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Date : 20210622


Dossier : IMM‑1763‑20

Référence : 2021 CF 638

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 22 juin 2021

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

AMRITPAL SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ÉGALEMENT APPELÉ LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Amritpal Singh (M. Singh), citoyen de l’Inde âgé de 28 ans, est résident temporaire des Émirats arabes unis. Il travaille comme camionneur depuis 2014. Le 11 novembre 2019, il a présenté une demande de visa de résident temporaire afin de travailler au Canada comme conducteur de grand routier pour ADP Transport Ltd. à Richmond, en Colombie‑Britannique.

[2] Le 6 janvier 2020, un agent des visas a refusé la demande de permis de travail du demandeur, étant d’avis que M. Singh n’était pas en mesure de démontrer qu’il serait à même d’exercer convenablement l’emploi visé. Fait important, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il possédait les compétences linguistiques nécessaires pour travailler comme conducteur de grand routier. Pour parvenir à cette conclusion, il a comparé les résultats obtenus par M. Singh à l’International English Language Testing System (IELTS) et les éléments de référence du British Council.

[3] Monsieur Singh a introduit une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable du 6 janvier 2020, et ce, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR]. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, j’accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un autre agent des visas pour réexamen.

II. Dispositions pertinentes

[4] La disposition pertinente est l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 :

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002‑227

Exceptions

Exceptions

200(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

200(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

III. Analyse

[5] La seule question en litige est de savoir si la décision de l’agent des visas possède les attributs d’une décision raisonnable, tels qu’énoncés dans les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

[6] Parmi les nombreux documents que M. Singh a joints à sa demande, on compte la lettre du 4 novembre 2019 rédigée par son employeur éventuel, dont voici un extrait :

[traduction]

J’écris cette lettre pour dire la grande estime que j’ai pour Amritpal Singh et pour exprimer mon intérêt à l’embaucher comme conducteur de grand routier puisque notre compagnie en a un besoin criant.

Service Canada a fourni une étude d’impact sur le marché du travail favorable pour le poste de conducteur de grand routier et a délivré une lettre d’appui (EIMT no 8444793).

En octobre, nous avons offert à M. Amritpal Singh le poste de conducteur de grand routier après une entrevue fructueuse. M. Singh a prouvé qu’il avait les aptitudes d’un camionneur expérimenté. En outre, il a aussi prouvé sa capacité à gérer des situations d’urgence sur la route lors des déplacements sur de longues distances. En plus de son habileté à manier les chargements inhabituels, il possède également une excellente maîtrise de la langue anglaise. Il est le candidat parfait pour ce poste.

[7] Dans le même document, l’employeur éventuel a énuméré en détail les qualités exigées d’un conducteur de grand routier. Dans la section sur la langue, il a précisé que le poste nécessite [traduction] « un anglais fonctionnel/niveau 4 NCLC (niveau 4 des niveaux de compétence linguistique canadiens). Veuillez vous reporter à l’EIMT [...] ». L’employeur éventuel a aussi comparé, comme suit, les résultats de l’IELTS obtenus par M. Singh avec les niveaux de compétence linguistique canadiens :

[traduction]

IELTS

Résultat/Catégorie

 

NCLC

6.0/Compréhension de l’oral

7

4.5/Compréhension de l’écrit

5

5.5/Expression écrite

6

5.0/Expression orale

5

[8] Les notes de l’agent des visas, qui sont intégrées à la décision, contiennent le passage suivant :

[traduction]

[...] Je suis préoccupé par les compétences linguistiques du candidat en anglais qui sont aussi indiquées comme une exigence du poste dans l’AMT. Bien que le candidat ait obtenu une moyenne générale de 5.5 à l’IELTS, je constate qu’il a obtenu seulement une note de 4.5 en compréhension de l’écrit et de 5 en expression orale. S’il est vrai que l’EIMT n’exige pas de minimum précis pour les résultats à l’IELTS pour ce poste, je remarque cependant que le British Council classe les élèves de ce niveau comme étant « [des locuteurs] aux aptitudes limitées, dont le niveau de compétence de base se cantonne aux situations familières. [Ils] éprouv[ent] couramment des problèmes dans la compréhension et l’expression. [Ils ne sont] pas capable[s] d’utiliser un langage complexe ».

[9] L’agent des visas ne dit rien des niveaux de compétence linguistique canadiens, des exigences de l’employeur éventuel en matière langagière (niveau 4 des niveaux de compétence linguistique canadiens) ni ne mentionne le fait que l’employeur éventuel a qualifié d’excellentes les compétences linguistiques du demandeur. Enfin, je constate que le British Council fait référence aux aptitudes des élèves. Il ne renvoie manifestement pas aux compétences linguistiques d’un adulte dans son champ d’activités professionnelles.

[10] Une décision est déraisonnable quand il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, au para 103). Un décideur omet aussi de rendre une décision transparente, justifiée et intelligible lorsqu’il néglige d’examiner des éléments de preuve qui vont à l’encontre de ses conclusions factuelles : voir Ul‑Zaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 268 au para 30.

[11] Je suis d’avis que l’agent des visas a été obnubilé par les résultats de M. Singh à l’examen de l’IELTS et les éléments de référence du British Council. Il n’a pas tenu compte des éléments de preuve très concrets et probants dont il disposait. Il s’agissait notamment i) des exigences linguistiques de l’employeur; ii) de l’évaluation par l’employeur des compétences linguistiques; iii) des niveaux de compétence linguistique canadiens; iv) du fait qu’aucun résultat minimal de l’IELTS n’était requis; v) de la comparaison détaillée entre l’IELTS et les NCLC fournie par l’employeur.

[12] La conclusion de l’agent des visas va à l’encontre d’une bonne partie de la preuve. Il se devait d’examiner les éléments de preuve dont il disposait et d’expliquer pourquoi ils étaient dépourvus de pertinence ou manifestement erronés.

[13] M. Singh réclame des dépens. Suivant l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, aucuns dépens ne seront adjugés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, sauf pour des raisons spéciales. Le critère minimal auquel il faut satisfaire pour démontrer l’existence de raisons spéciales est rigoureux et doit être évalué dans le contexte des circonstances propres à chaque cas. Notre Cour a considéré que des raisons spéciales existaient dans des cas où, par exemple, une partie a inutilement ou de façon déraisonnable prolongé l’instance ou a agi de mauvaise foi, ou d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive ou d’inappropriée (Taghiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1262 aux para 16‑23; Garcia Balarezo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 841 au para 48). J’estime que l’adjudication des dépens n’est pas appropriée dans les circonstances. Les erreurs que j’ai relevées ne sont pas assimilables à des circonstances particulières qui justifieraient une adjudication des dépens.

[14] J’ai demandé aux parties si l’une d’entre elles souhaitait présenter une question à certifier aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale, mais ni l’une ni l’autre n’a formulé une telle question. De plus, dans les circonstances, les faits ne soulèvent pas de question à certifier aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

IV. Conclusion

[15] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen. Aucuns dépens ne sont adjugés et aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen. Aucuns dépens ne sont adjugés et aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM‑1763‑20

 

INTITULÉ :

AMRITPAL SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION, ÉGALEMENT APPELÉ MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (CoLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Harry Virk

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Boris Kozulin

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Liberty Law Corporation

Abbotsford (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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