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Dossier : T-987-20

Référence : 2021 CF 636

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 juin 2021

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

KAIRA DISTRICT CO-OPERATIVE MILK PRODUCERS’ UNION LIMITED et GUJARAT COOPERATIVE MILK MARKETING FEDERATION LTD.

demanderesses

et

AMUL CANADA, MOHIT RANA, AKASH GHOSH, CHANDU DAS et PATEL PATEL

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demanderesses, Kaira District Co-operative Milk Producers’ Union Limited (Kaira) et Gujarat Cooperative Milk Marketing Federation Ltd. (Gujarat), ont déposé une déclaration dans laquelle elles allèguent que les défendeurs se sont livrés à une usurpation de marque de commerce et à une violation de droit d’auteur au Canada par l’entremise de leur site Web LinkedIn, en faisant la publicité du produit des demanderesses, en se servant de l’image et du nom de leur marque et en utilisant des renseignements d’entreprise dont elles sont titulaires.

[2] Les demanderesses ont procédé à une signification substitutive et fait de nombreuses tentatives infructueuses pour obtenir une réponse des défendeurs, y compris en leur signifiant les documents déposés dans le cadre de la présente requête. Malgré ces efforts déployés par les demanderesses avant le dépôt de leur déclaration, en novembre 2020, puis à compter de cette date, les défendeurs n’ont jamais offert de réponse relativement aux documents dûment signifiés comme l’exigent les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Ils n’ont pas non plus répondu aux ordonnances et directives de la Cour liées à l’ordonnance du protonotaire Kevin Aalto autorisant la signification substitutive, non plus qu’à la directive émise par suite d’un examen de l’état de l’instance.

[3] En conséquence, les demanderesses ont déposé par écrit, conformément à l’article 369 des Règles, la présente requête ex parte en vue d’obtenir un jugement par défaut au titre des articles 210 et 212 des Règles. La Cour a convoqué une audience pour examiner certaines questions soulevées par les documents écrits. Pour les raisons exposées ci-dessous, la Cour accueillera la requête en jugement par défaut et accordera la réparation demandée.

II. Faits à l’origine de la présente action

[4] Les activités de la société Kaira, établie en Inde en 1946, consistent en la production et en la commercialisation de produits laitiers. Elle fait appel à 3,2 millions de membres producteurs, pour une collecte moyenne de 14,85 millions de litres de lait par jour. Première en importance en Inde, sa marque de commerce de produits alimentaires AMUL est une [traduction] « marque de commerce bien connue » là-bas. Selon le témoignage de son représentant, AMUL, de Kaira, est la principale marque de commerce de fromage végétarien et de lait ensaché au monde.

[5] La société Gujarat, quant à elle, commercialise et vend une grande variété de produits de consommation comestibles tels que du ghee, du fromage, du beurre, des crèmes glacées, des yogourts, des boissons, du lait, de la crème et des produits connexes (lait en poudre, lait condensé, babeurre), ainsi que du café, des pâtes à tartiner, des chocolats, des bonbons, des desserts et du pain. Tous ces produits arborent la marque AMUL de façon bien visible. Les demanderesses commercialisent les marques de Kaira à l’échelle internationale, y compris au Canada.

[6] AMUL est un mot inventé. Les demanderesses expliquent qu’il provient des premières lettres de l’ancien nom de la demanderesse Kaira (Anand Milk Union Limited) et également du mot sanskrit « Amulya » qui signifie [traduction] « inestimable et précieux ». est Employée de façon continue depuis 1955, la marque est largement connue en Inde et a même été le sujet de films. Depuis plus de 60 ans, elle fait également l’objet d’une intense publicité, tant en Inde qu’à l’étranger, dans des magazines et des journaux, à la radio et à la télévision, et maintenant sur Internet, de même que par le biais de son propre site Web et sur Google et YouTube.

[7] Les demanderesses ont indiqué dans leur témoignage que les sociétés Gujarat et Kaira ont offert en vente, annoncé, vendu et distribué certains produits portant la marque de commerce AMUL au Canada depuis 2010. Plus précisément, Kaira est la propriétaire inscrite de l’enregistrement de la marque AMUL, enregistrée le 7 mai 2014 sous le numéro LMC877339, et employée au Canada depuis le 30 juin 2020 en liaison avec les produits « produits laitiers ».

[8] La société Kaira est propriétaire du dessin de la marque de commerce au Canada, qui comporte l’expression « Amul The Taste of India » et est employé au Canada depuis le 30 juin 2010, en liaison avec les produits [TRADUCTION] « café, thé, cacao, succédanés de café, sucre, chocolats au lait, pain, biscuits, gâteaux, pâtisseries et confiseries, sel, sauces et épices » ainsi que les « produits laitiers ». La société Kaira affirme également posséder les droits correspondants en common law à l’égard de la marque figurative. De même, Kaira possède la marque et le dessin comportant l’expression « Amul Pasturized [sic] Butter utterly butterly delicious », employés en liaison avec les produits laitiers, des huiles et des graisses alimentaires.

[9] Enfin, les demanderesses sont titulaires des droits d’auteur sur les dessins associés à ces marques.

[10] Kaira soutient qu’elle possède tous les droits correspondants en common law à l’égard des marques susmentionnées. Elle a également deux sites Web, soit www.amul.com et www.amuldairy.com, qui affichent bien en vue ses marques de commerce et ses produits. Les demanderesses affirment que ces marques et les produits qui y sont associés sont devenus bien connus au Canada, en Inde et dans le monde entier.

[11] Les demanderesses ont fait état de ventes au Canada et ont fourni des preuves à l’appui. Selon elles, ces ventes, ainsi qu’une publicité et une promotion étendues, ont permis à leurs marques de commerce de devenir bien connues et distinctives au Canada et d’être associées à leurs produits de haute qualité. Elles ont acquis un achalandage, d’abord en Inde, puis, au fil des ans, dans le monde entier. Les demanderesses affirment également jouir d’un achalandage au Canada, du moins parmi les Canadiens d’origine indienne.

[12] Avant d’intenter la présente action, les demanderesses ont tenté d’obtenir des défendeurs qu’ils cessent leurs activités, à savoir la publicité, la commercialisation, la mise en vente, la vente et la fourniture de produits identiques à ceux des demanderesses au Canada en liaison avec les marques de commerce et les noms commerciaux AMUL et Amul Canada Limited par l’intermédiaire de LinkedIn. Les défendeurs n’emploient pas seulement les marques et les dessins exacts appartenant aux demanderesses, mais ils se font passer pour les demanderesses en copiant les renseignements accessibles sur les sites Internet d’AMUL en ce qui concerne l’expérience et les activités des demanderesses.

[13] La société défenderesse, Amul Canada, affiche également sur sa page LinkedIn une icône proposant de [traduction] « voir les emplois » et de [traduction ] « suivre » Amul Canada. En date de la certification de l’affidavit du représentant de la demanderesse, la page comptait 177 abonnés. Amul Canada prétend également avoir des employés au Canada. Akash Ghosh et Chandu Das, deux des défendeurs, sont cités sur la page d’Amul Canada, où l’on trouve aussi une icône pour [traduction] « voir tous les employés ». La page d’Amul Canada indique :

[traduction]

Amul est une coopérative laitière indienne, basée à Anand, dans l’État du Gujarat, en Inde. Créée en 1950, c’est une marque gérée par un organisme coopératif, la Gujarat Co-operative Milk Marketing Federation Ltd. (GCMMF), qui est aujourd’hui la propriété conjointe de 3,6 millions de producteurs de lait du Gujarat. Grâce à son respect constant de la qualité, à son service axé sur la clientèle et à sa fiabilité, la GCMMF a reçu de nombreux prix et distinctions au fil des ans. Parmi tous ses produits, le beurre Amul, en particulier, est prêt à prendre de l’expansion au Canada.

[14] Quatre pages dites des « employés » d’Amul Canada sont également jointes à l’affidavit, soit une pour chacun des quatre défendeurs individuels. M. Das y est identifié comme [traduction] « contrôleur des ventes en magasin », M. Rana comme [traduction] « directeur adjoint » et M. Patel, comme technicien, tous chez Amul Canada. Le quatrième, M. Ghosh, est simplement identifié comme « amul chez Amul Canada ».

[15] Les demanderesses n’ont jamais accordé de licence ni donné leur consentement à Amul Canada ou à l’un des quatre défendeurs individuels pour ce qui est d’utiliser les marques et les droits d’auteur des demanderesses de quelque manière que ce soit. Malgré les efforts décrits ci-dessus, elles n’ont jamais réussi à recevoir une réponse, par voie électronique ou autre, de la part des défendeurs.

III. Questions soulevées et analyse

[16] La présente requête soulève deux questions, à savoir : (i) si, sur le plan procédural, les demanderesses ont valablement introduit la requête, et (ii) si, quant au fond, si elles ont prouvé qu’un jugement par défaut devait être rendu et que la réparation demandée devrait être accordée.

A. Les demanderesses ont rempli les conditions requises pour présenter la requête en jugement par défaut

[17] Comme il est décrit ci-dessus, les défendeurs n’ont répondu à aucune communication, et il n’y avait aucune présence à l’adresse indiquée dans leurs pages LinkedIn annonçant « Amul Canada ».

[18] Le 10 novembre 2020, le protonotaire Aalto, dans son ordonnance autorisant la signification substitutive en vertu de l’article 136 des Règles (l’ordonnance), a noté que les demanderesses n’étaient pas en mesure de localiser physiquement les défendeurs, qui s’étaient [traduction] « soustraits à la signification et n’avaient pas accusé réception de la déclaration » (ordonnance, p. 2). Suivant l’article 204 des Règles, la clôture des actes de procédure a eu lieu trente (30) jours après la signification substitutive de l’ordonnance.

[19] Aucun accusé de réception n’a été reçu relativement à l’ordonnance, ni à toute autre communication ultérieure faite notamment par la Cour ou les demanderesses, relativement aux mesures à prendre par suite de l’avis d’examen de l’état de l’instance délivré par la Cour le 19 mars 2021. Aucune suite n’a non plus été donnée aux observations écrites des demanderesses déposées le 6 avril 2021 en réponse à l’examen de l’état de l’instance, ni à la directive de la protonotaire Martha Milczynski, datée du 27 avril 2021 et ordonnant que l’examen de l’état de l’instance soit suspendu dans l’attente d’une décision sur la présente requête.

[20] Vu leur défaut de réagir quelque manière que ce soit à la présente action, par exemple en répondant aux directives antérieures de la Cour ou à l’ordonnance les condamnant à payer les dépens conjointement et solidairement, ou encore à la signification et aux communications ayant été faites par la suite en l’espèce sur leurs pages de médias sociaux, je suis d’accord avec le protonotaire Aalto pour dire que les défendeurs ont fait preuve d’une conduite évasive depuis le début de la procédure.

[21] La conduite évasive des défendeurs n’a pas changé depuis que le protonotaire Aalto a rendu son ordonnance, ni d’ailleurs depuis le début de la présente procédure. D’abord, il y a eu le défaut des défendeurs de donner suite à la mise en demeure envoyée à la société défenderesse le 27 janvier 2020, soit avant que les demanderesses n’intentent l’action. Cette conduite s’est poursuivie avec l’absence de toute tentative de nier les allégations d’usurpation de marque de commerce et de violation de droit d’auteur, que ce soit en déposant une défense ou une demande de prolongation de délai, en répondant aux documents déposés par suite de la mise à jour de l’état de l’instance ou en ayant toute autre forme de communication avec les demanderesses ou la Cour.

[22] Ayant fait toutes les tentatives raisonnables possibles, aussi bien avant l’introduction de l’action que par la suite, pour obtenir des défendeurs qu’ils cessent leur conduite et leurs activités, j’estime que les demanderesses ont tout à fait le droit de soumettre la présente requête en jugement par défaut en vertu de l’article 210 des Règles, de la manière ex parte dont elles l’ont fait, et qu’elles n’ont en fait guère d’autre choix pour mettre fin à ce qui est, selon toute norme objective, une violation flagrante de leur propriété intellectuelle, comme je l’expliquerai ci-après.

B. Les demanderesses ont établi qu’un jugement par défaut devrait être rendu et que la réparation demandée devait être accordée

[23] Dans le cadre d’une requête en jugement par défaut, les demandeurs doivent établir, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs : (i) ont omis de déposer une défense; et (ii) sont responsables des causes d’action invoquées dans la demande (TFI Foods Ltd c Every Green International Inc, 2021 CF 241, au para 5, citant Louis Vuitton Malletier SA c Yang, 2007 CF 1179 [Louis Vuitton], au paragraphe 4).

[24] En ce qui concerne la première des deux conditions, il est clair que les défendeurs n’ont pas déposé de défense, ni quoi que ce soit d’autre, en réponse à la présente action, et que la première condition de l’exigence en matière de jugement par défaut est remplie.

[25] En ce qui concerne la deuxième condition et les violations alléguées — je reviendrai plus loin sur les dispositions concernées —, j’estime que le comportement des défendeurs dépasse le cas classique de confusion créée par de légères modifications de la marque, par une description similaire du matériel protégé par le droit d’auteur ou par la modification d’un dessin. Au contraire, ils emploient, sans aucune apparence de droit, des reproductions exactes de la marque des demanderesses et de leur matériel protégé par le droit d’auteur.

(1) L’action pour commercialisation trompeuse fondée sur l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce

[26] L’action pour commercialisation trompeuse fondée sur la common law a été codifiée à l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, RSC 1985, c T-13 (la Loi sur les marques de commerce). Les éléments permettant d’établir la commercialisation trompeuse sont les suivants : (i) l’existence d’un achalandage; (ii) le fait que le public a été induit en erreur par une fausse déclaration; et (iii) le préjudice réel ou possible pour le demandeur (Ciba-Geigy Canada Ltd. c Apotex Inc., [1992] 3 RCS 120, au para 132 [Ciba-Geigy]; Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd., 2021 CF 602, au para 48; H-D USA, LLC c Varzari, 2021 CF 620 [H-D USA], au para 33).

[27] En l’espèce, j’estime que chacun des trois éléments est établi. Premièrement, « le demandeur doit démontrer l’existence d’un achalandage rattaché au caractère distinctif du produit » (Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc, 2005 CSC 65 [Kirkbi], au para 67). Les demanderesses ont manifestement acquis un achalandage attaché à leur marque, à leur dessin et à leurs noms de société. Non seulement la marque Amul existe depuis plus de 50 ans et fait l’objet d’une publicité mondiale par le biais d’Internet et d’autres canaux de communication — et a ainsi acquis un caractère distinctif au fil du temps —, mais les échantillons de factures de 2013 et de 2020 fournis avec les documents relatifs à la requête démontrent l’importation au Canada de plus de 100 000 $ de produits laitiers Amul pour chacune de ces années. Au demeurant, les volumes de distribution de lait et de fromage mettent en évidence le fait que les produits Amul jouissent d’une réputation auprès d’au moins un certain segment de consommateurs de ses produits laitiers au Canada.

[28] Deuxièmement, la fausse déclaration ou représentation trompeuse sème la confusion chez le public. Elle peut être délibérée, et donc trompeuse, ou elle peut être faite par négligence ou avec insouciance (Kirkbi, au para 68). L’exigence de prouver la fausse déclaration ou représentation trompeuse est satisfaite si le juge de première instance conclut que le défendeur a adopté et employé une marque ou utilisé un nom qui est susceptible d’être confondu avec la marque, le nom ou le dessin distinctifs du demandeur, à l’égard duquel ce dernier a acquis un achalandage ou un sens secondaire. Le fait que la fausse déclaration ait été faite en toute bonne foi ne constitue pas une défense (Donald M. Cameron, éd., Canadian Trademark Law Benchbook, 3e éd. (Toronto : Thomson Reuters, 2019), à la p 231).

[29] Rien n’indique que la fausse déclaration ait été faite de bonne foi en l’espèce. Bien au contraire, les défendeurs ont adopté délibérément une conduite répréhensible et trompeuse. Ils ont appelé l’attention du public sur leur entreprise de manière à causer de la confusion au Canada entre leurs produits et leur entreprise et les produits et l’entreprise des demanderesses.

[30] Enfin, le préjudice ne peut être présumé. Il doit y avoir une « preuve de l’existence d’un préjudice effectif ou probable ». Cela dit, les formes que peut prendre un tel préjudice ne sont assujetties à aucune restriction, et les précédents établissent clairement que le propriétaire d’une marque peut subir un préjudice du fait de la perte de contrôle sur sa marque (United Airlines Inc. c Cooperstock, 2017 CF 616, au para 86). Les dommages causés à l’achalandage et à la réputation du propriétaire de la marque de commerce par la conduite du défendeur sont suffisants pour satisfaire au troisième élément du critère de la commercialisation trompeuse (Subway IP LLC c Budway, Cannabis & Wellness Store, 2021 CF 583 [Subway], au para 34). Il ne fait aucun doute que des préjudices auraient pu résulter de l’utilisation non autorisée de la marque par Amul Canada, que ce soit sous forme de ventes, de commercialisation ou de distribution de produits ou encore de recrutement d’employés. Comme les demanderesses le soulignent dans leurs observations écrites (aux paragraphes 35 et 59) :

[traduction]

Si les clients consomment les produits et services fournis par les défendeurs en liaison avec les marques des demanderesses et ne sont pas satisfaits, il est peu probable que ces clients consomment ou recommandent les produits et services des demanderesses à l’avenir. Cela peut avoir de graves effets à long terme sur la viabilité de l’entreprise des demanderesses en raison d’une réduction des ventes au Canada.

[31] Après avoir déterminé que les demanderesses ont clairement établi les trois éléments du critère de la commercialisation trompeuse énoncés ci-dessus, je conclus que l’espèce est sans conteste un cas de commercialisation trompeuse.

(2) Articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce

[32] Les demanderesses sont propriétaires d’une marque déposée. Pareil enregistrement d’une marque de commerce confère au propriétaire de celle-ci le droit exclusif de l’employer partout au Canada en liaison avec les produits visés par l’enregistrement, suivant l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce.

[33] L’alinéa 20(1)a) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par toute personne qui, sans autorisation, vend, distribue ou annonce des produits ou des services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial suscitant de la confusion. En l’espèce, les défendeurs ont annoncé la marque de commerce des demanderesses en liaison avec les produits visés par l’enregistrement des demanderesses, par l’entremise de leur page LinkedIn et au nom d’Amul Canada (Diageo Canada Inc c Heaven Hill Distilleries, Inc, 2017 CF 571, au para 55).

[34] La lecture des pages LinkedIn versées au dossier ne permet pas de savoir clairement ce que les défendeurs espèrent réaliser par la publicité non autorisée des renseignements sur la société Amul et par l’emploi de la marque des demanderesses sur le site d’Amul Canada. À tout le moins, les défendeurs annoncent faussement leur désir d’augmenter les ventes de beurre au Canada de manière à susciter un intérêt supplémentaire pour la société, dans l’espoir peut-être d’attirer davantage de prétendus employés, distributeurs ou consommateurs grâce aux pages de médias sociaux en question.

[35] Les défendeurs ont annoncé des produits alors qu’ils étaient non admis à le faire. À mon avis, cet emploi non autorisé de la marque Amul suffit à enfreindre l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur les marques de commerce.

(3) Article 22 de la Loi sur les marques de commerce

[36] Les demanderesses affirment que les défendeurs ont également violé le paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce. Pour avoir gain de cause sur le fondement de l’article 22, les demanderesses doivent prouver que : (i) leur marque de commerce déposée a été employée par les défendeurs en liaison avec des produits; (ii) leur marque de commerce est suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable; (iii) leur marque de commerce a été employée d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage; et (iv) cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage (Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 [Veuve Clicquot], au para 46; H-D USA, au para 44).

[37] L’article 4 de la Loi sur les marques de commerce dispose qu’une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[38] À l’audience, les demanderesses ont admis qu’elles n’avaient aucune preuve de ventes réalisées par les défendeurs en liaison avec leur marque de commerce. Les seuls éléments de preuve dont elles disposent sont ceux précisés ci-dessus, à savoir les publications des défendeurs annonçant les marques AMUL dans des médias sociaux et sur LinkedIn.

[39] L’objectif de l’analyse relative à la dépréciation de l’achalandage en regard de l’article 22 est différent de celui de l’analyse relative à la commercialisation trompeuse fondée sur l’alinéa 7b). Les facteurs pertinents pour évaluer l’achalandage aux fins de l’article 22 sont la renommée, le degré de reconnaissance de la marque par les consommateurs, le volume des ventes et le degré de pénétration du marché des produits, l’étendue et la durée de la publicité accordée à la marque, la portée géographique de celle-ci, l’importance de son caractère distinctif inhérent ou acquis, les voies de commercialisation et la mesure dans laquelle la marque est perçue comme un gage de qualité (H-D USA, au para 47, citant Veuve Clicquot, au para 54). Si les demanderesses ont établi l’existence d’un achalandage selon le critère de la commercialisation trompeuse défini dans l’arrêt Ciba-Geigy et fondé sur l’alinéa 7b), elles n’ont pas satisfait au critère relatif à la diminution de la valeur de l’achalandage visée à l’article 22.

(4) Article 27 de la Loi sur le droit d’auteur

[40] Le paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42 (la Loi sur le droit d’auteur) précise : « constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir ». Le droit d’auteur est défini au paragraphe 3(1) comme « […] le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque […] ». Ainsi, pour démontrer que la reproduction non autorisée d’une œuvre constitue une contrefaçon, les demanderesses doivent prouver que les défendeurs ont : (i) produit ou reproduit l’œuvre, (ii) sous une forme matérielle quelconque; et que (iii) la totalité ou une partie importante de l’œuvre a été copiée (pour les éléments de ces exigences, voir les arrêts Théberge c Galerie d’Art du Petit Champlain inc, 2002 CSC 34, au para 42, et Cinar Corporation c Robinson, 2013 CSC 73, au para 24).

[41] En reproduisant le dessin et les renseignements d’entreprise d’Amul protégés par le droit d’auteur, les défendeurs ont copié la marque, mais aussi les publications des demanderesses affichées bien en vue sur leurs sites Web (www.amul.com et www.amuldairy.com). L’image et l’expression employés ne présentent pas simplement une ressemblance frappante avec ceux appartenant aux demanderesses —un fait qui, dans de nombreuses autres affaires, a été jugé suffisant pour établir une violation du droit d’auteur (voir p. ex., Popsockets LLC c Case World Enterprises Ltd, 2019 CF 1154, au para 38). De fait, ils en sont l’exacte copie.

[42] Comme le prévoit clairement la loi, le titulaire du droit d’auteur a le droit exclusif de produire et de reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre. Je suis donc d’accord avec les demanderesses pour dire que les défendeurs ont reproduit le matériel protégé par le droit d’auteur des demanderesses, sans leur consentement, et ont donc violé les droits de celles-ci à l’utilisation exclusive de leur droit d’auteur, en contravention de l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur.

(5) Signification en vertu de l’ordonnance autorisant la signification substitutive

[43] Enfin, je relève que selon l’article 211 des Règles, lorsque la déclaration a été signifiée en vertu d’une ordonnance de signification substitutive, aucun jugement ne peut être rendu contre le défendeur en défaut, à moins que la Cour ne soit convaincue qu’il est équitable de le faire dans les circonstances. La Cour doit en effet être convaincue que le défendeur est au courant de l’action (Louis Vuitton, au para 14; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Rubuga, 2015 CF 1073, au para 51; Cuzzetto c Business in Motion International Corporation, 2014 CF 17, au para 80).

[44] Compte tenu de la situation décrite ci-dessus, y compris l’absence de toute volonté des défendeurs de communiquer avec les demanderesses ou de participer au processus judiciaire et leur défaut total de se conformer aux Règles et aux ordonnances rendues en l’espèce, des comportements qui ont éliminé toute possibilité de parvenir à un règlement négocié du litige, je suis convaincu qu’il est équitable dans les circonstances de rendre un jugement par défaut.

IV. Dommages-intérêts et réparation demandée

[45] Les demanderesses demandent les réparations ci-dessous. Elles ont fourni à la Cour une ébauche d’ordonnance accompagnée de leurs observations écrites à l’appui de la présente requête.

[46] Après leurs observations présentées de vive voix, les demanderesses ont soumis une ébauche révisée de jugement et d’ordonnance comportant des modifications à leur demande initiale de réparation, et demandant à la Cour d’ordonner que :

[traduction]

Les défendeurs, ainsi que toutes les autres personnes sur lesquelles ils exercent un contrôle :

a) soient soumis à l’interdiction permanente d’usurper la marque de commerce et de violer le droit d’auteur des demanderesses, de causer la dépréciation de l’achalandage attaché à la marque de commerce déposée des demanderesses, et de créer de la confusion;

b) transfèrent leur droit de propriété et tous les droits qu’ils détiennent sur leur compte LinkedIn et leurs comptes de médias sociaux affichant la marque des demanderesses ou l’œuvre protégée par les droits d’auteur de ces dernières;

c) fournissent les coordonnées de toutes les entités les ayant contactés au sujet de leur entreprise par le biais des pages LinkedIn;

d) payent aux demanderesses des dommages-intérêts d’un montant de 10 000 $ pour usurpation de leur marque de commerce et de 5 000 $ pour violation de leurs droits d’auteur;

e) versent aux demanderesses, sur la base avocat-client, la somme globale de 17 733 $ au titre des frais juridiques, payable immédiatement.

[47] S’agissant du point b), j’estime que les demanderesses n’ont d’autre choix que de solliciter les réparations qu’elles demandent. La chose est quelque peu inhabituelle, mais, en matière de médias sociaux, la Cour a déjà accordé un redressement similaire par le passé (voir, p. ex., Thoi Bao Inc c 1913075 Ontario Limited (Vo Media), 2016 CF 1339, au para 5).

[48] En ce qui concerne le point d), les demanderesses reconnaissent que la quantification des dommages résultant des violations est un exercice très difficile dans les circonstances. Comme on pouvait s’y attendre, sans aucune communication, réponse ni participation d’aucune sorte des défendeurs, l’étendue des ventes et des résultats de la commercialisation, de la publicité et du recrutement sur LinkedIn, ainsi que les dommages causés à la propriété intellectuelle des demanderesses par l’usurpation de leur marque et par la violation de leur droit d’auteur, sont pratiquement impossibles à quantifier.

[49] À l’évidence, l’une des conséquences de l’emploi du nom inventé AMUL — qui, selon ce qu’indique clairement la preuve déposée devant la Cour, est connu en Inde et dans le monde entier, au moins chez les consommateurs des produits des demanderesses et les spectateurs de leur commercialisation — est que les défendeurs ont semé la confusion chez certains individus, demandeurs d’emploi et distributeurs ou chez certaines sociétés ayant consulté leurs pages de médias sociaux.

[50] Les demanderesses disent qu’elles n’ont aucun moyen de connaître le nombre de personnes, par exemple des employés ou des distributeurs, qui auraient pu contacter les défendeurs, mais les 177 abonnés de leur page d’entreprise LinkedIn donnent à penser qu’un nombre important de personnes continuent (par leur suivi continu d’Amul Canada) à croire à tort que les défendeurs sont associés aux demanderesses ou autorisés par elles à annoncer, à commercialiser et à vendre des produits en liaison avec la marque, ou encore à attirer des chercheurs d’emploi, par l’affichage non autorisé d’images et de renseignements d’entreprise associés à AMUL. De plus, d’autres personnes qui ne suivent pas actuellement les comptes de médias sociaux des défendeurs pourraient par le passé avoir été trompées, ou du moins avoir été confondues par l’emploi de la marque déposée et du matériel protégé par le droit d’auteur des demanderesses.

[51] À tout le moins, même en supposant que les défendeurs n’aient pas utilisé indûment le matériel protégé des demanderesses pour générer des ventes, la confusion qu’ils ont créée peut certainement avoir conduit à une perte de clients et d’employés potentiels et à une perte du contrôle des demanderesses sur leurs marques de commerce (Parsons Inc c Khan, 2021 CF 57 [Parsons], au para 28).

[52] Dans le cadre de leurs observations de vive voix, les demanderesses ont affirmé qu’elles soupçonnaient les défendeurs de chercher à solliciter des employés ou des distributeurs potentiels. Dans le pire des cas, il est possible que les défendeurs aient utilisé le matériel protégé à des fins malveillantes comme le hameçonnage pour obtenir des renseignements personnels ou pour le recrutement indu d’employés ou de distributeurs potentiels (voir, p. ex., Parsons, au para 3).

[53] Compte tenu de l’ensemble des circonstances et des dommages-intérêts accordés dans des affaires analogues qui concernaient des marques à l’égard desquelles les droits de propriété intellectuelle avaient clairement été violés, j’estime que les dommages-intérêts réclamés par les demanderesses relativement à leurs marques sont raisonnables et proportionnels à la conduite des défendeurs (Subway; Parsons; Trans-High Corporation c Hightimes Smokeshop and Gifts Inc, 2013 CF 1190).

[54] En ce qui a trait au droit d’auteur, dans le cadre de poursuites pour violations de la loi, les dommages-intérêts préétablis peuvent aller de 500 $ à 20 000 $ par violation selon l’alinéa 38.1(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur (Royal Conservatory of Music c Macintosh (Novus Via Music Group Inc), 2016 CF 929, au para 108). Encore une fois, compte tenu de la preuve de cinq incidences découlant du seul affichage des pages en cause dans les médias sociaux, et abstraction faite des autres incidences qui s’ajoutent chaque fois que ces pages sont consultées par les 177 abonnés ou par toute autre personne qui les consulte, j’estime que le montant de 5 000 $ demandé est raisonnable et proportionnel dans les circonstances.

[55] Enfin, en ce qui concerne le point e) ci-dessus, les demanderesses réclament le remboursement de leurs frais juridiques sur une base avocat client. Une fois de plus, bien que cette demande soit inhabituelle, je conclus que dans les circonstances, la conduite adoptée par les défendeurs — qui ont notamment ignoré toutes les tentatives de communication des demanderesses et de la Cour, passé outre aux ordonnances de cette dernière, y compris l’ordonnance les condamnant à payer les dépens, et violé délibérément et de façon inexcusable les droits de propriété intellectuelle des demanderesses — justifie d’accorder aux demanderesses le remboursement complet de leurs frais juridiques sur une base avocat-client en vertu de l’alinéa 400(6)c) des Règles (Louis Vuitton Malletier SA c Singga Enterprises (Canada) Inc, 2011 CF 776, au para 184; Aquasmart Technologies Inc c Klassen, 2011 CF 212, au para 75).

[56] Le mémoire de frais des demanderesses expose les diverses mesures prises dans le cadre de la présente action et de la présente requête, ainsi que les dépenses connexes, dont celles engagées pour faire appel aux huissiers. J’estime que ce mémoire de frais, comme les autres montants réclamés pour l’usurpation de la marque de commerce et la violation des droits d’auteur, est raisonnable et proportionnelle aux tentatives faites par les demanderesses afin que cesse l’utilisation éhontée et non autorisée de leur propriété intellectuelle.


JUGEMENT dans le dossier T-987-20

LA COUR STATUE que :

« Alan S. Diner »

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée



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