Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210629


Dossier : IMM‑3906‑20

Référence : 2021 CF 685

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ZHIMING ZHOU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Zhiming Zhou, conteste la décision du 27 juillet 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant sa demande d’asile au Canada.

I. Contexte

[2] Le demandeur, un citoyen chinois, allègue craindre d’être persécuté par le Bureau de la sécurité publique [BSP] en raison de son appartenance à la secte chrétienne des Trois Degrés de serviteurs. Il fait également valoir une demande d’asile sur place parce qu’il a commencé à fréquenter une église pentecôtiste après son arrivée au Canada et qu’il craint d’être persécuté en tant que chrétien s’il est renvoyé en Chine.

[3] Le demandeur affirme que sa cousine lui a fait découvrir l’église des Trois Degrés de serviteurs en mai 2016. Constatant que sa fréquentation l’aidait à surmonter le chagrin et la dépression causés par le décès d’un autre cousin dans l’explosion d’une mine, il a décidé d’en devenir membre. Il affirme que lui et sa cousine sont entrés dans la clandestinité en juin 2017, après que le BSP eut arrêté un autre membre de l’église. Il a alors décidé de fuir la Chine. Le demandeur prétend avoir appris en juillet 2017 que le BSP, à la recherche de sa cousine, s’était rendu chez elle ainsi que chez un autre membre de l’église. Un parent a aidé le demandeur à fuir la Chine avec l’aide d’un passeur.

[4] Le demandeur est arrivé au Canada le 23 septembre 2017 grâce à un visa de résident temporaire. Il affirme avoir appris en novembre suivant que des agents du BSP avaient arrêté sa cousine en Chine et s’étaient rendus chez lui à sa recherche. Il a donc décidé de présenter une demande d’asile ici.

[5] La SPR a rejeté sa demande d’asile en raison de préoccupations liées à la crédibilité. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas pu expliquer les pratiques ou les croyances de son église et donc qu’il n’avait pas réussi à établir qu’il en était membre. De plus, la SPR a relevé des incohérences dans son témoignage au sujet d’autres événements survenus en Chine, lesquelles ont davantage sapé sa crédibilité.

[6] Le demandeur a fait appel, mais la SAR a confirmé la décision de la SPR. Elle a accepté la nouvelle preuve soumise par le demandeur, y compris une lettre de son épouse qui se trouvait en Chine ainsi que des articles de presse concernant la répression religieuse en Chine. La SAR a toutefois refusé de tenir une audience, estimant que cette preuve n’avait aucune incidence sur la question déterminante, à savoir si le demandeur avait établi la sincérité de ses croyances et son appartenance à l’église.

[7] La SAR a effectué son propre examen de la preuve, et conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était un membre de l’église; la crédibilité de son allégation portant qu’il était recherché par le BSP a donc été remise en question. La SAR a fait remarquer que la SPR et son conseil lui avaient posé un certain nombre questions ouvertes concernant sa religion, mais qu’il n’avait été en mesure que de fournir son nom, le nom des Trois serviteurs ainsi que celui d’un chef de l’église, ajoutant que celle‑ci avait été qualifiée de secte illégale par les autorités chinoises. Il n’a pu fournir aucune description des croyances ou des pratiques associées à cette religion.

[8] La SAR a également fait remarquer que plusieurs conclusions en matière de crédibilité tirées par la SPR n’étaient pas contestées en appel, notamment l’absence de clarté concernant la relation du demandeur avec la parente qui lui avait fait découvrir l’église, et les incohérences relevées dans son témoignage sur les sujets suivants : a) le moment auquel il a appris que la secte chrétienne des Trois Degrés de serviteurs était une religion illégale en Chine; b) l’arrestation de l’un des membres de l’église; c) la date à laquelle il est entré dans la clandestinité après la descente du BSP.

[9] La SAR a estimé, compte tenu de ces facteurs, que le demandeur n’intéressait pas le BSP et n’a donc accordé aucun poids à l’avis d’arrestation de sa cousine, qu’elle a jugé non authentique. Pour la SAR, les conclusions défavorables en matière de crédibilité concernant l’appartenance du demandeur à l’église l’emportaient sur les éléments de preuve justificatifs qu’il avait fournis. En particulier, la SAR a écarté la nouvelle lettre fournie par son épouse qui évoquait la mise en liberté de sa cousine et l’intérêt qu’il continuait de susciter de la part du BSP.

[10] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

II. Questions à trancher et norme de contrôle

[11] La seule question à trancher est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[12] Toute décision de la SAR concernant la crédibilité doit être évaluée suivant la norme du caractère raisonnable, comme le décrit l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (voir Adefisan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2021 CF 359 au para 10).

[13] Suivant le cadre de l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit « examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et […] déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2 [Postes Canada]). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans Postes Canada, au para 33).

III. Analyse

[14] Le demandeur fait valoir que la décision de la SAR est déraisonnable en raison d’une lacune fatale qui entache toute son analyse, à savoir l’amalgame entre la sincérité de ses croyances religieuses et la question de savoir s’il est exposé à un risque en Chine. Le demandeur soutient que la SAR a eu tort de considérer que ces deux questions étaient équivalentes, et que cette erreur sape son analyse des questions clés.

[15] Le demandeur signale un certain nombre de lacunes dans l’analyse de la SAR. Il fait valoir qu’elle a rendu une décision déraisonnable, car lorsqu’elle a évalué la sincérité de ses croyances religieuses, elle n’a pas tenu compte de ses circonstances personnelles, qui ne sont pas contestées. En particulier, il fait remarquer ce qui suit : a) il ne compte que neuf ans de scolarité et travaillait comme aide‑cuisinier; b) il n’était membre de l’église que depuis sept mois et n’a pas pu continuer à pratiquer sa religion au Canada en raison de l’absence de la secte à Toronto; et c) environ un an s’était écoulé entre son arrivée au Canada (lorsqu’il était un membre actif) et l’audience de la SPR en août 2018.

[16] Le demandeur fait valoir que la SAR exigeait une connaissance de la doctrine qui dépassait ses capacités et qu’il était déraisonnable de sa part de ne pas avoir considéré les réponses qu’il avait fournies aux questions portant sur ses croyances religieuses dans le contexte de sa situation personnelle. Le demandeur signale qu’il est allé à l’église pour trouver du réconfort après le décès de son cousin, et non parce qu’il voulait étudier la théologie. Il soutient que la SAR a mené le type d’analyse jugé déraisonnable dans des affaires précédentes, et cite les décisions Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002 [Huang]; et Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288 [Lin].

[17] Par ailleurs, le demandeur affirme que la SAR s’est contredite lorsqu’elle a décrit le [traduction] « fondement » de sa demande d’asile, et que cela pose la question de savoir si elle s’est réellement attaquée aux éléments clés de cette demande. Il signale deux passages différents dans la décision de la SAR. Au paragraphe 21, cette dernière déclare : [traduction] « Le fondement de la demande d’asile tient à la question de savoir si [le demandeur] entretient des croyances sincères en tant qu’adepte de la secte chrétienne des Trois Degrés de serviteurs ». Cependant, elle affirme au paragraphe 26 [traduction] que « [l]e [demandeur] allègue qu’il est recherché par le BSP parce qu’il était membre de l’église des Trois Degrés de serviteurs en Chine. C’est‑là le fondement de sa demande d’asile, qu’il [lui] incombe encore d’établir, à savoir son identité religieuse en tant qu’adepte de cette foi ». Le demandeur fait valoir que ces déclarations sont contradictoires.

[18] De plus, il soutient que le rejet par la SAR de la preuve qu’il a soumise à l’appui de sa demande d’asile est déraisonnable, et invoque deux exemples à l’appui de cet argument.

[19] Premièrement, il affirme que le refus de la SAR d’accorder le moindre poids à l’avis d’arrestation de la cousine qui lui a fait découvrir la religion constitue une conclusion gratuite fondée sur une analyse incorrecte. La SPR avait accordé à cet avis un [traduction] « poids modéré » (décision de la SPR au paragraphe 43, dossier certifié du tribunal [DCT] à la page 32). Cependant, la SAR l’a complètement écarté dans le passage suivant [traduction] : « [L]a SAR conclut par conséquent que le [demandeur] n’intéressait pas le BSP; elle n’accordera donc aucun poids à l’avis d’arrestation et conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est non authentique » (décision de la SAR au para 32, DCT à la page 10).

[20] Le demandeur fait valoir qu’il est déraisonnable pour la SAR de conclure à l’inauthenticité de l’avis d’arrestation en s’appuyant uniquement sur l’évaluation de sa crédibilité par la SPR, sans examiner le document à première vue. Il ajoute que l’avis d’arrestation concernait la cousine et qu’il ne peut donc fonder la conclusion portant qu’il n’est pas lui‑même un véritable membre de l’église. Il n’existe aucun lien raisonnable entre les deux conclusions.

[21] Deuxièmement, le demandeur conteste le rejet par la SAR de la lettre de son épouse. Cette lettre affirme que la cousine du demandeur a été remise en liberté en février 2019, et qu’elle doit depuis se présenter tous les mois au BSP. La lettre indique également que la cousine a déclaré avoir été torturée en prison, qu’elle [traduction] « a également été interrogée au sujet [du demandeur] et s’est fait demander si elle savait [qu’il participait] encore aux activités religieuses » (DCT à la page 120). La lettre rapporte ensuite deux visites du BSP au domicile de l’épouse du demandeur, durant lesquelles les agents ont demandé si le demandeur connaissait les membres de l’église récemment arrêtés par le BSP. L’épouse du demandeur affirme ensuite que le BSP [traduction] « a déclaré qu’il continuerait d’enquêter sur l’affaire et a menacé de [la] punir si [elle] dissimulai[t] des renseignements [au sujet du demandeur] ». Enfin, la lettre indique que la cousine du demandeur avait déclaré qu’il ne devait pas retourner en Chine sous peine d’être arrêté et emprisonné puis surveillé par le BSP.

[22] La SAR a conclu que la lettre ne suffisait pas à l’emporter sur les préoccupations liées à la crédibilité et ne lui a donc accordé aucun poids (décision de la SAR au para 34, DCT à la page 11). Elle a écarté cette lettre parce qu’elle avait déjà conclu que le demandeur n’était pas un adepte sincère de la secte chrétienne des Trois Degrés de serviteurs et qu’il n’était pas poursuivi par le BSP. La conclusion clé de la SAR figure dans le passage suivant [traduction] : « Cependant, il a été établi que le [demandeur] ne vit pas sincèrement sa foi en tant que membre de la secte chrétienne à laquelle il prétend appartenir. La SAR conclut donc que cette lettre ne dissipe pas ces préoccupations en matière de crédibilité, et ne lui accordera aucun poids pour ce qui est de corroborer la demande d’asile » (décision de la SAR au para 36, DCT à la page 11).

[23] Le demandeur fait valoir que cette analyse est déraisonnable, attendu que la lettre constitue une preuve convaincante établissant qu’il serait exposé à un risque de la part du BSP s’il retournait en Chine, que son appartenance à l’église soit jugée sincère ou non. Il soutient que l’analyse de la SAR n’est pas fondée sur le contenu de la lettre, mais plutôt sur sa conclusion précédente selon laquelle il ne s’était pas montré crédible en ce qui touchait son appartenance à l’église. Toujours d’après le demandeur, la SAR s’est livrée à la même analyse déraisonnable lorsqu’elle a écarté l’avis d’arrestation.

[24] Enfin, le demandeur fait remarquer qu’il a soumis d’autres éléments de preuve documentaire corroborant la sincérité de ses croyances, y compris un avis de crémation et des dossiers de patient externe confirmant que son cousin était décédé, et que cet événement avait causé sa dépression et son anxiété. Cependant, la SAR n’a pas mentionné ces éléments dans son analyse, et il s’agit d’une omission déraisonnable attendu que ces documents corroborent son récit et renvoient à la sincérité de sa foi.

[25] En résumé, le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que sa connaissance de la doctrine religieuse l’emportait sur tout le reste du dossier, ou que son manque de connaissances détaillées de la doctrine religieuse pouvait en quelque sorte justifier le rejet de la preuve convaincante corroborant sa demande d’asile et confirmant qu’il est recherché par le BSP. La SAR a imposé ses propres attentes déraisonnables quant au niveau de connaissances qu’elle s’attendait à constater chez un [traduction] « converti » à la religion, au lieu de juger de la sincérité de ses croyances d’adhérent ordinaire ayant fait peu d’études, possédant des antécédents professionnels limités et ayant fréquenté l’église parce qu’elle était une source de réconfort et de paix. Le demandeur soutient que la décision de la SAR devrait être infirmée parce qu’elle reposait sur une analyse fatalement lacunaire.

[26] Je ne suis pas convaincu.

[27] Je conviens avec le demandeur qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de rejeter l’avis d’arrestation en se fondant sur ses conclusions précédentes en matière de crédibilité, sans faire la moindre référence au contenu ou à la forme du document. Il ne fait aucun doute qu’une conclusion portant qu’un demandeur manque de crédibilité en raison de son témoignage, surtout à l’égard de questions clés de la demande d’asile, peut avoir une incidence sur l’évaluation par le décideur d’autres éléments introduits par l’intéressé (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 24 [Lawani]). Cependant, en l’espèce, il était déraisonnable de la part de la SAR de rejeter l’avis d’arrestation dans son intégralité sans analyser le document lui‑même (Berhane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 510 au para 32).

[28] J’estime qu’il ne s’agit pas là du type d’erreur qui justifie d’infirmer une décision autrement raisonnable. Je me dois de rappeler que dans l’arrête Vavilov, la majorité de la Cour suprême du Canada n’a pas créé une norme de perfection :

[100] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[29] En l’espèce, l’erreur de la SAR découlant de son traitement de l’avis d’arrestation n’est pas une « lacune grave » justifiant d’annuler la décision, car de nombreux autres motifs indépendants étayaient sa conclusion portant que le demandeur manquait de crédibilité à l’égard de l’élément essentiel de sa demande d’asile, à savoir la sincérité de ses croyances religieuses. Il est important de souligner à cet égard que même si l’avis d’arrestation atteste peut‑être que les autorités prennent la cousine pour une adepte de l’église, cette question est ici sans pertinence dans le sens où le demandeur n’a jamais prétendu que la croyance erronée du BSP l’exposait à un risque. Dans l’ensemble, il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR de conclure que la preuve documentaire ne l’emportait pas sur les lacunes dans la preuve du demandeur touchant à ses croyances ou à ses pratiques religieuses.

[30] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que l’analyse de la SAR est entachée par son examen de la sincérité de ses croyances. Sa décision atteste que la SAR s’est attaquée aux aspects essentiels de la demande d’asile et qu’elle a considéré la preuve à la lumière du cadre juridique applicable. C’est exactement ce qui est requis pour qu’une décision soit jugée raisonnable suivant le cadre de l’arrêt Vavilov.

[31] Je conviens avec le demandeur que la jurisprudence met en garde la SAR de ne pas imposer un niveau de connaissances déraisonnablement détaillées ou sophistiquées de la doctrine religieuse lorsqu’elle évalue la sincérité des croyances religieuses d’un demandeur d’asile (voir Bouarif c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 49 au para 7, citant Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139 au para 26 [Bouarif]). Cependant, la décision de la SAR en l’espèce démontre qu’elle n’a pas commis cette erreur. Elle a plutôt examiné l’ensemble de la preuve, notamment l’ignorance du demandeur quant à la religion à laquelle il prétendait appartenir, ainsi que d’autres incohérences dans son témoignage.

[32] Une distinction peut être établie entre l’approche suivie par la SAR en l’espèce et les approches qui ont été jugées déraisonnables dans les affaires invoquées par le demandeur. Dans la décision Lin, le tribunal avait indûment jugé les connaissances du demandeur d’asile à l’aune de son propre critère relatif aux croyances que devait avoir une personne dans la même situation. Dans la décision Huang, le tribunal s’était demandé non seulement si la demanderesse connaissait la religion, mais aussi si ces pratiques s’appliquaient à sa vie quotidienne et lui a imposé une norme supérieure à la moyenne en matière de connaissances religieuses. Ces décisions ne sont nullement comparables à la situation en l’espèce. Comme l’a soutenu le défendeur, la loi interdit au décideur de juger de la sincérité des croyances d’un demandeur d’asile ou de son appartenance à l’aune d’un questionnaire religieux, mais ce n’est pas ce que la SAR a fait.

[33] La conclusion de la SAR attestait plutôt que le demandeur avait une connaissance très limitée de la foi des Trois Degrés de serviteurs, et qu’il avait fourni des réponses vagues et générales ne rendant pas compte des principes fondamentaux de cette foi ni de sa pratique religieuse. En l’espèce, la SAR a simplement évalué l’adhésion alléguée du demandeur à cette foi par rapport au fait qu’il n’avait même pas pu fournir des renseignements de base concernant ses croyances ou ses pratiques, même s’il en a eu la possibilité à plusieurs reprises lorsqu’il s’est fait poser des questions ouvertes à la fois par le commissaire de la SPR et son propre conseil. Il s’agit précisément du type d’analyse sur la crédibilité que la SAR est expressément chargée de mener, et l’explication du raisonnement qu’elle a tenu est claire et convaincante (voir Bouarif, aux para 10‑12).

[34] La Cour n’a pas pour rôle de critiquer après‑coup les conclusions de la SAR en matière de crédibilité ni d’apprécier à nouveau la preuve.

[35] Je ne suis pas non plus convaincu qu’il existe une différence véritable entre les deux descriptions du [traduction] « fondement » de la demande d’asile du demandeur. Le seul fondement de sa crainte alléguée de persécution était son appartenance à l’église des Trois Degrés de serviteurs et l’examen de ces passages ainsi que de l’ensemble de la décision ne laisse aucun doute quant au fait que c’est ce que la SAR avait compris.

[36] Par ailleurs, les constatations de la SAR quant aux connaissances du demandeur sont appuyées par sa conclusion selon laquelle la preuve incohérente qu’il a fournie sur d’autres questions a également miné sa crédibilité. Même si le demandeur n’a pas contesté un grand nombre des conclusions de la SPR sur ces questions, la SAR a néanmoins procédé à un examen indépendant. Son examen de la preuve a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage du demandeur sur la relation qu’il entretenait avec sa cousine et la date à laquelle ils sont entrés dans la clandestinité après une prétendue descente du BSP était vague et incohérent, et que cela a miné sa crédibilité. Il s’agit d’une conclusion raisonnable fondée sur le témoignage présenté par le demandeur.

[37] La SAR n’a pas mentionné le certificat de crémation ni le dossier médical de patient externe, mais rien n’indique qu’elle ait jamais douté que le cousin du demandeur était décédé ni que ce dernier avait souffert de dépression et d’anxiété par la suite. Sur ce point, je conviens avec le défendeur que la SAR est « présumée avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve » (Pjetracaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1390 au para 17). De plus, le défaut de mentionner un élément de preuve particulier dans une décision ne signifie pas que cet élément a été ignoré et ne constitue pas une erreur, surtout si la preuve se rapporte à un point qui n’est pas réellement contesté (Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 24).

[38] S’agissant des conclusions de la SAR concernant la lettre de l’épouse, je conviens avec le défendeur que la jurisprudence établit invariablement que le manque de crédibilité d’un demandeur d’asile à l’égard des éléments essentiels de la demande peut justifier de mettre en doute la preuve documentaire produite pour corroborer le récit (Lawani, au para 24; Abdelgadir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 721 au para 18). Sur ce point, « il était loisible à la SAR de ne pas accorder de poids à des éléments de preuve qui servaient à corroborer un récit déjà jugé non crédible » (Abolupe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 90 au para 49, citant la décision Lawani, au para 24). C’est exactement ce que la SAR a fait ici, et sa conclusion est raisonnable au regard des faits et du droit.

[39] Pour ces motifs, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable.

IV. Conclusion

[40] Si je prends du recul pour considérer la décision de la SAR dans son ensemble, j’estime qu’elle est raisonnable, car elle est « fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Postes Canada, au para 2).

[41] La SAR a estimé que le demandeur avait été incapable de surmonter les préoccupations liées à la crédibilité découlant de l’effet combiné de son ignorance presque complète de la religion qu’il prétendait avoir épousée et de son témoignage incohérent concernant des événements clés survenus en Chine et étayant d’après lui sa crainte alléguée de persécution par les autorités. La SAR a mené une analyse claire et cohérente, elle n’a négligé aucun élément de preuve clé concernant ces questions, et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve.

[42] Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[43] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et j’estime que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3906‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3906‑20

INTITULÉ :

ZHIMING ZHOU c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juin 2021

jugement et motifs :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

Le 29 juin 2021

COMPARUTIONS :

Leonard H. Borenstein

pour le demandeur

Nick Continelli

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leonard H. Borenstein

Avocat

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.