Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210615


Dossier : IMM-4467-20

Référence : 2021 CF 612

Toronto (Ontario), le 15 juin 2021

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

BINDER SINGH

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR], datée du 28 août 2020 [Décision].

[2] Par cette Décision, la SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant sa demande d’asile au motif qu’il n’était pas crédible. La SAR a conclu que la décision de la SPR était correcte et que la crédibilité du demandeur a été entachée quant à des éléments centraux à sa demande d’asile.

[3] En l’espèce, le demandeur soutient, devant notre Cour, que cette Décision est incorrecte et déraisonnable. Je ne suis pas convaincu par la position du demandeur, et je conclus que la Décision de la SAR est raisonnable.

II. Faits et procédures

A. Les faits

[4] Le demandeur est citoyen de l’Inde et provient d’une famille de confession sikhe. Il résidait dans un petit village et travaillait dans le domaine agricole. Lors de ses temps libres, il faisait du bénévolat au temple sikh de son village. Les faits centraux exposés par le demandeur dans son récit sont les suivants.

[5] Le frère du demandeur est un prêcheur religieux sikh qui a été accusé d’affiliation auprès d'un groupe de militants sikhs. Il a été arrêté, torturé puis relâché par la police à de multiples reprises. En raison de ses liens avec son frère, le demandeur aurait aussi été arrêté, accusé et torturé par la police.

[6] Depuis avril 2017, lorsque son frère a été porté disparu, le demandeur a tenté à plusieurs reprises d’obtenir l’aide des autorités policières, afin de retrouver son frère, mais elles l’ont éconduit sous prétexte que son frère avait sûrement rejoint les rangs des militants sikhs. La police a tenté d’obtenir la collaboration du demandeur, afin qu'il dénonce son frère, dans l’éventualité où ce dernier serait retrouvé.

[7] Le 1 juin 2017, la police a détenu le demandeur et son neveu. Les policiers ont questionné les deux hommes au sujet du frère du demandeur, ainsi que les militants sikhs. Le demandeur a été torturé et questionné de nouveau quant à son implication auprès des militants sikhs.

[8] Le 3 juin 2017, les deux hommes ont été relâchés par la police, grâce à l’assistance de personnes influentes et par la remise de pots-de-vin. La police a imposé plusieurs conditions de libération au demandeur et l’a menacé de mort s’il refusait de coopérer. Le neveu a été avisé de ne plus revenir dans la région. Par la suite, les deux hommes sont allés consulter un médecin afin de soigner leurs blessures infligées par la police.

[9] À la suite de cet évènement, le demandeur a commencé à craindre pour sa sécurité puisqu’il n’était pas en mesure de respecter les conditions imposées par la police. Il a donc fui son village afin de trouver refuge chez des proches à Chandigarh. Selon le demandeur, il a été avisé que la police le recherchait et qu’elle harcelait sa famille.

[10] Avec l’aide de ses proches, le demandeur a quitté l’Inde pour se rendre au Canada.

[11] Le demandeur soutient que son neveu a été de nouveau arrêté par la police pour être torturé et questionné au sujet du frère du demandeur et les militants sikhs, et a succombé aux blessures lui ayant été infligées lors de cette arrestation.

B. La décision faisant l’objet de la procédure de contrôle judiciaire

[12] En appliquant la norme de la décision correcte, la SAR maintient la décision de la SPR et conclut que cette dernière n’a pas fait erreur en s’appuyant sur les contradictions, les invraisemblances, les omissions et le comportement du demandeur, incompatibles avec une menace à la vie afin de tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. La SAR a effectué un examen indépendant des preuves, incluant l’écoute de l’enregistrement de l’audience tenue par la SPR et conclut que la SPR avait correctement expliqué dans ses motifs les raisons pour lesquelles elle a tiré des inférences défavorables.

[13] La SAR, comme la SPR, relève plusieurs invraisemblances dans le récit du demandeur, notamment le fait que la police aurait libéré le demandeur et son neveu à plusieurs reprises, même s’ils étaient soupçonnés de militantisme. Or, les raisons expliquant ces libérations ne sont pas exposées dans le Fondement de la demande d’asile [FDA], et la SAR n’est pas satisfaite de l’explication donnée par le demandeur à ce sujet.

[14] La SAR relève aussi plusieurs contradictions entre ce qui est relaté dans le FDA du demandeur et son témoignage, en ce qui concerne les circonstances entourant sa libération et celle de son neveu.

[15] La SAR relève, en outre, une contradiction entre le témoignage du demandeur et son FDA en ce qui concerne le fait que le neveu n’a pas été traité par le même médecin.

[16] La SAR conclut aussi qu’il était aussi loisible à la SPR de s’appuyer sur le délai d’environ un an avant que le demandeur présente une demande d’asile au Canada afin de tirer une conclusion défavorable sur le plan de la crédibilité. La SAR observe que, bien que ce délai ne soit pas un facteur déterminant, il est tout de même pertinent.

[17] Quant aux documents du demandeur, une déclaration sous serment du chef de village, un certificat médical ainsi qu’un certificat de décès de son frère, ni la SAR ni la SPR ne leur accordent de valeur probante vu leurs faiblesses intrinsèques. Considérant le manque de crédibilité du demandeur, la SAR conclut que ces documents sont insuffisants pour rendre crédibles ses allégations.

III. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[18] La présente affaire ne soulève qu’une seule question : la SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur et son rejet de l’appel?

[19] La présomption de la norme de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]) joue en l’espèce. Bien que cette présomption puisse être réfutée lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte ou lorsque le législateur prescrit explicitement une norme de contrôle ou un mécanisme d’appel spécifique, aucune de ces exceptions ne joue en l’espèce (Vavilov aux para 16-17).

[20] La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur l’appréciation de la crédibilité du demandeur d'asile est donc celle de la décision raisonnable (Alim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 230 au para 11; Keqaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 563 au para 13 [Keqaj]).

[21] Lorsque la procédure de contrôle judiciaire se déroule selon la norme de la décision raisonnable, la cour de contrôle doit examiner la solution retenue par le décideur administratif au terme du processus de raisonnement, afin de s’assurer que la décision, dans son ensemble, soit raisonnable et donc transparente, intelligible et justifiée (Vavilov aux para 15 et 96).

[22] En effet, les questions de crédibilité et de vraisemblance d’un récit « exigent un degré élevé de retenue de la part des juges lors du contrôle judiciaire, compte tenu du rôle du juge des faits attribués au tribunal administratif » (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 15). La Cour doit donc suivre une approche déférente, compte tenu des connaissances approfondies de la SPR et de la SAR, à titre de tribunaux spécialisés (Vall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1057 au para 15 [Vall]).

IV. Discussion

A. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

[23] M. Singh soutient que la présente demande doit être étudiée à la lumière des enseignements de notre cour consacrés par le jugement Onoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 552 [Onoh] au para 8, qui reconnait que « des motifs concrets s’appuyant sur une preuve forte » sont nécessaires pour réfuter la présomption de véridicité dont jouit le demandeur d’asile (Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CA) p 305).

[24] Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR quant à sa crédibilité sont déraisonnables. D’abord, il soutient qu’il n’avait pas à mentionner dans son formulaire de FDA ni même à connaitre de façon claire quelles étaient les conditions imposées par la police. Il n’avait pas non plus à connaitre les raisons pour lesquelles la police l'a libéré lui, son frère et son neveu, alors qu’ils étaient soupçonnés d’être des militants sikhs. On ne peut lui reprocher de s’être mépris sur les raisons pour lesquelles les policiers les ont libérés.

[25] Le demandeur soutient donc que la SAR a fait erreur en confirmant les inférences défavorables tirées de l’absence d’informations ou des invraisemblances relatives aux décisions des policiers au sujet d’autrui.

[26] En première instance, la SPR a reproché au demandeur de ne pas avoir indiqué dans son FDA que son neveu était retourné dans son village se faire soigner à la suite de leur libération par la police, malgré le fait qu’on pouvait y lire qu’un médecin leur avait à tous deux prodigué des soins. Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable de cette contradiction, que cet élément du récit n’était pas essentiel et qu’il a même expliqué clairement qu’il s’agissait d’une erreur de l’interprète. Ainsi, la SAR ne disposait pas de motifs sérieux pour tirer une inférence défavorable quant à sa crédibilité.

[27] La concordance entre le récit du demandeur d’asile et son témoignage est certainement un élément d’analyse pertinent. Cependant, cette concordance ne peut être mise en doute que relativement à des éléments importants. Autrement, le décideur administratif pourrait relever la moindre déficience de façon systématique afin de refuser la demande d’asile. Ainsi, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans l’examen de sa crédibilité. La Décision est donc entachée de lacunes graves, au point qu’elle ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.

[28] En substance, le demandeur invite notre Cour à apprécier à nouveau les preuves et à tirer une conclusion différente; il demande à notre Cour de substituer sa propre opinion à celle de la SAR quant à sa crédibilité, au poids et à la force probante des divers éléments de preuve. Toutefois, le droit est bien fixé : tel n’est pas la mission de notre Cour dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire.

[29] Je ne peux donc retenir la thèse du demandeur. Après examen des documents, il m’apparait que les lacunes et les carences les entachant sont manifestes.

[30] Tel que mentionné plus haut, la SAR, à titre de tribunal administratif spécialisé en matière d’immigration, compte une expertise considérable pour entendre et trancher des appels sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ainsi que pour apprécier la crédibilité d’un récit et d’en tirer les inférences qu’elle juge appropriées (Koita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 774 au para 7). Notre Cour doit lui accorder un degré élevé de déférence en ce qui concerne ses conclusions en matière de crédibilité (Vall au para 15; Keqaj au para 14).

[31] À titre de tribunal d’appel, la SAR « dispose de vastes pouvoirs pour corriger les erreurs, en conformité avec la mission qui lui est conférée par la loi » (Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 au para 42 [Kreishan]). Cependant, il n’en demeure pas moins que les conclusions et les inférences défavorables que tirent la SAR et la SPR en matière de crédibilité doivent d’être fondées sur les éléments de preuve présentés et doivent être énoncées dans les motifs de la décision (Kreishan au para 46; Onoh au para 8).

[32] En ce qui concerne la présente affaire, la SAR s’est livrée à l'examen indépendant des preuves; elle a notamment écouté l’enregistrement de l’audience tenue par la SPR. La SAR a relevé de nombreuses contradictions importantes entre les récits écrit et verbal du demandeur, ainsi que des invraisemblances dans ces récits. Les conclusions tirées par la SAR, à la suite de son examen de la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte, sont donc fondées.

[33] Ainsi, je suis d’avis que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle, appelant l’intervention de notre Cour. Au contraire, la Décision, prise dans son ensemble, est adéquatement justifiée et possède les attributs de la raisonnabilité. En effet, la SAR a eu soin de bien exposer et d’expliquer, à la lumière des preuves au dossier, chacune des conclusions qu’elle a tirées. La Décision fait état des motifs pour lesquels la SAR retient les conclusions de la SPR, et discute tous les motifs soulevés par le demandeur.

[34] Par conséquent, à la lumière des motifs donnés par la SAR, qui s’appuient sur un raisonnement intelligible et rationnel, la Décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Vavilov aux para 86‑87).

V. Conclusion

[35] Compte tenu de ce qui précède, je conclus donc que la Décision est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-4467-20

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4467-20

INTITULÉ :

BINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 juin 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 15 juin 2021

COMPARUTIONS :

Me Marie-José Blain

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Caroline Doyon

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marie-José Blain

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur Général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.