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Date : 20020419

Dossier : IMM-2415-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 19 AVRIL 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                                 JIN DONG ZHENG

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                          « Luc Martineau »          

                                                                                                                                                                 Juge                     

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020419

Dossier : IMM-2415-01

Référence neutre : 2002 CFPI 448

ENTRE :

                                                                 JIN DONG ZHENG

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MARTINEAU

[1]                 La demanderesse, Jin Dong Zheng, n'avait que 14 ans lorsqu'elle a été appréhendée par les agents de l'immigration à Windsor (Ontario), après qu'on l'eut fait entrer clandestinement au Canada en provenance de Chine, en 1999. Durant sa détention, elle a revendiqué le statut de réfugié. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (section du statut de réfugié) (la SSR) a statué qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. La demanderesse réclame aujourd'hui un contrôle judiciaire de cette conclusion négative.


[2]                 Le contrôle judiciaire soulève en l'espèce trois questions :

a) La SSR a-t-elle failli à l'exercice de ses attributions en n'évaluant pas la constitutionnalité de la définition de réfugié au sens de la Convention?

b) A-t-elle commis une erreur de droit en omettant d'évaluer si le trafic illégal d'enfants constitue en lui-même un acte de persécution au point de répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention?

c) S'est-elle trompée en établissant, à partir des faits, que le traitement que subira la demanderesse à son retour en Chine aux mains des autorités de l'État, n'équivaut pas à de la persécution?

  

1.         La SSR a-t-elle failli à l'exercice de ses attributions en n'évaluant pas la constitutionnalité de la définition de réfugié au sens de la Convention?


[3]                 La demanderesse faisait partie d'un groupe d'environ vingt mineurs (collectivement dénommés ci-après les « revendicateurs » ) venus de Chine et arrêtés à la frontière Windsor/É.-U., qui ont revendiqué le statut de réfugié. Par avis de question constitutionnelle daté du 3 août 2000, ils ont conjointement requis de la SSR une décision affirmant que la définition de réfugié au sens de la Convention, objet de l'article 2 de la Loi sur l'immigration (la Loi) est invalide et sans effet dans la mesure où elle contrevient à la Charte des droits et libertés (la Charte) parce qu'elle n'est pas suffisamment inclusive.

[4]                 La définition de réfugié au sens de la Convention s'énonce ainsi :


2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ...


2. (1) In this Act,

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country ...



[5]                 La question de la Charte a été soulevée en tant qu'argument subsidiaire uniquement. Devant la SSR, les revendicateurs ont exposé leur argument principal de la manière suivante. Les jeunes Chinois ruraux (surtout originaires des régions de Fuzhou ou de Wenzhou) qui font l'objet d'un trafic clandestin entre la Chine et l'Amérique du Nord, quittent en général le pays suite à une décision de leur famille à laquelle ils ne participent pas activement. S'ils retournent en Chine, ils font face à toute une gamme de menaces à leur dignité humaine et à leurs droits de la part du gouvernement chinois, de leur famille et des trafiquants criminels (appelés « snakeheads » ). La nature de ces préjudices appréhendés élargit, pour ces jeunes malheureuses victimes du trafic clandestin de migrants, la portée de la Convention relative au statut de réfugié de 1951. Les revendicatrices ont affirmé qu'elles font partie d'un « groupe social » , celui des « jeunes femmes paysannes fujianaises » . Elles ont également soutenu que le trafic illégal de mineurs constitue en lui-même un acte de « persécution » et que cette situation est, par conséquent, régie par la Loi. À l'instar des termes « persécution » et « groupe social » , l'exigence d'un lien entre le préjudice et l'appartenance des revendicatrices à un certain groupe social est susceptible d'une interprétation inclusive. C'est pourquoi elles allèguent que la définition de réfugié ne contrevient pas à la Charte.

[6]                 Le second argument des revendicatrices a été présenté à la SSR à titre de proposition subsidiaire uniquement. La question de la Charte a été exposée en ces termes :

[TRADUCTION] Si l'application de la Convention au Canada a été interprétée de façon à écarter catégoriquement ces jeunes personnes de la protection accordée aux réfugiés, pareille interprétation contreviendrait à l'art. 15 de la Charte. Plus particulièrement, une interprétation étroite du terme « persécution » figurant au para. 2(1) de la Loi sur l'immigration, qui serait de nature à priver les personnes sujettes aux mêmes genres de préjudices auxquels ces jeunes paysannes s'exposent en retournant en Chine, d'obtenir le statut de réfugié, serait inconstitutionnelle par manque d'inclusivité. De même, si l'expression « groupe social » était interprétée de façon à priver ces jeunes paysannes, en tant que classe, de la protection accordée aux réfugiés contre ces préjudices appréhendés, cette interprétation étroite contreviendrait également à la Charte des droits et libertés. Selon un principe d'interprétation législative bien établi, les interprétations qui portent la loi à contrevenir à la Constitution doivent être évitées dans la mesure raisonnable du possible. Voilà pourquoi ces termes doivent être interprétés de façon plus large et plus inclusive qui ne porte pas atteinte aux principes d'égalité garantis par la Constitution. À défaut, et si la SSR décide que le para. 2(1) ne peut être interprété de façon plus large et constitutionnellement valide, le tribunal est légalement tenu de ne pas appliquer le paragraphe incriminé « dans la mesure de son incompatibilité » . Cela signifie, dans le contexte de l'espèce, qu'en appliquant la disposition en question, le tribunal devrait la « reformuler » dans des termes appropriés, remédiant ainsi à la lacune constitutionnelle. (Exposé du droit des demanderesses/revendicatrices, para. 2.)

[7]                 La décision initialement prise voulait que la preuve et l'argumentation, communes à toutes les revendicatrices, relatives à la Charte soient entendues avant les revendications individuelles du statut de réfugié. Le ministre a soutenu qu'en attendant la production des éléments de preuve à l'instruction de chaque revendication, la SSR ne disposait d'aucun fait sur lequel elle pouvait fonder sa décision ou ses décisions sur les points soulevés dans l'avis de question constitutionnelle.

[8]                 Les parties ont alors convenu que le compte rendu de l'audience relative au « cas type » (celui de Hai Yan Chen) de même que les exposés des parties sur la question de la Charte, seraient déposés en preuve dans les causes connexes en même temps que les données factuelles.

[9]                 Le ministre a prétendu que la SSR devrait s'abstenir de trancher les points soulevés dans l'avis de question constitutionnelle présenté par les revendicatrices, du fait [Traduction] « que [celles-ci] ont admis que la loi ne les excluait pas de la protection, ni de façon explicite ni par voie de conséquence nécessaire » (exposé révisé des arguments ministériels, para. 86).

[10]            Il a également soutenu que la SSR [Traduction] « devra décider si le préjudice allégué par les revendicatrices est lié à l'une des raisons énoncées dans la définition » , en affirmant que [Traduction] « d'après les éléments de preuve présentés au cours de l'audition du cas type, les revendicatrices n'ont pas établi un lien causal avec la définition de réfugié au sens de la Convention » (exposé révisé des arguments ministériels, para. 62).


[11]            Dans l'exposé de ses motifs datés du 17 avril 2001, la SSR a conclu que la demanderesse n'était pas, en l'espèce, une réfugiée au sens de la Convention. Elle en a ainsi décidé nonobstant le fait que [Traduction] « le tribunal ne doute aucunement que la revendicatrice fait partie d'un groupe social - les jeunes paysannes fujianaises » , puis elle a ajouté que [Traduction] « en fait, le ministre, dans son argumentation, concède pratiquement ce point. Il existe un lien » . La SSR a conclu, après examen de la situation particulière de la demanderesse et selon la prépondérance des probabilités, que celle-ci [Traduction] « est une migrante qui a volontairement quitté la Chine pour améliorer ses conditions économiques et celles de sa famille » .

[12]            Même si la décision contestée n'aborde pas la question soulevée par les revendicatrices au sujet de la Charte, il s'ensuit, des conclusions de la SSR, que la loi ne les excluait pas de la protection, ni expressément ni par voie de conséquence nécessaire. La SSR a accepté la proposition principale des revendicatrices voulant que la jeunesse rurale de Fuzhou et de Wenzhou constitue « un groupe social » et qu'il existe un « lien » avec la définition de réfugié au sens de la Convention. Ce point de vue une fois établi, nul besoin était de se pencher sur l'argument relatif à la Charte.

[13]            Dans la cause Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, Mme le juge L'Heureux-Dubé, au nom de la Cour, dit ce qui suit à la p. 832 :


Comme, à mon avis, l'appel peut être tranché en vertu des principes du droit administratif et de l'interprétation des lois, il n'est pas nécessaire d'examiner les divers moyens fondés sur la Charte qui ont été invoqués par l'appelante et les intervenants qui l'ont appuyée.

[14]            En outre, dans la cause R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979, la Cour s'est prononcée ainsi à la p. 1015 :

Je conclus que l'action du ministère public d'arrêter les procédures pour contourner une décision défavorable et de les reprendre plus tard constitue un abus de procédure. Puisque je suis arrivée à cette conclusion, il est inutile que j'examine la question eu égard à la Charte. J'aborderai plus loin la question du redressement.

[15]            Sans citer une source autorisée à l'appui de leur proposition, Sharpe et Swinton, dans l'ouvrage intitulé The Charter of Rights and Freedoms (Toronto : Irwin Law, 1998) déclarent à la p. 69 ce qui suit :

[TRADUCTION] ... Suivant une pratique établie en droit canadien, si un juge peut trancher un litige sans se prononcer sur une question constitutionnelle, il ou elle devrait le faire.

[16]            Dans Moysa c. Alberta (Labour Relations Board), [1989] 1 R.C.S. 1572, le juge Sopinka a énoncé ce qui suit aux pages 1579 et 1580 :

L'appelante a également fait valoir que l'al. 2b) de la Charte visait autant le droit de la presse de chercher et de recevoir de l'information que celui de la transmettre. Elle allègue que si les journalistes sont contraints à dévoiler leurs sources, celles-ci vont se "tarir", privant ainsi la presse de l'accès à certaines informations. Cette entrave à l'obtention de renseignements par la presse violerait l'al. 2b). C'est en raison de l'examen de cette question par les instances inférieures que les trois questions constitutionnelles ont été formulées. Toutefois, bien qu'il soit important de déterminer la portée des droits garantis par l'al. 2b), je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu de répondre à ces questions pour les fins du présent pourvoi.


La simple formulation de questions constitutionnelles n'oblige pas cette Cour à y répondre. En effet, l'art. 32 des Règles de la Cour suprême, qui exige que des questions soient formulées lorsque l'applicabilité ou le caractère opérant d'une loi provinciale ou fédérale est en cause, vise à s'assurer que toutes les parties susceptibles d'être intéressées ont l'occasion d'exprimer leur position à l'égard de la constitutionnalité d'une pratique ou d'une loi. Mais lorsqu'elle se prononce sur le bien-fondé d'un pourvoi, la Cour n'est pas nécessairement liée par les questions ainsi formulées. Voici ce qu'a déclaré le juge Beetz au nom de la Cour dans l'arrêt Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, à la p. 71 :

Une grande latitude est généralement laissée aux parties par le Juge en chef ou les autres juges de cette Cour dans la formulation des questions constitutionnelles qu'elles leur demandent d'approuver. Il ne s'ensuit pas cependant que la Cour soit liée par ces questions et qu'elle soit obligée d'y répondre si elle peut disposer du pourvoi sans le faire ou s'il s'avère que les faits de la cause ne donnent pas ouverture à de telles questions. On ne saurait en effet, par le truchement de ces questions, transformer un litige ordinaire en un renvoi: Vadeboncoeur c. Landry, [1977] 2 R.C.S. 179, aux pp. 187 et 188.

Le juge Dickson (tel était-il alors) a exprimé la même opinion dans l'arrêt Skoke-Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106, à la p. 121.

La Cour s'abstiendra généralement de répondre aux questions constitutionnelles si les faits de la cause ne l'exigent pas. Cette politique de la Cour de ne pas se prononcer sur des questions abstraites revêt une importance particulière dans les affaires constitutionnelles : voir à ce sujet l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, aux pp. 363 à 365.

Je suis d'avis que les faits de la présente espèce ne justifient pas une réponse à ces questions constitutionnelles vastes et importantes. Pour y répondre, cette Cour devrait en effet se prononcer bien au-delà des points en litige dans le présent pourvoi. Il n'est pas nécessaire, pour trancher le litige, de résoudre les problèmes de droit abstraits que soulèvent ces questions.


[17]            J'ai également revu les décisions de la SSR relatives aux cas Xia Ling Zheng, TA0-03537, et Chao He, TA0-03488, toutes deux rendues en janvier 2002, que l'avocat de la demanderesse a transmises après l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire. La Cour n'est pas liée par les décisions de la SSR, mais ce qui importe davantage est que, dans chacune des décisions soumises, la Commission ne s'est engagée à examiner l'argument fondé sur la Charte que si elle avait conclu que la demanderesse ne faisait pas partie d'un groupe social particulier. Les demanderesses ont été exclues de la définition de réfugié au sens de la Convention. La Commission a ensuite abordé l'argument relatif à la Charte en tant que moyen subsidiaire, pour voir si les demanderesses étaient, expressément ou par voie de conséquence nécessaire, exclues du cadre de la définition. La Commission a rejeté dans chaque cas ce mode de raisonnement. Elle a reconnu que d'autres tribunaux avaient conclu, dans des cas semblables, que les revendicateurs/revendicatrices faisaient partie d'un groupe social. Cependant, la Commission disposait de précédents judiciaires et de circonstances de fait individuelles au soutien de ses conclusions. Elle a fondé ses décisions sur l'interprétation de la loi en fonction des faits particuliers aux cas dont elle était saisie.

[18]            Je conclus, par conséquent, que la SSR n'a pas failli à l'exercice de ses attributions en omettant d'évaluer la constitutionnalité de la définition de réfugié au sens de la Convention.

2.         La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d'évaluer si le trafic illégal d'enfants constitue en lui-même un acte de persécution au point de répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention?


[19]            La demanderesse, avec les autres revendicatrices, a allégué devant la SSR que le trafic de mineurs est, en lui-même un acte de persécution qui suffit à répondre aux critères de la définition de réfugié au sens de la Convention. Leur plaidoyer se fonde sur la croyance qu'un mineur ne peut consentir à une migration économique, à la contrebande ou au trafic. À défaut de consentement, les mineurs sont forcés de se soumettre au trafic d'enfants et obligés d'affronter les dangers et les conséquences qui s'y rattachent. Les revendicatrices ont prétendu devant la SSR que les risques inhérents au transport des clandestins, à leur détention s'ils sont arrêtés à leur retour en Chine, à leur « recyclage » hors de leur pays pour payer les dettes initiales et accumulées, au travail forcé dans des ateliers clandestins ou dans le commerce du sexe une fois arrivés à leur destination finale, constituent la base objective concluant à la persécution.

[20]            Les revendicatrices ont rappelé à la SSR le Report from the Roundtable on the Meaning of "Trafficking in Persons", la Human Rights Standards for the Treatment of Trafficked Persons et la Convention relative aux droits de l'enfant (les articles 6 et 33 de la pièce C-2). Ces instruments internationaux indiquent clairement que les mineurs ne peuvent consentir à leur propre trafic. Un élément important de ces documents prévoit que le consentement doit être donné en toute connaissance de cause; c'est pourquoi, la personne doit, pour consentir, être au fait des conséquences ultimes du trafic dont elle fait l'objet.

[21]            La preuve documentaire et les affidavits présentés à la SSR (pièces C-2, C-3 et C-4) indiquent, en outre, que les femmes obligées de quitter clandestinement la Chine courent le risque de se livrer au commerce du sexe ou de travailler dans des ateliers clandestins comme main-d'oeuvre engagée à long terme. Elles s'exposent au viol et à d'autres formes de violence. Les snakeheads ont intérêt à « recycler » une personne qui est retournée en Chine pour pouvoir réclamer leur dû lequel n'est payable en totalité que si cette personne atteint sa destination finale. La demanderesse en l'espèce a été interceptée avant son arrivée aux États-Unis; c'est pourquoi, son avocat a affirmé que si elle était renvoyée en Chine, les snakeheads feront pression sur sa mère pour qu'elle l'expédie une nouvelle fois hors de ce pays.

[22]            Ayant passé en revue la preuve versée au dossier, la SSR a conclu, compte tenu de la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n'était pas fondée à craindre la persécution. Elle a, à ce propos, examiné la crainte de l'enfant de se voir persécutée par sa mère une fois rentrée chez elle. Cet examen est documenté dans le compte rendu de l'audience et par la confirmation de la SSR du témoignage entendu à l'instruction. Elle a conclu que le traitement réservé par la mère à sa fille ne constituait pas un acte de persécution, mais qu'il était plutôt un incident isolé. Elle a observé, en outre, que la demanderesse a omis de rapporter dans son Formulaire de renseignements personnels les châtiments corporels infligés par sa mère, pour ne les signaler ensuite que plus tard à l'audience. La SSR a interprété le mot « persécution » par référence à la jurisprudence pertinente et en a conclu que la demanderesse ne s'est pas déchargée du fardeau de présentation qui lui incombait dans ce contexte.

[23]            L'argument selon lequel le trafic illégal d'un mineur constitue, en lui-même, un acte de persécution a été en fait étudié et rejeté par la SSR dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Bien qu'on puisse soutenir, à l'aide de la documentation très fouillée, objet des pièces C-2, C-3 et C-4, que la demanderesse a été persécutée, nous sommes frappés par la décision de M. le juge Muldoon, de la Section de première instance de la Cour fédérale, dans la cause Xiao, où il dit ceci :

La Convention relative aux droits de l'enfant (résolution 44/25 de l'A.G. de l'ONU du 20 novembre 1989) est exhaustive. Bien que l'âge de 18 ans soit l'âge le plus avancé d'un mineur, la transition n'est pas soudaine; la Convention reconnaît clairement que l'atteinte de la maturité est un processus qui se prolonge dans le temps, de sorte que certains « mineurs » acquièrent graduellement leur maturité avant d'atteindre l'âge de 18 ans. Le jeune de 17 ans est donc un mineur « âgé » , ce qui semble être le cas dans la présente affaire...


[TRADUCTION]

D'après son témoignage oral, la demanderesse était heureuse de quitter la Chine pour aller travailler et étudier à l'étranger. Elle a dit avoir revendiqué le statut de réfugié sur les conseils d'un interprète de langue chinoise, durant sa détention à Windsor (Ontario) afin de demeurer au Canada.

[24]            Comme on le voit, la SSR a expressément reconnu qu'il est possible d'alléguer que la demanderesse a été persécutée et elle s'est référée encore une fois à la Convention relative aux droits de l'enfant, ce qui prouve qu'elle a en fait bien étudié la question de consentement dans le contexte du trafic d'enfants. Elle a rejeté cet argument en s'appuyant sur la décision prise dans Xiao c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 195, et le fait que la demanderesse a déclaré dans son témoignage qu'elle [Traduction] « était heureuse de quitter la Chine pour aller travailler et étudier à l'étranger » .

[25]            Dans la cause Xiao, le juge Muldoon a déclaré que la capacité des mineurs à consentir n'était pas la même pour tous et qu'elle s'accroît à mesure de leur cheminement vers la maturité, ce qu'il y a lieu de déterminer en fonction des circonstances de chaque individu. La demanderesse n'a pas invité la Cour à réexaminer le bien-fondé de ce qui a été dit dans la décision Xiao, mais demande simplement que la question soit renvoyée devant la SSR afin qu'elle statue sur elle une nouvelle fois pour n'avoir pas abordé dans ses motifs la question de consentement.


[26]            Bien que les motifs de la décision de la SSR de rejeter l'argument de la demanderesse relatif au trafic de mineurs et au consentement, eussent gagné à être mieux exposés et plus détaillés, je constate qu'aucune entorse n'a été faite aux règles d'équité. Ces motifs suffisent à permettre à la demanderesse, comme à toute instance révisionnelle, de comprendre ce qui a motivé la SSR à décider que l'intéressée n'avait pas prouvé qu'elle craignait à juste raison d'être persécutée dans le contexte actuel. C'est pourquoi, je conclus que la demanderesse n'a pas réussi à convaincre la Cour que la SSR avait omis d'évaluer si le fait d'être l'objet d'un trafic illégal de mineurs constituait en lui-même un acte de persécution.

3.         La SSR s'est-elle trompée en établissant, à partir des faits, que le traitement que subirait la demanderesse à son retour en Chine aux mains des autorités de l'État n'équivaut pas à de la persécution?

[27]            En raison de son départ présumément illicite, la demanderesse a allégué la crainte de persécution aux mains des autorités de l'État si elle retournait en Chine. Son avocat prétend, devant la Cour, que la SSR a passé outre à des éléments de preuve pertinents au regard des mineurs placés en détention et que la demanderesse a droit à la protection dont font état les principes énoncés dans la Convention relative aux droits de l'enfant. Celle-ci prévoit que l'incarcération de mineurs est une mesure de dernier recours qu'il faut appliquer rarement et, en outre, que les mineurs doivent être détenus à l'écart des adultes.


[28]            Je trouve que cet argument est totalement dénué de fondement. La SSR a effectivement tenu compte de la Convention sur les droits de l'enfant (p. 8 de ses motifs). Elle a également examiné des documents divergents portant sur le système pénal en vigueur dans la province de Fujian tel qu'il s'appliquerait à la demanderesse, mais elle n'a pas accepté la proposition selon laquelle celle-ci recevrait un traitement comparable à une persécution ou qu'elle serait traitée plus durement que d'autres en raison de l'appartenance à son groupe. Même si la demanderesse faisait éventuellement face à une détention ou à des châtiments corporels, la SSR [Traduction] « n'a pas conclu que ces punitions qui découlent de lois d'application générale en Chine sont graves ou disproportionnées au point de constituer clairement des actes de persécution. Quant aux châtiments corporels éventuellement infligés aux personnes détenues pour avoir illégalement quitté le pays, il ne s'agit pour cette jeune demanderesse, que d'une simple éventualité. » .

[29]            La SSR a indiqué, par ailleurs, qu'elle était [Traduction] « orientée » par la décision de cette Cour dans la cause Valentin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 390 (C.A.) et a conclu que les [Traduction] « principes » s'appliquaient en l'espèce.

[30]            La Cour a statué dans Valentin que les lois d'application générale relatives au départ illicite ne constituaient pas de la persécution. Le juge Marceau, au nom de la Cour d'appel, a rédigé ce qui suit aux pages 395 et 396 :

Je dirai d'abord que si, sur le plan humanitaire, je suis fort bien disposé à sympathiser avec l'idée d'attribuer le statut de réfugié à tous ceux qui font face à des sanctions pénales comme celles imposées par l'article 109 du Code pénal tchèque, sur le plan pratique et légal c'est une idée qui m'apparaît peu logique et sans fondement rationnel. Ni la Convention internationale, ni la loi qu'elle a suscitée chez nous, à ce que j'en comprends, n'ont eu en vue d'assurer protection à ceux qui, sans avoir été sujet de persécution jusque-là, se fabriqueraient eux-mêmes une cause de crainte de persécution en se rendant librement, de leur propre chef et sans raison, passibles de sanctions pour transgression d'une loi pénale d'ordre général. Et j'ajoute, avec égards pour l'opinion contraire très répandue, que l'idée ne m'apparaît même pas valorisée par le fait que la transgression aurait été motivée par quelque insatisfaction d'ordre politique (voir en ce sens, notamment, Goodwin-Gill, op. cit., pages 32 et s.; James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, pages 40 et s.), car il me semble d'abord qu'une sentence isolée ne peut permettre que fort exceptionnellement de satisfaire à l'élément répétition et acharnement qui se trouve au coeur de la notion de persécution (cf. Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.)), mais surtout parce qu'entre la peine encourue et imposée et l'opinion politique du transgresseur il n'y a pas le lien direct requis.


Ce n'est que dans le cadre d'un contexte approprié, à mon sens, qu'une disposition comme celle de l'article 109 du Code pénal tchèque peut avoir une portée déterminante sur une reconnaissance de statut de réfugié. Il en sera ainsi dans les cas où la disposition, en elle-même ou dans son application, est susceptible d'ajouter à la série de mesures discriminatoires dont a été victime un revendicateur pour une cause prévue à la Convention de façon à permettre de voir de la persécution dans le traitement général que son pays lui réserve.1 [1 C'est une application du principe de l'effet cumulatif dont parlent les paragraphes 54 et 55 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Genève, septembre 1979)]. J'ai mentionné précédemment que le procureur des appelants avait effectivement tenté de rattacher la crainte de sanction pénale de ses clients aux difficultés qu'ils avaient connues dans le passé. Le problème est qu'un tel rattachement n'est pas ici possible, rien ne permettant de penser que l'appartenance des revendicateurs à la religion catholique, cause majeure des difficultés qu'ils avaient connues, ou même leur désaccord avec le régime, à supposer qu'il ait eu pour eux dans le passé quelque conséquence malheureuse, put avoir une influence quelconque sur la façon dont l'article 109 pourrait leur être appliqué. (Non souligné dans le texte)

(Valentin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 390 (C.A.), para. 8 et 9)

[31]            La Cour s'est alignée dans des cas semblables, mettant en cause des mineurs, sur le raisonnement formulé dans Valentin avec les mêmes résultats (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lin, [2001] CAF 306; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 1243). Pour que les lois d'application générale soient jugées opprimantes, il y a lieu d'établir que leur mode d'application différent est lié au motif de persécution invoqué par la demanderesse. Celle-ci doit donc prouver, en l'espèce, qu'elle serait traitée plus durement en vertu de ces lois à cause de son appartenance à son groupe social.


[32]            Je ne vois aucune raison impérieuse de revoir la jurisprudence en la matière. La SSR ne s'est pas uniquement fondée sur la décision Valentin pour écarter la crainte de persécution de la demanderesse en raison de son départ illégal du pays. Je conclus que la SSR n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que les sanctions imposées par une loi d'application générale pour départ illégal du pays, ne constituent pas de la persécution. Je conclus, en outre, qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de juger, à partir des données de fait, que le traitement auquel la demanderesse s'exposera aux mains de l'État à son retour en Chine, ne constitue pas de la persécution.

CONCLUSION

[33]            Pour l'ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[34]            La demanderesse a proposé que soient certifiées les trois questions suivantes :

1)         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n'examinant pas les arguments relatifs à la validité constitutionnelle de la définition de réfugié au sens de la Convention?

2)         La Commission a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas la proposition selon laquelle le trafic de mineurs équivaut à de la persécution?

3)         L'application du critère énoncé dans Valentin à des mineurs qui ont fait l'objet de trafic, constitue-t-elle une erreur de droit?

[35]            Ayant entendu l'affaire et donné à l'avocat l'occasion de présenter des observations, j'ai conclu qu'il n'était pas approprié, en l'espèce, de certifier une question de portée générale. Une question certifiée doit transcender les intérêts des parties en cause, porter sur des sujets de grande importance et être déterminante pour l'appel sous examen. Bien que ces sujets concernent les mineurs en général, qu'ils transcendent les intérêts des parties en cause, et considérant les éléments de droit et de fait qui caractérisent, en l'espèce, les conclusions de la SSR, je constate qu'aucune de ces questions ne serait déterminante pour un appel interjeté dans ce cas. Je suis également d'avis que les questions proposées ne seraient ni de grande importance ni d'application générale : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] J.C.F. no 1637 (C.A.F.).

  

                                                                                      « Luc Martineau »          

                                                                                                             Juge                     

  

OTTAWA (Ontario)

le 19 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                          IMM-2415-01

INTITULÉ :                                    Jin Dong Zheng

  

LIEU DE L'AUDIENCE :            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 12 mars 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :         Monsieur le juge Luc Martineau

DATE DES MOTIFS :                  le 19 avril 2002

  

COMPARUTIONS :

Mme Maureen Silcoff                                             POUR LA DEMANDERESSE

Mme Mary Mattews                                              POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                       POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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