.


[17]       Dans la présente demande, la Couronne conteste l'admissibilité du rapport Henderson et du rapport Sanders en invoquant principalement la nécessité. Elle ne conteste pas les qualifications de l'un ou l'autre témoin à titre d'expert dans son domaine respectif, même si elle a certaines réserves à faire au sujet des aptitudes du professeur Sanders en matière de recherche.

[18]       Quant à la question de la pertinence, le juge Sopinka a statué ce qui suit, à la page 20 de l'arrêt Mohan :

Comme pour toute autre preuve, la pertinence est une exigence liminaire pour l'admission d'une preuve d'expert. La pertinence est déterminée par le juge comme question de droit. Bien que la preuve soit admissible à première vue si elle est à ce point liée au fait concerné qu'elle tend à l'établir, l'analyse ne se termine pas là. Cela établit seulement la pertinence logique de la preuve. D'autres considérations influent également sur la décision relative à l'admissibilité. Cet examen supplémentaire peut être décrit comme une analyse du coût et des bénéfices, à savoir « si la valeur en vaut le coût. » Voir McCormick on Evidence (3e éd. 1984), à la p. 544. Le coût dans ce contexte n'est pas utilisé dans le sens économique traditionnel du terme, mais plutôt par rapport à son impact sur le procès. La preuve qui est par ailleurs logiquement pertinente peut être exclue sur ce fondement si sa valeur probante est surpassée par son effet préjudiciable, si elle exige un temps excessivement long qui est sans commune mesure avec sa valeur ou si elle peut induire en erreur en ce sens que son effet sur le juge des faits, en particulier le jury, est disproportionné par rapport à sa fiabilité. Bien qu'elle ait été fréquemment considérée comme un aspect de la pertinence juridique, l'exclusion d'une preuve logiquement pertinente, pour ces raisons, devrait être considérée comme une règle générale d'exclusion (voir Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190). Qu'elle soit traitée comme un aspect de la pertinence ou une règle d'exclusion, son effet est le même. Ce facteur fiabilité-effet revêt une importance particulière dans l'appréciation de l'admissibilité de la preuve d'expert.

[19]       À la page 23 de l'arrêt Mohan, le juge Sopinka a fait les remarques suivantes au sujet du critère de la nécessité :

Dans l'arrêt R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a dit à la p. 42 :


Quant aux questions qui exigent des connaissances particulières, un expert dans le domaine peut tirer des conclusions et exprimer son avis. Le rôle d'un expert est précisément de fournir au juge et au jury une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler. [TRADUCTION] « L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire » (Turner (1974), 60 Crim. App. R. 80, à la p. 83, le lord juge Lawton).

Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits. Le mot « utile » n'est pas tout à fait juste car il établit un seuil trop bas. Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte. L'exigence est que l'opinion soit nécessaire au sens qu'elle fournit des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury » : cité par le juge Dickson, dans Abbey, précité. Comme le juge Dickson l'a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d'apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique. [...]

[20]       Dans la décision Mathias, le juge Simpson a donné des précisions au sujet du critère de la nécessité; elle a cité le passage suivant de l'arrêt R. c. Béland et Phillips, [1987] 2 R.C.S. 398; 79 N.R. 263; 9 Q.A.C. 293, à la page 415 [R.C.S.], où le juge McIntyre, au nom de la Cour, a statué ce qui suit :

Le rôle du témoin expert consiste à mettre à la disposition du jury ou de tout autre juge des faits son opinion d'expert sur le sens de faits établis, ou sur les conclusions à en tirer, dans un domaine où le témoin expert possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles du juge des faits. Il est permis au témoin expert d'exprimer de telles opinions pour aider le jury. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une question qui relève des connaissances et de l'expérience du juge des faits, point n'est besoin du témoignage d'un expert et, à ce moment-là, aucune opinion d'expert ne sera admise.

[21]       En retenant l'objection soulevée par la Couronne, le juge Simpson s'est en partie fondée sur le fait qu'il est interdit en droit de présenter des arguments par l'entremise d'un témoin expert; elle a mentionné à cet égard les décisions Yewdale v. Insurance Corp. of British Columbia (1995), 3 B.C.L.R. (3d) 240 (C.S.C.-B.) et Surrey Credit Union v. Wilson (1990), 45 B.C.L.R. (2d) 310 (C.S.C.-B.). Dans le jugement Surrey Credit Union v. Wilson, le juge McColl a statué ce qui suit :

[TRADUCTION]


Les avis d'experts deviennent inadmissibles quand ils ne sont rien de plus qu'une reformulation des arguments des avocats qui participent à la cause. Quand un argument est présenté sous le couvert d'un avis d'expert, il sera rejeté pour ce qu'il est.

[22]       J'ai minutieusement examiné le rapport Henderson et je conclus que son contenu est en général de nature politique et se prête davantage à un débat ailleurs que devant un tribunal judiciaire. De fait, la partie du rapport Henderson dans laquelle il est question du rapport de la CRPA semble se rapprocher davantage d'un résumé que de l'avis d'un expert. Pareil travail peut être utile puisque le rapport de la CRPA est composé de cinq volumes, mais il n'est pas nécessaire et il relève davantage de la fonction d'un avocat lorsqu'il présente sa plaidoirie. En outre, lorsqu'il donne des détails au sujet des conclusions du rapport de la CRPA se rapportant au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et à l'étendue des devoirs et obligations fiduciaires de la Couronne, le rapport Henderson se lance encore une fois dans un domaine qui ne relève pas d'un expert. Ces arguments ou recommandations devraient traités par l'avocat dans ses plaidoiries.


[23]       Dans le cadre de l'argumentation, l'avocat des demandeurs Samson a mentionné longuement le rapport de la CRPA et en a lu certains extraits. Toutefois, ces extraits servent à souligner tant la nature politique que la nature juridique du rapport de la CRPA. Ainsi, il est fait mention du volume 1 ( « Un passé, un avenir » ), du chapitre 6 ( « Déracinement et assimilation » ), p. 186-197. Parmi les sujets qui sont traités dans ce chapitre il y a les divergences dans les postulats et dans la compréhension des Européens et des autochtones; la non-exécution par la Couronne des traités et des promesses; le retour à l'esprit des traités; les mesures de contrôle et d'assimilation prises par la Couronne au moyen de lois fédérales telles que la Loi sur les Indiens. Le contenu de ces pages, tout en étant en partie de nature historique, constitue en général un argument d'ordre politique. Des arguments de nature davantage politique figurent également dans le volume 2 du rapport de la CRPA ( « Une relation à redéfinir » ), aux chapitres 1 ( « Les traités » ) et 2 ( « La fonction gouvernementale » ). Des exemples d'arguments d'ordre juridique évidents figurent dans le volume 1, chapitre 9 ( « La Loi sur les Indiens » ). Il est difficile et de fait presque impossible de voir comment l'expert éventuel des demandeurs Samson, M. Henderson, pourrait être contre-interrogé au sujet du contenu du rapport de la CRPA puisqu'il n'en est pas l'auteur. Il ne faudrait pas interpréter ces remarques comme voulant dire que le rapport de la CRPA n'a pas sa place dans le présent litige; toutefois, c'est aux avocats qu'il appartient d'en parler dans leurs plaidoiries.


[24]             Toutefois, le rapport Sanders est d'une nature différente. Le professeur Sanders a présenté son rapport en sa qualité de spécialiste de l'histoire du droit. Son rapport vise à donner un aperçu historique des relations entre la Couronne et les autochtones et des politiques y afférentes ainsi que de leur évolution au fil des ans. Dans son rapport, le professeur Sanders mentionne des cas, des instruments législatifs, des rapports et des ouvrages de doctrine; toutefois, le contexte dans lequel pareilles mentions sont faites se rapporte à l'histoire, sur le plan juridique, des pratiques et des politiques que la Couronne avait adoptées envers les Indiens. À coup sûr, les avocats des deux parties pourraient rassembler les cas et les autres éléments mentionnés par le professeur Sanders, mais pourraient-ils les présenter dans le même contexte qu'un spécialiste de l'histoire du droit? Si l'on répond à cette question par l'affirmative, il serait en fait possible d'empêcher l'histoire canadienne du droit de faire l'objet du témoignage d'un expert.

[25]       Une question cruciale en l'espèce se rapporte à la nature de la relation existant entre les parties et des obligations et devoirs en résultant; le contexte historique et l'évolution de cette relation sont donc importants et, à cet égard, le rapport du professeur Sanders peut aider la Cour.

[26]       Les demandeurs Samson ont également soutenu qu'il faut interpréter et appliquer les règles générales de la preuve en se fondant sur la nature spéciale d'un litige dans lequel des autochtones sont en cause et sur les directives que la Cour suprême du Canada a données lorsqu'il s'agit d'adapter les règles de la preuve de façon à résoudre les problèmes qu'elles posent dans le cadre de revendications autochtones. Les demandeurs Samson soutiennent qu'il faudrait donc appliquer les critères énoncés dans l'arrêt Mohan en tenant compte de la nature unique en son genre des litiges dans lesquels des autochtones sont en cause.

[27]       Les directives que la Cour suprême du Canada a données au sujet de l'approche que les tribunaux de première instance doivent adopter à l'égard des règles de la preuve dans le contexte de revendications autochtones figurent dans l'arrêt R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507. Dans cette décision, le juge en chef Lamer a dit ce qui suit, aux pages 558-559 :


Pour déterminer si un demandeur autochtone a produit une preuve suffisante pour établir que ses activités sont un aspect d'une coutume, pratique ou tradition qui fait partie intégrante d'une culture autochtone distinctive, le tribunal doit appliquer les règles de preuve et interpréter la preuve existante en étant conscient de la nature particulière des revendications des autochtones et des difficultés que soulève la preuve d'un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n'étaient pas consignées par écrit. Les tribunaux doivent se garder d'accorder un poids insuffisant à la preuve présentée par les demandeurs autochtones simplement parce que cette preuve ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple.

[28]       Le juge en chef Lamer a réexaminé ces remarques l'année suivante dans l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, aux pages 1065-1066 :

La justification de cette approche spéciale découle de la nature même des droits ancestraux. Dans Van der Peet, j'ai expliqué que ces droits visent à concilier l'occupation antérieure de l'Amérique du Nord par des sociétés autochtones distinctives avec l'affirmation de la souveraineté britannique sur le territoire du Canada. Ils visent à réaliser cette conciliation en établissant un « rapprochement entre les cultures autochtones et non autochtones » (au par. 42). Par conséquent, « le tribunal doit tenir compte du point de vue des autochtones qui revendiquent ce droit [...] [tout en tenant compte] de la common law » de sorte que « [l]a conciliation véritable accorde, également, de l'importance à chacun de ces éléments » (aux par. 49 et 50).

En d'autres termes, bien que la doctrine des droits ancestraux soit une doctrine de common law, les droits ancestraux sont véritablement des droits sui generis qui exigent, quant au traitement de la preuve, une approche unique, accordant le poids qu'il faut au point de vue des peuples autochtones. Toutefois, l'adaptation doit se faire d'une manière qui ne fasse pas entorse à « l'organisation juridique et constitutionnelle du Canada » (au par. 49). Les deux principes exposés dans Van der Peet – premièrement, le fait que les tribunaux de première instance doivent aborder les règles de preuve en tenant compte des difficultés de preuve inhérentes à l'examen des revendications de droits ancestraux, et, deuxièmement, le fait que les tribunaux de première instance doivent interpréter cette preuve dans le même esprit – doivent être compris dans ce contexte.

[29]       Dans les deux affaires,Van der Peet et Delgamuukw, les remarques de la Cour, ou ses directives, découlaient de ce qui, selon elle, constituait une interprétation erronée de la valeur de la preuve fondée sur l'histoire orale. La Cour se préoccupait de la façon dont les tribunaux d'instance inférieure considéraient, ou omettaient de considérer, l'histoire orale comme preuve indépendante de faits historiques; selon la directive de la Cour, pareille preuve et les types plus connus de preuve historique doivent être mises sur un pied d'égalité.


[30]       À mon avis, les directives que la Cour suprême a données au sujet de l'adaptation des règles de la preuve ne s'appliquent pas à la question de l'admissibilité des rapports d'experts qui font l'objet de la présente requête.

[31]       Pour les motifs susmentionnés, je suis donc d'avis que le rapport Henderson n'est pas admissible et que le rapport Sanders est admissible.

            « Max M.Teitelbaum »                 

J.C.F.C.

Calgary (Alberta),

le 18 janvier 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                         T-2022-89

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Chef Victor Buffalo et autres c. Sa Majesté la Reine et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Calgary (Alberta)

DATES DE L'AUDIENCE :             les 11, 15, 16 et 17 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Teitelbaum en date du 18 janvier 2001

ONT COMPARU :

James O'Reilly

Ed Molstad, c.r.

Peter Hutchins

Priscilla Kennedy                         POUR LES DEMANDEURS SAMSON

T-2022-89

Claudia McKinnon                         POUR LES DEMANDEURS ERMINESKIN

T-1254-92

Allan Macleod, c.r.

Mary Comeau

Brenda Armitage

James Bazant                POUR SA MAJESTÉ LA REINE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

O'Reilly Mainville & Associés

Montréal (Québec)

Parlee McLaws

Calgary (Alberta)


- 2 -

Hutchins, Soroka & Dionne

Montréal (Québec)                         POUR LES DEMANDEURS SAMSON

T-2022-89

Blake, Cassels & Graydon                         POUR LES DEMANDEURS ERMINESKIN

Calgary (Alberta)                         T-1254-92

Macleod Dixon             POUR SA MAJESTÉ LA REINE

Calgary (Alberta)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

              Date: 20010118

     Dossier: T-2022-89

ENTRE :

LE CHEF VICTOR BUFFALO, agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la nation et de la bande indienne de Samson

et

LA NATION ET BANDE INDIENNE DE SAMSON,

DEMANDEURS

ET

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et LE MINISTRE DES FINANCES

DÉFENDEURS

ET

LE CHEF JEROME MORIN, agissant en son nom et au nom de tous les MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE D'ENOCH ET DES RÉSIDENTS DE LA RÉSERVE DE STONY PLAIN NO 135

INTERVENANTS

ET

EMILY STOYKA et SARA SCHUG

INTERVENANTES

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                             

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