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Date : 20210630


Dossier : IMM-3082-20

Référence : 2021 CF 698

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ZULFIQAR ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 30 juin 2020 [la décision contestée] par laquelle la Section de l’immigration [la SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR]. La SI a tiré cette conclusion parce qu’elle a estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité commis par la police provinciale du Pendjab, au Pakistan [la police du Pendjab].

[2] Comme je l’explique plus en détail ci‑après, la demande en l’espèce est rejetée, car je conclus que la décision contestée est intelligible, qu’elle est étayée par la preuve dont disposait la SI et qu’elle est donc raisonnable.

II. Le contexte

[3] Le demandeur, un citoyen pakistanais de 54 ans, a vécu au Pakistan jusqu’en août 2017. Il était agent de police au sein de la police du Pendjab, dans le district de Sialkot. Il s’est engagé dans la force policière en 1992 et y a travaillé jusqu’en août 2017. Il a commencé sa carrière comme sous‑inspecteur adjoint, puis a été promu au grade de sous‑inspecteur en 2000. À compter de 2005, il a été responsable de poste de police dans divers postes du district de Sialkot. En 2007, il a été promu au grade d’inspecteur.

[4] En 2017, le demandeur a arrêté deux membres du Lashkaar‑e‑Jhangvithat, un groupe suprémaciste sunnite, et a confisqué les fonds qu’ils avaient obtenus en extorquant des membres de la collectivité. À partir de ce moment, le demandeur et sa famille ont été ciblés et menacés par ce groupe. Le 24 août 2017, il a quitté le Pakistan pour les États‑Unis, et sa famille l’a rejoint quelques jours plus tard. Ils sont arrivés au Canada le 19 octobre 2017 et ont demandé l’asile.

[5] Le même jour, les autorités canadiennes de l’immigration ont interviewé le demandeur, qui a déposé son formulaire Fondement de la demande d’asile à la Section de la protection des réfugiés. À la suite de cette entrevue et d’entrevues subséquentes, l’Agence des services frontaliers du Canada a établi un rapport contre lui en vertu de l’article 44 de la LIPR, soutenant qu’il était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, et a déféré l’affaire à la SI pour enquête. L’alinéa 35(1)a) est ainsi libellé :

Atteinte aux droits humains ou internationaux

Rules of interpretation

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

35 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

[6] La Section de la protection des réfugiés a alors sursis à l’étude de la demande d’asile du demandeur par application du paragraphe 103(1) de la LIPR, en attendant l’issue de l’enquête. L’enquête s’est déroulée en deux séances, les 11 et 12 février 2020. Le 30 juin suivant, la SI a rendu la décision visée par le contrôle en l’espèce.

III. La décision de la Section de l’immigration

[7] La SI a examiné la preuve sur les conditions dans le pays et a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la police du Pendjab avait commis des crimes contre l’humanité durant la période où le demandeur était employé au sein de l’organisation. La SI a ensuite examiné la question de savoir si le demandeur s’était rendu complice de ces crimes. Elle a appliqué la directive formulée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola] pour évaluer si le demandeur avait volontairement et consciemment contribué de manière significative à la perpétration de crimes par le groupe ou à la réalisation de son dessein criminel, en tenant compte notamment des facteurs prescrits par l’arrêt Ezokola.

[8] Compte tenu de son évaluation, qui sera examinée plus en détail dans la section « Analyse » des présents motifs, la SI a conclu que le critère énoncé dans l’arrêt Ezokola était rempli, étant donné qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la contribution du demandeur aux crimes et au dessein criminel de la police du Pendjab l’avait rendu complice de ses activités. Cela suffisait à établir qu’il avait commis, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24.

[9] La SI a donc conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR pour atteinte aux droits de la personne et aux droits internationaux, et elle a pris contre lui une mesure d’expulsion.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[10] Le demandeur soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

[11] Les parties conviennent, et je suis d’accord, que ces questions sont soumises au contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[12] L’avocate du défendeur soulève également une question préliminaire quant à l’identité du défendeur, faisant valoir que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est le défendeur approprié, puisqu’il est chargé de l’application de la LIPR, notamment en ce qui touche les renvois et les interdictions de territoire (LIPR, art 4(2)). J’accepte cet argument, auquel le demandeur ne s’oppose pas. Le nom du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration sera remplacé par le nom du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur dans le présent jugement.

V. Analyse

A. La SI a-t-elle conclu de manière déraisonnable que la police du Pendjab était une organisation qui avait commis des crimes contre l’humanité ou qui poursuivait un dessein criminel durant la période où le demandeur travaillait pour elle?

[13] L’analyse de la SI est en gros divisée en deux volets. La SI a tout d’abord évalué la question de savoir s’il existait des motifs raisonnables de croire que la police du Pendjab avait commis des crimes contre l’humanité, au sens de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, durant la période où le demandeur était employé au sein de l’organisation. Puis, ayant conclu à l’existence de tels motifs, la SI a évalué la complicité du demandeur à l’égard de ces crimes.

[14] Dans la première partie de son analyse, la SI a examiné la preuve sur les conditions dans le pays et a conclu que la police du Pendjab avait sciemment et intentionnellement commis les actes suivants de façon fréquente et généralisée : torture, disparitions forcées, affrontements meurtriers, violence sexuelle et traitements cruels et inhumains à l’encontre de populations civiles et de groupes identifiables. Elle a estimé que ces actes avaient été menés collectivement par une vaste majorité d’agents de police, qu’ils revêtaient une gravité considérable et qu’ils étaient dirigés contre une multiplicité de victimes.

[15] La SI a fait remarquer que le public était largement au courant de ces attaques et que le contexte historique et politique général dans lequel ils ont été commis témoigne d’une corruption profonde et de longue date au sein de la police du Pendjab, d’une culture d’impunité et d’un acquiescement silencieux à ses crimes. La SI a conclu qu’il existe à tous les égards des motifs raisonnables de croire que la police du Pendjab a commis des crimes contre l’humanité.

[16] La première question soulevée par le demandeur concerne la portée de la preuve sur les conditions dans le pays sur laquelle la SI s’est appuyée pour arriver à ces conclusions. D’après lui, la SI a eu tort de s’appuyer dans une large mesure sur des rapports faisant état d’actes de violence commis par la police au Pakistan en général, qui ne portaient pas spécifiquement sur la situation dans la province du Pendjab.

[17] Le demandeur fait remarquer que, au début de cette partie de son analyse, la SI s’est appuyée sur un rapport d’Amnistie internationale ainsi que sur un mémoire présenté au Comité contre la torture des Nations Unies, qui concernent le Pakistan en général plutôt que le Pendjab. Bien qu’il y ait une exception – une référence à la police comme étant le principal auteur d’actes de torture dans le Sud du Pendjab –, le demandeur fait remarquer que le district de Sialkot où il travaillait se trouve dans le Nord de la province. Il se réfère aussi à un certain nombre d’autres rapports qui concernent le Pakistan de façon générale et qui sont mentionnés dans l’analyse de la SI.

[18] En réponse à cet argument, le défendeur fait ressortir certains passages de l’analyse de la SI qui s’appuient sur des éléments de la preuve sur les conditions dans le pays qui concernent spécifiquement la province du Pendjab. Il s’agit notamment du rapport d’Amnistie internationale, invoqué par le demandeur, qui mentionne l’existence de cellules de torture exploitées par la police dans des postes de police et dans des maisons privées dans la province du Pendjab. D’autres éléments de la preuve sur les conditions dans le pays montrent que, parmi les cas de torture signalés au Pakistan, un grand nombre sont survenus au Pendjab. Par exemple, sur les 9 634 cas de torture signalés au Pakistan entre janvier 2000 et juin 2008, 5 729 sont survenus dans la province du Pendjab, dont 37 dans le district de Sialkot où le demandeur travaillait. Un rapport de Human Rights Watch indique que, en 2015, plus de 2 000 personnes ont été assassinées lors d’affrontements armés avec la police, la plupart dans la province du Pendjab. De même, la SI a cité un rapport du département d’État américain qui étaye le nombre très élevé d’affrontements avec la police du Pendjab et d’assassinats et de décès connexes.

[19] Le demandeur reconnaît que la SI a cité des rapports faisant référence au Pendjab, mais il soutient que le fait qu’elle a largement attribué les faits décrits dans des rapports généraux à la police du Pendjab, sans faire d’efforts pour établir un lien entre cette preuve et la province en question, entache son analyse.

[20] Je conviens qu’il peut y avoir des cas où le fait de tirer une inférence inintelligible d’une preuve générale pour parvenir à une conclusion plus particulière peut rendre une décision déraisonnable. Cependant, la nature de la preuve sur laquelle s’est appuyée la SI en l’espèce et l’analyse qu’elle en a faite n’attestent aucune erreur de cette nature. La preuve sur les conditions dans le pays sur laquelle la SI s’est appuyée comprend des éléments de preuve propres à la province du Pendjab, y compris des éléments propres au district de Sialkot. De plus, bien que certains des éléments de la preuve sur les conditions dans le pays aient une portée plus large, l’analyse de la SI ne démontre pas qu’elle les a mal compris ou qu’elles les a utilisés de façon inintelligible. Par exemple, le mémoire présenté au Comité contre la torture des Nations Unies, invoqué par le demandeur, précise que la torture et d’autres types de mauvais traitements demeurent répandus dans toutes les régions du Pakistan. La SI a mentionné que ce document soulignait à quel point ces actes sont répandus.

[21] En conclusion sur cette question, j’estime que la SI n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que la police du Pendjab était une organisation qui avait commis des crimes contre l’humanité ou qui poursuivait un dessein criminel durant la période où le demandeur travaillait pour elle.

B. La police du Pendjab était‑elle l’organisation pertinente aux fins de l’évaluation de la complicité du demandeur? Sinon, des éléments de preuve établissaient‑ils des crimes contre l’humanité généralisés au sein de la force policière locale pertinente?

[22] Le demandeur fait valoir que la SI a eu tort de déterminer que la police du Pendjab était l’organisation pertinente aux fins de l’évaluation de sa complicité. Il soutient que, vu la taille de la police du Pendjab et ses fonctions de gestion au sein de cette organisation, qu’il qualifie de limitées, la SI aurait dû se concentrer sur la force policière à un échelon plus local. Le demandeur fait valoir qu’il y a peu d’éléments de preuve montrant que des actes de violence ont été commis dans le district de Sialkot et qu’aucun élément de preuve ne se rapporte aux postes de police particuliers où il a travaillé.

[23] À l’appui de son argument, le demandeur renvoie à certaines parties du premier volet de l’analyse de la SI, qui concerne la question de savoir s’il existait des motifs raisonnables de croire que la police du Pendjab avait commis des crimes contre l’humanité, et du deuxième volet de l’analyse de la SI, qui concerne la complicité du demandeur à l’égard de ces crimes. Comme pour la première question examinée ci-dessus, le demandeur fait valoir que la SI s’est appuyée sur des rapports concernant la perpétration d’actes violents par la police au Pakistan qui ne portent pas spécifiquement sur la province du Pendjab, et que la preuve renvoyait à des régions du Pendjab autres que le district de Sialkot. Il soutient également que, en liant en grande partie sa complicité au pouvoir et au contrôle apparents que lui conféraient ses fonctions de responsable de poste de police sur les agents qui relevaient de lui, la SI s’est appuyée sur le concept de la « responsabilité hiérarchique » pour conclure à sa complicité. Invoquant ce concept tel qu’il est formulé à l’alinéa 7(2)c) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, le demandeur soutient que l’infraction pertinente doit être liée aux activités relevant de l’autorité et du contrôle effectifs du supérieur.

[24] Mon analyse de cette question renvoie à certains égards à celle de la première question, ci-dessus. Même si le demandeur travaillait exclusivement dans le district de Sialkot, la SI a conclu, en s’appuyant sur la preuve sur les conditions dans le pays concernant le Pakistan en général et la province du Pendjab et le district de Sialkot en particulier, que les crimes contre l’humanité mentionnés dans la preuve avaient été menés collectivement par une vaste majorité d’agents de police. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la preuve sur les conditions dans le pays sur laquelle la SI s’est appuyée comprenait des éléments montrant que la torture et d’autres types de mauvais traitements étaient répandus dans toutes les régions du Pakistan, ce qui tend à établir qu’il était raisonnable de la part de la SI de baser son analyse sur la police du Pendjab dans son ensemble, plutôt que sur le district ou le poste de police où le demandeur travaillait.

[25] De plus, je ne crois pas que l’analyse de la SI reposait en particulier sur le concept de la « responsabilité hiérarchique » ou sur l’alinéa 7(2)c) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Pour faire valoir cet argument, le demandeur invoque trois paragraphes de la décision contestée, dans lesquels la SI a examiné son cheminement de carrière et la hiérarchie au sein de la police du Pendjab. La SI a fait observer que le grade d’inspecteur auquel il a accédé est le plus élevé des grades subalternes et elle a conclu que le demandeur était donc assez haut placé dans la hiérarchie. Notant que le demandeur avait exercé les fonctions de responsable de poste de police dans divers postes de police entre 2005 et 2017, la SI a déclaré que, de toute évidence, le demandeur était un dirigeant puissant et influent de la police du Pendjab. Cette analyse portait sur l’un des facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola, soit le poste ou le grade de la personne au sein de l’organisation, qui peut guider l’évaluation de la question de savoir si la personne a apporté une contribution significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation.

[26] À mon avis, le fait de s’appuyer sur ce facteur, suivant l’arrêt Ezokola, n’étaye pas la conclusion selon laquelle la SI doit se contenter, dans son analyse de la complicité, d’examiner les actes de violence commis par des agents sous l’autorité et le contrôle du demandeur. Comme le fait valoir le défendeur, le fait que le demandeur a exercé les fonctions de responsable de poste de police n’était qu’un des facteurs sur lesquels la SI s’est appuyée pour conclure qu’il s’était rendu complice des crimes commis par la police du Pendjab. La SI a également fondé sa conclusion sur le témoignage du demandeur portant qu’il avait entendu parler des crimes commis par la police du Pendjab dans les nouvelles, ce qui témoignait selon elle de son aveuglement volontaire et de son insouciance, sur le fait qu’il avait travaillé pour l’organisation pendant 25 ans et sur le fait qu’il ne s’était dissocié de la police du Pendjab que lorsque les circonstances à l’origine de sa demande d’asile l’avaient forcé de le faire.

[27] Le demandeur souligne également que, selon l’arrêt Ezokola, un autre facteur, soit la section de l’organisation à laquelle la personne visée était le plus directement associée, peut être pertinent lorsqu’il est connu que certaines sections seulement d’une organisation étaient impliquées dans la perpétration de crimes ou la réalisation du dessein criminel. Comme le fait remarquer le demandeur, la directive formulée dans le guide ENF 18 du défendeur exige que le décideur « explor[e] à fond l’organisation afin de bien définir le groupe auquel aurait appartenu l’intéressé, notamment dans le cas des organisations hybrides ou multiformes ».

[28] Cependant, comme je l’ai expliqué ci-dessus, la SI a conclu que les mauvais traitements par la police du Pendjab étaient répandus au sein de l’organisation. De plus, lorsqu’elle a analysé la complicité, la SI s’est appuyée sur la preuve d’actes de violence commis dans le district de Sialkot en particulier, notamment les incidents suivants :

  1. En 2004, à Sialkot, une escouade d’agents de police dirigée par un sous‑inspecteur adjoint a fait irruption dans la maison d’une veuve, a pris en otage la femme et ses deux filles et les a battues sauvagement. La veuve a été emmenée au poste de police, où elle a été détenue illégalement pendant deux jours et battue à plusieurs reprises. Ses ongles ont été arrachés. Elle n’a été relâchée qu’après que son fils eut versé un pot‑de‑vin.

  2. En 2005, une jeune fille de 17 ans qui avait été victime d’un enlèvement et d’un viol collectif a été secourue par deux agents de police de Sialkot, qui l’ont ensuite violée au poste de police.

  3. En l’espace de six mois en 2008, 37 cas de torture commis par la police ont été signalés à Sialkot.

  4. En 2010, deux cellules de torture policières, où six personnes avaient été violemment battues et affamées, ont été découvertes près de postes de police à Sialkot.

  5. En 2011, deux frères ont été lynchés en présence d’agents de police à Sialkot. Vingt‑deux personnes, dont neuf policiers, ont été déclarées coupables de ce crime.

[29] L’analyse de la complicité menée par la SI sera traitée de façon plus détaillée dans la prochaine section des présents motifs. Cependant, dans le contexte de la question visée par la présente section des motifs, je ne vois rien de déraisonnable dans le fait que la SI a déterminé que la police du Pendjab était l’organisation pertinente aux fins de l’évaluation de la complicité du demandeur, compte tenu en particulier de la preuve concernant les actes de violence commis dans le district de Sialkot, qui concorde avec la preuve concernant plus généralement la police du Pendjab.

C. La SI a-t-elle conclu de manière déraisonnable que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité?

[30] Pour déterminer s’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était rendu complice des crimes contre l’humanité commis par la police du Pendjab, la SI devait examiner la question de savoir s’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel de l’organisation (voir Ezokola, aux para 8, 29, 84).

[31] Le demandeur souligne que, lors de cette analyse et de l’examen des facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola, l’accent doit toujours être mis sur la contribution de la personne visée aux crimes ou au dessein criminel (voir Ezokola, au para 92). Lorsque l’organisation est multiforme ou hétérogène (par exemple, lorsqu’elle exerce à la fois des activités légitimes et des activités criminelles), le lien entre la contribution et le dessein criminel sera plus ténu (voir Ezokola, au para 94). Dans le cas d’une organisation multiforme, comme une force policière ou une armée, il faut se demander si la personne visée a apporté une contribution significative aux crimes ou au dessein criminel du groupe, pas seulement une contribution à l’organisation (voir Concepcion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 544 au para 17; Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 822 aux para 21‑22).

[32] En l’espèce, la SI a conclu que la preuve ne démontrait pas facilement que le demandeur avait personnellement ou directement commis des actes de violence. Elle a précisé qu’elle devait donc examiner minutieusement le lien organisationnel entre le demandeur et la police du Pendjab pour établir s’il s’était rendu complice du dessein et des activités criminels de l’organisation. Cependant, le demandeur fait valoir que, lorsqu’elle a mené cette analyse, la SI a commis une erreur, car elle a assimilé sa contribution à la fonction légitime d’application de la loi de la police à une contribution à ses crimes ou à son dessein criminel allégués. Le demandeur soutient que l’analyse de la SI au titre de l’alinéa 35(1)a) manque donc de contexte et qu’elle est lacunaire et déraisonnable.

[33] La structure de l’argument du demandeur suit la structure de l’analyse de la complicité menée par la SI, c’est-à-dire qu’il examine chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola avant de se pencher sur la question de savoir s’il avait volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel de la police du Pendjab. Mon analyse de l’argument du demandeur prendra donc la même forme.

(1) La taille et la nature de l’organisation

[34] Le demandeur fait valoir que la taille et la nature de la police du Pendjab, et le fait qu’elle poursuit une fin légitime, militent contre la conclusion selon laquelle il existe un lien organisationnel avec la perpétration généralisée de crimes contre l’humanité en l’espèce. Bien qu’elle ait pris note du témoignage non contredit du demandeur portant que de tels crimes n’avaient pas été commis dans le secteur relevant de sa responsabilité, la SI a néanmoins conclu que ces crimes étaient suffisamment répandus pour qu’il en ait eu connaissance. Le demandeur soutient que cette analyse est déraisonnable, étant donné que la preuve n’a pas permis d’établir que la perpétration de crimes contre l’humanité était courante dans les postes de police ou la force policière locale où il a travaillé.

[35] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ces arguments indiquent simplement un désaccord quant à l’évaluation de la preuve par la SI et qu’ils ne fournissent aucun fondement permettant à la Cour de conclure que la décision contestée est déraisonnable. La décision contestée démontre clairement que la SI savait que la police du Pendjab poursuivait également une fin légitime d’application de la loi. Elle montre aussi que la SI savait qu’elle devait répondre à la question de savoir si le demandeur avait volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel de l’organisation.

[36] La SI a pris acte du témoignage du demandeur selon lequel il avait entendu que des crimes avaient été commis par la police du Pendjab, mais que rien de la sorte ne s’était produit sous sa gouverne ni dans le secteur relevant de sa responsabilité. Cependant, compte tenu de la prévalence et de l’ampleur des actes de violence mentionnés dans la preuve documentaire, qui ont été commis alors que le demandeur travaillait pour la police du Pendjab, la SI a estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il avait probablement eu connaissance des crimes et du dessein criminel de l’organisation et qu’il avait, par son service et ses fonctions de supervision, contribué à la réalisation de ce dessein. Cette analyse est intelligible, tient compte de la preuve documentaire et du témoignage du demandeur et résiste à un examen selon la norme du caractère raisonnable.

(2) La section de l’organisation à laquelle le demandeur était le plus directement associé

[37] Le demandeur fait valoir que la SI a eu tort de conclure que l’unité des opérations dont il faisait partie était la plus susceptible de commettre des actes de violence en raison de ses contacts avec le public. Selon lui, cette conclusion est conjecturale, puisque c’est l’unité des enquêtes qui menait les interrogatoires au cours desquels des actes de torture auraient été commis.

[38] Encore une fois, j’estime que le demandeur tente par ses arguments d’amener la Cour à tirer des conclusions différentes de celles que la SI a tirées sur le fondement de la preuve dont elle était saisie, ce qui n’est pas le rôle de la Cour lors du contrôle judiciaire. La SI a fait remarquer que, en raison des fonctions et des responsabilités de l’unité des opérations, ses agents auraient eu des interactions quotidiennes avec la population. Elle a donc jugé que ces agents étaient susceptibles d’être impliqués dans la perpétration de crimes contre l’humanité puisque leurs fonctions comprenaient l’arrestation et la détention de citoyens, l’interrogation de personnes, l’exploitation d’établissements de détention et le transfert de détenus entre les établissements, et qu’elles leur permettaient d’entrer chez les gens presque sans entrave. La SI a conclu que ces fonctions et pouvoirs connexes auraient permis à ces agents de soumettre les gens à des fouilles, à des saisies et à des pratiques corrompues abusives, à la torture, à des actes de brutalité et à d’autres violations des droits de la personne.

[39] La SI a donc conclu que le fait que le demandeur était associé directement à l’unité des opérations constituait un indicateur convaincant de sa contribution aux crimes et au dessein criminel de la police du Pendjab. Selon moi, cette analyse est intelligible et donc raisonnable.

(3) Les fonctions et les activités du demandeur au sein de l’organisation

[40] Le demandeur fait ressortir son témoignage selon lequel il n’a été témoin d’aucun acte de violence commis par les agents des postes de police dont il avait la responsabilité et qu’il n’a reçu aucune plainte en la matière, à l’exception de plaintes occasionnelles relatives aux blocus ou à la corruption, qui ne constituent pas des crimes contre l’humanité. Il a mentionné un cas où deux frères ont été assassinés en 2011 et où la police a omis d’agir, mais il a expliqué avoir participé à l’enquête et à la poursuite des agents impliqués.

[41] Le demandeur fait valoir que la SI a commis une erreur en concluant malgré tout que sa promotion d’agent subalterne à superviseur présentait « un continuum qui, une fois mis en balance », montrait sa complicité. Il fait valoir que la SI n’a pas respecté la mise en garde formulée dans l’arrêt Ezokola suivant laquelle une distinction doit être faite entre la contribution au dessein légitime d’une organisation et la contribution à ses crimes ou à son dessein criminel. Il ajoute que, suivant l’analyse de la SI, qui met l’accent à la fois sur ses fonctions d’agent subalterne et sur ses fonctions de superviseur à un échelon supérieur, tous les membres de la police du Pendjab seraient interdits de territoire par application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

[42] Dans cette section de son analyse, la SI n’a pas affirmé expressément qu’elle évaluait la complicité du demandeur à l’égard du dessein criminel de l’organisation. Cependant, dans le contexte de l’ensemble de la décision contestée, il est clair que c’était la question sur laquelle la SI se penchait. Ainsi, la décision contestée ne fait pas état d’une mauvaise compréhension de l’analyse que la SI était tenue d’effectuer.

[43] La SI a pris note du nombre d’arrestations auxquelles le demandeur a participé dans le district de Sialkot (environ 500 arrestations en tant que sous‑inspecteur adjoint, puis une centaine d’arrestations entre 2000 et 2005 après sa nomination au poste de sous‑inspecteur), ainsi que de sa responsabilité à l’égard de toutes les arrestations effectuées par les agents qui relevaient de lui après sa nomination comme responsable de poste de police. La SI a pris acte du témoignage du demandeur portant qu’aucun acte de violence n’avait été commis sous sa gouverne. Selon mon interprétation de la décision contestée, la SI n’a pas accepté cet élément de preuve. Compte tenu des fonctions variées et de plus en plus importantes que le demandeur a occupées sur une longue période au sein de la police du Pendjab et conformément à l’analyse qu’elle a menée dans le reste de sa décision, la SI a plutôt jugé que le demandeur était au courant des actes de violence généralisés dans l’organisation et qu’il en avait donc été complice. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette analyse.

(4) Le grade du demandeur

[44] Le demandeur conteste la conclusion de la SI portant que les fonctions de responsable de poste de police qu’il occupait faisaient de lui un dirigeant particulièrement puissant et influent. Il soutient que cette conclusion contredit la preuve selon laquelle son grade se situait dans la moitié inférieure de la hiérarchie (il y avait sept grades au-dessus du sien et seulement quatre grades en dessous).

[45] À mon avis, la conclusion de la SI est raisonnable compte tenu de la preuve. En particulier, la SI a conclu que le demandeur « était [...] assez haut placé dans la hiérarchie ». La SI a considéré qu’un grade se situant sept échelons au-dessous du grade le plus élevé dans la structure hiérarchique constituait un grade relativement élevé. Lorsqu’elle a conclu qu’il était, de toute évidence, un dirigeant puissant et influent de la police du Pendjab, la SI a tenu compte non seulement de sa nomination comme responsable de poste de police, mais aussi du fait qu’il avait été affecté à ce titre à de nombreux postes de police du district de Sialkot sur une période de 12 ans, soit entre 2005 et 2017, date à laquelle il est parti aux États‑Unis. La Cour n’a aucune raison de modifier ces conclusions.

(5) La durée de l’appartenance du demandeur à l’organisation après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel

[46] Le demandeur conteste le fait que la SI s’est appuyée sur la durée de son service au sein de la police du Pendjab, soit 25 ans, pour conclure qu’il aurait eu connaissance des crimes contre l’humanité perpétrés de façon généralisée par l’organisation pendant cette période. Encore une fois, le demandeur soutient que cette analyse est lacunaire, car la preuve n’étaye pas la conclusion selon laquelle les actes de violence étaient répandus, particulièrement dans le district de Sialkot et les postes de police dont il avait la responsabilité.

[47] La SI a conclu qu’il était raisonnable de déduire, en raison de la durée du service du demandeur au sein de l’organisation, du moment de son travail pour cette organisation, de son rôle et de sa place au sein de l’organisation, et de la nature de ses fonctions, qu’il aurait été ou aurait dû être une source évidente de connaissances sur l’organisation et ce qui s’y produisait. La SI a encore une fois noté que le demandeur niait avoir été témoin d’actes de violence ou avoir eu à traiter des actes de violence. Cependant, elle a fait remarquer qu’il avait déclaré, lors de son témoignage, qu’il avait entendu dire, principalement dans les nouvelles, que la police du Pendjab s’était livrée à de la corruption et à d’autres infractions. Prenant note de la preuve fiable concernant la prévalence de la torture et d’autres crimes contre l’humanité commis par la police du Pendjab durant la période pendant laquelle le demandeur travaillait au sein de cette organisation, la SI a déduit qu’il aurait eu connaissance des actes de violence commis dans les différentes installations où il travaillait ou qu’il supervisait. Elle a donc conclu que le fait qu’il ne se soit pas dissocié de l’organisation pendant environ 25 ans militait en faveur d’une conclusion de complicité.

[48] Encore une fois, l’analyse de la SI est intelligible et tient compte de la preuve sur les conditions dans le pays ainsi que du témoignage du demandeur. La Cour n’a aucune raison d’intervenir.

(6) Le mode de recrutement du demandeur et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation

[49] La SI a fait remarquer que le demandeur s’était joint volontairement à la police du Pendjab en 1992 et que, n’eût été les menaces à sa vie, il n’aurait pas quitté l’organisation. Elle a conclu que ces circonstances militaient en faveur de la conclusion selon laquelle il s’était rendu complice des crimes et du dessein criminel de l’organisation.

[50] S’agissant de cette conclusion, le demandeur soutient uniquement que le fait qu’il s’est joint à la force policière et qu’il y soit resté volontairement ne devrait pas être retenu contre lui dans la mesure où il ne participait qu’à la réalisation de son dessein légitime d’application de la loi. Compte tenu des conclusions tirées par la SI concernant les connaissances du demandeur au sujet des crimes et du dessein criminel de la force policière, examinées ci-dessus et ci-dessous, cet argument ne mine pas le caractère raisonnable de la décision contestée.

(7) La contribution volontaire

[51] La SI a ensuite examiné le critère à trois volets relatif à la complicité énoncé dans l’arrêt Ezokola. Elle s’est d’abord penchée sur la question de savoir si le demandeur avait volontairement contribué aux crimes ou au dessein criminel de la police du Pendjab. Elle a conclu que le recrutement, la permanence, l’avancement, le maintien en poste, la contribution et la participation du demandeur au sein de la police du Pendjab démontraient un caractère volontaire convaincant, qui renforçait l’impression d’un but commun et d’un engagement envers l’organisation. Il n’était pas un agent accessoire; il existait plutôt un lien institutionnel intégré, stable et durable. Pour ces motifs, la SI a conclu qu’il avait volontairement participé aux activités de l’organisation et qu’il avait donc contribué volontairement à ses crimes et à son dessein criminel.

[52] Le demandeur fait valoir que, lorsqu’elle a conclu qu’il avait volontairement contribué aux crimes et au dessein criminel de l’organisation, la SI n’a pas fait de distinction entre les activités légitimes et illégitimes de l’organisation. Je conviens que cette partie de l’analyse de la SI n’aborde pas cette distinction. Cependant, ce n’était pas là son objet. Cette partie de l’analyse doit être lue dans le contexte de l’ensemble de la décision, y compris l’analyse et les conclusions de la SI portant que le demandeur a volontairement contribué de manière significative aux crimes et au dessein criminel de la police du Pendjab. C’est dans le contexte de ces conclusions que la SI a estimé que la contribution du demandeur était volontaire. Cette conclusion, étayée par la preuve, est raisonnable.

(8) La contribution significative

[53] Pour contester la conclusion de la SI selon laquelle il a contribué de manière significative aux crimes de la police du Pendjab, le demandeur soutient que la SI a tiré cette conclusion en se basant simplement sur sa longue appartenance et son ascendance au sein de l’organisation, ce qui est contraire aux principes énoncés dans l’arrêt Ezokola. Il ajoute que la SI a eu tort de conclure à sa complicité en se fondant sur la preuve objective concernant l’usage courant de la torture par la police du Pendjab, malgré qu’il y avait peu d’éléments de preuve portant sur le district de Sialkot et aucun élément de preuve portant sur les postes de police dont il avait la responsabilité, à l’exception des infractions qui avaient fait l’objet d’enquêtes et de poursuites.

[54] Dans cette partie de son analyse, la SI a noté que, selon l’arrêt Ezokola, pour établir si la personne a contribué de manière significative aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation, il n’est pas nécessaire de se concentrer sur une contribution visant la perpétration de crimes identifiables précis; la contribution peut appuyer et favoriser de manière générale les objectifs et desseins de l’organisation ou permettre à ces objectifs d’être réalisés (Ezokola, aux para 87 et 88). La SI a précisé qu’elle n’estimait pas que le demandeur s’était rendu complice de crimes identifiables précis. Sa conclusion quant à la complicité découlait plutôt de son statut et de son grade au sein de l’organisation, du fait qu’il travaillait en tandem avec le dessein commun et de son engagement à réaliser l’objectif de l’organisation par tous les moyens nécessaires.

[55] La SI a parlé des promotions accordées au demandeur comme d’une marque de reconnaissance du fait qu’il s’était révélé être un employé apportant une contribution sur le plan fonctionnel, laquelle contribution a favorisé le succès et l’essor de la police du Pendjab et servi ses objectifs. La SI a estimé que lorsque, dans l’exercice de ses fonctions de supervision et de gestion, le demandeur assignait des tâches à des agents et que ceux-ci procédaient à des arrestations avec son autorisation, il contribuait de manière significative au fonctionnement de la police et potentiellement à un système qui permettait les interrogatoires et la torture. La SI est parvenue à des conclusions analogues en ce qui concerne son rôle, et celui de ses officiers, dans le transport des prisonniers des prisons vers les palais de justice.

[56] La SI a conclu cette partie de son analyse en expliquant que la police du Pendjab exploitait un système fondé sur la torture généralisée et d’autres violations des droits de la personne. Dans la même veine, la SI a conclu que, bien que la police du Pendjab soit chargée de la mission légitime de faire respecter la loi, de mener des enquêtes criminelles et de maintenir l’ordre public, c’est sous le couvert de ce même mandat qu’elle a commis des crimes de torture, des exécutions extrajudiciaires et d’autres violations des droits de la personne (quoique cette conclusion est exprimée dans la section suivante de son analyse). La SI a estimé que, dans la mesure où les fonctions du demandeur étaient essentielles et d’une importance critique au fonctionnement continu et efficace des rouages de l’organisation, il y a des motifs raisonnables de croire qu’il a contribué de manière significative aux objectifs criminels de l’organisation et à un régime qui a eu recours à la torture à grande échelle.

[57] Comme pour les autres parties de la décision, l’analyse de la SI est intelligible et fondée sur la preuve dont elle disposait. Elle est arrivée à sa conclusion après avoir reconnu que le demandeur niait que la police du Pendjab se fut livrée, à sa connaissance, à des crimes contre l’humanité. Cette analyse est raisonnable et ne révèle aucune erreur susceptible de contrôle.

(9) La contribution consciente

[58] Enfin, le demandeur soutient que la SI a eu tort de conclure qu’il avait apporté une contribution consciente aux crimes de la police du Pendjab. Encore une fois, il fait valoir que cette conclusion n’est pas étayée par la preuve d’actes de violence commis dans les postes de police ou la force policière locale au sein desquels il a travaillé. Il conteste en particulier le fait que la SI a considéré son déni de connaissance comme la preuve qu’il avait consenti à des actes de violence sur lesquels il aurait dû enquêter, ou qu’il avait fait preuve d’aveuglement volontaire ou d’insouciance à cet égard. Le demandeur soutient que ce raisonnement est circulaire et qu’il ne peut donc résister à un examen.

[59] De même, s’agissant des incidents particuliers relevant de son ressort, et du témoignage qu’il a fourni quant à son rôle dans l’enquête visant les policiers impliqués et leur poursuite, le demandeur fait valoir que la SI a tenu un raisonnement circulaire lorsqu’elle a estimé que ces mesures étaient propres aux incidents en question et pas assez étendues pour freiner les actes de violence généralisés. Il soutient également que la SI a eu tort de lui reprocher sa conduite à l’égard des incidents dans lesquels il avait été accusé de ne pas avoir rempli ses fonctions, car elle a ignoré certains éléments concernant ces incidents qui lui étaient favorables.

[60] À mon avis, cette partie de la décision contestée dans laquelle la SI a évalué la connaissance qu’avait le demandeur des crimes commis par la police du Pendjab est essentielle pour comprendre son raisonnement. La SI a expliqué que la contribution consciente du demandeur pouvait être inférée de la prévalence et de la portée de la violence, de l’environnement général dans lequel les actes de violence ont été commis, de la connaissance qu’avait le public des actes criminels commis par la police, de la position du demandeur au sein de la hiérarchie, de son rôle de dirigeant et de sa longue carrière dans les forces de l’ordre. Lorsqu’elle a tiré cette inférence, la SI s’est appuyée dans une large mesure sur le témoignage du demandeur et sur l’évaluation de la crédibilité qui en a découlé.

[61] La SI a pris note de la présomption réfutable selon laquelle le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est véridique. Elle a toutefois estimé que cette présomption avait été réfutée en ce qui touchait le témoignage du demandeur. Pour parvenir à cette conclusion, elle a comparé le témoignage du demandeur concernant son poste, ses affectations et son grade dans la hiérarchie de la police du Pendjab, avec sa preuve concernant la participation de l’organisation aux actes de torture et à d’autres violations des droits de la personne. S’agissant du premier élément, la SI a estimé que sa preuve était généralement spontanée, qu’elle concordait avec les documents et qu’elle était donc crédible. Par contre, le demandeur s’est montré évasif et sur la défensive lorsqu’il a évoqué les actes de violence durant son témoignage, écartant la preuve objective sans vraiment étayer sa position. Il a également tenté de justifier l’inconduite des agents de police et a été généralement réticent à donner des renseignements qui auraient impliqué l’organisation ou qui auraient pu être préjudiciables pour lui. La SI a noté qu’il était difficile de concilier son témoignage avec la preuve sur les conditions dans le pays.

[62] La SI a préféré la preuve sur les conditions dans le pays et a considéré que le témoignage du demandeur était peu convaincant et précaire, en raison de son incompatibilité avec la preuve objective. S’appuyant sur la preuve sur les conditions dans le pays, y compris en ce qui a trait aux incidents survenus dans le district de Sialkot, la SI a conclu que les crimes commis par la police du Pendjab étaient suffisamment répandus et bien connus du public pour ne pas lui avoir simplement échappé. À cet égard, elle a déduit du défaut du demandeur de reconnaître les méthodes et les mobiles criminels de la police du Pendjab qu’il n’aurait pas pu dénoncer les actes de violence commis par l’organisation ni tenter de les empêcher. Subsidiairement, la SI a estimé que ses connaissances en la matière témoignaient d’une insouciance ou d’un aveuglement volontaire.

[63] Comme le fait remarquer le demandeur, la SI a en partie fondé cette analyse sur son témoignage concernant les connaissances particulières qu’il avait des actes de violence commis au sein de l’organisation. La SI a pris note du fait qu’il avait déclaré avoir entendu parler des actes de violence allégués dans les médias, mais elle a aussi mentionné sa déclaration selon laquelle que certaines de ces allégations étaient fausses. Cette preuve appuyait la conclusion de la SI portant que le sentiment de loyauté du demandeur envers la police du Pendjab avait contribué à son insouciance ou à son aveuglement volontaire. S’agissant des incidents ayant mené à des poursuites à l’égard desquelles le demandeur a déclaré avoir joué un rôle, la SI a reconnu qu’ils ne constituaient peut-être pas des crimes contre l’humanité. Elle a toutefois expliqué que ces incidents particuliers concordaient avec la culture prévalente de crimes contre l’humanité et que l’implication du demandeur confirmait qu’il était au fait de cette culture.

[64] Comme l’analyse par la SI des connaissances du demandeur reposait non seulement sur la preuve dont elle disposait, mais aussi sur son évaluation de la crédibilité de son témoignage, la Cour devrait se montrer particulièrement réticente à intervenir sur cette question. Je souscris à la position du défendeur selon laquelle les arguments du demandeur visent à amener la Cour à apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SI et ne font ressortir aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision contestée.

[65] Enfin, je ne vois aucune raison de souscrire à l’argument du demandeur selon lequel la SI a fait abstraction des éléments qui lui étaient favorables relativement à des incidents particuliers où sa conduite avait été contestée. Bien qu’il s’agisse d’une présomption réfutable, la SI est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve dont elle disposait (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1998] ACF no 1425 aux para 16‑17). Aucune incohérence significative ne peut être relevée entre la preuve à laquelle le demandeur se réfère et l’analyse effectuée par la SI dans cette partie de sa décision.

VI. Conclusion

[66] Ayant examiné les arguments du demandeur, je conclus que la décision contestée est intelligible, qu’elle est étayée par la preuve dont disposait la SI et qu’elle est donc raisonnable. À ce titre, la demande de contrôle judiciaire en l’espèce doit être rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et aucune n’est formulée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3082-20

LA COUR STATUE :

  1. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est remplacé par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur dans la demande.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3082-20

INTITULÉ :

ZULFIQAR ALI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juin 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

juge SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 30 juin 2021

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

pour le demandeur

Asha Gafar

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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