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Date : 20210325


Dossiers : T‑189‑19

T‑190‑19

T‑191‑19

Référence : 2021 CF 253

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2021

En présence de monsieur le juge Bell

Dossier : T‑189‑19

ENTRE :

PREVENTOUS COLLABORATIVE HEALTH

demanderesse

et

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

défendeur

Dossier : T‑190‑19

ET ENTRE :

PROVITAL HEALTH

demanderesse

et

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

défendeur

Dossier : T‑191‑19

ET ENTRE :

COPEMAN HEALTHCARE CENTRE

demandeur

et

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Les demandeurs déposent la présente requête en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98‑106, (les Règles) pour interjeter appel de l’ordonnance d’une protonotaire de la Cour datée du 20 octobre 2020, par laquelle cette dernière a rejeté la requête des demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance portant sur la production de documents (les documents demandés) en vertu des articles 317 et 318.

[2] La protonotaire a rejeté la requête des demandeurs en s’appuyant sur sa conclusion selon laquelle l’article 317 des Règles ne s’applique pas aux révisions de novo effectuées en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, c. A‑1 (la LAI).

[3] Les demandeurs soutiennent qu’en raison de la nature inédite de certaines questions juridiques soulevées dans la demande sous‑jacente, dont un argument concernant le partage des compétences sous le régime de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.‑U.), 30 et 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 5, il serait dans l’intérêt de la justice que la Cour leur donne accès aux documents demandés.

[4] Pour les motifs exposés ci‑après, je souscris à la prétention des demandeurs et j’accueille l’appel.

II. LES FAITS

[5] Le 22 juin 2020, chacun des demandeurs a signifié au défendeur une demande de documents en possession d’un tribunal conformément à l’article 317 des Règles (les demandes de documents). Les demandes de documents sollicitaient la divulgation d’un certain nombre de documents pertinents à chacune de leurs demandes présentées au titre de l’article 44 de la LAI. Ces documents n’avaient pas été produits aux demandeurs, et la chef de la Division de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de Santé Canada (la chef de l’AIPRP) en aurait été saisie lorsqu’elle a pris la décision de divulguer certains documents (les documents) en réponse à la demande d’accès à l’information A‑2016‑001859 (la demande d’AI).

[6] Les documents demandés, qui n’étaient pas en la possession des demandeurs, sont les suivants :

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  • c)  | 
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  • d)  | 
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  • e) ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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  • f)  | 
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  • g)  | 
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  • h)  | 
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[7] Le 13 juillet 2020, le défendeur a informé toutes les parties de son opposition aux demandes de documents, comme le prévoit le paragraphe 318(2) des Règles, en citant les motifs suivants :

  • a) Premièrement, les articles 317 et 318 des Règles ne s’appliquent pas, car les demandeurs ont demandé une audience de novo en vertu de l’article 44 de la LAI. Dans le cadre d’une révision de novo, la Cour jugera si Santé Canada a correctement appliqué les exceptions relativement aux documents en cause. Les deux parties peuvent produire de nouveaux éléments de preuve, et les demandeurs ont le fardeau de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, la divulgation sous le régime de la LAI ne devrait pas avoir lieu.

  • b) Deuxièmement, les demandes fondées sur l’article 317 n’ont pas été faites en temps opportun. Ces demandes ont été présentées moins d’un mois avant la date à laquelle les demandeurs devaient déposer leurs dossiers du demandeur, un an et demi après le dépôt de leurs demandes respectives, et huit mois après le contre‑interrogatoire des deux déposantes du Canada. De plus, les demandeurs n’ont présenté ces requêtes qu’après s’être vu refuser l’accès aux documents en question à la suite de leur requête auprès de la Cour.

  • c) Troisièmement, si la Cour conclut que les articles 317 et 318 des Règles s’appliquent à ce scénario, les requêtes fondées sur l’article 317 ont alors une portée excessive, relativement à la nature de la communication de documents, et elles visent des éléments importants non pertinents pour les besoins de la demande. Les demandeurs n’ont pas avancé de motifs pour lesquels les documents demandés s’avèrent pertinents quant à leurs avis de demande. Le Canada a déjà signifié les affidavits reliant les documents pertinents relatifs au traitement des demandes et les documents non expurgés saisis dans le cadre des demandes (et les contre‑interrogatoires quant à ces affidavits ont déjà eu lieu). Les documents demandés au titre de l’article 317, y compris les communications entre Santé Canada et le ministère de la Santé de l’Alberta, ne sont pas pertinents.

[8] Le 15 juillet 2020, les demandeurs ont présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance de production des documents demandés au titre de l’article 318 des Règles.

[9] Le 20 octobre 2020, une protonotaire a rejeté la requête des demandeurs après avoir conclu que l’article 317 ne s’applique pas aux révisions de novo en vertu de l’article 44 de la LAI. Elle n’a pas tenu compte des deux autres objections du défendeur concernant la production des documents demandés.

III. QUESTIONS À TRANCHER

[10] La seule question à trancher dans la présente requête est de savoir si la protonotaire a commis une erreur en concluant que l’article 317 des Règles ne s’applique pas à un examen prévu à l’article 44 de la LAI dans les circonstances de la présente affaire.

IV. NORME DE CONTRÔLE

[11] La question de savoir si l’article 317 s’applique à un examen prévu à l’article 44 est une pure question de droit. Conformément à l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, les questions de droit sont susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision correcte.

V. ANALYSE

A. L’article 317 s’applique à la révision au titre de l’article 44 dans les circonstances

[12] Dans sa décision, la protonotaire a conclu qu’il est [traduction] « indéfendable » qu’un examen prévu à l’article 44 constitue une demande de contrôle judiciaire, car un examen de novo n’est pas, selon la jurisprudence établie, un contrôle judiciaire.

[13] Les demandeurs soutiennent qu’une examen prévu à l’article 44 est un contrôle judiciaire, même s’il s’agit d’un examen de novo. Ils affirment que la protonotaire a commis une erreur en décidant que l’article 317 des Règles ne s’applique pas à la révision. Selon eux, la jurisprudence, qui laisse entendre le contraire, peut largement être écartée en l’espèce. Les demandeurs soutiennent que c’est la décision de la chef de l’AIPRP de communiquer les documents qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire.

[14] Fait important, les demandeurs affirment que, même si un examen prévu à l’article 44 est un contrôle de novo, il est clair que la décision du décideur administratif fait l’objet d’un contrôle. Voir l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23 au para 53 [Merck Frosst], où la Cour déclare :

Aucune décision discrétionnaire du responsable de l’institution n’est en cause dans la présente affaire. Selon l’art. 51 de la Loi, le juge siégeant en révision doit décider si « le responsable [de l’]institution fédérale est tenu de refuser la communication […] d’un document » et, dans l’affirmative, il doit ordonner à ce dernier de ne pas le communiquer. Il s’ensuit que dans les cas où un tiers, telle Merck en l’espèce, demande à la Cour fédérale, en vertu de l’art. 44 de la Loi, de « contrôler » la décision du responsable de l’institution de communiquer tout ou partie d’un document, le juge de la Cour fédérale doit déterminer si ce dernier a correctement appliqué les exceptions aux documents visés : Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66, para 19; Voir aussi Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2. R.C.S. 306, para 22. Ce processus a parfois été qualifié d’examen de novo de la question de savoir si le document en cause est soustrait à la communication : voir, p. ex., Air Atonabee Ltd. c Canada (Ministre des Transports), [1989], 37 Admin. L.R. 245 (C.F. 1re inst.), p. 265‑266; Merck Frosst Canada & Co. c Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1422 (CanLII), para 3; Dagg, para 107. Le terme « de novo » n’est peut‑être pas, à proprement parler, celui qu’il convient d’utiliser; toutefois, il n’y a aucun désaccord dans ces affaires quant au rôle du juge siégeant en révision dans un tel contexte : il doit décider si les exceptions ont été correctement appliquées relativement aux documents en cause. Les articles 44, 46 et 51 sont les dispositions législatives les plus pertinentes qui s’appliquent au présent contrôle.

[15] C’est la décision du décideur administratif qui « fait l’objet de la demande ». Cela cadre parfaitement avec le libellé de l’article 317. Dans la décision Viandes du Breton Inc. c. Canada, 2006 CF 335 au para 30, [Viandes du Breton], la Cour a conclu qu’un examen prévu à l’article 44 était une demande de contrôle judiciaire.

Le recours en vertu de l’article 44 de la Loi est une procédure sommaire (demande de contrôle judiciaire). Il est de nature hybride puisque, comme l’indiquent plusieurs décisions de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale, il s’apparente davantage à une procédure de novo qu’à une procédure typique de contrôle judiciaire.

[16] Le défendeur s’appuie en partie sur la décision Lavigne c. Société canadienne des postes, 2009 CF 756, [2009] A.C.F. no 942 [Lavigne], où le juge de Montigny, alors juge à la Cour fédérale, a confirmé la décision d’un protonotaire en concluant que l’article 317 des Règles ne s’applique pas à une demande présentée en vertu de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c 31 (la LLO). Toutefois, il est évident que l’article 317 des Règles ne peut être invoqué contre le commissaire aux langues officielles, et ce, pour une raison bien simple. La décision du commissaire ne faisait pas l’objet d’un contrôle. Une demande présentée en vertu de l’article 77 de la LLO est différente d’une demande de contrôle judiciaire.

Elle cherche à vérifier le bien‑fondé d’une plainte déposée auprès du commissaire et non pas le bien‑fondé de la décision ou du rapport du commissaire, et à assurer une réparation convenable et juste dans les circonstances […] (voir la décision Lavigne, para 27).

[17] Une contestation du bien‑fondé de la plainte ne constitue pas une contestation de la décision ou du rapport du commissaire et, par conséquent, ne peut faire l’objet d’un contrôle. Le raisonnement de cette affaire n’appuie pas la proposition selon laquelle la décision du chef de l’AIPRP dans le présent appel ne fait pas l’objet d’un contrôle judiciaire.

[18] Le défendeur s’appuie également sur l’arrêt Lukács c Swoop Inc., 2019 CAF 145, 305 A.C.W.S. (3d) 500 [Lukács], pour étayer son affirmation selon laquelle la décision de la chef de l’AIPRP ne fait pas l’objet d’un contrôle judiciaire. Dans la décision Lukács, toutefois, la question portait sur l’applicabilité de l’article 317 des Règles à une requête en autorisation d’appel, en vertu de l’article 352 des Règles. L’article 352 ne se trouve pas dans la partie 5 des Règles, laquelle traite expressément de la question des contrôles judiciaires, contrairement à l’article 317. L’affaire Lukács, tout comme l’affaire Lavigne, apporte un appui limité à la position défendue par le défendeur dans la requête en l’espèce.

[19] Il n’est pas surprenant que la protonotaire se soit fondée sur la décision Philippe Nolin c. Procureur général du Canada, (20 novembre 2015), Ottawa, dossier T‑1749‑14 (CF) [Nolin], dans laquelle il est conclu que l’article 317 des Règles ne s’applique pas aux demandes présentées en vertu de l’article 41 de la LAI. Dans la décision Nolin, la personne ayant présenté la demande de révision au titre de l’article 41 a tenté d’invoquer l’article 317 des Règles pour demander la production des documents exacts auxquels il avait demandé l’accès dans sa demande d’accès à l’information originale, accès qui lui avait été refusé par le ministère de la Justice. La Cour y a confirmé la décision de la protonotaire Tabib. Cette dernière avait conclu qu’une demande présentée au titre de l’article 41 de la LAI emporterait un examen de novo quant à la validité du refus d’accès du ministère du gouvernement et non un contrôle judiciaire de cette décision. De même, comme la révision au titre de l’article 41 était de novo, la décision du Commissariat à l’information du Canada de maintenir le refus du ministère de la Justice de communiquer les renseignements ne faisait pas « l’objet de la demande ».

[20] Les demandeurs font remarquer à juste titre que, même si la décision Nolin établit qu’une révision au titre de l’article 41 n’est pas un contrôle judiciaire, la Cour, dans ses motifs, fait référence à une telle révision comme s’il s’agissait d’un [traduction] « contrôle judiciaire ». Les demandeurs soutiennent que la décision Nolin comporte des contradictions internes. Je partage cet avis. Soit la procédure constitue un contrôle judiciaire, soit elle n’en constitue pas un.

[21] Les faits de l’affaire Nolin ont placé la Cour dans une position difficile. Si elle avait conclu que l’article 317 des Règles s’appliquait dans les circonstances, elle aurait créé une lacune permettant à une personne qui demande l’accès à une information, qu’un ministère refuse de communiquer, d’avoir simplement accès à cette information en question en invoquant l’article 317 des Règles. Naturellement, la Cour a interprété l’application de l’article 317 des Règles de façon à éviter de créer une telle confusion.

[22] Outre les observations qui précèdent, l’affaire Nolin est différente du présent appel. Un examen prévu à l’article 41 permet aux personnes qui demandent la communication de documents de porter leur affaire devant la Cour aux fins de contrôle. Par contre, un examen prévu à l’article 44 permet à des tiers concernés par des demandes d’accès à l’information de s’adresser aux cours de justice pour obtenir réparation. La trame factuelle implicite dans un examen prévu à l’article 41, introduite par une partie qui demande la communication de documents, fournit des motifs convaincants de conclure que l’article 317 des Règles ne s’applique pas. Toutefois, sous le régime d’un examen prévu à l’article 44, il n’y a pas de considérations semblables permettant de conclure que l’article 317 des Règles ne s’applique pas. La décision Nolin est muette à ce sujet.

[23] Le défendeur s’appuie également sur la décision Kelly A. O’Grady c. Procureur général du Canada, (10 mars 2015), Ottawa, Dossier : T‑2587‑14 (CF) [O’Grady], pour étayer sa position selon laquelle l’article 317 des Règles ne s’applique que dans le contexte du contrôle judiciaire d’une ordonnance ou d’une décision qui fait l’objet d’une demande fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7. Bien que l’ordonnance dans la décision O’Grady comporte une telle déclaration, cette dernière semble avoir été faite dans une remarque incidente. Une lecture exhaustive de l’ordonnance démontre que la question en litige dans cette affaire, comme dans l’affaire Lukács, n’était pas liée au contrôle judiciaire potentiel de l’enquête et aux conclusions du commissaire à la protection de la vie privée. Dans l’affaire O’Grady, le demandeur cherchait plutôt à obtenir un jugement déclarant qu’une entente intervenue entre Statistique Canada et le Centre universitaire de santé McGill était illégale, nulle et sans effet.

[24] Dans l’affaire O’Grady, la Cour a conclu que le demandeur avait demandé indûment le contrôle de deux ou plusieurs décisions, contrevenant ainsi à l’article 302 des Règles, et qu’il demandait la production du dossier d’un tribunal dans le seul but d’appuyer le contrôle judiciaire de l’autre décision. Comme dans l’affaire Nolin, la requête fondée sur l’article 317 des Règles a été utilisée de façon inappropriée, car la décision du commissaire à la protection de la vie privée n’était pas la véritable question à l’étude dans la demande.

[25] Dans le cas du présent appel, la décision de Santé Canada fait l’objet d’un contrôle. Les principes énoncés dans la décision O’Grady ne s’appliquent donc pas. Dans l’affaire O’Grady, la Cour, avec égards, s’est prononcée sur une question qu’elle n’était pas tenue d’aborder.

[26] Comme il ressort clairement de la décision Lavigne, l’article 317 des Règles est conçu pour obtenir des documents auprès d’un tribunal dans les cas où sa décision fait l’objet d’un contrôle. En me fondant sur l’affaire Merck Frosst et sur la décision de la Cour dans l’affaire Viandes du Breton, je conclus qu’un examen prévu à l’article 44 de la LAI est un contrôle judiciaire. Rien dans l’article 317 des Règles ne limite son application aux demandes présentées en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Si le législateur avait souhaité faire une telle chose, il aurait facilement pu le faire.

[27] De plus, sur le plan de l’intérêt public, il serait erroné de conclure que l’article 317 des Règles ne s’applique pas à un examen de novo. Comme la Cour d’appel fédérale l’a reconnu dans l’arrêt Canadian Copyright Licensing Agency c Alberta, 2015 CAF 268, 479 N.R. 345 au para 14 :

[…] Si la cour de révision n’a aucune preuve de ce sur quoi le décideur administratif s’est fondé, elle pourrait ne pas être en mesure de détecter une erreur susceptible de révision. Autrement dit, si le dossier de preuve soumis à la cour de révision est insuffisant, cela pourrait mettre le décideur administratif à l’abri du contrôle judiciaire à l’égard de certains des motifs […]

[Non souligné dans l’original.]

[28] Cette déclaration s’applique tout autant à un contrôle judiciaire de novo qu’à un contrôle judiciaire traditionnel.

[29] Dans son opposition en date du 13 juillet 2020 à la production des documents demandés, le défendeur soutient que les deux parties peuvent présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un examen de novo. C’est vrai. Le défendeur soutient également qu’il incombe aux demandeurs de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la communication en vertu de la LAI ne devrait pas être faite. Cela est également vrai. Cependant, les lacunes suivantes apparaissent dans l’analyse. Premièrement, c’est le défendeur qui est en possession des éléments que les demandeurs souhaitent produire. Mettre le défendeur à l’abri de la communication de ces éléments désavantagerait injustement les demandeurs et placerait le défendeur à l’abri d’un contrôle efficace fondé sur le contenu des documents demandés. Deuxièmement, les demandeurs soulèvent une contestation constitutionnelle concernant le partage des compétences qui doit être examinée. Les demandeurs ont le droit de savoir quels aspects ont été pris en compte par le décideur sur cette question, le cas échéant. Troisièmement, l’article 46 de la LAI n’est pas une solution de rechange adéquate à l’article 317 des Règles, parce qu’il ne fournit pas un moyen par lequel les demandeurs peuvent présenter les documents demandés à la Cour. Enfin, les demandeurs n’ont aucun contrôle sur la décision d’une Cour d’examiner ou non les dossiers au titre de l’article 46 de la LAI.

[30] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la protonotaire a commis une erreur en concluant que l’article 317 des Règles ne s’applique pas à une révision judiciaire de novo effectuée au titre de l’article 44 de la LAI.

B. Il est dans l’intérêt de la justice que les documents demandés soient produits

[31] Il est dans l’intérêt de l’administration de la justice que les documents demandés soient produits. J’en suis venu à cette conclusion pour les motifs énoncés ci‑après. Premièrement, il semble que bon nombre des dossiers demandés portent sur une question qui n’a pas été examinée par les tribunaux, à savoir la validité constitutionnelle du transfert de renseignements de tiers concernant la santé, d’une province, qui a compétence constitutionnelle en matière de soins de santé, au gouvernement fédéral. Cela soulève la question légitime de savoir si le gouvernement fédéral peut faire indirectement ce qu’il ne peut pas faire directement. Deuxièmement, en supposant que le Règlement concernant les renseignements sur la surfacturation et les frais modérateurs de la Loi canadienne sur la santé, D.O.R.S./86‑259, survit à une contestation constitutionnelle, ni ce règlement, ni aucune autre disposition de la Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, c C‑6, n’est censé conférer à Santé Canada des pouvoirs d’enquête pour surveiller la conformité. Troisièmement, la protection de la vie privée, en particulier la protection des renseignements personnels sur la santé, est une préoccupation importante d’intérêt public. De nombreuses lois restreignent l’échange de renseignements sur la santé, notamment la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, c. P‑21, et l’Alberta Health Information Act, R.S.A. 2000, c. H‑5.

[32] Afin de bien évaluer si la communication des |||||||||||||||||||||||||||||||||| était légale, la Cour doit bénéficier d’observations complètes des deux parties. S’il manque certains renseignements pertinents, les demandeurs sont lésés. Comme il n’y a pas de production de documents dans une révision au titre de l’article 44 de la LAI, les demandeurs doivent pouvoir invoquer l’article 317 des Règles afin d’examiner efficacement la décision contestée.

VI. RÉPARATION

[33] En conséquence, j’accueille l’appel. La question que je dois maintenant examiner est celle de savoir si je dois rendre l’ordonnance demandée par les demandeurs ou renvoyer l’affaire à la protonotaire en lui donnant la directive de se prononcer sur les deuxième et troisième questions soulevées par le défendeur, à savoir les questions des délais de présentation et de la portée excessive décrites au paragraphe 7 des présents motifs. Devant la Cour, les demandeurs n’ont pas présenté d’observations quant à ces questions, alors que le défendeur en a traité. Je suis d’avis que la protonotaire, qui a sans doute devant elle des arguments convaincants de toutes les parties, est mieux placée pour traiter les questions en suspens (voir : Merck & Co. Inc. c Apotex Inc., 2003 CF 1483 (CanLII) aux para 26‑28 et Leo Pharma Inc. c Teva Canada Limitée, 2014 CF 1241 au para 34).

[34] La protonotaire a accordé les dépens relatifs à la requête dont elle était saisie, dépens qu’elle a fixés à 1 000 $, incluant les débours et les taxes, en faveur du défendeur. Chacune des parties a demandé des dépens dans le cadre du présent appel, mais a laissé à la Cour le soin d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’en déterminer le montant, conformément au paragraphe 400 (3) des Règles. J’adopte la même approche que la protonotaire et j’adjuge aux demandeurs, conjointement et solidairement, un montant forfaitaire fixe de 1 000 $, taxes et débours compris. J’annule également l’adjudication des dépens de 1 000 $ accordés au défendeur par la protonotaire relativement à la requête dont elle était saisie et j’adjuge aux demandeurs, conjointement et solidairement, un mémoire de frais, taxes et débours compris.

ORDONNANCE dans les dossiers T‑189‑19, T‑190‑19 et T‑191‑19

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel interjeté par les demandeurs contre l’ordonnance de la protonotaire datée du 20 octobre 2020 est accueilli;

  2. L’article 317 des Règles des Cours fédérales s’applique à la révision de novo au titre de l’article 44 de la LAI dans les circonstances;

  3. L’affaire est renvoyée à la protonotaire pour qu’elle tranche les questions des délais de présentation et de portée excessive qui lui avaient été soumises;

  4. Les dépens de 1 000,00 $, taxes et débours compris, qui avaient été accordés au défendeur par la protonotaire, sont annulés et adjugés conjointement et solidairement aux demandeurs;

  5. Le défendeur paie aux demandeurs, conjointement et solidairement, un mémoire de frais sous la forme d’un montant forfaitaire de 1 000 $ dans le cadre du présent appel, ce qui comprend les débours et les taxes.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑189‑19

 

INTITULÉ :

PREVENTOUS COLLABORATIVE HEALTH c CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

ET DOSSIER :

T‑190‑19

 

INTITULÉ :

PROVITAL HEALTH c CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

ET DOSSIER :

T‑191‑19

 

INTITULÉ :

COPEMAN HEALTHCARE CENTRE c CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par VIDÉOCONFÉRENCE organisée par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2020

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Gerald D. Chipeur, c.r.

Annie Alport

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Andrew Cosgrave

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson, s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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