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Date : 20210611


Dossier : IMM‑3748‑21

Référence : 2021 CF 592

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

et

SHAMRAAJ THAVAGNANATHIRUCHELVAM

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le ministre demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de mettre en liberté M. Thavagnanathiruchelvam sous certaines conditions. Le ministre soutient que les conditions ne suffisent pas pour atténuer le risque de fuite de M. Thavagnanathiruchelvam et le danger qu’il représente pour le public. Plus particulièrement, le ministre soutient que, sous plusieurs aspects, ces conditions sont moins rigoureuses que celles qui ont été imposées à M. Thavagnanathiruchelvam en juillet 2020 et qu’il a enfreintes en décembre 2020.

[2] Je ne suis pas d’accord avec le ministre. Dans l’ensemble, les conditions de mise en liberté actuelles sont aussi rigoureuses que celles qui ont été imposées en juillet 2020. La SI a tenu compte des préoccupations du ministre, mais a néanmoins conclu que la mise en liberté était justifiée. Je ne suis pas convaincu que la SI a agi de façon déraisonnable en arrivant à cette conclusion. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Contexte

A. Le statut d’immigration et le casier judiciaire de M. Thavagnanathiruchelvam

[3] M. Thavagnanathiruchelvam est né au Sri Lanka en 1990. Il est venu au Canada en 1998 avec son grand‑père, tandis que le reste de sa famille est demeuré au Sri Lanka. Ils ont obtenu l’asile en 1999, puis la résidence permanente en 2000.

[4] Lorsque M. Thavagnanathiruchelvam avait 14 ans, son grand‑père est décédé. Comme il n’avait pas de famille au Canada, il a été placé sous la supervision d’une société d’aide à l’enfance (c.-à-d. un organisme de protection de la jeunesse). Il croyait que la société avait demandé la citoyenneté en son nom, mais cela n’était pas le cas. Par conséquent, M. Thavagnanathiruchelvam n’a jamais obtenu la citoyenneté canadienne.

[5] En 2011, M. Thavagnanathiruchelvam a été victime d’un accident de voiture. Une évaluation neuropsychologique effectuée en 2016 laisse entendre que l’accident lui a causé des blessures permanentes et des problèmes de santé mentale.

[6] Le casier judiciaire de M. Thavagnanathiruchelvam remonte à 2013. Il n’est pas nécessaire de décrire chaque infraction, mais trois incidents se produisant à deux semaines d’intervalle en 2016 se démarquent. Premièrement, il a été impliqué dans une bagarre dans un bar, au cours de laquelle il a lancé deux tabourets, blessant le barman au poignet et causant des dommages matériels. Deuxièmement, il a agressé une jeune femme et l’a frappée avec une branche d’arbre. Il semble que l’agression revêtait une dimension sexuelle, bien qu’il ait plaidé coupable à des accusations réduites.

[7] Le troisième incident est extrêmement grave. Croyant apparemment que certains de ses biens avaient été donnés à un homme âgé, M. Thavagnanathiruchelvam, accompagné d’un de ses amis, s’est rendu chez cet homme. Une altercation s’en est suivie et M. Thavagnanathiruchelvam a agressé l’homme, le frappant avec une canne jusqu’à ce qu’il perde conscience. Après avoir volé des objets, il s’est enfui, croyant que l’homme était mort. L’homme a subi des blessures permanentes en raison de l’agression de M. Thavagnanathiruchelvam. Il a perdu l’usage de son bras gauche et est maintenant cloué dans un fauteuil roulant. Les membres de sa famille, qui vivent à l’étranger, ont également été considérablement touchés par l’acte criminel. Après avoir plaidé coupable à une accusation de voies de fait graves et à d’autres accusations, M. Thavagnanathiruchelvam a été condamné à cinq ans d’emprisonnement, moins le nombre de jours passés en détention avant le procès.

[8] Un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a ensuite rédigé un rapport en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], affirmant que M. Thavagnanathiruchelvam était interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Le 29 janvier 2019, la SI l’a déclaré interdit de territoire et a pris une mesure d’expulsion. L’ASFC cherche actuellement à obtenir un avis de danger, permettant le renvoi de M. Thavagnanathiruchelvam malgré son statut de réfugié.

B. La mise en liberté de M. Thavagnanathiruchelvam et les événements récents

[9] Les événements qui ont suivi ont mis en cause les processus correctionnel et d’immigration. La peine criminelle de M. Thavagnanathiruchelvam prend fin le 26 juillet 2021. Toutefois, il avait droit à la libération d’office le 24 juin 2020. Entre autres conditions de mise en liberté, la Commission des libérations conditionnelles du Canada a exigé que M. Thavagnanathiruchelvam réside dans une maison de transition (ou « centre résidentiel communautaire »). Bien que cela n’ait pas été explicitement prévu dans ses conditions de mise en liberté, son agent de libération conditionnelle l’a obligé à porter un bracelet électronique.

[10] Néanmoins, l’ASFC a détenu M. Thavagnanathiruchelvam en vertu de l’article 55 de la Loi. Sa détention a fait l’objet d’un contrôle sous le régime de la Loi et, le 31 juillet 2020, la SI a ordonné sa mise en liberté sous certaines conditions. La SI a conclu que M. Thavagnanathiruchelvam représentait à la fois un risque de fuite et un danger pour le public, mais que ce danger pour le public était la préoccupation la plus grave, compte tenu de son casier judiciaire. Toutefois, la préoccupation concernant le danger pour le public pourrait être atténuée si M. Thavagnanathiruchelvam résidait dans une maison de transition, qui assure un haut degré de supervision. De même, le risque de fuite pourrait être compensé par le fait que deux amis étaient prêts à agir comme cautions et à déposer 5 000 $. Parmi les conditions imposées par la SI, M. Thavagnanathiruchelvam devait se présenter à l’ASFC dix jours avant l’expiration de sa peine criminelle pour déterminer les prochaines étapes concernant la résidence.

[11] Le 24 décembre 2020, M. Thavagnanathiruchelvam n’est pas retourné à la maison de transition au moment convenu. Les parties ne s’entendent pas sur ce qui s’est passé. M. Thavagnanathiruchelvam dit qu’il est allé faire des courses, mais que les conditions météorologiques et les longues files d’attente pour entrer dans les magasins la veille de Noël ont retardé son retour. Toutefois, les données de surveillance électronique indiquent qu’il se trouvait dans un secteur résidentiel. La police a été appelée et a procédé à son arrestation près de la maison de transition. Alors qu’il se trouvait sous la garde des policiers, M. Thavagnanathiruchelvam a donné un coup de pied à la portière de la voiture de patrouille. Comme cela a causé des dommages matériels, il a été accusé de méfait.

[12] À cause de cet incident, la libération d’office de M. Thavagnanathiruchelvam a été suspendue et il a été réincarcéré. Entre‑temps, un nouveau mandat pour sa détention en vertu de la Loi a été délivré.

[13] En vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, la suspension de la mise en liberté doit être examinée par la Commission des libérations conditionnelles. Le 4 mai 2021, la Commission des libérations conditionnelles a annulé la suspension de la mise en liberté de M. Thavagnanathiruchelvam. La Commission des libérations conditionnelles a examiné les événements du 24 décembre 2020, les facteurs de risque de M. Thavagnanathiruchelvam et l’absence de progrès dans son plan correctionnel. Néanmoins, la Commission des libérations conditionnelles a conclu qu’il ne présentait pas [traduction] « un risque inacceptable pour la société » et qu’il ne semblait pas [traduction] « avoir repris [son] cycle de délinquance ». La Commission des libérations conditionnelles a déclaré que l’événement du 24 décembre 2020 ne satisfaisait pas au [traduction] « critère du risque de récidive ». La Commission des libérations conditionnelles a donc annulé la suspension, tout en formulant une réprimande.

[14] Immédiatement après, les autorités en matière d’immigration ont placé M. Thavagnanathiruchelvam en détention dans un établissement correctionnel provincial. À la suite du contrôle après 48 heures, la détention de M. Thavagnanathiruchelvam a été maintenue. La SI a souligné qu’il n’y avait pas eu de changements importants dans les facteurs de risque de M. Thavagnanathiruchelvam et qu’il serait inapproprié de le mettre en liberté dans le cadre d’un plan comportant moins de supervision que ce qui a été ordonné en juillet 2020. Plus précisément, la SI s’est appuyée sur la décision de la Commission des libérations conditionnelles selon laquelle l’événement du 24 décembre 2020 [traduction] « ne représentait pas une augmentation du danger ». Toutefois, l’absence d’éventuelles cautions, quelques jours seulement après sa détention, a empêché la SI d’ordonner sa mise en liberté dans la maison de transition.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[15] La décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire a été rendue après le second contrôle des motifs de détention de M. Thavagnanathiruchelvam. L’audience a duré huit jours et plusieurs témoins ont été entendus, y compris les trois cautions proposées.

[16] Le 3 juin 2021, la SI a ordonné la mise en liberté sous condition de M. Thavagnanathiruchelvam. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le défendeur se soustrairait vraisemblablement au renvoi et constituerait un danger pour le public, mais qu’il existait une solution de rechange viable à la détention. La commissaire de la SI a fourni des motifs fouillés à l’appui de sa décision.

[17] En ce qui concerne le risque de fuite, la SI a conclu que M. Thavagnanathiruchelvam se soustrairait vraisemblablement au renvoi en raison de son vif désir de demeurer au Canada, de ses antécédents criminels et de manquements aux règles en matière d’immigration et de ses antécédents de toxicomanie. Son risque de fuite atteignait donc le haut de l’échelle.

[18] En particulier, la SI a tenu compte de l’événement du 24 décembre 2020 et des explications données par M. Thavagnanathiruchelvam à l’audience, mais a préféré la preuve offerte par le ministre. Elle a conclu que l’événement du 24 décembre avait augmenté le risque de fuite du défendeur. La SI a néanmoins accordé peu de poids à l’accusation de méfait, puisqu’il n’y avait pas eu de déclaration de culpabilité au moment de la décision.

[19] La SI a également tenu compte des autres allégations de manquements aux conditions de libération, mais elle a conclu que ces allégations étaient plutôt mineures, surtout par rapport au comportement antérieur de M. Thavagnanathiruchelvam. Elles ne feraient qu’augmenter légèrement le risque associé à sa capacité de se conformer aux conditions de libération.

[20] En ce qui concerne la question du danger pour le public, la SI a conclu que M. Thavagnanathiruchelvam se situait à l’extrémité supérieure de l’échelle, mais que le niveau de risque était le même qu’en juillet 2020, lorsqu’il a été libéré sous conditions. Pour en arriver à cette conclusion, la SI a adopté les conclusions de la Commission des libérations conditionnelles et du contrôle des motifs de détention après 48 heures, mentionnés précédemment. Par conséquent, bien que l’incident du 24 décembre constituât un manquement qui augmentait le risque de fuite, il n’a pas entraîné un danger accru pour le public. L’accusation de méfait n’avait pas mené à une décision judiciaire et ne constituait pas une preuve de danger pour autrui.

[21] La SI a également conclu que les préoccupations relatives au risque de fuite et au danger pour le public étaient atténuées par le fait que M. Thavagnanathiruchelvam résiderait à la maison de transition. La SI a décrit cette maison de transition comme un milieu très restrictif, où des experts étaient disponibles pour s’occuper des individus qui avaient commis des infractions graves. De plus, elle a souligné que M. Thavagnanathiruchelvam n’avait pas commis d’actes de violence pendant son séjour là‑bas.

[22] La SI a également répondu aux préoccupations du ministre concernant la pertinence des cautions proposées : Mme Nitusha Prabharan, l’amie de cœur de M. Thavagnanathiruchelvam; Mme Sharannya Ganeshalingam, une amie du couple; et Mme Nirmala Sinnadurai, la mère de Mme Prabharan. Bien qu’elles n’aient aucune expérience de la supervision d’un délinquant, leur rôle, selon la SI, serait complémentaire à celui de la maison de transition. Malgré certaines préoccupations concernant la crédibilité de Mme Sinnadurai et sa volonté de collaborer avec les autorités, et le fait qu’elle n’ait jamais rencontré M. Thavagnanathiruchelvam en personne, la SI a conclu qu’elle ajouterait une figure maternelle au plan de mise en liberté.

[23] La SI a relevé d’autres facteurs qui devaient être pris en compte dans un plan de mise en liberté, comme la toxicomanie, l’absence de maîtrise des impulsions et de gestion de la colère, ainsi que les facteurs liés à la santé mentale qui y sont probablement associés. Bien que ces risques soient importants, la SI a cru qu’ils pourraient être atténués au moyen d’un plan de libération rigoureux. À cet égard, la SI a souligné que l’accès au counseling et à d’autres formes de soutien en santé mentale était entravé par son séjour à l’établissement correctionnel du Centre‑Est, en raison des restrictions imposées par la COVID‑19. En revanche, le plan proposé permettrait à M. Thavagnanathiruchelvam de participer à un programme hebdomadaire auprès des organismes comme la Société John Howard ou le centre communautaire sud‑asiatique. La SI a également estimé qu’il serait avantageux pour M. Thavagnanathiruchelvam d’obtenir une évaluation psychologique.

[24] La SI savait que les conditions de libération conditionnelle de M. Thavagnanathiruchelvam prendraient fin le 26 juillet 2021, date à laquelle il perdrait la supervision de son agent de libération conditionnelle et ne serait plus obligé de se conformer à ses conditions de libération conditionnelle. Pour cette raison, une audience subséquente a été prévue pour les 15 et 16 juillet afin de revoir les conditions de sa mise en liberté.

[25] Dans l’ensemble, la SI était convaincue que les conditions de libération conditionnelle suffisaient pour compenser les risques posés par la mise en liberté de M. Thavagnanathiruchelvam. Selon ces conditions, les trois cautions devaient déposer des fonds totalisant 4 500 $, M. Thavagnanathiruchelvam devait résider à la maison de transition et il était tenu de comparaître devant la SI le 15 juillet 2020, d’obtenir une évaluation psychologique et de participer à des programmes d’intervention en santé mentale avant l’audience du 15 juillet, ou de démontrer pourquoi une évaluation ou un programme n’était pas accessible. La SI a comparé ces conditions à celles qui avaient été mises en place dans le plan de mise en liberté de juillet 2020. Elle a constaté qu’elles étaient plus rigoureuses, car la relation de M. Thavagnanathiruchelvam avec les cautions était plus significative et les risques étaient compensés par des conditions supplémentaires.

[26] C’est de cette dernière décision de la SI que le ministre demande ici le contrôle judiciaire. Le 4 juin 2021, mon collègue le juge Alan Diner a accordé un sursis provisoire jusqu’à ce que je rende ma décision.

II. Cadre législatif

[27] Les articles 54 à 61 de la Loi prévoient la détention, principalement lorsqu’une personne interdite de territoire constitue un danger pour le public ou se soustrairait vraisemblablement aux procédures subséquentes. Pour une analyse générale, se reporter à l’arrêt Brown c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CAF 130. L’article 57 prévoit un contrôle périodique de la détention. L’article 58, qui est directement pertinent dans la présente affaire, énonce les motifs pour lesquels la détention peut être maintenue :

58 (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

58 (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

(a) they are a danger to the public;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

[…]

[…]

[28] Les articles 244 à 250 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] prescrivent les facteurs à prendre en compte pour décider si une personne constitue un danger pour le public ou présente un risque de fuite et, le cas échéant, si elle devrait être détenue. L’article 245 prévoit que le respect, dans le passé, des conditions de libération entre en ligne de compte dans l’évaluation du risque de fuite. L’article 246 prévoit qu’une déclaration de culpabilité d’une infraction violente ou impliquant une arme entre en ligne de compte dans l’évaluation du danger pour le public. L’article 248 énonce d’autres facteurs à prendre en compte au moment de prendre une décision quant au maintien de la détention :

248 S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci‑après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

248 If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

a) le motif de la détention;

(a) the reason for detention;

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère, de l’Agence des services frontaliers du Canada ou de l’intéressé;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department, the Canada Border Services Agency or the person concerned;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention;

(e) the existence of alternatives to detention; and

f) l’intérêt supérieur de tout enfant de moins de dix‑huit ans directement touché.

(f) the best interests of a directly affected child who is under 18 years of age.

[29] Le fardeau de la preuve pour établir que la détention est justifiée incombe au ministre, et la preuve doit être présentée à chaque contrôle périodique : Brown, au paragraphe 118.

III. Analyse

[30] L’affaire dont je suis saisi était initialement une requête en suspension de la mise en liberté. Toutefois, après avoir examiné les volumineux dossiers de requête des parties, il est devenu évident que cette requête ne serait qu’une répétition générale pour l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Ainsi, au début de l’audience, j’ai suggéré que je pouvais trancher la demande de contrôle judiciaire plutôt que la requête en suspension. Les deux parties ont donné leur accord, reconnaissant qu’elles n’auraient rien à ajouter à leurs dossiers de requête. Le fait de procéder directement à la demande de contrôle judiciaire entraînera en fait une utilisation plus efficace des ressources limitées de la Cour et des parties.

[31] Selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique à la décision de la SI. Une décision raisonnable doit reposer sur un raisonnement intrinsèquement cohérent. Elle doit également être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles imposées au décideur. La Cour doit examiner la décision contestée dans son ensemble. Pour utiliser l’expression consacrée, elle ne doit pas s’engager dans une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458; Vavilov, au paragraphe 102. De plus, la Cour n’a pas pour rôle d’apprécier de nouveau la preuve dont disposait le décideur : Vavilov, au paragraphe 125.

[32] Le ministre conteste le caractère raisonnable des conditions de mise en liberté imposées par la SI. Plus précisément, il fait valoir que quatre aspects précis de ces conditions sont insuffisants. Avant d’analyser les arguments du ministre, je dois souligner que les conditions de mise en liberté sont composées de nombreuses composantes interreliées et doivent être évaluées dans leur ensemble. À cet égard, le législateur a confié à la SI, et non à notre Cour, la tâche de pondérer les facteurs de risque et l’efficacité des conditions de mise en liberté pour atténuer le risque. Cet exercice comporte un élément inhérent de subjectivité, car il n’y a pas de formule mathématique pour déterminer le résultat. Cela justifie la retenue envers la SI, qui a passé huit jours à entendre la preuve et qui a rendu une décision de vive voix, dont la transcription compte plus de 60 pages.

[33] L’idée centrale de la décision de la SI, qui est résumée plus haut, consiste à dire que l’événement du 24 décembre 2020 n’a pas augmenté considérablement le risque de fuite de M. Thavagnanathiruchelvam ou le danger qu’il représente pour le public. Par conséquent, les conditions de mise en liberté sont suffisantes pour atténuer ces risques si elles sont au moins aussi rigoureuses que celles imposées en juillet 2020. Je ne décèle aucune erreur de principe dans cette démarche. Elle repose sur la preuve et est conforme à la décision rendue par la Commission des libérations conditionnelles le 4 mai 2021, dans laquelle ce tribunal a conclu que M. Thavagnanathiruchelvam n’avait pas repris son cycle de délinquance, et à la décision de la SI concernant le contrôle des motifs de détention après 48 heures.

A. La prématurité et la fin imminente de la peine

[34] La plus sérieuse objection du ministre semble tourner autour de l’observation que les conditions de mise en liberté ne prévoient pas ce qui se passera lorsque la peine criminelle de M. Thavagnanathiruchelvam prendra fin le 26 juillet 2021. Nous ne savons pas où il résidera après cette date et nous n’avons aucune garantie qu’il y aura un autre plan de libération.

[35] Pourtant, la SI a envisagé cette possibilité et a convoqué une audience le 15 juillet pour se pencher sur la situation. S’il n’y a pas de plan de mise en liberté adéquat au‑delà du 26 juillet, la SI a le pouvoir d’ordonner que M. Thavagnanathiruchelvam soit de nouveau détenu (se reporter au paragraphe 58(2) de la Loi).

[36] Je ne vois rien de déraisonnable dans ce processus. Il reflète le principe qui sous‑tend l’article 58, à savoir que la mise en liberté est la règle et la détention, l’exception. La libération de M. Thavagnanathiruchelvam n’est pas prématurée et facilitera les étapes à suivre pour élaborer un plan de libération adéquat pour la période qui suivra la fin de sa peine. Le fait d’être détenu dans un établissement provincial limitera grandement sa capacité de rencontrer des professionnels de la santé, de participer à des programmes thérapeutiques ou de prendre des mesures pour obtenir un milieu résidentiel adéquat lorsqu’il quittera la maison de transition. À cet égard, on m’a informé que l’ASFC dispose de ressources pour veiller à la réinsertion sociale progressive des détenus dont la peine criminelle prend fin. La politique de l’ASFC consiste à déployer ces ressources après la conclusion du contrôle après sept jours. En l’espèce, toutefois, le contrôle après sept jours n’a été conclu qu’un mois après la détention de M. Thavagnanathiruchelvam. J’aimerais simplement exprimer l’espoir que l’ASFC fera preuve d’un plus grand sentiment d’urgence pour lui trouver un lieu de séjour convenable après le 26 juillet.

B. Le caractère adéquat des cautions

[37] Le ministre remet en question le caractère adéquat de deux des trois cautions. Je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de la SI à cet égard. À mon avis, l’analyse doit tout d’abord reconnaître qu’une caution parfaite sera rarement disponible. C’est particulièrement vrai pour M. Thavagnanathiruchelvam, qui n’a pas de famille au Canada.

[38] Le ministre s’oppose à l’amie de cœur de M. Thavagnanathiruchelvam au motif qu’elle n’a aucune expérience en supervision de personnes qui présentent un danger grave pour le public. Toutefois, cela revient à examiner la question en vase clos et à ne pas tenir compte du fait que M. Thavagnanathiruchelvam fera l’objet d’une supervision étroite à la maison de transition. Le ministre exprime également des préoccupations parce qu’elle était présente lors d’une partie de l’événement du 24 décembre 2020. Toutefois, la preuve montre qu’elle n’est venue que pour ramener M. Thavagnanathiruchelvam à la maison de transition à la fin de la journée. La SI a bien interprété la preuve à cet égard. Le ministre demande simplement à la Cour de substituer sa propre évaluation, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire.

[39] De même, la SI a tenu compte des objections du ministre à l’endroit de la mère de l’amie de cœur, mais elle a conclu que, malgré ces lacunes, elle ajouterait néanmoins de la valeur au plan de mise en liberté. À cet égard, il ne faut pas oublier que la mère est la troisième caution. La SI était d’avis que d’autres aspects des conditions de mise en liberté atténuaient les lacunes.

[40] À mon avis, les objections du ministre constituent précisément le genre de « chasse au trésor, phrase par phrase » proscrite par l’arrêt Vavilov et les décisions antérieures. Dans la plupart des cas, la SI doit soupeser les lacunes des cautions proposées par rapport aux autres éléments du plan de mise en liberté. Mettre l’accent sur ces lacunes ne rend pas le résultat de l’exercice de pondération déraisonnable.

C. Le montant moindre des cautionnements

[41] En juillet 2020, les conditions de mise en liberté de M. Thavagnanathiruchelvam comprenaient des cautionnements d’un montant total de 5 000 $. Dans la décision faisant l’objet du contrôle, la SI a accepté des cautionnements d’un montant total de 4 500 $. Le ministre soutient que la différence de 500 $ rend la décision déraisonnable.

[42] Je ne souscris pas à une telle opinion. Le montant des cautionnements a fait l’objet d’une longue discussion avec les cautions proposées à l’audience devant la SI. Les cautions ont augmenté le montant qu’elles offraient au départ de déposer. La SI avait le droit d’évaluer le montant par rapport aux moyens financiers des cautions, lesquels sont limités en l’espèce. Une différence de 10 % dans le montant par rapport aux conditions imposées précédemment, qui avaient fait intervenir des cautions différentes, ne témoigne pas, en soi, d’un caractère déraisonnable.

D. L’évaluation psychiatrique

[43] Le ministre affirme qu’il était impossible pour la SI d’évaluer le risque posé par M. Thavagnanathiruchelvam et la suffisance de ses conditions de mise en liberté sans une évaluation psychiatrique ou psychologique complète. En l’absence d’une évaluation récente, il serait impossible [traduction] « d’évaluer adéquatement si la solution de rechange à la détention répond raisonnablement à ses problèmes de santé mentale ».

[44] À cet égard, la SI a fait observer que M. Thavagnanathiruchelvam pourrait avoir accès à des services susceptibles de l’aider à surmonter ses problèmes de toxicomanie et à améliorer sa santé mentale s’il résidait dans la maison de transition. En revanche, dans un établissement correctionnel provincial, de tels services seraient beaucoup plus difficiles d’accès, voire carrément inaccessibles. De même, il serait plus facile pour M. Thavagnanathiruchelvam d’obtenir une évaluation de santé mentale s’il était libéré que s’il demeurait incarcéré. Ainsi, la SI a qualifié la position du ministre de [traduction] « situation sans issue ». Afin d’aller de l’avant, la SI a ordonné une évaluation avant l’audience prévue pour le 15 juillet.

[45] La démarche de la SI est raisonnable. Aucune évaluation psychologique n’était requise lorsque M. Thavagnanathiruchelvam a été libéré en juillet 2020, et il est difficile de voir pourquoi ce serait maintenant indispensable. Formuler des hypothèses sur ce qu’une telle évaluation pourrait révéler n’aide pas le ministre. Comme je l’ai mentionné précédemment, le ministre porte le fardeau de la preuve et peut difficilement se plaindre de l’absence de preuve. La SI pouvait raisonnablement prendre une décision fondée sur le dossier volumineux, sans l’ajout d’un rapport psychologique.

IV. Conclusion

[46] En résumé, la SI a été saisie d’une affaire complexe. Elle a entendu des témoignages pendant des jours. Elle a pris une décision mûrement réfléchie. Les principaux motifs sur lesquels repose la décision sont valables. La SI a tenu compte d’autres décisions récentes selon lesquelles le risque posé par M. Thavagnanathiruchelvam n’a pas augmenté de façon importante. Elle en est arrivée à la même conclusion. Elle a imposé des conditions de mise en liberté comparables à celles imposées en juillet 2020. Dans ce contexte, la contestation qu’oppose le ministre à certains aspects du raisonnement de la SI est rejetée. Dans l’ensemble, la décision de la SI était raisonnable.

[47] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier nº IMM‑3748‑21

LA COUR STATUE que :

1. L’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire est accordée.

2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑3748‑21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c SHAMRAAJ THAVAGNANATHIRUCHELVAM

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par viSIoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juin 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 11 juin 2021

COMPARUTIONS :

Meva Motwani

POUR LE DEMANDEUR

 

Arthur Ayers

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Arthur Ayers

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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