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Date : 20040609

Dossier : T-654-03

Référence : 2004 CF 825

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                   JODY CASE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicite l'annulation de la décision de Shelley Kerouate, directrice de la Direction des services à la clientèle du Bureau des services d'impôt de Vancouver de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » , sa désignation à cette époque, ou le « défendeur » ), datée du 3 avril 2003. Dans sa décision rendue aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, (la Loi), Mme Kerouate refusait d'annuler les intérêts et les pénalités imposés par le défendeur à l'égard de la dette fiscale de la demanderesse pour l'année d'imposition 2000.


[2]                La demanderesse sollicite une ordonnance :

1.          annulant la décision du défendeur;

2.          renvoyant l'affaire au défendeur pour qu'elle soit tranchée conformément aux directives de la Cour;

3.          lui adjugeant les dépens; et

4.          lui accordant tout autre redressement que l'avocat peut demander et la Cour autoriser.

Le contexte

[3]                La demanderesse a produit pour l'année d'imposition 2000 une déclaration incomplète qui ne reflétait pas avec exactitude toutes ses sources de revenu. Lorsque le défendeur a établi une nouvelle cotisation à l'égard de la déclaration de la demanderesse en décembre 2001 de façon à y inclure un revenu d'emploi supplémentaire et des prestations de retraite reçues en 2000, celui-ci a ajouté à sa dette fiscale un arriéré d'intérêts de 339,10 $ et une pénalité pour omission de déclarer un revenu d'un montant de 3 057,80 $.


[4]                Dans une lettre adressée au défendeur datée du 14 janvier 2002, le comptable de la demanderesse demandait au défendeur de renoncer à l'élément pénalité et intérêts de la nouvelle cotisation étant donné que la demanderesse n'avait pas reçu les feuillets de renseignements T4 et T4A. La lettre mentionnait que la demanderesse n'avait pas intentionnellement omis de déclarer certains revenus et que les montants supplémentaires ne figuraient pas dans son revenu parce qu'elle avait fait tout simplement une erreur. Cette lettre ne parlait pas de souffrance morale, ni d'autres motifs de nature médicale.

[5]                Le défendeur a reçu la lettre de demande le 30 mai 2002 et a traité cette lettre comme une demande d'allégement fiscal pour raison d'équité « de premier niveau » .

[6]                Dans une lettre datée du 28 août 2002, le défendeur a informé la demanderesse de sa décision de refuser sa demande d'annulation des intérêts et des pénalités. Le défendeur a justifié l'imposition d'une pénalité pour omission de déclarer un revenu aux termes du paragraphe 163(1) de la Loi parce que c'était la seconde fois que la demanderesse omettait de déclarer un revenu dans sa déclaration. Le défendeur notait également qu'il incombait à la demanderesse de veiller à ce que sa déclaration soit exacte, juste et complète, à ce que ses anciens employeurs soient au courant de ses changements d'adresse pour qu'ils puissent lui envoyer les feuillets de renseignements concernant son revenu et que le guide général de l'impôt contenait des instructions sur la façon d'évaluer le revenu lorsque le contribuable ne reçoit pas les feuillets de renseignements prévus. Le défendeur a conclu que les circonstances décrites par la demanderesse ne pouvaient entraîner l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par les dispositions de la Loi en matière d'équité.

[7]                La demanderesse a écrit au défendeur le 2 octobre 2002 pour lui demander de réexaminer sa demande fondée sur des raisons d'équité pour le motif que les intérêts et les pénalités étaient attribuables à des circonstances indépendantes de sa volonté. Elle énumérait un certain nombre de motifs sur lesquels elle fondait sa demande, notamment le fait qu'elle avait déménagé plusieurs fois, qu'elle avait des problèmes médicaux et affectifs, qu'elle avait informé son ancien employeur de son changement d'adresse mais que celui-ci n'avait pas mis à jour ses dossiers, qu'elle estimait que la pénalité pour omission semblait injustifiée et inéquitable et qu'elle ne pouvait pas assumer financièrement le fardeau de cette pénalité. La demanderesse déclarait qu'elle n'avait jamais eu l'intention de tromper l'ADRC ou de se soustraire à ses obligations fiscales et a réitéré sa demande d'allégement fiscal pour raison d'équité.

[8]                Le défendeur a traité cette lettre de la demanderesse comme une demande d'équité « de second niveau » et l'a transmise à Sandy Parrett, une agente de la Direction des services à la clientèle qui n'avait pas participé à la prise de la décision négative de premier niveau.

[9]                En réponse à une demande émanant du défendeur qui souhaitait obtenir des documents appuyant le motif fondé sur des troubles émotifs, la demanderesse a transmis le 9 octobre 2002 une lettre provenant de sa psychiatre, la Dre Elizabeth Luke, qui mentionnait que la demanderesse avait été traitée pour des troubles émotifs entre les mois d'août 2000 et d'août 2001.

[10]            Le 4 mars 2003, le défendeur a demandé à la demanderesse de fournir des renseignements supplémentaires concernant son état de santé dans les termes suivants :

[traduction] En plus de la lettre de votre médecin que vous nous avez transmise, nous avons besoin des renseignements supplémentaires suivants pour pouvoir examiner votre demande :

Un certificat médical ou une lettre de votre médecin, expliquant comment votre état de santé a influencé votre capacité de respecter vos obligations fiscales pour l'année d'imposition 2000.

[11]            La demanderesse a répondu dans une lettre datée du 7 mars 2003, qui contenait une lettre de la Dre Elizabeth Luke datée du 7 mars 2003. Dans cette lettre la Dre Luke déclarait :

[traduction] D'après ce que je sais, elle [Mme Case] n'a pas été en mesure de vaquer à ses activités quotidiennes normales, du moins pendant une certaine période, à ce que je crois.

Malheureusement, je ne connais pas grand-chose aux T4, à part la mienne qui m'est envoyée par courrier.

Je regrette de ne pouvoir vous fournir des renseignements susceptibles de vous être utiles ou d'être utiles à Jody.

[12]            Dans sa lettre datée du 3 avril 2003, Shelley Kerouate, directrice de la Direction des services à la clientèle du Bureau des services fiscaux de Vancouver a refusé la demande d'allégement pour raison d'équité de second niveau présentée par la demanderesse, en déclarant en partie :

[traduction] Les documents préparés par votre médecin que vous avez fournis indiquaient que vous aviez été soignée par elle entre le 15 août 2000 et le 16 août 2001 pour des troubles émotifs. Nous prenons note de votre état de santé et des difficultés qui y étaient associées mais la lettre de votre médecin datée du 7 mars 2003 que vous nous avez envoyée n'explique toujours pas comment votre état de santé vous a empêchée de respecter vos obligations fiscales...

[13]            L'auteure de la lettre poursuivait en concluant que la situation de la demanderesse ne correspondait pas aux circonstances prévues par les dispositions en matière d'équité, étant donné que les pénalités et les intérêts ne découlaient pas de circonstances indépendantes de la volonté de la demanderesse.

[14]            Le dossier de la demanderesse a été transmis à la Direction des recouvrements du défendeur pour examiner la question de savoir s'il y avait lieu de renoncer aux intérêts en raison de difficultés financières, étant donné que la demanderesse avait déclaré qu'elle n'était pas financièrement en mesure de payer les intérêts et les pénalités. L'examen fondé sur l'existence de difficultés financières est encore en cours.

[15]            La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du défendeur de refuser à la demanderesse l'annulation de l'arriéré d'intérêts et de pénalités faisant partie de sa dette fiscale.

Les arguments de la demanderesse


[16]            La demanderesse soutient que les documents médicaux préparés par sa psychiatre, la Dre Elizabeth Luke, indiquent clairement qu'elle n'était pas en mesure de vaquer normalement à ses activités quotidiennes pour au moins une partie de la période pendant laquelle elle avait subi un traitement pour des troubles affectifs. La demanderesse soutient que ces documents confirment ses déclarations selon lesquelles elle ne s'était pas aperçue, au moment de produire sa déclaration d'impôt pour l'année 2000, que deux feuillets d'information manquaient, en raison de ses troubles affectifs.

[17]            La demanderesse invoque l'arrêt Fraser H. Edison c. Sa Majesté la Reine (2001), 201 F.T.R. 58, 2001 CFPI 734, pour soutenir qu'elle pouvait légitimement s'attendre, en raison de son état de santé et des documents fournis, que sa situation serait considérée comme constituant des « circonstances extraordinaires » au sens de la circulaire d'information 92-2 de l'ADRC, de sorte que les intérêts et les pénalités seraient annulés.

[18]            La demanderesse demande que la Cour fasse droit à cette demande de contrôle judiciaire avec dépens, que la décision du défendeur soit annulée et que le dossier soit renvoyé au défendeur pour qu'il soit réexaminé conformément aux directives de la Cour.

Les arguments du défendeur

[19]            Le défendeur soutient que les tribunaux doivent faire preuve de retenue à l'égard de l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 220(3.1) de la Loi. Il invoque l'arrêt Sharma c. Canada (Agence des douanes et du revenu) (2001), 206 F.T.R. 40, 2001 CFPI 584 et Cheng c. Canada, 2001 D.T.C. 5575, 2001 CFPI 1114, pour affirmer que la norme de contrôle applicable par la Cour est celle de la décision manifestement déraisonnable.


[20]            Le défendeur soutient que, d'après cette norme de contrôle restrictive, le fait que la Cour aurait peut-être tranché la question différemment n'est pas une raison suffisante pour intervenir.

[21]            Le défendeur affirme qu'il incombait à la demanderesse de préciser et d'établir les motifs pour lesquels les intérêts et les pénalités dus découlaient principalement de facteurs indépendants de la volonté du contribuable. En l'espèce, le défendeur soutient qu'il était raisonnable de conclure que les documents médicaux fournis par la demanderesse ne démontraient pas comment ces troubles affectifs l'avaient empêchée de respecter les obligations qu'imposait la Loi.

[22]            Le défendeur soutient également qu'il était approprié de tenir compte du dossier de la demanderesse en matière de respect de ses obligations fiscales pour décider s'il y avait lieu de lui accorder un allégement d'intérêts et de pénalités : Harold c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 D.T.C. 5338, 2003 CFPI 688.


[23]            Le défendeur soutient que la demanderesse n'a pas démontré que son pouvoir discrétionnaire avait été exercé dans un but irrégulier ou en se fondant sur des considérations non pertinentes. Comme dans l'arrêt Construction & Rénovation M. Dubeau Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu) (2001), 213 F.T.R. 94, 2001 CFPI 1139, le défendeur soutient qu'il a correctement pris en considération les circonstances extraordinaires mentionnées par la demanderesse et qu'il a simplement décidé que le fait que la demanderesse n'avait pas respecté la Loi n'était pas attribuable aux circonstances décrites par elle.

[24]            En résumé, le défendeur soutient qu'il a exercé de façon équitable et appropriée son pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 220(3.1), qu'il s'est fondé sur des considérations pertinentes et qu'il a pris une décision raisonnable, compte tenu des faits présentés. Le défendeur soutient que la décision doit donc être maintenue.

[25]            À titre subsidiaire, dans le cas où la Cour déciderait que le défendeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée, le défendeur soutient que le redressement approprié serait de renvoyer la question au défendeur pour nouvel examen, conformément aux directives de la Cour.

[26]            Le défendeur demande que la présente demande soit rejetée, avec dépens.

Les questions en litige

[27]            Voici les questions en litige :

1.          Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du défendeur de rejeter la demande d'allégement fiscal pour raison d'équité présentée aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi?


2.          Existe-t-il des motifs d'intervenir dans la façon dont le défendeur a exercé son pouvoir discrétionnaire en l'espèce?

Les dispositions législatives pertinentes et les publications de l'ADRC :

[28]            Le paragraphe 220(3.1) de la Loi énonce ce qui suit :

220.(3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêt et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220.(3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

[29]            Les lignes directrices de l'ADRC relatives à l'exercice du pouvoir discrétionnaire accordé par le paragraphe 220(3.1) sont décrites dans la circulaire d'information 92-2 intitulée « Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités » datée du 18 mars 1992. Voici ce qu'énoncent les parties pertinentes des paragraphes 2, 5 et 10 de ce document :

Introduction

[...]

2. La circulaire énonce les lignes directrices qui serviront à appliquer les nouvelles mesures législatives. Elle explique la manière dont les contribuables et les employeurs peuvent demander l'annulation des intérêts et des pénalités ou la renonciation à ceux-ci à l'égard de l'année d'imposition 1985 et des années d'imposition suivantes. Elle précise également les renseignements qu'ils devront fournir pour que leur demande puisse être traitée.

[...]


Lignes directrices et exemples de cas où l'annulation des intérêts et des pénalités ou la renonciation à ceux-ci peuvent être autorisées

5. Il sera convenable d'annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux-ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable ou de l'employeur. Voici des exemples de situations extraordinaires qui pourraient empêcher un contribuable, un agent d'un contribuable, l'exécuteur d'une succession ou un employeur de faire un paiement dans les délais exigés ou de se conformer à d'autres exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu :

[...]

d) des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate.

[...]

Demandes d'annulation des intérêts et des pénalités ou de renonciation à ceux-ci

[...]

9. Les contribuables doivent soumettre, selon le cas, les renseignements suivants à l'appui de leur demande :

a) les nom, adresse et numéro d'assurance sociale ou numéro de compte du contribuable ou de l'employeur;

b) les années d'imposition visées;

c) les faits et les raisons qui tendent à montrer que les intérêts ou les pénalités établis ou à établir découlent principalement de facteurs indépendants de la volonté du contribuable;

d) toute correspondance pertinente et toute documentation connexe, y compris les reçus de paiement.

10. Le Ministère tiendra compte des points suivants dans l'étude des demandes d'annulation des intérêts ou des pénalités ou de renonciation à ceux-ci :

a) si le contribuable ou l'employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b) si le contribuable ou l'employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c) si le contribuable ou l'employeur a fait des efforts raisonnables et s'il n'a pas fait preuve de négligence ni d'imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;


d) si le contribuable ou l'employeur a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

[...]

Analyse et décision

[30]            La question en litige n ° 1

Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du défendeur de rejeter la demande d'allégement fiscal pour raison d'équité présentée aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi?

La Cour a clairement énoncé à plusieurs reprises que la norme de contrôle applicable aux affaires portant sur le paragraphe 220(3.1) de la Loi était celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans Metro-Can Construction Ltd. c. Canada (2002), 225 F.T.R. 154, 2002 CFPI 1171, le juge Teitelbaum a déclaré au paragraphe 9 :

Le paragraphe 220(3.1) de la Loi confère au ministre un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de la renonciation aux pénalités ou intérêts ou de leur annulation. Le ministre n'est pas tenu d'y renoncer ou de les annuler. Par conséquent, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la Cour doit déterminer si le ministre, ou son représentant légal, a exercé son pouvoir discrétionnaire de la façon appropriée. La norme de contrôle applicable, telle qu'elle a été énoncée par M. le juge Pelletier dans la décision Sharma c. M.R.N., [2001] 3 C.T.C. 169 (C.F. 1re inst.), est celle du caractère manifestement déraisonnable. Comme M. le juge Mackay l'a fait remarquer dans la décision Alasdair MacKay c M.R.N., [2002] A.C.F. n ° 323, 2002 CFPI 234 (C.F. 1re inst.), cette norme exige un degré élevé de retenue de la part du tribunal qui procède à l'examen à l'égard de l'exercice du pouvoir discrétionnaire, d'autant plus que ce pouvoir a trait à une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu portant dispense.


[31]            Lorsque la Cour examine la décision d'un ministre dans des affaires de ce type, elle doit procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle appropriée. Lorsqu'elle utilise la méthode pragmatique et fonctionnelle, la Cour doit tenir compte de quatre facteurs contextuels : (1) la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; (2) l'expertise relative du tribunal par rapport à celle de la cour de révision sur le point en litige; (3) l'objet de la loi et de la disposition particulière en cause; et (4) la nature de la question - de droit, de fait ou mixte de droit et de fait (voir Voice Construction Ltd. c. Construction and General Workers' Union, Local 92, [2004] A.C.S. n ° 2, 2004 CSC 23, aux paragraphes 15 à 19).

[32]            Je note tout d'abord que la décision en question n'est pas protégée par une clause privative et qu'il n'existe pas non plus de droit d'appel. Le contrôle judiciaire est possible mais la loi elle-même est muette sur la question de la révision. Le silence de la loi n'influence pas cet aspect et ne montre pas que la décision attaquée doive faire l'objet d'un examen minutieux.

[33]            Pour ce qui est de l'expertise du ministre par rapport à celle de la Cour sur la question de savoir s'il y a lieu d'annuler les intérêts ou les pénalités, j'estime que le ministre est mieux placé que la Cour pour prendre cette décision. Le ministre examine fréquemment ce genre de question, il a élaboré des lignes directrices concernant la prise de décision dans ce domaine et il tient compte des objectifs généraux des dispositions en matière d'équité lorsqu'il prend une décision de ce genre. Ce facteur indique qu'il y a lieu de faire preuve d'une grande retenue.

[34]            Le juge Rouleau de la Cour a décrit l'objet de la loi dans ce domaine dans Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) (1995), 93 F.T.R. 66, au paragraphe 8 :

L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de circonstances échappant à leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées; elles sont exposées dans la circulaire 92-2.

L'étendue du pouvoir discrétionnaire accordé au ministre indique qu'il y a lieu d'adopter une norme de contrôle peu stricte.

[35]            Pour ce qui est de la nature de la question en litige, le ministre est, dans les cas de ce genre, tenu de formuler des conclusions de fait concernant l'application particulière des dispositions en question et d'appliquer les faits aux termes utilisés dans la loi et la politique. Ces décisions n'ont guère valeur de précédents, voire aucune, et elles sont principalement axées sur les faits, ce qui indique que la décision du ministre doit faire l'objet d'une grande retenue de la part des tribunaux.

[36]            Compte tenu de tous ces facteurs, je conclus que, selon la méthode pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle applicable à la décision du ministre en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour (voir par exemple Sharma, précité et Metro-Can, précité).

[37]            Question en litige n ° 2

Existe-t-il des motifs d'intervenir dans la façon dont le défendeur a exercé son pouvoir discrétionnaire en l'espèce?

Pour intervenir dans la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser d'annuler les intérêts et les pénalités, il faudrait que j'estime que la décision du ministre est manifestement déraisonnable. Le juge Major parlant au nom de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans Voice Construction Ltd., précité, l'a déclaré au paragraphe 18 :

. . . Il est difficile de définir l'expression « décision manifestement déraisonnable » , mais on peut affirmer qu'il doit s'agir d'une décision frôlant l'absurde...

[38]            La décision qu'a prise le ministre en l'espèce est couchée dans une lettre émanant de Shelly Kerouate datée du 3 avril 2003 qui se lit en partie comme suit :

[traduction] Vous déclarez dans votre lettre que vous avez déménagé à plusieurs reprises pendant cette période et que vous en avez informé votre employeur précédent mais que celui-ci n'a pas effectué les changements nécessaires. Je dois répéter que selon le système canadien d'autodéclaration, il vous incombe de veiller à ce que votre déclaration d'impôt soit exacte, correcte et complète.

Les documents émanant de votre docteur que vous avez fournis indiquent que vous avez subi un traitement entre le 15 août 2000 et le 16 août 2001, notamment pour des troubles affectifs. Nous avons pris note de votre état de santé et des problèmes qui y sont associés, mais la lettre de votre médecin datée du 7 mars 2003 que vous avez fournie n'explique toujours pas comment cet état de santé vous a empêchée de respecter vos obligations fiscales. Votre médecin affirme plutôt : « D'après ce que je sais, elle n'était pas en mesure de vaquer normalement à ses activités quotidiennes, au moins pendant une partie de cette période, à ce que je crois » . En fait, elle termine sa lettre en disant « Je regrette de ne pouvoir vous fournir d'information qui vous seraient utiles ou qui le seraient pour Jody » .


[39]            La demanderesse soutient que, si elle était incapable de vaquer normalement à ses activités quotidiennes, on ne pouvait s'attendre à ce qu'elle ait l'esprit suffisamment clair pour s'occuper de quelque chose qui survient une fois par an ou pour s'apercevoir qu'elle n'avait pas reçu tous ses T4 pour l'année d'imposition 2000.

[40]            Le ministre soutient, de son côté, que les rapports médicaux n'indiquent pas que l'état de santé de la demanderesse l'ait empêchée de respecter ses obligations fiscales.

[41]            Il ressort de l'examen du dossier du ministre que le représentant du ministre a examiné toutes les observations présentées par la demanderesse. Le représentant du ministre n'a toutefois pas accordé aux rapports médicaux l'importance que la demanderesse souhaitait leur donner.

[42]            Le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire n'est pas de substituer son opinion à celle du ministre. Après avoir examiné tous les documents au dossier, je ne peux conclure que la décision du ministre de refuser la demande d'allégement fiscal était manifestement déraisonnable.

[43]            Je tiens à souligner que, comme l'indique le paragraphe 9 de la circulaire d'information 92-2, il incombe au contribuable de fournir les renseignements susceptibles de convaincre l'ADRC qu'il est approprié d'accorder un allégement fiscal. La demanderesse ne s'est pas acquittée de ce fardeau en l'espèce.

[44]            La demanderesse invoque la décision Fraser H. Edison, précitée, et la notion d'attente légitime, arguments que je ne peux retenir. Dans Fraser H. Edison, le juge Blanchard a simplement déclaré que la circulaire d'information 92-2 de l'ADRC donnait naissance à une attente légitime, selon laquelle les décisions de second niveau relatives aux demandes d'allégement fiscal pour raison d'équité sont prises de façon impartiale et indépendante de l'examen du premier niveau. Étant donné que, d'après les faits de cette affaire, la même personne avait participé aux décisions des deux niveaux, la demande de contrôle judiciaire avait été acceptée. La décision Fraser H. Edison, précitée, n'est d'aucune utilité pour la demanderesse en l'espèce.

[45]            L'examen des documents au dossier n'indique pas qu'il y ait eu violation de l'équité procédurale ou que le pouvoir discrétionnaire du ministre ait été exercé dans un but irrégulier ou fondé sur des considérations non pertinentes.

[46]            La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

[47]            Aucuns dépens ne sont adjugés.


                                        ORDONNANCE

[48]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                            _ John A. O'Keefe _               

                                                                                                     Juge                            

Ottawa (Ontario)

le 9 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-654-03

INTITULÉ :                            JODY CASE

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :      CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 17 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :           LE 9 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Jody Case, représentée par elle-même                           POUR LA DEMANDERESSE

Kristy Foreman-Gear                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jody Case                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg, c.r.                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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