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Date : 20050926

Dossier : IMM-6564-04

Référence : 2005 CF 1318

Toronto (Ontario), le 26 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

MARIYA SYNYSHYN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Maria Synyshyn est une citoyenne de l'Ukraine qui a présenté une demande pour obtenir le statut de résident permanent au Canada en tant que travailleur qualifié. Cette demande a été rejetée parce qu'elle n'a pas obtenu un nombre suffisant de points lors de l'appréciation de son dossier par le défendeur. Mme Synyshyn conteste cette décision, au motif que l'agent des visas n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Selon elle, l'agent aurait dû approuver sa demande au motif que le nombre de points obtenus ne reflétait pas adéquatement son aptitude à réaliser son établissement économique au Canada.

[2]                Mme Synyshyn ne m'a pas convaincue que l'agent des visas avait commis une erreur susceptible de révision dans son appréciation de sa demande de résidence permanente. En conséquence, sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Le contexte

[3]                Le 16 février 2002, Mme Synyshyn a présenté sa demande de résidence permanente au Canada, en son nom ainsi qu'en celui de ses deux fils. Au moment où elle a déposé sa demande, Mme Synyshyn savait qu'elle ne pouvait pas obtenir le nombre de points requis pour se qualifier comme immigrant. Elle croyait toutefois qu'elle pourrait réaliser son établissement économique au Canada sans difficulté. Elle a donc demandé à l'agent des visas d'exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur, en conformité avec le paragraphe 76(3) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, lequel est ainsi libellé :

76(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié -- que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) -- ne reflète pas l'aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l'agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l'alinéa (1)a).

           

[4]                À l'appui de sa demande, Mme Synyshyn a fourni certains documents, notamment la confirmation écrite d'une offre d'emploi au Canada, à un salaire de 2 000 $ par mois. Selon Mme Synyshyn, c'est là une preuve prima facie qu'elle pouvait trouver un emploi au Canada.

[5]                Il faut noter que l'offre d'emploi de Mme Synyshyn n'avait pas reçu l'approbation de Développement des ressources humaines Canada, bien qu'au départ elle se réclamait d'une telle approbation.

[6]                Mme Synyshyn a également déposé des lettres émanant de membres de sa famille vivant au Canada, lesquelles lettres font état de leur bonne situation financière dans notre pays ainsi que du fait que la famille avait constitué une réserve de quelque 51 000 $ pour aider Mme Synyshyn et ses fils à s'établir au Canada. Mme Synyshyn a également déposé en preuve d'autres documents concernant ses ressources financières.

[7]                Une preuve additionnelle a été présentée quant au soutien de la communauté accordé dans notre pays aux membres de la famille de Mme Synyshyn et quant au point de vue positif de la communauté à l'égard de l'éthique de travail de la famille. Finalement, Mme Synyshyn a rappelé qu'elle avait rendu visite à sa parenté au Canada et qu'elle connaissait donc le pays.

[8]                Suite à un échange de correspondance entre l'avocate de Mme Synyshyn et le défendeur, Mme Synyshyn a envoyé à l'agent des visas les résultats de son examen de connaissance de la langue anglaise. Ces résultats indiquent que ses compétences générales en anglais sont celles d'un utilisateur limité (limited user). Un utilisateur limité est décrit sur la feuille de résultats comme étant une personne dont les [traduction] « compétences de base se limitent à des situations connues, qui a fréquemment des problèmes à comprendre et à s'exprimer et qui ne peut utiliser un langage complexe » .

           

[9]                Dans une lettre datée du 25 juin 2004, Mme Synyshyn a été informée du rejet de sa demande de résidence permanente. La lettre l'a également informé qu'elle avait obtenu 43 points, alors que le nombre minimum requis pour se qualifier comme immigrante au Canada est de 67 points.

[10]            La lettre du 25 juin 2004 ne fait pas état d'un examen de la demande de Mme Synyshyn qu'on exerce le pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Toutefois, une lecture des notes versées au Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) indique que la demande de Mme Synyshyn visant à obtenir une appréciation de substitution a été examinée et rejetée, l'agent des visas étant d'avis que les points accordés à Mme Synyshyn reflétaient son aptitude à réussir son établissement au Canada. Selon l'agent, Mme Synyshyn n'avait pas les compétences linguistiques et l'éducation requises pour réussir son établissement au Canada. Il a donc décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur.

[11]            Mme Synyshyn prétend que l'agent des visas a commis une erreur en appréciant sa demande de résidence permanente, en n'accordant pas un poids suffisant à l'offre d'emploi qu'elle avait reçu. De plus, Mme Synyshyn prétend que l'agent des visas n'a pas tenu compte, ou accordé un poids suffisant, aux éléments de preuve portant sur le soutien qu'elle recevrait au Canada sur le plan de la famille, de la communauté, ainsi que sur le plan financier.

[12]            Mme Synyshyn prétend de plus que l'obligation d'équité imposait à l'agent des visas de la recevoir en entrevue, ou à tout le moins de lui parler, afin qu'elle puisse présenter son point de vue au sujet des préoccupations que l'agent pouvait avoir quant à sa demande.

La norme de contrôle

[13]            La demande faisant l'objet du contrôle judiciaire porte sur l'exercice par l'agent des visas de son pouvoir discrétionnaire. Lorsque l'on examine une décision discrétionnaire de l'agent des visas, il faut garder à l'esprit le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7, 137 D.L.R. (3d) 558, savoir que :        

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[14]            Dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, au paragraphe 34, la Cour suprême du Canada a confirmé que ce n'était pas le rôle du tribunal chargé du contrôle de pondérer à nouveau les facteurs pris en compte par le décideur.

Analyse

[15]            Il est vrai que la lettre rejetant la demande de résidence permanente de Mme Synyshyn ne fait pas état du fait qu'on aurait tenu compte de sa demande d'appréciation de substitution. Toutefois, un examen des notes au STIDI fait ressortir que l'agent était au fait de sa demande visant à obtenir une telle appréciation et qu'il en a tenu compte de façon appropriée.

[16]            L'agent savait que Mme Synyshyn avait une offre d'emploi au Canada ainsi que le soutien de sa famille et d'autres intervenants dans notre pays, et il en a tenu compte. Néanmoins, l'agent était d'avis que ces facteurs n'étaient pas assez probants pour justifier l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en faveur de Mme Synyshyn, surtout compte tenu du fait qu'elle n'avait reçu que 43 points lors de son appréciation, soit 24 points de moins que le minimum requis.

[17]            Rien dans le dossier ne n'indique que l'agent des visas n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve fournie par Mme Synyshyn non plus qu'on y trouve quoi que ce soit voulant que l'agent se serait appuyé sur des considérations inappropriées. La question que Mme Synyshyn soulève porte pour l'essentiel sur le poids que l'agent a accordé aux divers facteurs. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, ce n'est pas le rôle de notre Cour, lors d'un contrôle judiciaire, de pondérer à nouveau la preuve présentée à l'agent des visas.

[18]            Je ne suis pas non plus persuadée que l'agent des visas avait l'obligation de recevoir Mme Synyshyn en entrevue. La loi n'impose pas la tenue d'une telle entrevue. En fait, Mme Synyshyn admet qu'un demandeur de résidence permanente n'a pas un droit automatique à une entrevue.

[19]            Bien que les notes au STIDI tendent à indiquer qu'au départ il était question d'une entrevue, ce point de vue semble avoir changé après la réception des résultats des tests de langue de Mme Synyshyn. À ce sujet, il y a lieu de noter que la demande originale de Mme Synyshyn pour obtenir la résidence permanente indiquait qu'elle lisait et parlait l'anglais couramment et qu'elle l'écrivait bien. Elle a également déclaré qu'elle parlait et lisait bien le français et qu'elle pouvait l'écrire avec une certaine difficulté.

[20]            Comme je l'ai souligné plus tôt, les tests de langue de Mme Synyshyn ont démontré que ses compétences en anglais étaient limitées. De plus, au moment où elle a transmis les résultats de ses tests d'anglais, elle a modifié sa prétention quant à ses connaissances du français, déclarant maintenant qu'elle n'avait aucune compétence en cette langue.

[21]            Étant donné ces changements importants des qualifications de Mme Synyshyn, je ne vois rien d'inapproprié ou d'inéquitable dans le fait que l'agent des visas a réexaminé sa décision de lui accorder une entrevue.

           

Conclusion

[22]            Pour ces motifs, la demande est rejetée.

Les dépens

[23]            Mme Synyshyn demande que lui soient adjugés ses dépens en l'espèce, au motif que le dépôt de la demande de contrôle judiciaire n'était pas déraisonnable compte tenu du fait que le défendeur n'avait pas précisé dans sa lettre de refus qu'il avait examiné sa demande d'appréciation de substitution.

[24]            À mon avis, il n'y a pas lieu d'accorder les dépens en l'espèce. Dès que Mme Synyshyn a reçu le dossier du tribunal, elle pouvait constater que sa demande d'appréciation de substitution avait été examinée. Elle a néanmoins poursuivi sa demande de contrôle judiciaire. Non seulement n'a-t-elle pas abandonné son argument portant que l'agent des visas n'avait pas examiné de façon appropriée sa demande, elle a également avancé un argument quant au fait que l'agent ne lui avait pas accordé d'entrevue. Cet argument n'est pas lié au fait qu'on n'aurait pas examiné sa demande d'appréciation de substitution.

[25]            En conséquence, Mme Synyshyn ne m'a pas convaincue que la demande de contrôle judiciaire n'aurait pas été présentée si la lettre avait fait état de sa demande, non plus qu'elle aurait subi un quelconque préjudice du fait de cette omission. Dans les circonstances, je n'accorderai pas de dépens.

La certification

[26]            Mme Synyshyn propose la question suivante pour fins de certification :

[traduction]

Une offre informelle d'emploi est-elle une preuve prima facie de la capacité d'un demandeur de réussir son établissement économique au Canada?

[27]            Selon moi, la réponse à cette question ne permettrait pas de trancher l'affaire. Bien que l'agent des visas n'a pas utilisé l'expression « preuve prima facie » dans son analyse, il est clair qu'il était au courant que Mme Synyshyn avait une offre d'emploi et qu'il en a tenu compte en arrivant à sa décision d'exercer ou non son pouvoir discrétionnaire en sa faveur, mais il a décidé au vu de toutes les circonstances que ce facteur ne permettait pas de compenser les autres carences de sa demande. Par conséquent, même si la Cour d'appel répondait à cette question par l'affirmative, cela ne changerait pas la décision en l'espèce.

[28]            De plus, la signification ou le poids à accorder à un élément de preuve ne porte que sur l'affaire où cet élément est soulevé.

[29]            En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que :

            1.          La demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans dépens.

            2.          Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

                                                                                                                         « A. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6564-04

INTITULÉ :                                       MARIYA SYNYSHYN

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 13 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 26 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Nancy Miles Elliott                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Vasilaros                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nancy Miles Elliot                                                                      POUR LA DEMANDERESSE           

Avocate                                              

Markham (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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