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Date : 20210630


Dossier : T‑1505‑20

Référence : 2021 CF 692

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2021

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SILVANO LOCHNER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Aperçu 2

A. Commentaires préliminaires concernant la présente demande 4

B. La correspondance postérieure à l’audience 5

II. Contexte 6

A. Les décisions du juge Corbett 7

B. L’ordonnance du 9 septembre 2020 du juge en chef Strathy de la Cour d’appel de l’Ontario 8

C. Le jugement et les motifs du 9 novembre 2020 de la Cour d’appel de l’Ontario 9

D. La plainte de M. Lochner au CCM en date du 9 octobre 2020 10

E. Les plaintes subséquentes de M. Lochner au CCM en novembre 2020 12

(1) La lettre du 2 novembre 2020 au CCM 13

(2) La lettre du 11 novembre 2020 au CCM 13

(3) La lettre du 17 novembre 2020 au CCM 15

(4) La lettre du 25 novembre 2020 au CCM 16

III. La décision faisant l’objet du contrôle 18

IV. Les observations du demandeur 19

V. Les observations du défendeur 23

VI. La norme de contrôle 24

VII. Le processus afférent aux plaintes au CCM 26

VIII. La décision du CCM est raisonnable 29

IX. Dépens 38

 

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Silvano Lochner [M. Lochner], demande un contrôle judiciaire, au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de la décision du Conseil canadien de la magistrature [le CCM ou le Conseil] datée du 18 novembre 2020 [la demande]. Le CCM a rejeté, en application de l’alinéa 5b) des Procédures du Conseil canadien de la magistrature pour l’examen de plaintes ou d’allégations au sujet de juges de nomination fédérale [les Procédures d’examen], la plainte datée du 9 octobre 2020 que M. Lochner avait déposée à l’encontre de madame la juge Sarah E. Pepall de la Cour d’appel de l’Ontario [la juge Pepall]. Le CCM a conclu que la plainte ne portait pas sur la conduite des juges, mais plutôt sur une décision judiciaire. Le CCM a également informé M. Lochner qu’il ne répondrait pas à ses futures plaintes au sujet de la décision d’un juge.

[2] M. Lochner conteste la décision du CCM du 18 novembre 2020 et soutient que la décision du CCM de ne pas répondre à des plaintes futures constitue une décision réputée de la part du CCM selon laquelle ses plaintes subséquentes des 2, 11, 17 et 25 novembre [collectivement, les plaintes de novembre] ne portaient pas non plus sur des questions liées à la conduite des juges. Comme il est expliqué plus loin, les plaintes de novembre, malgré des allégations supplémentaires et des caractérisations différentes des allégations, se rapportent aux mêmes questions que celles soulevées dans la plainte du 9 octobre 2020.

[3] M. Lochner admet que le CCM ne peut traiter des questions liées à la prise de décisions judiciaires; cependant, il soutient que le CCM a commis une erreur en rejetant ses plaintes. M. Lochner est d’avis que ses allégations au sujet de quatre juges de la Cour d’appel de l’Ontario portent sur leur conduite et non sur la prise de décisions judiciaires. M. Lochner soutient que leurs conclusions de fait, leur interprétation de la loi et les décisions qu’ils ont prises témoignent, entre autres choses, d’un mépris de la loi, de collusion entre eux et de partialité, et renferment des omissions ou des mauvaises descriptions des faits, ce qui, selon lui, sont des questions liées à la conduite qui démontrent que les juges sont incapables d’exercer leurs fonctions judiciaires et qui justifient une enquête par le CCM.

[4] M. Lochner a insisté sur le fait que la Cour doit examiner ses multiples plaintes adressées au CCM dans leur intégralité afin d’en déterminer la nature. La Cour a effectivement examiné toutes les plaintes, y compris celles présentées après la plainte du 9 octobre 2020, à laquelle le CCM a répondu le 18 novembre 2020. La Cour a également lu les décisions des tribunaux de l’Ontario concernant les instances auxquelles M. Lochner a participé, instances que M. Lochner a jointes à ses plaintes, pour en connaître le contexte.

[5] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que le CCM n’a pas commis d’erreur en jugeant que les questions dont s’est plaint M. Lochner concernaient des décisions judiciaires et ne justifiaient pas la tenue d’un examen. Par conséquent, la demande est rejetée.

[6] M. Lochner a mis l’accent sur la nécessité pour la Cour d’examiner toutes ses plaintes; toutefois, les motifs du présent jugement sont longs et peut‑être trop détaillés pour répondre à sa demande. Les démarches précédentes prises par M. Lochner auprès du CCM sont également abordées, car elles fournissent un contexte supplémentaire pour la décision du CCM.

A. Commentaires préliminaires concernant la présente demande

[7] La demande en l’espèce porte uniquement sur le caractère raisonnable de la décision du CCM. Il ne s’agit pas d’un appel, d’un contrôle judiciaire ou d’un autre moyen de réexaminer les décisions rendues par la Cour supérieure de justice de l’Ontario ou par la Cour d’appel de l’Ontario au sujet des multiples instances introduites par M. Lochner. Certaines de ces décisions, qui figuraient dans le dossier de demande de M. Lochner, sont décrites ci‑dessous uniquement pour fournir le contexte de l’examen par la Cour du caractère raisonnable de la décision du CCM.

[8] Le défendeur dans la présente demande est le procureur général du Canada [le PGC], conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Bien que M. Lochner semble remettre en question le rôle du PGC en tant que défendeur, il ne sait peut‑être pas que le PGC est le défendeur dans la plupart des demandes de contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux. Par exemple, le PGC serait le défendeur dans une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne, de l’Office des transports du Canada ou du Tribunal de la sécurité sociale, entre autres. Il n’y a rien d’inhabituel dans cela. L’office fédéral, en tant que décideur, n’est pas le défendeur dans le cadre d’un contrôle judiciaire de sa propre décision. En l’espèce, le CCM n’est pas le défendeur dans le cadre du contrôle judiciaire de sa propre décision.

[9] L’audience de la présente demande a été tenue par téléconférence. Comme c’est le cas lors d’une audience en personne, la Cour a informé M. Lochner qu’il présenterait d’abord ses observations, que le défendeur présenterait les siennes après lui, et qu’il aurait ensuite l’occasion de présenter des observations en réponse. Au cours des observations du défendeur, M. Lochner a formulé des commentaires pour contester ce que disait le défendeur, interrompant ce dernier à plusieurs reprises. La Cour a rappelé à M. Lochner de se taire, en faisant remarquer encore une fois qu’il aurait l’occasion de répliquer à la conclusion des observations du défendeur. Après quatre interruptions perturbatrices par M. Lochner, la Cour a demandé à l’agent du greffe de mettre le microphone de M. Lochner en sourdine. Par conséquent, M. Lochner pouvait entendre les observations du défendeur, mais il ne pouvait pas intervenir. Bien que M. Lochner ait déclaré plus tard qu’il n’avait pas entendu toutes les observations du défendeur, rien n’indique que tel ait été le cas. Dans sa réplique, M. Lochner a abordé et contesté les observations du défendeur, ce qui va à l’encontre de toute suggestion selon laquelle il n’avait pas entendu toutes les observations du défendeur. De plus, les observations de vive voix du défendeur concordaient avec ses observations écrites.

B. La correspondance postérieure à l’audience

[10] M. Lochner a envoyé plusieurs courriels directement à l’agent du greffe de la Cour à la suite de l’audition de la présente demande, et lui a demandé de transmettre ces courriels à la Cour. Les courriels sont des copies d’autres courriels envoyés à plusieurs autres personnes, y compris l’avocat du défendeur, des journalistes, des procureurs de la Couronne, le ministre de la Justice et des agents du CCM. Les courriels semblent réitérer les allégations qu’il a formulées au CCM et ses observations à la Cour.

[11] La Cour a émis une directive le 11 juin 2021, dans laquelle elle mentionnait que sa décision était en délibéré et que [TRADUCTION] « [l]es documents fournis par le demandeur par courriel ne sont pas dûment soumis à la Cour. La décision de la Cour sera fondée sur les documents dûment déposés conformément aux Règles des Cours fédérales avant l’audience et sur les observations de vive voix présentées à l’audience. Aucune autre communication ne sera prise en compte. Le demandeur doit s’abstenir de communiquer de nouveau avec la Cour au sujet de la décision à rendre concernant la présente demande. »

[12] Les courriels envoyés à la Cour à la suite de l’audience n’ont pas été pris en compte, car ces documents ne font pas partie du dossier de l’audience relative à la présente demande et ne sont pas non plus dûment soumis à la Cour. Quoi qu’il en soit, ils n’apportaient rien de nouveau.

II. Contexte

[13] Les multiples plaintes de M. Lochner au CCM découlent de son insatisfaction à l’égard des résultats de nombreuses instances judiciaires qu’il a intentées depuis 2007, à la suite d’un incident survenu en 2006 durant lequel le Service de police de Toronto, en exécutant un mandat d’arrestation contre M. Lochner, s’est trompé sur l’identité du frère de M. Lochner, George Lochner, faisant de celui‑ci le sujet de l’arrestation. La police s’est servie d’un pistolet électrique contre George Lochner dans le processus. Une poursuite civile contre le Service de police de Toronto a été réglée par le tuteur et curateur public [le TCP], nommé comme tuteur légal de George Lochner. D’après le dossier dont la Cour dispose, il semble que M. Lochner et d’autres membres de la famille se soient opposés à la nomination du TCP et au règlement.

[14] Parmi les autres poursuites intentées par M. Lochner et les membres de sa famille à la suite du même incident, mentionnons plusieurs tentatives d’intenter des poursuites privées contre les agents qui ont été impliqués dans l’utilisation d’un pistolet électrique contre George Lochner, et une demande à la Commission civile de l’Ontario sur la police pour exiger une enquête sur l’incident.

A. Les décisions du juge Corbett

[15] Le 17 mai 2019, le juge Corbett de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la demande de M. Lochner visant à obliger la Commission civile de l’Ontario sur la police à faire enquête. Conformément à l’article 2.1.01 des Règles de procédure civile, RRO 1990, Règl 194 [les Règles de l’Ontario], le juge Corbett a conclu que l’instance était frivole ou vexatoire ou constituait par ailleurs un recours abusif. Le juge Corbett a souligné que M. Lochner et d’autres membres de la famille avaient participé à de nombreuses autres instances découlant du même incident. (Le juge Corbett a cité au moins 16 décisions publiées concernant les tentatives de M. Lochner que les policiers soient poursuivis pour leur conduite, ou pour d’autres enquêtes.) Le juge Corbett a ordonné, entre autres choses, que M. Lochner ne puisse pas intenter de nouvelles instances contre la Commission civile de l’Ontario sur la police ni d’instances liées à l’incident de 2006 devant les tribunaux ontariens sans l’autorisation du tribunal.

[16] Le 13 février 2020, le juge Corbett a refusé d’autoriser l’introduction de la demande de mandamus de M. Lochner, qui visait à contester la décision du procureur général de l’Ontario [le PGO] de suspendre la quatrième tentative de M. Lochner d’intenter une poursuite privée contre les agents impliqués dans l’incident de 2006. M. Lochner a interjeté appel de la décision du juge Corbett auprès de la Cour d’appel de l’Ontario.

B. L’ordonnance du 9 septembre 2020 du juge en chef Strathy de la Cour d’appel de l’Ontario

[17] Comme il est indiqué dans les motifs de l’ordonnance, le juge en chef Strathy a examiné la requête du PGO, présentée conformément au paragraphe 13.01(1) des Règles de l’Ontario, par laquelle ce dernier demandait l’autorisation d’être ajouté comme intervenant dans l’appel interjeté par M. Lochner contre la décision du juge Corbett, afin que le PGO demande que l’appel soit rejeté conformément à l’article 2.1.01 des Règles de l’Ontario. Le 9 septembre 2020, le juge en chef Strathy a accueilli la requête en autorisation d’intervenir présentée par le PGO. Le juge en chef a également ordonné au PGO de signifier et de déposer immédiatement ses documents relatifs à la requête fondée sur l’article 2.1.01 des Règles, [traduction] « qui sera entendue par le tribunal avant l’audition de l’appel lui‑même, ou de la manière ordonnée par le Tribunal ». Dans les motifs de l’ordonnance, le juge en chef a fait remarquer que l’appel en cause concernait l’ordonnance du juge Corbett qui rejetait la demande d’autorisation de M. Lochner d’entamer un recours en mandamus contestant la décision du PGO de décréter un arrêt des procédures à l’égard d’une poursuite privée; et que le PGC a un intérêt dans l’instance, parce que si l’appel était accueilli, le PGO serait l’intimé.

C. Le jugement et les motifs du 9 novembre 2020 de la Cour d’appel de l’Ontario

[18] M. Lochner a soumis des observations écrites à la Cour d’appel de l’Ontario en réponse à la requête en rejet de son appel présentée par le PGO au titre de l’article 2.1.01 des Règles de l’Ontario. La Cour d’appel de l’Ontario (les juges Pepall, Benotto et Coroza) a accueilli la requête du PGO le 23 septembre 2020 et a rejeté l’appel interjeté par M. Lochner contre la décision du juge Corbett. Les motifs écrits de la juge Pepall, auxquels ont souscrit les juges Benotto et Coroza, ont été publiés le 9 novembre 2020, sous l’intitulé Lochner v Ontario Civilian Police Commission, 2020 ONCA 720 [Lochner 2020].

[19] Dans l’arrêt Lochner 2020, la juge Pepall a décrit brièvement le contexte de l’appel en faisant référence à certaines des instances introduites par M. Lochner et à leur issue. La juge Pepall a expliqué la question visée par l’appel et la requête fondée sur l’article 2.1.01 des Règles, a souligné l’objet de l’article 2.1.01, et a fait référence à des articles et à la jurisprudence qui décrivent la nature des plaideurs quérulents et des litiges vexatoires et leur incidence sur l’administration de la justice.

[20] La juge Pepall a fait remarquer, au paragraphe 21, que les tribunaux sont des gardiens qui refusent l’accès à la justice aux plaideurs abusifs afin que les parties ayant des [traduction] « litiges justiciables » puissent obtenir une décision. La juge Pepall a ajouté ce qui suit au paragraphe 22 :

[traduction]

Cela dit, deux points méritent une attention particulière. Premièrement, les parties qui se représentent elles‑mêmes ne sont pas toutes des plaideurs quérulents. Deuxièmement, même un plaideur quérulent peut soulever une question légitime qui justifie l’examen d’un tribunal. C’est en partie pour cette raison que l’article 2.1.01 des Règles est destiné aux cas les plus manifestes.

[21] La juge Pepall a conclu que l’appel interjeté par M. Lochner contre la décision du juge Corbett relève des [traduction] « cas les plus manifestes » et a expliqué pourquoi l’appel devait être rejeté parce qu’il est frivole, vexatoire et constitue un abus de procédure

[22] La juge Pepall a ensuite abordé la nécessité d’établir un équilibre entre l’accès de M. Lochner aux tribunaux dans le cadre de futures instances plaidables et la nécessité de protéger le système de justice et ses intervenants contre les comportements abusifs et les instances frivoles. La juge Pepall a souligné, entre autres, les approches adoptées par les tribunaux dans d’autres affaires pour atteindre un tel équilibre.

[23] La juge Pepall a ordonné qu’il soit interdit à M. Lochner de présenter d’autres requêtes, à moins qu’il ne soit représenté par un avocat, que les documents aient été préparés et déposés par un avocat et que l’avocat ait obtenu l’autorisation de la Cour.

D. La plainte de M. Lochner au CCM en date du 9 octobre 2020

[24] Le 9 octobre 2020, M. Lochner a envoyé au CCM, par télécopieur, une copie de sa lettre au secrétaire judiciaire de la Cour d’appel de l’Ontario, également datée du 9 octobre 2020. M. Lochner a envoyé une copie de la lettre du 9 octobre 2020 à d’autres personnes, y compris le greffier de la Cour d’appel de l’Ontario, le ministre de la Justice, deux procureurs de la Couronne et le juge Corbett.

[25] M. Lochner a demandé que la lettre soit transmise à la juge Pepall, en indiquant ce qui suit : [traduction] « malgré le rejet de mon appel le 23 septembre 2020 [...] elle semble avoir de la difficulté à fournir des motifs écrits à l’appui de son jugement et de son ordonnance subséquente me déclarant plaideur quérulent ». M. Lochner conteste cette conclusion, faisant notamment remarquer ce qui suit : [traduction] « une demande fondée sur l’article 2.1.01 des Règles doit porter uniquement sur la question de savoir si les actes de procédure en question sont, à première vue, frivoles, vexatoires ou abusifs » [souligné dans l’original].

[26] M. Lochner a affirmé que les motifs écrits de la juge Pepall doivent cerner l’élément central de la plainte qu’il avait présentée dans le cadre de son appel et expliquer pourquoi la plainte principale n’était pas légitime. M. Lochner a affirmé que l’élément central de sa plainte est qu’un procureur de la Couronne avait exercé indûment son pouvoir discrétionnaire en suspendant la poursuite privée de M. Lochner. M. Lochner a allégué que la Cour d’appel avait fait fi de ses observations sur la requête fondée sur l’article 2.1.01 des Règles et avait rejeté son appel sans rien dire au sujet de la question de savoir si sa plainte comportait un élément central. Il a également affirmé que c’était la raison pour laquelle la Cour d’appel n’avait pas publié de motifs écrits.

[27] Dans des remarques complémentaires à sa lettre, M. Lochner a affirmé que les juges [traduction] « ont décidé de tourner le système de justice en dérision en rejetant mon appel, comme leur avait demandé le procureur général de l’Ontario en invoquant l’article 2.1.01 des Règles, et ce, sans motif ».

[28] Le bordereau de télécopie de la lettre du 9 octobre 2020 contient le passage suivant :

[traduction]

Comment se fait‑il que, le 18 septembre 2020, la juge Mary Lou Benotto a écrit que l’avis de demande de [la personne désignée] ne faisait valoir aucune cause d’action et que, cinq jours plus tard, le 23 septembre 2020, elle ait rejeté mon appel sans fournir de motifs écrits, quelque trois semaines plus tard ? Mon avis d’appel ne fait‑il pas valoir une cause d’action ?

[29] Le 18 novembre 2020, le CCM a répondu à la plainte du 9 octobre 2020.

E. Les plaintes subséquentes de M. Lochner au CCM en novembre 2020

[30] Les plaintes subséquentes de M. Lochner au CCM (datées du 2, 11, 17 et 25 novembre) portent également sur l’arrêt Lochner 2020 et sur la décision du juge en chef Strathy d’accorder l’autorisation au PGO d’intervenir dans l’appel afin de présenter une requête fondée sur l’article 2.1.01 des Règles.

[31] Dans la présente demande, M. Lochner considère la décision du CCM du 18 novembre 2020 comme une décision réputée concernant les plaintes de novembre.

[32] Les allégations formulées dans les plaintes de novembre portent sur les mêmes questions. Un aperçu des allégations est fourni ci‑dessous.

(1) La lettre du 2 novembre 2020 au CCM

[33] Dans sa lettre de plainte de huit pages datée du 2 novembre 2020, M. Lochner soutient, entre autres, que le juge en chef George Strathy a fait preuve de parti pris, de manque d’impartialité et de mépris total à l’égard de la primauté du droit en ordonnant l’ajout du PGO comme partie à l’appel de M. Lochner. M. Lochner soutient que la conduite du juge en chef Strathy est [traduction] « tellement flagrante qu’elle devrait être signalée à la police en tant que possible comportement criminel, notamment un abus de confiance de la part d’un fonctionnaire ». M. Lochner fait référence à plusieurs affaires concernant l’impartialité et l’application de l’article 13.01 des Règles de l’Ontario et exprime son opinion sur le moment où un tribunal devrait ou ne devrait pas accorder le statut d’intervenant. M. Lochner affirme qu’en accordant le statut d’intervenant au PGO, le juge en chef Strathy a dépassé les limites de l’article 13.01 des Règles en permettant au PGO de présenter une requête fondée sur l’article 2.1.01 afin de [traduction] « détourner » son appel. M. Lochner soutient que le juge en chef Strathy a abusé de ses pouvoirs et qu’il a agi de façon à le priver de ses droits.

[34] M. Lochner se plaint également que le comportement du juge en chef Strathy est [traduction] « corrompu », parce qu’il n’a pas ajouté de référence à son ordonnance, ce qui a empêché sa publication et son examen [traduction] « par les tribunaux et le public ». Il ajoute que l’ordonnance du juge en chef Strathy tourne le système de justice en dérision en plus de donner à penser qu’elle est incompatible avec d’autres décisions et qu’elle a été rendue pour protéger un procureur de la Couronne.

(2) La lettre du 11 novembre 2020 au CCM

[35] La lettre de plainte de M. Lochner datée du 11 novembre 2020 compte 15 pages, décrit l’incident du pistolet électrique, renvoie à plusieurs autres décisions (p. ex., Lochner c Ontario (Procureur général), 2017 ONSC 5293, Lochner c Ontario (Procureur général), 2018 ONSC 2994, Lochner c Ontario (Procureur général), 2019 ONSC 1908, Lochner c Ontario (Procureur général), 2019 ONCA 730) et décrit les tentatives de M. Lochner d’intenter une poursuite privée.

[36] M. Lochner se plaint qu’en rejetant son appel (Lochner 2020), les juges Pepall, Benotto et Coroza ont tourné en dérision le système de justice en omettant de traiter sa [traduction] « plainte centrale », qui, selon lui, est une exigence dans le cadre d’un appel, et ont fait des [traduction] « déclarations diffamatoires » à son sujet pour justifier leur décision.

[37] M. Lochner demande au CCM d’expliquer pourquoi la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que sa demande de mandamus et son appel, dans lesquels, selon ses observations, il allègue l’irrégularité flagrante d’un procureur de la Couronne, ne constituent pas une question justiciable.

[38] M. Lochner allègue que les juges [traduction] « ont délibérément fait fi de l’objet de l’appel » afin de lui refuser l’accès au système de justice et de capituler devant le PGO.

[39] M. Lochner affirme également que les juges [traduction] « ont commis un crime en rendant une décision frauduleuse ». Il conteste la façon dont la juge Pepall l’a décrit comme un [traduction] « plaideur par mode de vie ». Il affirme que les quatre juges ont [traduction] « jeté le discrédit sur le système de justice en raison de leur conduite corrompue ».

(3) La lettre du 17 novembre 2020 au CCM

[40] Dans sa lettre de plainte de sept pages datée du 17 novembre 2020, M. Lochner indique qu’il fournit une preuve supplémentaire de l’inconduite judiciaire qu’il a décrite précédemment dans ses lettres des 2 et 11 novembre 2020. Il souligne l’importance de la primauté du droit. Il soutient que les quatre juges ont comploté en vue d’atteindre un résultat proscrit par les règles régissant le comportement des juges.

[41] M. Lochner fait référence à l’ordonnance du juge en chef Strathy et prétend encore une fois que le juge en chef Strathy a refusé d’ajouter une référence et que les motifs dans l’arrêt Lochner 2020 cachent les faits quant à la façon dont le PGO a été ajouté à titre d’intervenant. M. Lochner affirme également que la juge Pepall a déformé et ignoré le fondement de son appel et a [traduction] « faussement » conclu que l’appel était vexatoire, frivole et constituait un abus de procédure.

[42] M. Lochner soutient que ce résultat n’est attribuable qu’au fait que le juge en chef Strathy et la juge Pepall ont agi ensemble [traduction] « pour veiller à ce que personne d’autre que l’appelant ne sache que le procureur général avait un intérêt direct dans l’objet de mon appel et qu’il a été ajouté à titre de partie en vertu du paragraphe 13.01 (1) des Règles ».

[43] M. Lochner affirme également que la juge Pepall a [traduction] « falsifié des faits » afin d’éviter de traiter la plainte centrale visée par son appel (la décision du procureur de la Couronne de suspendre sa poursuite privée contre le service de police dans l’incident du pistolet électrique).

[44] M. Lochner affirme également que la juge Pepall a déformé ou mal interprété la jurisprudence citée dans l’arrêt Lochner 2020, ce qui démontre son mépris envers la primauté du droit.

[45] M. Lochner affirme encore une fois que la Cour d’appel de l’Ontario a refusé de se conformer au paragraphe 2.1.01 (5) des Règles en ne lui fournissant pas une copie de l’ordonnance le plus tôt possible.

[46] M. Lochner conclut en affirmant que les quatre juges ont fait preuve [traduction] « d’un mépris à l’égard de la primauté du droit pour satisfaire leurs propres intérêts et préjugés, ce qui constituait une conduite judiciaire indigne de leur profession ».

(4) La lettre du 25 novembre 2020 au CCM

[47] La lettre du 25 novembre 2020 de M. Lochner compte 15 pages et commence par une allégation [traduction] « d’inconduite judiciaire criminelle » à l’encontre des quatre juges.

[48] M. Lochner y accuse réception de la décision du CCM du 18 novembre 2020 et se plaint qu’elle ne tient pas compte de ses plaintes subséquentes.

[49] M. Lochner demande au CCM de faire enquête sur la conduite des quatre juges conformément au paragraphe 63(2) de la Loi sur les juges, LRC 1985, c J‑1 [la Loi sur les juges]. Il affirme que leur conduite a miné la confiance du public dans l’administration de la justice et que les juges devraient être démis de leurs fonctions conformément au paragraphe 65(2).

[50] M. Lochner réitère les mêmes renseignements et les mêmes allégations à l’égard des quatre juges que ce qu’il avait énoncé dans les plaintes précédentes de novembre. Il soutient que l’ordonnance du juge en chef Strathy et la décision rendue dans l’arrêt Lochner 2020 ne sont pas conformes à la jurisprudence.

[51] M. Lochner soutient, par exemple, que la juge Pepall a [traduction] « frauduleusement » déformé le contexte factuel concernant la qualité d’intervenant du PGO. Il affirme également qu’il n’a reçu aucun avis de l’intervention proposée par le PGO.

[52] M. Lochner affirme que la juge Pepall a utilisé sa charge judiciaire à des fins inappropriées pour détourner l’attention de l’objet de sa plainte contre la police et pour éviter que la Cour examine la conduite d’un procureur de la Couronne.

[53] M. Lochner conclut en affirmant encore une fois que la conduite des quatre juges, qui ont comploté contre lui pour lui refuser l’accès au système de justice, minait la confiance du public dans l’administration de la justice, démontrait qu’ils sont incapables d’exécuter leur charge judiciaire et nécessitait la tenue d’une enquête.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[54] C’est le juge Michael MacDonald, directeur exécutif par intérim du CCM, qui a rendu, par voie de lettre, la décision du CCM datée du 18 novembre 2020.

[55] Le juge MacDonald a relevé que M. Lochner soutenait tout d’abord dans sa plainte que la juge Pepall avait rejeté son appel et n’avait pas encore rendu ses motifs dans l’arrêt Lochner 2020, et deuxièmement, que les motifs devraient être rédigés de la façon suggérée par M. Lochner. Le juge MacDonald a fait remarquer que l’appel avait été entendu le 23 septembre 2020 et que la juge Pepall avait rendu des motifs le 9 novembre 2020, lesquels avaient été publiés sous la référence 2020 ONCA 720, concernant le rejet de l’appel de M. Lochner en raison de son caractère frivole et vexatoire, et parce qu’il constituait un abus de procédure. Le juge MacDonald a ajouté que la publication des motifs de la juge Pepall s’inscrivait dans le délai recommandé de six mois pour la publication des motifs.

[56] Le juge MacDonald a mentionné que le CCM avait déjà communiqué avec M. Lochner au sujet de la portée de son mandat d’enquête sur les plaintes et du processus en plusieurs étapes d’examen des plaintes pour trancher la question de savoir si une enquête était justifiée. Le juge MacDonald a souligné les Procédures d’examen et la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cosgrove c Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, qui décrivait les étapes du processus.

[57] Le juge MacDonald a également souligné que le CCM avait déjà écrit à M. Lochner pour lui expliquer son mandat et préciser qu’il n’était pas un tribunal et qu’il n’avait pas le pouvoir d’examiner une décision judiciaire.

[58] Le juge MacDonald a réitéré que le déroulement de l’audience, l’appréciation de la preuve et les décisions judiciaires relèvent de la compétence du juge qui préside l’audience. Le juge MacDonald a expliqué que le rôle du CCM n’est pas d’examiner la façon dont un juge exerce son pouvoir discrétionnaire dans la conduite de l’instance ou la façon dont ce juge en est arrivé à ses conclusions de fait et de droit. Il a également souligné que cette même information avait été clarifiée à maintes reprises dans une correspondance antérieure avec M. Lochner.

[59] Le juge MacDonald a déclaré qu’il avait examiné la plainte de M. Lochner conformément à l’article 4.1 des Procédures d’examen et qu’il avait conclu que la plainte relevait de l’alinéa 5b), car les questions faisant l’objet de la plainte ne concernaient pas la conduite du juge.

[60] Le juge MacDonald a conclu que le CCM ne répondrait à aucune correspondance future de M. Lochner concernant des plaintes au sujet de la décision d’un juge.

IV. Les observations du demandeur

[61] M. Lochner soutient que la question à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si ses plaintes de novembre concernent la conduite des quatre juges de la Cour d’appel de l’Ontario.

[62] M. Lochner cherche à obtenir un jugement déclarant que l’alinéa 5b) des Procédures d’examen ne s’applique pas à ses plaintes de novembre. Il demande que les plaintes soient renvoyées au CCM pour que ce dernier les examine.

[63] M. Lochner a décrit plusieurs de ses démarches judiciaires dans son mémoire des faits et du droit et dans ses observations de vive voix, y compris ses poursuites privées contre les agents de police impliqués dans l’utilisation d’un pistolet électrique contre son frère et ses allégations selon lesquelles les notes des agents de police étaient trompeuses quant au nombre de fois où les policiers avaient utilisé le pistolet électrique contre son frère. Il décrit le litige découlant de la décision d’un procureur de la Couronne de suspendre ses poursuites privées, ce qui a abouti à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Lochner 2020.

[64] M. Lochner soutient que le CCM a commis une erreur en jugeant que ses plaintes de novembre ne soulevaient pas des questions liées à la conduite des juges. Il soutient que les plaintes de novembre sont différentes, car elles portent sur les motifs énoncés dans l’arrêt Lochner 2020. Il soutient que les plaintes de novembre portent clairement sur la conduite des juges.

[65] Dans ses observations écrites, M. Lochner affirme ce qui suit : [traduction] « il est évident que le Conseil canadien de la magistrature a décidé de rejeter de façon inappropriée les plaintes du demandeur contenues dans ses lettres des 2, 11, 17 et 25 novembre 2020 conformément à l’alinéa 5b) de ses Procédures d’examen des plaintes, même si ces plaintes portent clairement sur la conduite [des quatre juges], afin de masquer leur inconduite ».

[66] Dans ses observations de vive voix, M. Lochner a contesté le fait que la déclaration dans ses observations écrites constitue une reconnaissance du fait que le CCM n’était pas tenu de répondre à ses plaintes de novembre. Il a précisé qu’à son avis, toutes les plaintes portent sur l’inconduite, y compris le fait que les juges avaient agi de connivence, qu’ils avaient comploté pour bloquer l’instruction de son appel et pour empêcher que le procureur de la Couronne soit tenu responsable, qu’ils avaient déformé les faits pour justifier leur conduite et qu’ils avaient fait des déclarations diffamatoires à son sujet.

[67] Selon les observations de M. Lochner, les poursuites privées qu’il avait intentées ont été suspendues de façon inappropriée par la Couronne, ce qui accorde à cette dernière l’immunité à l’égard de la surveillance judiciaire; le juge en chef Strathy a commis une erreur en acceptant que la requête du PGO par laquelle ce dernier cherchait à se voir accorder la qualité d’intervenant, et le juge en chef Strathy a refusé de publier l’ordonnance accordant le statut d’intervenant au PGO, ce qui a entraîné une privation des droits que lui confèrent l’article 13.01 des Règles de l’Ontario.

[68] M. Lochner soutient que le juge en chef Strathy a refusé de publier l’ordonnance et qu’il s’agit là d’une preuve à première vue que le juge en chef s’était associé avec les juges Pepall, Benotto et Coroza pour priver M. Lochner de son droit de contester le motif invoqué par le PGO pour suspendre sa poursuite privée.

[69] M. Lochner soutient également que les motifs de la juge Pepall dans l’arrêt Lochner 2020 témoignent de cette « association »; il allègue que ces motifs dissimulaient le fait que l’ordonnance accordant le statut d’intervenant au PGO était illégale. M. Lochner soutient que les motifs omettent des faits pertinents, notamment le fait que le PGO a présenté une requête en autorisation d’intervenir; que le juge en chef Strathy était convaincu que le PGO satisfaisait au critère d’intervention prévu à l’article 13.01 des Règles de l’Ontario et a accueilli la requête; que le juge en chef Strathy savait qu’une fois que le PGO serait ajouté comme partie, le PGO présenterait une requête conformément à l’article 2.1 des Règles, et que l’appel interjeté par M. Lochner portait sur la décision du juge Corbett par laquelle ce dernier avait rejeté sa demande visant à présenter une demande de mandamus pour contester la décision de suspendre sa poursuite privée.

[70] M. Lochner laisse également entendre que la juge Pepall a commis une erreur en le désignant à un moment donné comme demandeur plutôt que comme appelant.

[71] M. Lochner soutient qu’il n’y a pas de continuité entre la décision du juge en chef Strathy, parce qu’elle n’est pas publiée, et la décision rendue par la juge Pepall dans l’arrêt Lochner 2020 et, par conséquent, que [traduction] « la Cour d’appel de l’Ontario refuse de rendre une ordonnance conformément au paragraphe 2.1.01 (5) des Règles de procédure civile ». [Le paragraphe 2.1.01 (5) des Règles prévoit que « [l]e greffier signifie une copie de l’ordonnance par la poste au demandeur ou au requérant dès que possible après qu’elle a été rendue ».]

[72] M. Lochner soutient que la conduite du juge en chef Strathy et des juges Pepall, Benotto et Coroza est [traduction] « corrompue et criminelle », ce qui, selon lui, est [traduction] « confirmé par le fait qu’aucun tribunal au Canada n’a jamais accordé le statut de partie à une personne dans le seul but de rejeter la procédure, en particulier une procédure dans laquelle l’intervenant a été ajouté pour protéger un intérêt ».

[73] De façon plus générale, M. Lochner soutient que les questions qu’il soulève montrent que les quatre juges sont incapables de s’acquitter de leur charge judiciaire.

V. Les observations du défendeur

[74] Le défendeur affirme que la décision du 18 novembre 2020 est raisonnable. Le CCM a appliqué les dispositions pertinentes de la Loi sur les juges et des Procédures d’examen et a raisonnablement conclu que les questions faisant l’objet de la plainte n’étaient pas liées à la conduite des juges, mais plutôt à la prise de décisions judiciaires. Par conséquent, la plainte ne justifiait pas un examen de la part du CCM. Le défendeur soutient que la même conclusion s’applique aux plaintes de novembre de M. Lochner.

[75] Le défendeur fait remarquer que le CCM avait répondu à de nombreuses autres plaintes de M. Lochner concernant d’autres juges et qu’il avait fourni à maintes reprises des explications semblables. Le défendeur soutient que, compte tenu de ces antécédents, il était justifié pour le CCM de déclarer qu’il ne répondrait pas à d’autres plaintes et de ne pas répondre aux plaintes de novembre. De plus, les plaintes de novembre soulèvent des questions relatives à la prise de décisions judiciaires, ce qui ne fait pas partie des motifs énoncés au paragraphe 65(2) de la Loi sur les juges pour que le CCM recommande la révocation d’un juge.

[76] Le défendeur invoque la jurisprudence, dans laquelle l’importance de l’indépendance judiciaire est soulignée et la distinction est effectuée entre la conduite des juges et la prise de décisions judiciaires. Le défendeur relève les directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 [Moreau‑Bérubé], celles de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cosgrove et celles de la Cour fédérale dans les décisions Singh c Canada (Procureur général), 2015 CF 93 [Singh], Best c Canada (Procureur général), 2017 CF 1145 et Cosentino c Canada (Procureur général), 2020 CF 884, entre autres.

[77] Le défendeur soutient que la Loi sur les juges et les Procédures d’examen n’exigent pas que le directeur exécutif du CCM réponde aux plaintes dont l’examen n’est pas justifié. Le défendeur soutient qu’étant donné que le CCM a clairement indiqué qu’il ne répondrait pas aux plaintes futures qui soulevaient des questions relatives à la prise de décisions judiciaires, et étant donné que le CCM avait expliqué à maintes reprises son rôle et la distinction entre la conduite des juges et la prise de décisions judiciaires, il était raisonnable que le CCM ne fournisse pas d’autres réponses.

[78] Le défendeur soutient en outre que M. Lochner semble reconnaître que la décision du CCM répond également à ses plaintes subséquentes des 2, 11 et 17 novembre, parce qu’il a allégué dans son mémoire des faits et du droit que le CCM avait rejeté à tort ces plaintes qui, à son avis, se rapportent à l’inconduite judiciaire.

VI. La norme de contrôle

[79] Les questions soulevées par M. Lochner dans la présente demande concernent l’interprétation par le CCM de la Loi sur les juges, des règlements administratifs et des Procédures d’examen et leur application aux faits en l’espèce. Il n’est pas contesté que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique (Singh aux para 32 à 36; Moreau‑Bérubé aux para 37 à 60, Girouard c Canada (Procureur général), 2020 CAF 129 au para 38 [Girouard]).

[80] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale au paragraphe 38 de l’arrêt Girouard :

[38] Il me paraît bien établi que les questions de nature constitutionnelle et celles qui ont trait à l’équité procédurale sont soumises à la norme de la décision correcte, tandis que les conclusions du Conseil portant sur des questions de fait ou d’interprétation de sa loi habilitante ou du Règlement de 2015 doivent être évaluées en appliquant la norme de la décision raisonnable. Ces normes sont appliquées au moins depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], et la récente décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] n’a pas modifié l’état du droit à cet égard. Au contraire, la Cour suprême a réitéré la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme généralement applicable en matière de contrôle judiciaire, sous réserve de quelques exceptions bien délimitées (Vavilov, au para. 16). Or, ce sont précisément les normes que la Cour fédérale a retenues dans ses motifs, et l’appelant ne semble pas remettre le choix de ces normes en question.

[81] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a fourni des directives concernant la norme de contrôle de la décision raisonnable et elle a confirmé que cette norme exige que la décision soit justifiée, transparente et intelligible (aux para 99 et 100).

[82] La cour qui procède à un contrôle judiciaire commence par examiner les motifs de la décision avec une attention respectueuse, en cherchant à comprendre le processus de raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à une conclusion. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov aux para 85, 102, 105 à 110).

[83] Au paragraphe 100 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada souligne que les décisions ne doivent pas être annulées à moins qu’il n’y ait de graves lacunes :

[100] Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[84] Deux types de lacunes fondamentales qui rendront une décision déraisonnable sont mentionnés au paragraphe 101 : « La première est le manque de logique interne du raisonnement. La seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision. »

VII. Le processus afférent aux plaintes au CCM

[85] Le paragraphe 60(1) de la Loi sur les juges prévoit que le CCM a pour mission d’améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures, ainsi que la qualité de leurs services judiciaires, et de favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice devant ces tribunaux. Pour réaliser ces objectifs, le paragraphe 60(2) de la Loi sur les juges prévoit que le CCM peut, entre autres choses, faire enquête sur des plaintes ou des allégations concernant des juges, conformément à l’article 63 de la Loi sur les juges.

[86] Le paragraphe 63(1) prévoit que le CCM « mène » une enquête sur une plainte si le ministre de la Justice du Canada ou le procureur général d’une province le demande. Le paragraphe 63(2) régit les cas, comme en l’espèce, dans lesquels la plainte est déposée par quelqu’un d’autre que le ministre de la Justice du Canada ou le procureur général d’une province. Le paragraphe 63(2) prévoit que le CCM « peut » enquêter sur une telle plainte.

[87] L’alinéa 61(3)c) de la Loi sur les juges prévoit que le CCM peut prendre des règlements concernant la conduite des enquêtes décrites à l’article 63.

[88] Le CCM a également établi et publié des politiques et des procédures concernant les enquêtes, y compris les Procédures d’examen.

[89] Les Procédures d’examen, de concert avec le Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2002‑371, établissent un processus en plusieurs étapes pour la prise de décisions sur les plaintes.

[90] À la première étape, le directeur exécutif du CCM doit prendre connaissance de la plainte et décider si l’affaire mérite d’être examinée. Les critères de sélection préalable sont énoncés dans les Procédures d’examen. Le paragraphe 4.1 des Procédures d’examen exige que le directeur exécutif examine toute la correspondance qui « paraît l’être dans l’intention de déposer une plainte, afin de décider si elle justifie un examen ». L’article 5 établit les critères de présélection et prévoit trois catégories de questions qui ne méritent pas d’être examinées :

a) Les plaintes qui sont futiles, vexatoires, faites dans un but inapproprié, sont manifestement sans fondement ou constituent un abus de la procédure des plaintes;

(a) complaints that are trivial, vexatious, made for an improper purpose, are manifestly without substance or constitute an abuse of the complaint process;

b) Les plaintes qui n’impliquent pas la conduite d’un juge;

(b) complaints that do not involve conduct; and

c) Toutes autres plaintes qu’il n’est pas dans l’intérêt public et la juste administration de la justice de considérer.

(c) any other complaints that are not in the public interest and the due administration of justice to consider.

[Je souligne]

[Emphasis added]

[91] À la suite de l’examen de la correspondance et de l’application des critères d’examen préalable, si le directeur exécutif juge qu’une question mérite d’être examinée, ce dernier renvoie la question au président (ou au vice‑président) du comité sur la conduite des juges aux fins d’examen. Le président peut alors rejeter l’affaire, en se fondant sur les mêmes critères d’examen préalables que ceux établis à l’article 5, ou demander des renseignements supplémentaires. Lorsque des renseignements supplémentaires sont demandés, y compris des observations du juge, le président les examine.

[92] Si la plainte va de l’avant, les prochaines étapes sont la création d’un comité d’examen et peut‑être d’un comité d’enquête. Lorsqu’un comité d’enquête est établi, il relève du CCM. Le CCM fait ensuite une recommandation au ministre de la Justice.

[93] En l’espèce, le directeur exécutif a écarté la plainte de M. Lochner à l’étape de l’examen préalable, en appliquant l’alinéa 5b), parce qu’il a conclu que les plaintes ne portaient pas sur la conduite des juges.

VIII. La décision du CCM est raisonnable

[94] La décision du CCM de rejeter la plainte de M. Lochner datée du 9 octobre 2021 et de ne pas répondre à ses plaintes futures au sujet de la décision d’un juge est raisonnable. La décision comporte toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable qui sont mentionnées dans l’arrêt Vavilov. La décision montre une chaîne d’analyse rationnelle; le CCM a examiné la plainte, a appliqué la loi pertinente et a expliqué pourquoi les questions faisant l’objet de la plainte ne justifiaient pas un examen plus approfondi. La décision est justifiée, transparente et intelligible.

[95] La décision du CCM expliquait clairement à M. Lochner pourquoi sa plainte du 9 octobre 2020 ne ferait pas l’objet d’un examen. La décision indiquait également clairement que le CCM ne répondrait pas aux plaintes futures concernant la décision d’un juge. Comme il est indiqué ci‑dessous, les plaintes de novembre, qui reprennent les mêmes allégations et qui contiennent des affirmations colorées sur la façon dont ces questions sont liées à la conduite des juges, sont identiques ou similaires et soulèvent les mêmes questions que celles ayant été décrites par le CCM comme se rapportant à des questions concernant des décisions judiciaires, ou des questions similaires. La décision du CCM de ne pas répondre est raisonnable.

[96] Dans l’arrêt Moreau‒Bérubé, la Cour suprême du Canada a expliqué la distinction entre les questions liées à la conduite des juges, qui relèvent du mandat des conseils de la magistrature, et les questions qui peuvent être traitées dans le cadre du processus d’appel.

[97] La Cour suprême a souligné, au paragraphe 58, qu’un processus disciplinaire ne doit être lancé uniquement lorsque la conduite d’un juge en particulier « menace l’intégrité de la magistrature dans son ensemble » et que « [l]e processus d’appel ne peut pas remédier au préjudice allégué » (Moreau‒Bérubé au para 58).

[98] Au paragraphe 55, La Cour suprême a également souligné que la plupart des questions peuvent être réglées par le processus d’appel :

55 Bien que le Conseil canadien de la magistrature et les conseils provinciaux de la magistrature reçoivent de nombreuses plaintes contre les juges, il s’agit généralement de questions qui peuvent être réglées de façon satisfaisante dans le cadre du processus d’appel normal. Il est rarement arrivé qu’un juge ait fait dans l’exercice de ses fonctions des commentaires ne pouvant pas être révisés adéquatement par le processus d’appel et ayant nécessité l’intervention d’un conseil de la magistrature. [...]

[99] La Cour donne les explications suivantes au paragraphe 60 :

Une partie de l’expertise du Conseil de la magistrature consiste à apprécier la distinction entre les actes contestés des juges qui peuvent être traités de la façon traditionnelle, au moyen d’un processus d’appel normal, et ceux qui sont susceptibles de menacer l’intégrité de la magistrature dans son ensemble, exigeant donc une intervention par l’application des dispositions disciplinaires de la Loi. Même si on peut prétendre que l’expertise des conseils de la magistrature et celle des tribunaux sont pratiquement identiques, la séparation de leurs fonctions sert à isoler, dans une certaine mesure, les tribunaux des réactions qu’une décision impopulaire d’un conseil de la magistrature peut provoquer. La conduite des instances disciplinaires par les pairs des juges offre les garanties d’expertise et d’équité que connaissent les officiers de justice, tout en permettant d’éviter la perception de partialité ou de conflit qui pourrait prendre naissance si les juges siégeaient régulièrement en cour pour se juger les uns les autres. Comme le juge Gonthier l’a indiqué clairement dans Therrien, les autres juges sont peut‑être les seuls à être en mesure d’examiner et de soupeser efficacement l’ensemble des principes applicables, et la perception d’indépendance de la magistrature serait menacée si un autre groupe effectuait cette évaluation. À mon avis, un conseil composé principalement de juges, conscient de l’équilibre délicat entre l’indépendance judiciaire et l’intégrité de la magistrature, doit généralement bénéficier d’un degré élevé de retenue. [Je souligne]

[100] En d’autres termes, les conseils de la magistrature possèdent l’expertise nécessaire pour faire la distinction entre les questions qui relèvent de la prise de décisions judiciaires (lesquelles peuvent faire l’objet d’un appel) et les questions qui menacent « l’intégrité de la magistrature dans son ensemble », lesquelles ne peuvent être réglées au moyen d’un appel. Il faut faire preuve de déférence à l’égard des décisions des conseils de la magistrature, y compris le CCM.

[101] Dans l’affaire Singh, le demandeur présentait des arguments semblables à ceux de M. Lochner, notamment que des jugements et des décisions ne respectant pas le principe de primauté du droit avaient été rendus, que le juge n’avait pas suivi les précédents, que le mauvais critère juridique avait été appliqué, et que la preuve n’avait pas été traitée comme il se doit. La Cour a tenu compte du mandat et des objectifs qui sont confiés au CCM par le paragraphe 60(1) de la Loi sur les juges, notamment la promotion de l’efficacité et de l’uniformité de l’administration de la justice et l’amélioration de la qualité des services judiciaires.

[102] Dans l’arrêt Singh, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de preuve d’inconduite judiciaire et que le CCM avait des motifs raisonnables de conclure qu’il n’avait pas compétence pour examiner la plainte au sujet de la décision du juge en cause. La Cour a examiné les dispositions pertinentes de la Loi sur les juges, en particulier les raisons pour lesquelles un juge pourrait être démis de ses fonctions, et a déclaré ce qui suit au paragraphe 51 :

À mon avis, il ressort clairement [du paragraphe 65(2)] que le mandat du Conseil se limite à l’examen de la conduite répréhensible des juges qui nuit à leur capacité de remplir leurs fonctions. Cette disposition ne confère pas au Conseil le vaste pouvoir d’examiner les décisions des juges.

[103] En l’espèce, le CCM a appliqué les dispositions pertinentes de la Loi sur les juges et des Procédures d’examen ainsi que la jurisprudence. La décision du CCM est justifiée au regard des faits et du droit. Le CCM n’a pas pour mandat de se pencher sur des questions relatives à la prise de décisions judiciaires, et les faits démontrent que les questions faisant l’objet de la plainte concernaient des décisions judiciaires.

[104] La décision du CCM est transparente et intelligible. Le CCM explique qu’il a examiné la plainte comme l’exige l’article 4.1, selon lequel le directeur exécutif doit examiner toute la correspondance adressée au Conseil « qui paraît l’être dans l’intention de déposer une plainte » et tranche la question de savoir si un examen de la plainte est justifié. La conclusion du CCM selon laquelle la plainte relève de l’alinéa 5b) des Procédures d’examen indique que le CCM a appliqué les critères d’examen préalable et conclu que les questions faisant l’objet de la plainte ne mettent pas en cause la conduite d’un juge et ne justifient pas un examen plus approfondi. Le CCM a également expliqué, comme il l’avait fait auparavant, que le déroulement de l’audience, l’évaluation de la preuve et les décisions prises sont des questions qui relèvent de la prise de décisions judiciaires.

[105] Comme l’explique la jurisprudence (p. ex., Moreau‑Bérubé, Girouard c Canada (Procureur général), 2019 CF 1282), le processus de traitement des plaintes du CCM respecte la distinction entre l’indépendance judiciaire, qui reconnaît la nécessité pour les juges de remplir leur rôle et de prendre des décisions judiciaires sans crainte de représailles, et le rôle de surveillance du CCM, qui consiste à traiter les plaintes d’inconduite judiciaire qui mettent en cause l’intégrité de la magistrature dans son ensemble. En l’espèce, la distinction est claire, compte tenu de la nature des questions dont se plaint M. Lochner.

[106] Le dossier que M. Lochner a présenté à la Cour appuie entièrement la décision du CCM selon laquelle les plaintes portent sur la prise de décisions judiciaires. Les plaintes de M. Lochner se rapportent à des décisions rendues par les quatre juges à la suite de leur examen des faits dont ils étaient saisis et de l’application du droit pertinent aux faits en question et à leur gestion des instances; ils se rapportent donc aux décisions judiciaires.

[107] Comme il est décrit plus en détail aux paragraphes 24 à 53, M. Lochner a allégué à maintes reprises dans ses plaintes, entre autres allégations semblables, que les quatre juges n’avaient pas tenu compte de la question fondamentale de son appel, avaient déformé et [traduction] « falsifié » les faits, n’avaient pas suivi la jurisprudence, avaient mal interprété la jurisprudence, avaient exercé leur pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée, avaient commis une erreur en ajoutant le PGO comme intervenant, avaient outrepassé leur compétence et avaient [traduction] « faussement » jugé que son appel était vexatoire et frivole et qu’il constituait un abus de procédure. M. Lochner soutient également que ces affaires témoignent de partialité et de collusion, d’un mépris de la primauté du droit et d’un abus de confiance de la part d’un fonctionnaire public, comportent une décision frauduleuse qui constitue un crime et jettent le discrédit sur le système de justice. Cependant, les plaintes visent toutes manifestement des décisions judiciaires. La perception de M. Lochner des décisions judiciaires, la façon dont il les décrit et son insatisfaction à l’égard des décisions ne transforment pas une décision judiciaire en une inconduite judiciaire. Le dossier appuie clairement la conclusion du CCM selon laquelle les plaintes relèvent de l’alinéa 5b) des Procédures d’examen.

[108] De plus, dans sa décision, le CCM fait remarquer qu’il avait déjà informé M. Lochner à maintes reprises, en réponse à ses plaintes antérieures, que les plaintes liées à la prise de décisions judiciaires ne relevaient pas de son mandat. Ces plaintes alléguaient également que d’autres juges avaient, entre autres choses, fait fi de ses observations, exercé leur pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée et fait preuve de partialité. Le CCM a expliqué que toutes ces plaintes concernaient des décisions judiciaires qui pouvaient faire l’objet d’un appel. M. Lochner est bien informé de ce qui constitue ou non une décision judiciaire.

[109] Le dossier du défendeur comprend des exemples de lettres du CCM adressées à M. Lochner, ce qui confirme que le CCM a expliqué à maintes reprises le processus de traitement des plaintes et la différence entre la prise de décisions judiciaires et la conduite des juges à M. Lochner.

[110] Le dossier indique que le CCM, lorsqu’il a reçu les lettres de M. Lochner, lui a envoyé un accusé de réception par courriel indiquant que celles‑ci seraient examinées dans un délai de trois à six mois, après quoi le CCM communiquerait avec lui. Ces courriels indiquaient également que d’autres renseignements sur le mandat et le processus de plainte du CCM se trouvaient sur son site Web. Les exemples suivants démontrent que le CCM a répondu à de nombreuses plaintes précises et a informé M. Lochner à plusieurs reprises du rôle du CCM et que les questions dont il se plaignait, qui sont très semblables à celles dont il se plaint maintenant, concernaient la prise de décisions judiciaires.

[111] En avril 2019, M. Norman Sabourin, directeur exécutif et avocat général principal, a répondu à la plainte de M. Lochner selon laquelle trois juges de la Cour d’appel de l’Ontario avaient ignoré ses observations et a rejeté sommairement son appel sans en examiner correctement le fond. Dans sa réponse, M. Sabourin note, entre autres : que le CCM applique un processus en plusieurs étapes pour examiner une plainte, en faisant référence aux Procédures d’examen; que le CCM n’est pas un tribunal et n’examine pas les décisions judiciaires; que les décisions relatives à l’instance, le déroulement de l’audience, l’évaluation de la preuve et les décisions connexes relèvent tous de l’autorité du juge, et que le CCM n’a pas pour rôle d’examiner la façon dont un juge exerce son pouvoir discrétionnaire judiciaire ou en arrive à ses conclusions de fait et de droit.

[112] Le 19 juillet 2018, Johanna Laporte, directrice exécutive par intérim, a répondu à la plainte de M. Lochner au sujet de deux juges de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La lettre réitère les renseignements susmentionnés concernant le mandat du CCM et le processus d’examen des plaintes. Mme Laporte a souligné que M. Lochner avait déposé des plaintes contre d’autres juges de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, et a répété que le CCM n’examine pas la prise de décisions judiciaires. En ce qui concerne les allégations de manque d’impartialité faites par M. Lochner, Mme Laporte a informé M. Lochner que de telles allégations exigent des éléments de preuve crédibles et, de plus, qu’une allégation de partialité est une question juridique qui doit être examinée par les tribunaux. Mme Laporte a conclu que la plainte ne méritait pas d’être examinée; elle relevait de l’alinéa 5b) des Procédures d’examen parce qu’elle ne concernait pas la conduite d’un juge.

[113] Le 27 avril 2016, M. Sabourin a écrit à M. Lochner pour répondre à sa plainte au sujet d’un juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. M. Sabourin a souligné qu’un désaccord avec la décision d’un juge est une question qui peut faire l’objet d’un appel, et que M. Lochner avait interjeté appel. M. Sabourin a conclu que l’examen de la plainte n’était pas justifié.

[114] Le 29 mai 2014, M. Sabourin a écrit à M. Lochner en réponse à plusieurs courriels concernant la plainte de M. Lochner au sujet d’un juge de la Cour de justice de l’Ontario. M. Sabourin a souligné le mandat du CCM et le fait que la Loi sur les juges énonce les motifs de révocation d’un juge. M. Sabourin a également souligné que le CCM n’est pas un tribunal et n’a pas pour mandat d’examiner une décision judiciaire, et que tout désaccord sur la façon dont un juge a exercé son pouvoir discrétionnaire est une question qui peut faire l’objet d’un appel. Le CCM a conclu que la plainte ne relevait pas du mandat du CCM, puisqu’elle ne portait pas sur la conduite d’un juge.

[115] Les allégations actuelles de M. Lochner sont toutes de la même nature que ses plaintes antérieures au sujet d’autres juges de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, y compris qu’ils n’ont pas tenu compte des faits, ont fait fi de ses observations, n’ont pas fait preuve d’impartialité, ont commis une erreur dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, et lui ont refusé l’accès à la justice.

[116] Dans la présente demande, M. Lochner a demandé à la Cour d’examiner attentivement toutes ses plaintes. Le rôle de la Cour n’est pas d’établir si ses plaintes doivent faire l’objet d’une enquête, mais de trancher la question de savoir si la décision du CCM est raisonnable. Cela nécessite un examen de la nature des plaintes. La Cour a examiné attentivement les plaintes et, comme il a été mentionné ci‑dessus, elle a jugé que le CCM avait raisonnablement conclu que les plaintes ont trait à la prise de décisions judiciaires et relèvent de l’alinéa 5b) des Procédures d’examen et qu’elles ne justifient pas un examen plus approfondi.

[117] À titre d’observation, les arguments répétés par M. Lochner dans le cadre de la présente demande, selon lesquels les motifs dans l’arrêt Lochner 2020 [traduction] « cachaient » le contexte de l’appel, y compris la façon dont le PGO a été ajouté comme partie, sont sans fondement. Les motifs ne cachent rien. Au tout début des motifs, sous l’intitulé de la cause, il est écrit [traduction] « [d]écision en vertu de l’article 2.1 des Règles de procédure civile, RRO 1990, Règl. 194, et appel du jugement du juge David L. Corbett, de la Cour supérieure de justice, en date du 13 février 2020, motifs publiés sous l’intitulé 2020 ONSC 944 ». La juge Pepall présente ensuite un bref contexte, dans lequel il est souligné que la requête du PGO fondée sur l’article 2.1.01 des Règles est, en sa qualité d’intervenant, fondée sur le consentement du juge en chef Strathy.

[118] Bien que M. Lochner semble manquer de confiance envers les tribunaux et le CCM, on l’a dirigé à de nombreuses reprises vers le site Web du CCM. Le site Web du CCM l’aurait informé du résultat des enquêtes du CCM sur des questions de conduite judiciaire, ce qui démontre que le CCM n’évite pas de tenir de telles enquêtes lorsque la situation le justifie. Cette information aurait mis davantage en évidence la distinction entre la conduite des juges et la prise de décisions judiciaires.

[119] M. Lochner a reformulé ses plaintes au sujet des quatre juges de la Cour d’appel de l’Ontario de différentes façons dans ses plaintes d’octobre et de novembre et dans ses observations relatives à la présente demande. Il a qualifié les décisions et les motifs de fraude, de crime, de corruption, de collusion et de preuve que les quatre juges sont inaptes à exercer leurs fonctions judiciaires. M. Lochner a droit à son point de vue, mais il n’est pas objectif. Les questions dont il se plaint concernent toutes des décisions judiciaires et le recours à sa disposition est l’appel, s’il existe des motifs d’appel.

IX. Dépens

[120] En général, les dépens sont adjugés à la partie qui a obtenu gain de cause. Il n’y a aucune raison de s’écarter de ce principe de base et, par conséquent, le défendeur a droit aux dépens. Toutefois, le défendeur n’a pas présenté d’observations au sujet du montant qu’il réclame au titre des dépens.

[121] L’article 400 des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de juger si des dépens doivent être adjugés et d’établir le montant qui devrait être accordé. Les facteurs non exhaustifs énoncés au paragraphe 400(3) guident la Cour dans sa décision (Francosteel Canada Inc c African Cape (L’), 2003 CAF 119).

[122] La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder les dépens sous forme de montant forfaitaire. Comme il est mentionné dans l’arrêt Nova Chemicals Corp c Dow Chemical Co, 2017 CAF 25 au para 19, le pouvoir discrétionnaire d’accorder un montant forfaitaire doit être exercé avec prudence et le montant doit être justifié en fonction des circonstances de l’affaire et des objectifs sous‑jacents des dépens.

[123] Compte tenu des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles et du fait que, même si les questions n’étaient pas complexes, le dossier était volumineux et que le défendeur a investi temps et efforts pour présenter une défense, je suis d’avis qu’un montant de 1 000 $ au titre des dépens est approprié comme contribution aux coûts engagés par le défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑1505‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur doit payer au défendeur un montant de 1 000 $ au titre de dépens.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1505‑20

 

INTITULÉ :

SILVANO LOCHNER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR tÉLÉCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Silvano Lochner

 

LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE

Samantha Pillon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

pOUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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