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Date : 20210624


Dossier : IMM‑6741‑19

Référence : 2021 CF 663

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ALFONC PURASHAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Alfonc Purashaj, est un citoyen de l’Albanie. Il a demandé et reçu plusieurs permis de résidence temporaire pour études qui lui ont permis d’étudier au Canada d’octobre 2016 à juin 2019.

[2] En juillet 2019, M. Purashaj est retourné en Albanie pour renouveler son passeport. Ensuite, au cours du même mois, il a demandé un nouveau permis d’études depuis l’Albanie pour pouvoir retourner au Canada et y poursuivre ses études.

[3] Dans une décision du 14 octobre 2019, la demande de M. Purashaj a été refusée. L’agent des visas a produit une lettre relative à l’équité procédurale et a conclu que M. Purashaj avait fait de fausses déclarations qui l’avaient rendu interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR], LC 2001, ch 27. De plus, il a conclu que celui‑ci demeurera interdit de territoire pendant cinq ans par l’application de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR. Voici un extrait de la lettre comportant la décision :

[traduction]
Vous avez omis les faits importants suivants ou vous les avez présentés de façon erronée :

Vous avez omis de déclarer que vous n’avez pas été étudiant de façon continue aux collèges Humber et George Brown de septembre 2016 à juillet 2019. Vous avez omis de déclarer que vous étudiiez également à [l’académie internationale des langues du Canada (ILAC)] malgré le fait que vous n’aviez pas de permis d’études valide pour y étudier.

[4] M. Purashaj demande le contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas au titre de l’article 72 de la LIPR et soulève les deux problèmes suivants :

  1. le défaut de l’agent de fournir une deuxième lettre relative à l’équité procédurale faisant état de ses préoccupations en lien avec ses études à l’ILAC constitue un manquement à l’obligation d’équité;

  2. la conclusion de l’agent selon laquelle M. Purashaj a fait une fausse déclaration concernant son statut d’étudiant de façon continue est déraisonnable.

II. Contexte

[5] M. Purashaj a reçu son premier permis d’études en septembre 2016. Celui‑ci l’autorisait à étudier dans tout établissement d’enseignement désigné en Ontario, mais ne précisait pas le domaine d’études. M. Purashaj a commencé un programme d’anglais à des fins d’études au Collège George Brown, ce qui semble être un programme préalable à d’autres programmes universitaires.

[6] En avril 2017, M. Purashaj a obtenu un autre permis d’études. Ce permis autorisait à nouveau des études dans tout établissement d’enseignement désigné en Ontario. Or, contrairement au premier permis d’études, il précisait le domaine d’études, soit les affaires ou le commerce. M. Purashaj a poursuivi ses études en anglais, mais a fréquenté une nouvelle école, l’ILAC, afin, selon ses dires, de faire des économies. L’ILAC est un établissement d’enseignement désigné en Ontario.

[7] En janvier 2018, M. Purashaj a passé le test d’admission en anglais au Collège George Brown. En mars 2018, il a été avisé de son échec. Il a ensuite repris des cours d’anglais au Collège George Brown. En juillet 2018, un troisième permis d’études a été délivré sous la même forme que le deuxième. En octobre 2018, M. Purashaj a tenté une deuxième fois de réussir le test d’anglais, mais en vain.

[8] Après avoir passé le test d’anglais en octobre, M. Purashaj a décidé qu’il voulait étudier en hôtellerie et tourisme au Collège Humber. Le 29 avril 2019, il a été accepté au programme en hôtellerie et tourisme de ce collège à la condition de réussir un programme d’anglais à des fins d’études. Ainsi, il a continué à suivre des cours d’anglais, cette fois au Collège Humber.

[9] M. Purashaj a obtenu un quatrième permis d’études, valide du 26 juin 2019 au 13 juillet 2019. La période de validité du quatrième permis d’études est courte, car son passeport albanais était sur le point d’expirer et il devait retourner en Albanie pour le renouveler. À ce moment‑là, il poursuivait ses études d’anglais au Collège Humber. Le quatrième permis d’études différait du deuxième et du troisième de deux façons. Premièrement, il faisait état du changement de son domaine d’études en hôtellerie et tourisme, ce qui est cohérent avec son admission à ce programme au Collège Humber le 29 avril 2019. Deuxièmement, contrairement à tous les permis d’études précédents, le quatrième permis autorisait le travail sur le campus et hors campus.

[10] Dans une lettre du 22 mai 2019, jointe à la demande de juillet 2019, le Collège Humber affirme que M. Purashaj est un étudiant à temps plein du programme d’anglais.

III. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[11] Après un examen initial de la demande de juillet 2019, une lettre relative à l’équité procédurale a été produite et faisait état de plusieurs préoccupations, notamment en ce qui concerne les sujets suivants :

  1. M. Purashaj était‑il inscrit à des études à temps plein de façon continue?

  2. Avait‑il déjà obtenu un permis pour un programme menant à l’obtention d’un diplôme pendant qu’il était encore inscrit à des études d’anglais langue seconde?

  3. Était‑il un étudiant authentique qui aurait respecté les conditions de son séjour au Canada?

[12] M. Purashaj a donné une réponse détaillée à la lettre relative à l’équité procédurale et a décrit son parcours scolaire au Canada. Dans sa réponse, il précise qu’il a étudié l’anglais au Collège George Brown, à l’ILAC et au Collège Humber et qu’il suit un programme de langue anglaise pour pouvoir commencer ses études, d’abord en administration des affaires au Collège George Brown, puis en hôtellerie et tourisme au Collège Humber. Avant sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, M. Purashaj n’avait pas dit qu’il avait fréquenté l’ILAC.

[13] Selon les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), lorsque l’agent a rejeté la demande, il a jugé que l’omission de M. Purashaj de divulguer ses études à l’ILAC constituait une fausse déclaration. L’agent a conclu que M. Purashaj n’était pas un étudiant de façon continue aux collèges Humber et George Brown, car il fréquentait l’ILAC. De plus, les notes du SMGC précisent que l’agent était d’avis que l’omission de M. Purashaj de déclarer qu’il suivait des cours préalables d’anglais, au lieu d’étudier dans le domaine approuvé, avait injustement permis à celui‑ci de travailler hors campus.

IV. Norme de contrôle

[14] En ce qui concerne les questions relatives à l’équité, la cour de révision n’applique pas, à proprement parler, une norme de contrôle. En revanche, elle se demande « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 54 [CCP]). L’application de ce principe général, lorsqu’il est avancé qu’il n’y a eu aucun avis, exige de se demander si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre (CCP, au para 56). Les conséquences d’une conclusion attestant des fausses déclarations sont potentiellement graves. Cela dit, l’obligation d’équité envers un demandeur de visa est peu contraignante (Lamsen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 815, au para 17 [Lamsen]).

[15] Les parties conviennent que les décisions discrétionnaires d’un agent des visas font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » si elle est interprétée « en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle [elle a été rendue] » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov [Vavilov], 2019 CSC 65 para 85 et 94).

V. La décision est équitable

[16] M. Purashaj soutient que le défendeur était tenu de lui faire parvenir une deuxième lettre relative à l’équité procédurale faisant état des préoccupations au sujet de ses études en anglais à l’ILAC. Il fait valoir que cette préoccupation découle de sa réponse à la première lettre relative à l’équité procédurale, et que, comme il n’en a pas été informé, il n’était pas au courant de ce qu’il avait à démontrer.

[17] Le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu, dans ces circonstances, d’aviser M. Purashaj de sa préoccupation au sujet des études de ce dernier à l’ILAC. Je suis d’accord avec lui.

[18] Dans la première lettre relative à l’équité procédurale, M. Purashaj a été avisé des préoccupations de l’agent concernant son inscription à des études à temps plein de façon continue. M. Purashaj a eu l’occasion de répondre à cette préoccupation et l’a saisie. Comme je l’explique plus loin, j’estime que les conclusions de l’agent concernant la période au cours de laquelle M. Purashaj a étudié à l’ILAC sont déraisonnables. Cela dit, l’agent n’était pas tenu d’émettre une autre lettre relative à l’équité procédurale qui aurait de nouveau mis en évidence la préoccupation déjà soulevée au sujet des études non continues.

[19] Il n’y avait pas de question de fait en suspens à éclaircir. Je suis convaincu que le processus était équitable compte tenu de toutes les circonstances.

VI. La décision est déraisonnable

[20] En refusant le permis d’études et en jugeant que M. Purashaj avait fait une fausse déclaration, l’agent a conclu que le demandeur avait omis d’indiquer que ses études avaient été menées de façon intermittente aux collèges Humber et George Brown et que les études entreprises à l’ILAC n’étaient pas visées par un permis d’études valide.

[21] Après examen attentif des motifs de l’agent et des notes dans le SMGC, le fondement de la conclusion de l’agent, soit qu’il fallait que les études, dans un établissement d’enseignement précis, soient continues, n’est pas évident. Les permis d’études délivrés à M. Purashaj comportent tous, sous la rubrique « INFORMATION SUPPLÉMENTAIRE/ADDITIONAL INFORMATION », un espace qui permet d’inscrire le nom d’un établissement donné. Dans tous les permis d’études délivrés à M. Purashaj, il y est écrit [traduction] « ÉTABLISSEMENT D’ENSEIGNEMENT DÉSIGNÉ – ONT ». Ces permis d’études permettent d’étudier dans tout établissement d’enseignement désigné en Ontario.

[22] Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [RIPR], DORS/2002‑227 exige que le titulaire d’un permis d’études s’inscrive « dans un établissement d’enseignement désigné et demeure inscrit dans un tel établissement jusqu’à ce qu’il termine ses études » et qu’il suive « activement un cours ou son programme d’études » (article 220.1(1)). Ni les permis d’études ni le RIPR n’oblige M. Purashaj à fréquenter un établissement d’enseignement particulier. Il est vrai qu’il peut s’agir de l’issue logique de l’inscription à un programme d’études en cas d’admission à un programme précis dans un établissement donné. Or, ni le permis d’études ni le RIPR n’imposent une telle issue.

[23] En l’occurrence, M. Purashaj a été admis dans des programmes universitaires, d’abord au Collège George Brown, puis au Collège Humber. Dans les deux cas, l’admission était conditionnelle à l’atteinte d’un niveau précis de compétences en anglais.

[24] Comme il a été mentionné précédemment, il appert du dossier que l’ILAC est un établissement d’enseignement désigné. D’ailleurs, l’en‑tête comporte le numéro d’établissement d’enseignement désigné. La conclusion selon laquelle M. Purashaj a fait des études à l’ILAC sans un permis d’études valide et que ses études n’étaient pas continues, comme l’exigeait le permis d’études qui lui a été délivré, ne correspond tout simplement pas à la preuve.

[25] Il est vrai que M. Purashaj n’a pas divulgué de son propre chef avoir fréquenté l’ILAC. Or, il semble avoir entrepris ses études au sein de cette école dans le but de suivre des programmes universitaires aux collèges George Brown et Humber, qui ont été approuvés. Ses études à l’ILAC n’étaient pas incompatibles avec ses études autorisées ni interdites par ses permis d’études. Il n’est pas contesté qu’il a omis de dire qu’il a fréquenté l’ILAC. Or, dans sa décision, l’agent ne précise pas en quoi cette omission était importante pour l’application de la LIPR.

[26] La seule partie des notes de l’agent dans le SMGC qui traite du caractère important porte sur le domaine d.études de M. Purashaj et non sur l’établissement d’enseignement. Les notes du SMGC sont ainsi rédigées : [TRADUCTION] « [Le demandeur principal] a reçu une [prolongation du permis d’études] pour affaires/commerce et hôtellerie/tourisme qui lui permet d’occuper un emploi hors campus. Or, il a toujours été inscrit à des programmes d’anglais langue seconde qui étaient des préalables et qui n’auraient pas dû lui permettre de travailler. » J’estime qu’il n’était pas loisible à l’agent de conclure que M. Purashaj a fait une fausse déclaration quant à son domaine d’études. Je remarque que le Collège Humber a fait un résumé des études de M. Purashaj dans une lettre du 22 mai 2019. Selon cette lettre, M. Purashaj est un étudiant à temps plein du programme d’anglais et une date est prévue pour la fin de sa formation linguistique. M. Purashaj a joint cette lettre à la demande déposée en juillet 2019. Il appert des faits que M. Purashaj n’a pas omis de faire part de ses études en anglais à l’agent des visas.

[27] Après avoir examiné la décision au vu de la preuve, je conclus qu’elle manque de transparence, d’intelligibilité et de justification. J’estime donc qu’elle est déraisonnable. Au vu de ma conclusion, je n’ai pas besoin de traiter les observations de M. Purashaj selon lesquelles l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi.

VII. Conclusion

[28] La demande est accueillie. Les parties n’ont relevé aucune question grave de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6741‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un décideur différent.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6741‑19

 

INTITULÉ :

ALFONC PURASHAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juin 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 24 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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